Petit mot de l'auteure : texte écrit pour la 155e nuit du FoF sur le thème "Culture" !
Saison 1
Les mains de Anne n'avaient jamais été aussi abîmées.
Ce n'était pas faute d'avoir travaillé par le passé, pourtant. À l'orphelinat, les encadrantes avaient toujours poussé leurs pensionnaires à effectuer des tâches diverses et variées. Anne avait ainsi déjà plusieurs fois saigné des mains, à force d'user celles-ci en récurant les parquets de l'établissement. Les punaises qui infestaient les lits branlants avaient terminé de les rendre boursouflées et rougies de piqûres. Les choses étaient allées de mal en pis à chaque fois qu'elle avait été placée dans une famille d'accueil. Là, pauvre parmi les pauvres, elle avait accompli toutes les basses besognes : le ménage, la cuisine, les seaux à porter... rien ne lui avait été épargné.
Elle avait ainsi cru que rien ne pourrait détruire d'avantage ses mains. Pourtant, son arrivée aux Pignons verts lui avait montré le contraire. Marilla et Matthew avaient beau la laisser rêver un maximum et étudier pour l'école, elle se joignait souvent à eux. Le travail à la ferme était bien plus éreintant que tout ce qu'elle avait connu auparavant.
Cet après-midi ne faisait pas exception. Les trois Culberth étaient ensemble dans leur champ, se baissant sans cesse pour récolter le résultat de leurs cultures de ces derniers mois : de beaux légumes qui allaient remplir leurs estomacs. Matthew espérait pouvoir en vendre quelques-uns et en tirer un peu d'argent. Marilla réfléchissait aux recettes qu'elle pourrait mobiliser pour manger dignement leur récolte.
Anne, elle, se contentait d'observer ce qu'elle avait dans la main, médusée : des pommes de terre.
De belles pomme de terre, comme elle n'en avait que rarement vues. Mais ce qui l'ébahissait le plus, c'était de voir un légume prêt à manger là où, encore peu de temps avant, il n'y avait qu'un champ vierge. Un champ qu'elle avait elle-même travaillé. Et, à cet instant, toutes les douleurs, tous les cors qui naissaient dans sa main furent oubliés. Elle avait donné de son temps et de son énergie, mais pour créer quelque chose.
Quelque chose de beau.
Quelque chose de fort.
Car, alors que Matthew et Marilla venaient voir pourquoi elle s'était arrêtée et la félicitaient de la grosseur de sa prise, elle se rendit compte que pour la première fois de sa vie, elle avait fait quelque chose avec quelqu'un.
Alors Anne se fichait bien de voir ses mains détruites.
Grâce à Matthew et Marilla, sont cœur s'était enfin réparé et ça, c'était bien plus important.
