Et voilà l'autre OS ! Deux Asra Julian en une nuit, c'est chouette.
Le thème était Décadence, et en fouillant dans ma très longue liste d'idées d'OS avec ces deux-là, je me suis souvenu que je voulais faire un UA Le bossu de Notre Dame. Du coup j'ai regardé en vitesse certains passages. Les dialogues ne sont pas exacts, ni la temporalité, mais j'espère que ça vous plaira !
(Merci à Ya pour sa relecture !)
Bonne lecture !
Espoir et Droit d'asile
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Il l'a vu-e danser sur scène. Ce n'était pas un rêve ni une apparition mais une personne bien en chair, aux jambes longues, le regard plein d'une assurance dont Julian ne soupçonnait pas qu'elle pouvait exister. Un homme - ou une femme - quelqu'un, quelqu'un donc le sourire ne s'excusait pas, quelqu'un dont les pieds frolaient le monde comme on foule une terre libre, des pas insoumis comme ses hanches remuaient dans sa robe et depuis…
Depuis, il ne peut pas l'oublier.
Il se souvient du tissu mauve qui tombait sur sa peau, ce violet plus profond que celui de ses yeux, indéchiffrables pupilles. Oui, Julian se souvient de cette légèreté indolente, de ces doigts fins serrés autour du fer et de ce fragment de seconde où elle - lui ? - l'a vu lui, lui au milieu de la foule, le mauvais herbe dans le jardin, avant de lui tendre la main. Il se rappelle de cette chaleur sur sa peau alors qu'il caresse sa paume. Du frisson qui l'a pris et de l'espoir, bref. De l'horreur qui a suivi.
Son grand corps tassé sous les combles de la cathédrale, Julian va s'effondrer près de sa table. Il contemple l'œuvre de ses heures, ces décors qu'il a minutieusement fabriqués comme autant de vie déposées là. Mais qu'est-ce que tout ce travail face à la beauté éphémère qu'il a à peine effleurée. Oh.
Rien.
Il retourne vers la fenêtre et il pense, Asra. C'est son nom, ou celui qu'il a cru entendre. Asra. Un mot qui porte la profondeur de la nuit et la force de la rébellion à lui tout seul. Asra. Le nom de quelqu'un qui lui a tendu la main.
Le soleil se couche. Et comme il répète ces tendres syllabes, il pense douloureusement qu'il ne les entendra sûrement plus jamais.
. . .
— Je demande le droit d'Asil.
Mais quand ces mots résonnent depuis la nef, Julian perd pied. Il traîne son corps trop long entre les poutres, cache son œil malade sous une mèche de cheveux sale. Ses doigts rachitiques agrippent le bois et tout son corps s'arrête dans un immense silence alors qu'il tend l'oreille.
— Qu'est-ce que tu attends ? Arrête-le ! crache un timbre qu'il ne connaît que trop bien.
— Je ne peux rien faire. Il demande le droit d'asile, une autre voix
Ce qu'il y a de cœur dans le torse de Julian s'affole et dégringole le long de ses jambes frêles. Il grimpe et écoute encore la pièce qui se joue, prie de tout son être le dieu qu'on lui a enseigné pour qu'elle ne termine pas en drame. La colère de Lucio fait trembler les murs, mais elle n'est rien contre la loi divine. Et comme il s'éloigne finalement, le grand corbeau retourne se cacher dans son nid de fortune.
Il. Asra est un il, il sait, maintenant. Il avec ses yeux aux longs cils, ses doigts graciles et cette jupe qui attire le dégoût de Lucio. Oh, Julian sait que c'est mal. Il y a des différences fondamentales entre les hommes et les femmes, des règles qui sont le fondement même de cette société. Mais comment pourrait-il le juger, lui qui porte toute l'immondice du monde sur sa face ? Oui, lui qui ne voit son ignoble reflet que d'un œil, l'autre rougit d'une étrange couleur, en partie englouti sous une paupière gonflée. Il n'appartient qu'à Dieu de punir cette décadence, et si ce même Dieu lui a donné le droit de vivre, il espère de tout son coeur qu'il protègera Asra de la même manière.
— Il y a quelqu'un ?
Il se fige.
— Eh oh !
— Non ! Personne !
Sa propre stupidité lui saute au visage alors qu'il se carapate derrière une vieille poutre. Tant bien que mal, il essaie de dissimuler son corps d'arbre dans un décor de mille détails, mais déjà les pas s'approchent. On galope dans les escaliers, grimpe l'échelle pour monter vers son tombeau secret. Et Julian se sens mourir.
— Attends ! C'est toi ?
Il a reconnu sa voix. Le monstre se maudit comme il entend s'approcher celui qu'il ne devrait pas même regarder, mais déjà le poids des enseignements de Lucio lui échappe.
— L'autre jour, sur la scène… C'est toi que j'ai fait monter. Je me trompe ?
Comme dans son souvenir, la voix d'Asra porte en plein cœur. C'est un timbre sincère, ça, une bouche qui ne ment ni ne plie. Il se souvient de ses contours qu'il n'aurait pas dû si bien retenir, se rappelle des sourires qu'elle a dessinés et de cette assurance espiègle. Ce rictus de renard. Son cœur se serre et se déchire.
— Je…
En comparaison, sa propre voix est une offense.
— Oui. C'est moi.
— Je suis désolé. Si j'avais su qui tu étais, je ne t'aurais fais monter sur l'estrade.
Oh, Julian n'en doute pas. Il n'y a rien de mauvais sur ce visage parfait qu'il aperçoit dans le reflet des bibelots pendus à son plafond. Cette peau brune comme les poutres de l'église, que les carreaux minuscules colorent de rouge et de bleu. Asra, ce n'est pas nom qui blesse - ou pas volontairement, c'est trop beau, trop léger. Trop délicat pour lui offrir sa propre face. Lucion lui a toujours appris à bien se cacher - et il a compris, à ses dépends, que c'était pour mieux le protéger d'un monde désespérément cruel.
Mais Asra…
Asra n'est pas cruel.
— C'est rien.
Il s'avance simplement, ses pieds nus trainant entre les pans de sa robe et Julian contourne la poutre pour cacher ce qu'il peut de cette silhouette dégingandée. Il observe ces jambes que la vente du vêtement trahit parfois, se déteste en pensées. Il n'a pas le droit d'imaginer l'angle de son genoux ni la pointe de sa hanche, mais ça lui vient tout seul.
— C'est…
Le souffle coupé, Asra tourne dans la pièce.
— C'est chez toi, ici ?
— Oui.
— C'est toi qui a fait toutes ces décorations.
Julian hoche la tête et, réalisant que l'autre ne peut l'entendre, il pousse sa voix depuis l'ombre où il se cache.
— C'est moi. Enfin, pour la plupart des… err…
— C'est magnifique.
Il entend un rire, si léger qu'il ne peut provenir que de cette bouche. Ose sortir sa tête de derrière le vieux bois pour chercher un regard ourlé de longs cils.
— Si j'avais ton talent, je ne me contenterais pas de danser dans les rues, Asra commence.
Ses doigts caressent les babioles sans les briser. Des gestes assurés, pourtant légers. Julian sent son coeur cogner. Les mots le touchent mais il sait qu'une fois que le garçon apercevra à nouveau son visage, sa bonté laissera la place à la juste horreur qu'il mérite.
— Tu danses très bien, il balbutie. Comme une déess-enfin, un dieu. Tu danses…
— Disons que ça suffit pour remplir les assiettes.
Pourtant, il ose pointer le bout d'un nez sec et anguleux, marqué comme un roc suspendu contre une falaise. Son regard incertain glisse dans la pièce, fait le tour et s'arrête sur la main d'Asra qui effleure ses trésors. Son monde. Il presse ses paluches l'une contre l'autre.
— Et ça ? C'est toi qui l'a fait ?
— Non attend je-
— Oh !
Le regard du garçon s'illumine.
— C'est le forgeron ?
Une joie simple l'habite comme il semble reconnaître tous les détails de sa propre vie étalés sur cette table et Ilya se détourne. La petite figurine qu'il vient d'attraper n'est pas terminée. Il manque les couleurs, les tissus qu'il y colle. La vie qu'il donne pas de minuscules détails. Et pourtant, l'invité s'en émerveille déjà.
— Mmh, oui, c'est lui.
— Et là ? C'est le boulanger ?
Il acquiesce. Le boulanger, et plus loin les lavandières. Le serpent qui suit Asra s'en approche et siffle comme pour le complimenter. Julian craint qu'il n'ouvre grand sa gueule pour les engloutir, mais il n'en fait rien. La bête s'enroule et le bohémien caresse ses écailles froides sans crainte. Il se tourne.
Trop tard, Julian remarque la lumière extérieure qui l'éclaire. Il a laissé l'ombre et Asra peut le voir, tout entier, difforme et ratatiné.
— Tu es pleins de surprises, Julian.
Nulle horreur sur son visage. Au contraire, il s'approche et tend la main vers sa joue rugueuse. Le contact de sa peau ne le rebute pas. Son sourire demeure, égale et tendre, alors que le maître des gargouilles comprend doucement les mots qu'il a dit. Julian. Son nom roule et il comprend qu'il existe, dans l'univers impie et merveilleux d'Asra, un Julian. Lui.
Il se mord la lèvre. Il regrettera peut-être ce qu'il va dire, plus tard. Quand ce sera trop tard pour reprendre ce qu'il va lui donner. Mais c'est tout ce qu'il a à offrir, alors il ouvre la bouche.
— Ilya. Vous pouvez m'appelez- si vous voulez, je, err…
Un nom. Celui qu'il a retrouvé cousu sur le tissu qui l'enveloppait quand Lucio l'a trouvé, avant de lui en donner un autre. Quatre petites lettres dont il ne sait ni d'où elles viennent, ni ce qu'elles veulent dire. Un autre nom qu'il garde - gardait précieusement.
L'expression d'Asra s'adoucit.
— Ilya, il répète.
Dans sa bouche, ça sonne comme une bénédiction.
Voilà, deux trucs un peu mignon ce mois-ci !
A la prochaine !
