Et voilà l'autre OS, écrit sur le thème Revenir ! Il se passe dans la même continuité que l'OS du mois dernier où Sal et Travis discutent, après l'épisode 5.
(je dois encore relire, pardon pour les erreurs qu'il reste !)
Bonne lecture !
Déçu
.
— Comment t'as su ? Travis demande.
— Quoi ?
— Où j'étais ?
Sal ne sait pas ce qui l'étonne le plus. Que Travis lui pose la question ou qu'il ne le fasse que maintenant ? Dans les deux cas, la réponse est la même. Alors il attrape le café en poudre et il rapproche deux tasses.
— Je l'ai senti.
— Ça m'avance pas.
Il s'en doute, mais il ne sait pas comment l'expliquer autrement. C'est comme une nouvelle émotion, qui ne l'avait jamais traversé avant que lui-même ne traverse les différentes dimensions. Un sentiment profondément ancré en lui, et pourtant extérieur à sa personne. Chaque fois que les dimensions s'effleurent, ça se réveille. Et quand une brèche s'ouvre entre elles, ça le prend brusquement. Il le sait aussi sûrement qu'il sait qu'il tient à Todd et à Ash.
Et la peur suit de près. En temps normal, quand une brèche s'ouvre, les restes des Ténèbres se réveillent. C'est là qu'il appelle Ash avant de se précipiter vers la source qui l'alerte.
— C'est comme si j'entendais un bruit. A l'intérieur de moi. Quand ça arrive, je sais où aller.
Mais cette fois-là, c'était différent.
. . .
Quand Sal a senti la fracture s'ouvrir, il s'est précipité hors de chez lui. Son cœur - ou ce qu'il lui sert de cœur, il ne comprend pas toujours ce corps qu'il incarne dans sa dimension d'origine - cognait comme une cloche, une tremblement puissant courait juste dans ses doigts et ses jambes allaient dans la rue. Il en avait oublié de fermer la porte de la maison derrière lui. Mais quel besoin de la verrouiller ? Il n'y avait pas beaucoup de survivants dans le coin, et ceux qui trainaient pas là ne s'étaient encore jamais aventurées chez.
Il s'en moque bien, de toute façon. Parce que pour la première fois depuis des mois, il a senti quelque chose sortir du vide. Une forme inconnue qui s'est ajoutée au monde au moment où ce sentiment s'est réveillé.
Il a essayé d'appeler Ash sans sa course, sans succès. Mais peu importe. Ni le vent ni la boue sur laquelle il glisse ne sauraient l'arrêter, pas plus que le bon sens et la prudence. Il dérape la rue, descend la pente qui devance la ville où il s'est terré et peut-être qu'il tombe une fois ou deux. Oui, peut-être qu'il a du sang dans la paume. Il ne le verra pas avant de le retrouver sur les vêtements d'un autre. Pour l'heure, une seule pensée cogne dans son crâne.
Larry.
Il tourne et court au-delà de ce que ce corps lui permet, inspire à s'en déchirer les poumons - est-ce qu'il a vraiment des poumons ? C'est tout près il sent, il sait comme il n'a jamais était plus sûr de rien, c'est là et il ne plus plus qu'à un nom, un seul. Le cœur au bord des lèvres.
— Larry ?
Le silence lui répond. Devant lui, une immense racine du mal qu'il n'a pas encore nettoyée s'étend. Elle s'étend comme un morceau à part entière du paysage. Et à ses pieds, étendu sur l'herbe terne qui manque de soleil, un corps immobile attend.
Le monde s'effondre. Sal veut croire qu'il se trompe. Après les brins jaunis jouent sans doute de ses yeux. C'est loin de lui encore, il voit mal. Il voit forcément mal. Ce long manteau tout de rouge tâché en cache trop pour qu'il puisse savoir ce qu'il voit. Et pourtant il reste là, planté, ses doigts tremblant ramassés contre sa paume. Parce qu'il sait. Comme tous les gens qui se mentent à eux-même.
Sous son masque, son expression se décompose. La déception est sans nom.
Il s'approche, et le visage terne de Travis piétine ses espoirs.
. . .
— T'étais pas trop déçu ? il ricane, salement.
Si. Mais Sal ne peut pas lui dire à quel point il a raison. Il a lui-même bâti une croyance qui s'est effondrée sous ses yeux, il ne pouvait s'en prendre qu'à sa propre naïveté. Larry lui manquait tellement…
Il lui manque toujours. Chaque fois qu'une voix, un bout de paysage ou une page de livre lui font penser à lui. Il le trouve dans les cordes de guitare, les premières neiges de la saison et les formes rondes qui lui rappellent les vinyles qu'ils écoutaient. Quand les rideaux longs qui, le soir, ressemblent à ses cheveux. Même quand Travis le secoue au milieu de la nuit, ses doigts chauds sur son épaule… Il sait que ce n'est pas Larry. Mais il ferme les yeux plus fort pour y croire, au moins un peu. Avant que le réveil ne l'achève.
Maintenant, il se demande pourquoi le Vide a recraché Travis. Est-ce que c'est Mme Rosemberg qui l'a aidé ? Jim ? Il reste une autre option, mais il ne veut pas y croire. Pas si c'est pour en souffrir encore.
— C'est une bonne chose que tu sois revenu, il déclare.
— Pas vraiment, non.
Travis détourne les yeux, et Sally n'insiste pas. Il commence à comprendre comment l'autre se protège. Ses doigts se baladent sur les lanières de son masque. Parfois, la gentillesse fait plus de mal qu'une cruauté familière. C'est étrange, nouveau et effrayant. Il peut comprendre.
Il verse l'eau bouillante dans leur deux tasses avant de serrer ses deux mains autour de la sienne. La chaleur se répand sous sa peau. C'est presque la même sensation qu'avant. Presque. Une copie aussi proche d'un double dans un miroir qui, croyant imiter les mouvements de son original, les inverse.
Même après des mois dans cette étrange enveloppe, il pense à son ancien corps. Est-ce qu'il est encore quelque part sous terre, à mourir contre une pierre tombale.
— Tu sais, il commence.
La buée qui s'échappe du café sent comme un souvenir lointain. Il inspire. Avale une gorgée.
— Je crois pas qu'Ash te déteste. Pas après ce que t'as fait pour nous.
Il ne peut pas parler à sa place. Mais Travis a essayé de lutter contre le culte, à sa manière. Et ça compte.
— Si tu le dis.
Il sait qu'il ne l'a pas convaincu. Mais insister, avec lui, c'est inutile. Il préfère le laisser dénouer seul ses mensonges. Ou s'y accrocher, si ça le rassure. La vérité aussi, ça fait peur.
Le ronron solitaire d'une moto se fait entendre depuis le jardin, et Sally termine sa tasse d'une traite.
