Chapitre 3 - "Pourquoi, on a un problème ?"

Bon, ok, il n'avait pas vraiment l'air de se pavaner avec ses cheveux roux ternes et ses cernes de six pieds de long, mais rien que voir sa sale petite tête de rat agaçait Scorpius. Louis était de retour depuis une semaine à Poudlard, il l'avait croisé trois fois en dehors de la Grande Salle - il avait compté, oui, même la fois où il n'avait fait qu'entrapercevoir un pan de sa robe au fond d'un couloir - et à chaque fois, une rage sans précédent l'avait saisit. Après tout ce qui s'était passé avant les vacances, après les semaines qu'il avait passé à essayer d'arranger les choses avec Maggie, après les efforts qu'il avait dû faire pour la remettre sur pieds suite à cette saleté de photo, voilà que ce débile de Weasley réapparaissait. Scorpius commençait à croire que quelqu'un lui voulait du mal.

"Tu m'écoutes ?

-Non, répondit Scorpius dans un élan un peu stupide de spontanéité, les yeux rivés sur la silouhette de Louis.

-Ah, sympa !"

Il faillit emboutir Augustus et dû faire une pirouette ridicule sur le côté pour l'esquiver, envoyant son porte-parchemins en cuir voler en plein dans la poitrine d'une troisième année. Elle lui lança un regard courroucé et pendant une brève seconde, Scorpius crut qu'elle allait le frapper, mais elle se contenta d'un reniflement méprisant et continua son chemin, son amie aux allures de souris sur les talons. Secoué, Scorpius les regarda s'éloigner pendant une seconde avant que les gloussements hilares d'Augustus le ramènent dans le couloir.

"C'est ta faute, grommela-t-il à l'intention de son ami. Qu'est-ce qui t'a pris de t'arrêter comme ça, hein ?

-Eh, gars, t'avais qu'à m'écouter ! À quoi tu pensais encore, hein ?

-Rien du tout, répondit Scorpius en serrant les dents.

-Rien du tout ou Louis Weasley ? ironisa son ami. Oh aller, pas à moi mon pote ! Depuis qu'il a passé la Grande Porte lundi dernier, je t'ai pas vu esquisser un sourire ! Chaque fois qu'on le croise dans un couloir, j'ai l'impression que tu vas l'envoyer dans le mur le plus proche. Je suis même surpris que tu n'ais même pas essayé de l'intimider, réfléchit-t-il d'un air songeur."

Scorpius ne répondit pas, se contentant d'avancer dans le couloir en direction du parc. S'il avait pu, il serait allé parler à Louis, pour mettre les choses au clair. Juste comme ça, pour être certain qu'ils étaient bien sur la même longueur d'onde. Mais il avait promis à Maggie qu'il ne ferait rien, et ne pas la décevoir était mille fois plus important qu'être sûr que Louis resterait à sa place. Hors de question que ce crétin vienne à nouveau gâcher l'équilibre fragile qu'ils avaient enfin réussi à trouver tous les deux.

"Tu trouves ça normal, grogna-t-il à l'attention d'Augustus, qu'il ait le droit de revenir après ce qui s'est passé avec Hugo ?

-Euh… J'sais, en fait, hésita son ami d'une voix songeuse. D'un côté, je trouve ça vraiment abusé qu'il n'y ait pas eu plus de mesures prises après la fuite d'Hugo, ou que les profs n'aient rien fait quand Maggie s'est faite harceler avant les vacances. De l'autre, je sais pas… Louis est un sale type, mais est-ce qu'il doit être puni à vie pour ce qui s'est passé ?

-Puni à vie ? Mec, il a même pas été exclu ! s'exclama Scorpius en faisant volte-face. C'est pas toi, qui disait que l'expulsion était la seule solution ?!

-Je sais, je sais ! Eh, respire, s'agaça son ami en haussant les épaules. Je te dis juste ce que j'en pense, et puis j'ai le droit de changer d'avis ! Je suis pas en train de t'agresser, Scorpius !

-Pardon. Sujet sensible, renifla le jeune homme en baissant les yeux.

-J'ai l'impression, ouais. Ce que je veux dire, c'est qu'on a tous cru qu'il était parti à Beauxbâtons, mais Rose nous a bien expliqué que c'était pas le cas. Je veux dire, il a quand même le droit d'aller à l'école, comme nous, nan ? Et lui aussi, il a ses potes ici, et sa famille pas loin… On ne pouvait pas lui interdire d'étudier, nan ?

-Peut-être pas, non.

-Et puis, même s'il avait été accepté à Beauxbâtons, je sais pas… Il se serait sûrement intégré là-bas, je dis pas hein, mais… Est-ce que c'est vraiment lui rendre service que de confirmer qu'il n'avait pas sa place à Poudlard ? Tu ne crois pas qu'en donnant raison à Hugo et en l'excluant définitivement, Louis y aurait vu une forme de rejet et confirmé tout ce qu'il pense sur les Sang-Mêlés et les Cracmols et je ne sais quoi d'autre ?

-Je n'ai jamais envisagé les choses sous cet angle, murmura Scorpius. Peut-être bien, je n'en sais rien…"

Ils passèrent sans s'arrêter devant un panneau indiquant que le cours de Teddy Lupin n'aurait pas lieu cette semaine, qu'ils avaient déjà pu voir sur la porte de sa salle de classe mardi. Les rares élèves encore dans les couloirs se pressaient dans les escaliers, excités par les rayons du soleil qui tombaient sur le lac. Quelques-uns pourtant continuaient à se rendre à la bibliothèque au quatrième étage, et Scorpius laissa son regard s'attarder quelques secondes supplémentaires à l'intérieur de la vieille salle boisée, cherchant deux grands yeux bleus et un éclat de miel au hasard des rayonnages de livres. Peine perdue. Elles avaient pourtant bien dit qu'elles viendraient ici avec Rose après leurs cours commun…

En descendant, il réfléchit à ce qu'Augustus venait de lui dire. Il n'avait jamais vu les choses sous cet angle, mais ça ne lui donnait p as plus envie de se réjouir du retour de Louis. Surtout pas avec Maggie qui se remettait à peine de ce qui s'était passé avant les vacances… Au moins, la réapparition soudaine de Louis avait eu un avantage : les rumeurs les concernant s'étaient calmées d'un coup, et tout le château ne parlait plus que du retour du sixième année. Scorpius et Maggie avaient même pu se tenir côte à côte devant la salle de classe de Zabini l'autre jour sans que le reste de leur promo se mette à murmurer et les pointer du doigt.

"Et s'il s'en prenait à Maggie, maintenant ? demanda-t-il à haute voix, le regard perdu dans le vague. Louis, je veux dire.

-Il s'en est toujours plus ou moins pris à elle, non ? Je veux dire, même s'il était atroce avec Hugo, ça n'était pas la seule personne à subir le Gang à Weasley.

-Raison de plus, renifla Scorpius. Lui permettre de revenir, c'est lui permettre de s'en prendre à nouveau à ses souffres-douleurs préférés.

-Peut-être, admit Augustus, mais à condition qu'il recommence à jouer les tyrans. Ça fait une semaine et il se tient plutôt tranquille.

-Oh, crois-moi, il va recommencer. Ce type est une ordure, siffla le jeune homme en arrivant sur le palier du deuxième étage.

-Mouais… Je trouve ça bizarre que tu envisages si peu que les gens puissent changer, pour quelqu'un qui a vécu ce que tu as vécu ces derniers mois, fit observer son ami d'une voix moqueuse. Après tout, on aurait pu se dire la même chose à ton sujet quand t'as commencé à traîner avec nous."

Scorpius allait répliquer - répliquer quoi, d'ailleurs ? Augustus avait peut-être bien raison, mais c'était pénible de l'admettre - quand un éclat argenté à l'angle d'un couloir lui fit tourner la tête. Un minuscule bourdon iridescent flottait à quelques mètres de lui, les vibrations de ses ailes translucides presque imperceptibles dans l'air. Il l'avait vu tellement de fois depuis les vacances qu'il le reconnaîtrait partout, et pourtant personne d'autre ne semblait lui prêter attention. La discrétion du Patronus de Maggie avait du bon.

"Faut que je te laisse, lança-t-il à Augustus qui s'engageait déjà dans l'escalier. J'ai oublié, euh… Je dois terminer un devoir ? tenta-t-il en oscillant d'un pied sur l'autre.

-Ben tu peux pas terminer ça au bord du lac ?

-Je sais pas, je pense que je vais remonter à la bibliothèque. Moins de distractions.

-Comme tu veux, répondit Augustus en haussant les épaules. On se voit au dîner ?

-Ouais, carrément même !"

Sa voix était bien trop enjouée, mais son ami se contenta de le scruter une seconde avant de tourner les talons et continuer son chemin vers les étages inférieurs. Il valait mieux attendre, par mesure de sécurité, qu'il disparaisse et Scorpius patienta, nerveux, attendant que les cheveux bruns d'Augustus quittent enfin son champ de vision. Enfin ! D'un bond, il se tourna vers le bourdon et le couloir gardé par ce dernier.

"Maggie ? chuchota-t-il.

-Ici."

Même sa voix souriait. Ah. Son cœur manqua un battement, parce qu'elle était beaucoup trop jolie, accoudée dans l'encadrure d'une porte, ses joues roses baignées de tâches de rousseur à force de s'exposer au soleil d'avril. Et elle l'attendait. Ca, peut-être qu'il ne s'en remettrait pas. Peut-être que ça resterait toujours un peu une surprise, toujours un peu comme un cadeau, Maggie qui lui tendait la main en souriant avant de se hisser pour l'embrasser.

Oh, il était bel et bien perdu pour la cause !

"Augustus ? demanda Maggie en posant les talons à terre.

-Parti chercher les autres dans le parc."

Par réflexe, il passa ses bras autour de la taille de la jeune femme, pour éviter qu'elle recule trop. Elle se contenta de sourire, ses mains croisées derrière la nuque de Scorpius et il ne put s'empêcher de rougir quand leurs regards se croisèrent. Oh, il était ridicule ! Ca faisait plus de deux semaines, maintenant ! Il fallait qu'il commence à s'habituer. Pour se donner une contenance, il se racla la gorge et détourna les yeux.

"Pfff… pouffa Maggie. Tu crois que tu peux faire plus macho ?

-Eh ! s'exclama Scorpius en rougissant de plus belle. Ça va, je suis pas…

-Je rigole, sourit Maggie. Et c'est mignon, arrête d'être gêné. "

Scorpius se détendit un peu lorsqu'elle se hissa à nouveau vers lui pour l'embrasser. Être avec Maggie était bien plus facile depuis qu'ils étaient honnêtes l'un envers l'autre, et même s'ils se cachaient dans les couloirs pour avoir trois minutes d'intimité - après ce qui s'était passé au trimestre précédent, mieux valait prévenir que guérir - il était juste heureux. Maggie sourit et s'écarta à nouveau.

"Rose voudrait faire un pique-nique dans le parc, ce soir, dit-elle d'une voix légère.

-Hum ? fit Scorpius, pas tout à fait certain de l'écouter.

-Tu l'as déjà fait ? On choppe tout ce qu'on peut dans la Grande Salle à l'heure du dîner et on se retrouve tous autour du lac pour manger ensemble avant le couvre-feu.

-C'est autorisé ?

-Pas vraiment, mais on fait ça depuis des années et on n'a jamais eu de problème, se moqua-t-elle. Et Neela veut en profiter pour nous présenter son copain.

-On le connaît, son copain. C'est le gars de Poufsouffle qui arrive toujours avec sa robe de sorcier à l'envers, non ?

-Basil, confirma Maggie. Et c'est important pour elle.

-Tu crois qu'on devrait…"

Mais il ne termina pas sa phrase. La porte de la salle à côté de laquelle ils se tenaient s'ouvrit à la volée, et Louis Weasley, les yeux bouffis et les joues rouges, fit irruption à quelques centimètres d'eux. D'instinct, Maggie fit un pas en arrière mais Scorpius se colla un peu plus à elle, refusant de la lâcher. Louis les scruta une seconde, interloqué, et secoua la tête. La colère monta en flèche au cerveau de Scorpius, lui battant les tempes. Qu'est-ce qu'il fichait à, lui ?

"C'est la meilleure, marmonna Louis en reculant. Un domaine de plusieurs hectares, et il faut que je tombe sur… Poussez-vous, grogna-t-il. J'ai cours.

-Qu'est-ce que tu fous là, Weasley ?"

Une rage sourde prit possession de sa voix et Scorpius dû se faire violence pour ne pas le toiser. Il revit leur dernière rencontre dans un éclair, son poing s'abattant sur le sourire satisfait de Louis dans la Grande Salle le soir de la disparition d'Hugo… Oh, s'il n'avait pas promis à Maggie !

"Je cherchais un endroit pour bosser, Malefoy. Pourquoi, on a un problème ?

-Non, trancha Maggie d'une voix sans appelle en agrippant le bras de Scorpius. Aucun problème."

Pendant un bref instant, les deux garçons soutirent le regard de l'autre, se défiant sans un mot. Puis Louis soupira et baissa les yeux.

"Si vous voulez bien m'excuser… Malefoy, Taylor, les salua-t-il d'un ton froid en passant à côté d'eux.

-Weasley, rétorqua Maggie, se collant un peu plus contre Scorpius."

Il sentait ses ongles s'enfoncer dans sa peau et pour la première fois, il réalisa que peut-être, Maggie avait peur de cet abruti de Louis. L'idée ne lui était jamais venue mais lorsque le Gryffondor les frôla avant de disparaître dans le couloir annexe, il pouvait la sentir presque tremblante dans ses bras malgré sa mine revêche et ses yeux qui lançaient des éclairs.

"Je déteste ce type, soupira-t-elle lorsque Louis eut passé l'angle du mur. Deux fois que je le croise depuis son retour, c'est pas grand-chose, hein ? Eh bah à chaque fois, ça me file des frissons.

-Il te fait peur ?

-Peur ? Non, il me dégoûte, renifla-t-elle en ajustant son bandeau. Non, je ne peux pas me permettre d'avoir peur de lui, ça serait lui accorder un peu trop de pouvoir, tu ne crois pas ?

-Tu es d'accord pour qu'il revienne à Poudlard, alors ? demanda Scorpius avant de pouvoir s'en empêcher."

Maggie le scruta une seconde, semblant réfléchir à la question, puis haussa les épaules.

"Personne ne m'a demandé mon avis, finit-elle par répondre. Si Hugo avait choisi de rester, je pense que ça m'aurait dérangé, mais dans ces conditions… Weasley est nuisible, mais ça m'étonnerait qu'il puisse à nouveau devenir dangereux.

-Malgré ce qui s'est passé avant les vacances ? s'exclama le jeune homme, n'en croyant pas ses oreilles.

-Il n'avait rien à voir avec ce qui s'est passé avant les vacances…

-Oh, tu crois vraiment qu'il n'avait rien à voir avec cette histoire de photo ? la coupa-t-il, agacé.

-Scorpius, qu'est-ce que tu racontes ? Il n'était même pas au château !

-Je suis sûre qu'il y était mêlé, d'une façon ou d'une autre, grogna Scorpius entre ses dents serrées. Et je le prouverai.

-Scorpius."

Aïe. Il y avait un ton grave, en dessous de la voix plutôt haut perchée de Maggie, un rien roulant et sérieux qui surpris Scorpius au milieu de ses considérations sur l'autre crétin de Louis. Tout le corps de Maggie était tendu contre le sien, comme si elle se contrôlait pour ne pas exploser, et ses yeux auparavant rieurs luisaient d'un éclat glacial. Croiser Louis l'avait un peu remuée, mais penser à la photo la mettait toujours dans un état proche de la panique. Scorpius se mordit la lèvre. Il avait oublié. Pour Maggie, cette histoire était loin d'être terminée et si lui cherchait désormais à obtenir réparation, elle voulait juste aller mieux.

Parce que ça n'était pas encore ça.

"Je ne plaisante pas avec ça, Scorpius, continua-t-elle. Laisse-le. Il n'en vaut absolument pas la peine, et j'ai déjà eu assez de problèmes le trimestre dernier.

-Maggie, s'il s'en prend à toi… commença Scorpius, une menace dans la voix.

-S'il s'en prend à moi, et seulement si je suis d'accord, alors peut-être qu'on fera quelque chose. Ensemble, ajouta-t-elle. En attendant, laisse filer. Rose va faire le nécessaire pour éviter qu'il récidive, et crois-moi elle est au moins aussi remontée que toi. Et puis, tu as vu sa tête ? On aurait dit qu'il pleurait…"

Les yeux rouges et bouffis de Louis, les traces sur ses joues comme s'il s'était frotté la peau à de multiples reprises… Maintenant qu'elle le soulignait, Scorpius devait bien admettre que Louis avait l'air de pleurer. Hum. Ça ne lui ressemblait pas, et ça n'aidait en rien Scorpius. C'était plus simple d'envisager que Louis soit le même que lorsqu'il était parti du château.

"Augustus dit que c'est normal qu'il soit revenu, dit-il d'une voix absente.

-Augustus a toujours été un peu trop optimiste en ce qui concerne les gens, répondit Maggie. Mais dans ce cas précis, je suis incapable de te dire s'il a raison ou pas. Alors, reprit-elle d'un ton plus gai pour changer de sujet, pique-nique avec les autres, ce soir ? Et je me disais qu'ensuite, on pourrait sans doute s'éclipser un peu plus tôt et rentrer ensemble ? J'ai toujours la clé des serres, tu sais, pour mon ASPIC de Botanique…"

Louis quitta les pensées de Scorpius aussi soudainement qu'il avait fait irruption dans le couloir tout à l'heure.