Maggie

J'ai toujours aimé me trouver là où je n'avais pas le droit de nuit, surtout à Poudlard. Déjà dans le monde non-magique, les choses prennent une teinte particulière de nuit et mes escapades nocturnes ont toujours eu un léger goût de surnaturel. Au château, ce sentiment de toucher du doigt à un autre univers est devenu permanent, même de jour, et les nuits confinent presque au merveilleux. Comme la serre dont Londubat m'a passé les clés en début d'année pour que Rose et moi puissions surveiller nos plantations, qui nécessitent parfois un arrosage très matinal : les lierres enchantés rampant vers la lueur des étoiles semblent irréels, leurs oscillations soulignées ça et là par le souffle des mandragores en train de ronfler sous la terre.

Je les entends pourtant à peine tant mes propres soupirs paraissent bruyants à mes oreilles. Si nous étions dans les murs, en ce moment, Scorpius et moi pourrions réveiller le château au grand complet à force de baisers et de gémissements, je crois. J'y pense dans un éclair fugace, puis oublie aussitôt quand mon dos nu rencontre la verrière froide. Il y a mieux à faire, tout de suite.

Plus tard dans la nuit, quand nous avons dit tout ce qu'il y avait à dire sans prononcer un mot et que nous reprenons nos esprits, couchés sur une couverture posée à même le sol humide de la serre, je me tourne vers lui. Il est encore rouge, parce que sa peau trop pâle le fait rougir au moindre effort et qu'il s'empourpre au moindre sourire de ma part, et ses cheveux blonds tombent en pagaille sur son front. Par timidité, pudeur ou honte, je ne sais pas vraiment, il a remit son caleçon et jeté un pan de la couverture jusqu'à couvrir nos hanches malgré la tiédeur de la nuit et la chaleur ambiante de la serre, toujours chaude puisque exposée au soleil en permanence.

Il ne parlera jamais en premier, je le sais. Rien qu'à la façon dont ses yeux papillonnent dans ma direction avant qu'il ne dirige son regard vers l'extérieur, comme honteux, je sais qu'il sera incapable de briser le silence.

"Première fois ? je dis."

J'ai dû faire moins de bruit que je ne le croyais, parce que ma voix me paraît rauque et râpeuse comme si je n'avais pas parlé depuis plusieurs heures.

"Hum. Mais pas pour toi, répond-il en me scrutant de ses yeux gris, ses pommettes d'un rouge encore plus soutenu que tout à l'heure."

Il faudrait être stupide pour penser qu'il s'agit d'une question et je sens mes propres joues s'enflamer. Je ne suis pas gênée, d'habitude, mais il ne se comporte pas comme les autres. Il est sincère, déjà, et puis il est amoureux. Moi aussi. Je pensais dans ma grande naïveté que ça ne changerait rien, et pourtant, me voilà qui rougit.

"Non, je finis par dire faute de mieux. Pourquoi, tu aurais préféré ?

-Je ne sais pas, répondit-il en réfléchissant. Je ne crois pas que ça aurait changé quelque chose, si ?

-Ca aurait sûrement été moins bien."

Il doit entendre mon sourire dans ma voix parce qu'il se met à sourire aussi. Ses yeux pétillent quand il roule sur le côté pour me prendre dans ses bras et je me love là, au creux de son cou, un bras passé autour de son torse. Merlin, qu'il est mince ! Moi qui ai l'habitude des attrapeurs de Quidditch aux épaules larges ou des gars qui peuvent me soulever à bout de bras, je ne sais plus quoi faire de mes bras et de mes cuisses. J'ai peur de l'écraser par moment, peur d'être un peu trop pour lui et puis je me rappelle de quand j'ai retiré ma chemise tout à l'heure et qu'il m'a regardé comme s'il n'avait jamais vu plus beau que moi, et ça me rassure un peu.

"Si on me l'avait dit, il y a trois ans… murmure-t-il d'une voix étouffée, le nez dans mes cheveux.

-Quoi, que tu ferais ça dans la serre ?

-C'est ça, Maggie, rigole-t-il à voix basse. La serre, c'est ce dont je voulais parler, bien sûr. Tu fais tout le temps ça.

-Ca quoi ?

-Tu fais de l'humour quand je dis ce genre de trucs. Tu es gênée quand je dis de près ou de loin que je t'aime."

Sans le vouloir, je me niche un peu plus dans son cou parce que je suis incapable de croiser son regard et que mon coeur bat plus vite d'un coup. Ma gorge est soudain très sèche et j'ai chaud.

"J'ai pas l'habitude, je bafouille d'une voix faiblarde. C'est la première fois.

-La première fois que quoi ?

-La première fois qu'on est amoureux de moi, j'explique tout bas.

-Moi aussi. Ça fait beaucoup de premières fois, en deux semaines, ajoute-t-il à mi-voix, l'air absent.

-C'était trop tôt ?! je demande en levant la tête d'un coup, affolée.

-Quoi ? Non, bien sûr que non ! Je te l'aurais dit, hein.

-Seulement deux semaines… Deux semaines, je répète sans y croire."

Avec tout ce qui s'est passé, j'ai l'impression que ça fait une éternité, d'autant que nous avons presque passé les vacances collés l'un à l'autre. Je n'avais pas réalisé que le temps passait si lentement, lui qui semblait me filer entre les doigts et se précipiter vers la fin de ma dernière année au château.

"Maggie, déclare Scorpius en posant sa main sur la joue, ça pourrait faire trois minutes que ça serait quand même très bien, d'accord ? Y a pas de limite de temps ou de minimum à respecter. C'est ce que je voulais, affirme-t-il en passant ses doigts dans mes cheveux. C'est tout ce qui compte, non ?"

Il a raison. Il a souvent raison, d'ailleurs, ce qui a le don de m'agacer autant que de me forcer à revoir mes préjugés et opinions. J'hoche la tête en silence et l'embrasse et pendant un moment, je crois que toutes les plantes de la serre ont retenu leur respiration en même temps que moi.

Je n'avais jamais vraiment été amoureuse avant, je crois.