La sensation de chute libre que Tom ressent est si réelle qu'il ouvre les paupières en proie à la panique. Ses yeux se mettent à pleurer à cause du brouillard opaque qui l'entoure. Puis, sans prévenir, un coup porté à sa tête le fait s'évanouir. Lorsqu'il ouvre les yeux à nouveau, il s'est passé de longues minutes.
- Non mais espèce de petit mou d'la baguette ! C'est inadmissible de se servir des potions chez des inconnus ! Vous auriez pu mourir ! Vous ne vous rendez pas compte du mal que vous avez fait, Monsieur le sorcier du Ministère ! Vous venez chez les autres et vous servez des potions ! Voilà maintenant une semaine que je vous attends de pied ferme. Ouhhh, craignez ma colère !
La tirade du vieux sorcier rabougri effraie Tom, qui se recroqueville sur lui-même.
- Et en plus, vous n'allez rien dire ? Allez, faites au moins le malin, nom d'un scrout à pétard ! s'exclame le vieux monsieur d'une voix forte.
- Je suis désolé, pardonnez-moi, murmure Tom, honteux.
Ce qui a pour effet de stopper net le vieil homme.
- Mouais, facile à dire, répond le sorcier d'une voix adoucie.
- On m'a dit de faire le ménage alors j'ai sorti le plumeau, commence Tom en se rappelant les évènements datant d'une semaine, et j'ai vu ces potions si belles que j'ai voulu chasser toutes les poussières et elle est … tombée, je crois, se remémore le Poufsouffle sincère.
- Idiot, un sortilège de ménage agit constamment sur mon étagère ! s'exclame l'homme.
- Je suis vraiment désolé, répète Tom, les joues rouges.
- Et puis faire le ménage, ça ne veut pas dire ça ! Vous êtes incroyable, vous alors… Comme si le ministère envoyait des Oubliators pour passer un coup de balai, vous êtes plus bête qu'un Brossdur 1 mon pauvre… Non, parce que votre équipe est venue voir ce qu'il se passait depuis le temps, hein ! J'ai dû broder…
- Vous m'avez couvert ? s'étonne le jeune Oubliator.
- Par le caleçon de Merlin, non ! Ce sont mes potions que j'ai couvertes, vous êtes plus abruti qu'un troll, c'est incroyable…, lâche le vieil homme en levant les yeux au ciel. Bon, qu'est-ce que je vais faire de vous, maintenant ?
- Je ne dirai rien, je ne sais même pas ce que j'ai vécu, ne m'effacez pas mes souvenirs !
- Ah bah, en voilà une belle idée ! Oui, je vais vous les enlever !
- Oh, s'il vous plaît…
Les yeux de Tom se font suppliants, les journées étranges qu'il a vécues, il souhaite les garder en mémoire toute sa vie, écrire un livre s'il le faut ! Le vieil homme finit par décroiser les bras et soupirer avant de s'asseoir sur son fauteuil. Il lève les yeux au ciel, pour la forme, mais un sourire naît légèrement sur ses lèvres. Après tout, cette potion est de son invention.
- Allez-y, racontez-moi ce qui vous brûle les lèvres, lâche le maître des potions.
Tom ne se fait pas prier et raconte chaque chose qu'il a vécue avec un infinie précision et une infinie tendresse. Tout à son récit, il ne sent pas la magie qui opère en lui, il ne ressent pas le sortilège modificateur de mémoire que le vieil homme lui lance, il n'a pas conscience qu'il le prive de ses souvenirs. Quand Tom termine de parler, deux heures plus tard, il a comme un sentiment de vide en lui qu'il ne peut exprimer. La dernière chose dont il se souvient, c'est qu'il est venu dans ce village paumé de Rutland pour faire son travail. Alors, il s'assure que le vieil homme s'est remis de son altercation avec le moldu et rentre à Londres.
Le fait qu'il y ait un trou de sept jours n'impressionne personne, Tom Whitby est connu pour ses actes étranges et tant qu'il reprend efficacement le boulot, personne ne dira rien. Pourtant, une pensée tenace le perturbe : « [i]Il m'est arrivé quelque chose de fou.[/i] » se répète-t-il en boucle.
Assis devant une table du SRS (Service de Restauration Sorcière), Tom fait tourner sa fourchette dans son porridge. Il fait des visages, des lignes, des cercles, mais ne mange rien. Son estomac est noué. Une voix l'interpelle, il relève la tête et, dans un éclair, voit une sorcière souriante au visage rond et cheveux roses. Ses paupières papillonnent avant de reconnaître la sorcière, ce n'est clairement pas Tonks, et elle n'a pas du tout les cheveux roses, par contre son visage est bien souriant. Lottie. Son cœur se met à battre plus vite, il se redresse sur la chaise, sourit béatement et son corps se réchauffe.
- Lottie ! Com… comment tu-tu vas ? bégaye-t-il sous le coup de l'émotion.
Le sourire désarmant de la splendide jeune femme l'obnubile. Il ne remarque pas que Lottie se prend les pieds dans la chaise d'un homme et renverse sur celui-ci son plateau. Il ne voit qu'elle.
- Je peux m'asseoir ?
- Bien sûr !
Tom repousse le siège à côté de lui et dans son élan, donne un coup au sorcier qui passait derrière. Lottie ne semble rien remarquer. Après les formules d'usages, Lottie se met à manger. Enfin, la jeune femme vérifie toujours sa nourriture avant de l'engloutir… elle renifle le plat, passe un doigt dedans, jette un sortilège, goûte ce qui reste sur son doigt, puis mange de bon cœur. Tom trouve cette façon de manger tout à fait prudente et charmante. Il la regarde avec adoration.
- Il paraît que…, commence Lottie.
- Il faut que je te dise…, déclare Tom en même temps que la demoiselle.
Ils rient de bon cœur et après un interminable échange de « Non, toi d'abord ! » Tom prend la parole.
- Lottie, je ne sais pas ce qu'il s'est passé durant ma dernière mission d'Oubliator, des rumeurs circulent peut être, mais je sens qu'il m'est arrivé quelque chose… et ce petit truc improbable me donne des ailes, il me pousse au courage. Il faut que je t'avoue quelque chose, annonce Tom.
Ses mots sont confus, il doute, il retourne les phrases dans sa tête, mais aucune n'a assez de poids pour éclairer son propos. Tant pis, il décide de se lancer tout de même. Après une bonne inspiration, Tom déclare :
- Lottie, tu es comme la lumière qui éclaire les toilettes la nuit, tu es indispensable. Tu es comme un oasis dans un désert, tu es rafraichissante. Tu es comme la crème de marron dans une bûche de Noël, tu es essentielle. Tu es comme un nuage lors d'une canicule, tu es inattendue, mais espérée. Tu es comme un boursouflet violet, tu es originale. Tu es comme l'hydromel aux épices, tu es pétillante. Tu es comme les moustiques qui piquent toute une pièce de convives l'été, tu es ingénieuse. Oh, Lottie, je suis fou amoureux de toi, finit-il rougissant.
- Oh, s'exclame Lottie la main sur le cœur. Tom, c'est la plus belle déclaration que j'ai jamais entendue.
Et sans plus attendre, Lottie se penche pour l'embrasser. Il y a quelques sifflets, quelques applaudissements et même quelques rires des personnes qui sont les plus proches du nouveau couple, mais tout le monde s'accorde à dire qu'ils se sont bien trouvés.
Tom se sent heureux. Pour la première fois de sa vie, il est sûr de lui et sûr d'avoir fait le bon choix. Et peu à peu, le vide s'efface pour être totalement comblé par Lottie. Qu'importent les aventures, les histoires, les sorties, ce qui compte, c'est de ressentir ce bonheur-là. Il aime la jeune rousse depuis une dizaine d'années, jamais il n'avait imaginé pouvoir être aimé en retour !
De retour à son poste, Tom se voit confier une nouvelle mission : une créature magique retenant prisonnière toute une délégation de sorciers étrangers dans leur bateau en visite à Londres. Accompagné par l'enquêtrice du Service des Créatures, Tom se rend sur la péniche. Lottie l'y attend. Tous deux vont devoir résoudre l'enquête en goûtant les mets que la créature a épargnés, en jetant de la farine pour tenter d'apercevoir les traces de l'animal, en interrogeant le capitaine présent sur le bateau, et suivant leur instinct. Cette aventure n'est que la première d'une longue lignée que le couple initie au Ministère. L'alliance des deux laissés-pour-compte du Service des Oubliators et du Service des Créatures produit de belles étincelles !
Doucement, le temps reprend son cours, mais pour Tom tout est à la fois pareil et différent. La seule chose qui l'importe désormais, c'est qu'il est chaque jour un peu plus amoureux de Lottie.
