Hey !

Et encore un OS ! Toujours écrit pendant la Nuit du Fof, sur le thème Camisole. Ça m'a rappelé cette expression que ma mère utilise tout le temps pour parler des anti-dépresseurs, la camisole chimique, ce qui m'a encore fait dériver sur des peurs perso et ça a donné ça et… Voilà.

(TW en fin de page !)

Merci à Ya pour sa relecture, et aux personnes qui ont commenté les OS précédents !


Être ou ne pas être (réel)

.

La camisole chimique, Sally se souvient. C'est le mot que son père a utilisé quand il a pris l'ordonnance. Mais il est revenu sans vêtement, avec cette petite boite de pilules, alors il ne s'est pas posé plus de questions.

Il glissait les médicaments dans sa nourriture pour les avaler plus facilement. La mie de pain ouvrait le passage qu'un verre d'eau ne pouvait que faciliter, et déjà il oubliait ce qu'il venait de prendre.

Oublier. Ça lui arrive souvent, ces derniers temps.

— C'est trop bizarre.

Larry dit bizarre, et Sal entend dommage.

— J'veux dire, c'est cool pour eux, j'suis content et tout mais genre… Ton père et ma mère, quoi.

— Ouais.

Le mariage. Il se souvient de la joie, des bonbons et des discours au milieu de l'été. Pas que l'été ressemble vraiment à l'été à Nockfell, ça restait une journée crasseuse dont on attend désespérément qu'elle se termine. Mais Sally portait une jolie robe, Larry avait un peu bu et il se rappelle avoir glissé sa tête sur son épaule, à un moment. Il y a eu du soleil. Des bagues échangées.

— Au moins on a le sous-sol pour nous, il déclare.

— Grave.

Mais maintenant que leur parents sont mariés, ils forment une sorte de famille. Et Sal ne sait plus ce qu'il a le droit de ressentir à l'égard de son ami. C'est un des rares sujets qu'il n'ose pas aborder avec lui.

La présence de Larry est une évidence dans sa vie. Est-ce qu'il a le droit de vouloir dormir contre lui jusqu'à la fin des temps ?

— Tiens. On fait une partie ?

Le grand métalleux lui tend une manette qu'il attrape, lance un jeu qui n'est pas hanté et les couleurs défilent sur l'écran. Des années de souvenirs le rattrapent. Pour toutes les fois où ils ont appuyé sur ces boutons, crié, ragé et abandonné ; pour toutes les victoires futiles dont ils s'enivraient de longues après-midi durant. Toutes ces boules des chaleurs rassurantes que Larry lui offre quand il lui sourit.

Il est là et la ville est moins terne. Plus sûr. Il se passe toujours des choses horribles dans le monde, mais il se sent capable de s'endormir le soir.

— 'tain !

— T'as perdu, Sal ricane.

— J'suis sûr le truc est hanté. Tu peux pas gagner comme ça.

— Ça c'est une excuse de lâche.

Il rit sous son masque et sent un coude qui s'enfonce sous ses côtes. Son rire redouble. Et comme chaque fois que la joie monte et explose, le retour est brutal.

Une bouffée de fumée qui l'intoxique.

Sal fixe l'écran, la manette entre les mains. La noirceux s'invite et le vide oppressant s'écrase bientôt contre les paroies de son crâne.

Ça revient, cette impression sale. La certitude qu'il va se réveiller. Le bonheur tiède qui le berçait menace d'éclater et de se répandre en acide autour de lui pour mieux le plonger dans le sol incertain. Larry joue comme si de rien était et crie, et Sally a envie de le secouer. De lui dire au revoir avant que tout ne s'effondre, que le rêve prenne fin et que le cauchemar suive. Il lui en veut de ne pas comprendre qu'il se sent soudain si mal, de ne pas voir, ni éprouver avec lui cette peur.

Est-ce qu'il a pris ces médicaments ce matin ? Il ne s'en souvient pas. Parfois il croit que oui, et les cachets du jour sont toujours dans son pilulier. Parfois il va pour les avaler et les petites cases sont vides. Parfois il n'a simplement pas envie parce qu'à quoi bon, au fond ? Tout ça n'a pas de sens et les autres devraient le comprendre, mais les gens s'obstinent à avancer comme si… Comme si…

Parce que c'est plus simple comme ça, sûrement.

Il se lève.

— Eh ? Sal ? Larry s'inquiète.

— C'est rien. Je sors deux minutes, il ajoute.

Et il y compte bien, mais il ne bouge pas. Ses yeux s'accrochent à Larry comme à une corde lancée dans le vide, il cherche une prise sur ces traits familiers et en même temps ce visage n'est plus celui qu'il était il a cinq ans. Le carré de sa mâchoire lui rappelle que le temps passe et emporte tellement de trésor avec lui. Il inspire.

Il fixe son ami comme s'il allait s'évaporer sous ses yeux, se dissoudre. Pas mourir non. Disparaître comme s'il n'avait jamais existé.
Parce qu'exister ça veut dire quoi, au fond ? Comment Larry peut-il être sûr qu'il est bien là, assis sur ce vieux cousin qu'ils ont usé de leurs fesses ? Comment croire aux murs qui pourraient s'effondrer, à la lumière qui grésille et à ce jeu qui défile – et est-ce que ce jeu est bien comme s'il croit se souvenir qu'il était ?

— Tu veux que j'aille chercher quelqu'un ?

— C'est bon.

— Sal, c'est pas bon du tout. T'es mal là.

Il pense et veut lui dire qu'il ne peut pas savoir parce qu'il y a ce masque sur son visage et ce même masque cache tout ce qu'il pourrait y avoir de détresse en lui, mais Larry le connaît par cœur. Et en même temps, comment peut-il exister quelqu'un qui sait à cet instant ce qu'il ressent ? Quelqu'un qui le connaisse si bien ? Et si Larry n'avait jamais existé et qu'il s'évaporait, comment est-ce qu'il y survivrait ?

— Mec.

Il sent ses mains dans les siennes. Froides. Ses mains sont toujours froides, il croit se souvenir.

— Je suis là ok ?

— Ok.

Il dit ça, mais il ne peut pas en être sûr. Personne ne peut jurer qu'il est vraiment là. Être là, ou ailleurs, c'est juste…

Il serre ses doigts.

— Je vais t'accompagner dehors.

— Je peux…

— C'était pas une question

Et son ton n'est ni un ordre, ni une menace. C'est une promesse qu'il lui fait parce qu'il n'y a rien d'autre à faire que des promesses qui se briseront peut-être. Parce que rien n'est vrai ni définitif, que le monde lui échappe constamment et que Sally n'est pas certain qu'un jour, tout ne s'effondrera pas sans explications.

— D'accord, il répond.

Il ne proteste pas. Il respire et c'est déjà bien.

— Tu veux garder ton masque ?

— Oui. S'il te plait.

— Pas de problème.

Il se laisse guider vers cette sortie au fond de la chambre de Larry, qui mène à la cabane. Ses pieds glissent sur un plancher à la fois étrange et familier et, dehors, ça sent les feuilles mortes. L'automne en avance.

Il pense à la neige qui recouvrait le paysage l'année dernière. Au bonnet sur la tête brune de son pote. A son père qui allait chercher les boîtes d'antidépresseurs. La camisole chimique.

Sally pense que la camisole, la vraie, c'est l'incertitude qui fait tanguer le monde comme les contours d'un rêve.


[TW : dépression, déréalisation]

Voilà voilà. J'ai encore un autre OS en stock, Je poste ça sous peu !