- Alexiel-sama !

Alexiel se retourna et vit Kouraï courir vers elle, un large sourire aux lèvres. Elle soupira. Comme la jeune fille était heureuse ces temps-ci ! Cela lui faisait plaisir qu'elle ait retrouvé son entrain d'antan. Trop de nuages avaient assombris son univers depuis trop longtemps, elle méritait maintenant le bonheur. Depuis les derniers jours, son peuple était plongé dans une fête perpétuelle qui rendait hommage à la nouvelle fertilité de la terre. Les démons de l'anagura louaient la jeune princesse. Elle avait insisté pour leur dire que cela n'était pas de son pouvoir mais ils n'avaient que faire de sa modestie. Pour eux, la jeune fille les avait sauvés de la faim, ils lui étaient reconnaissants.

Elle salua sa jeune amie d'un sourire tendre et l'attendit. Toutes deux se rendirent au petit salon ensoleillé ou Alexiel avait pris l'habitude de déjeuner le matin. De larges fenêtres donnaient sur le village non loin du palais. Elle trouvait si étrange de voir par delà les petites maisons de larges plaines vertes s'étendre jusqu'aux montagnes.

Elle s'assit sur un coussin moelleux dans un angle de la pièce tout près d'une petite table basse. Kouraï fit de même de l'autre côté du meuble. On y avait disposé des fruits frais et du pain encore chaud. Elle huma les odeurs sucrées qui se dégageaient du repas et s'empara d'un fruit mûr.

- Tu as dormi longtemps ! s'exclama Kouraï, toujours enjouée, je suis venue dans ta chambre tôt ce matin pour t'inviter à venir au village mais tu dormais encore alors je n'ai pas voulu te réveiller.

- Merci quand même, dit Alexiel avant de mordre dans le fruit, je ne sais pas pourquoi j'ai dormi si longtemps. Je n'étais pourtant pas fatiguée hier soir …

Elle replaça les plis de sa longue robe d'été fleurie et sourit à la jeune fille.

- Comment va ton peuple ? demanda Alexiel

- Ils sont si heureux, il y a longtemps que je ne les ai pas vus ainsi. Ils ont commencé à récolter toutes sortes de fruits et légumes hier avant la tombée de la nuit, ils commenceront bientôt à faire des réserves pour plus tard. Presque chaque famille m'a promis un pot de confiture, chacune ayant son petit ingrédient spécial, disent-elles, cela me fait rire mais je suis certaine qu'elles seront toutes bonnes ! Je n'y crois pas encore Alexiel ! C'est comme dans un rêve.

- Ton peuple mérite ce qui lui arrive, tu le mérites aussi.

- Je ne crois pas, dit Kouraï, plus sombre, que ce la est arrivé parce que nous le méritions. Il n'a pas fait ça par bonté.

Alexiel leva les yeux vers la jeune fille et posa son fruit sur la table. Évidemment, elle ne pouvait pas lui mentir. Kouraï n'était pas stupide, elle savait que cela n'était dû qu'à un hasard. Un bienheureux hasard.

- Non, c'est certain, répondit-elle, il n'a pas fait cela par bonté. Mais n'empêche que c'est un hasard qui est bien tombé non ?

Il fallait qu'elle change de sujet au plus vite. Elle n'aimait pas parler de Lucifer avec Kouraï, cela la rendait mal à l'aise de voir comment la jeune fille pouvait haïr les démons du Scheol et particulièrement leur Seigneur.

- Tous me disent merci, murmura la démone et détournant les yeux, mais je n'ose pas leur dire qui est réellement la cause de tout ça. Je crois que si je l'avait fait, leur enthousiasme n'aurait pas été le même. Je ne sais d'ailleurs pas comment réagir moi-même devant lui. Quand il saura que tous me donnent le crédit et que je n'ai dit à personne la vérité, comment réagira-t-il ?

- Je ne crois pas que cela lui importe vraiment, avoua Alexiel en jouant distraitement avec son fruit, Lucifer n'est pas du genre à revenir chercher la gloire après avoir disparut, s'il ne l'a pas pris sur le moment, c'est simplement qu'il n'en voulait pas. Et puis, l'anagura a son indépendance propre, lui-même en a décidé ainsi, cela m'étonnerais qu'il veule que les gens se mettent à se reposer sur lui et non sur la famille impériale.

Elle lui sourit gentiment et lui jeta une pelure pour faire réapparaître son sourire. Kouraï leva la tête et effectivement, lui sourit. Elle lui fit un clin d'œil moqueur et rompit un morceau de pain.

- Alors, commença-t-elle, puisque nous sommes toutes les deux, nous pourrions peut-être avoir une conversation entre filles. Explique moi ce que tu trouves à cet homme.

Alexiel resta muette et cilla.

- Quoi ? finit-elle par répondre

- Oui ! s'exclama Kouraï en étalant la confiture sur sa tartine, je sais bien que tu l'aimes.

- Je te demande pardon ? demanda Alexiel

- Arrête de jouer à cela avec moi, tu veux ? Je ne suis pas une étrangère, tu peux me le dire. Je te connais, tu sais. Tu n'as jamais tremblé devant aucun homme auparavant, et pourtant ils ont été beaucoup à te faire la cour. Mais aucun de semblait t'intéresser. Mais c'est différent avec lui.

- Il n'y a absolument rien de différent, rétorqua Alexiel en fronçant les sourcils.

- Allons ! Tu as joué l'infirmière avec lui toute la semaine dernière quand il était blessé, tu as dormi dans le même lit que lui, tu ne l'as pas quitté des yeux. Et depuis qu'il est parti, tu dors avec sa chemise en guise de pyjama ! Ne vas quand même pas me faire croire que tu fais ça à n'importe quel homme !

- Kouraï, dit Alexiel en lui jetant son fruit par la tête, tu m'espionnes !

Kouraï éclata en rires et Alexiel se sentit rougir, elle ne savait pas pourquoi. Se sentir ainsi découverte par son amie était étrange. Devant quelqu'un d'autre, elle n'aurait même pas répondu. Mais son amie avait toujours été très honnête avec elle et elle avait été une confidente très proche. Elle lui avait toujours confié ses secrets les plus chers. Alexiel n'avait jamais refusé d'écouter la jeune fille, elle était toujours là pour elle jusqu'à ce qu'elle soit jugée. Il était en quelque sorte normal que Kouraï cherche maintenant à être à son tour l'amie qu'elle avait été.

Mais elle ne savait pas elle-même quels étaient ses sentiments. Et ce n'était certainement pas la petite qui pouvait l'aider. Kouraï était bien gentille mais elle n'avait pas connu encore l'amour. Elle était, quoiqu'elle dise, toujours très jeune et voyait les choses différemment d'elle.

- Je veux dire, continua Kouraï en prenant un faux ton sérieux, que ce n'est pas le genre d'homme que l'on voudrait pour amant. Il est tellement froid et on dirait qu'il ne sait pas comment sourire. En tout cas moi, ce n'est pas mon genre.

- C'est certain, dit Alexiel avec un clin d'œil, comment ferais-tu pour l'embrasser ? Tu lui arrêtes à la taille !

- C'est lui qui est trop grand ! Ça le rend encore plus austère d'ailleurs. Je ne sais pas comment Belial peut aimer un homme qui agit ainsi avec elle.

- Justement, répondit Alexiel, elle l'aime parce qu'il la déteste. C'est un amour malsain. Elle ne l'aura jamais.

Elle sursauta en entendant ce qu'elle venait de dire. Comment pouvait-elle dire une telle chose ? Condamner Belial était une chose, mais Lucifer ne lui appartenait pas, elle ne pouvait lui dicter son comportement.

- Tu es très possessive envers lui, en tout cas, remarqua Kouraï, pourquoi ne lui dis-tu pas simplement que tu ressens quelque chose pour lui ? Peut-être qu'il ne le montre pas mais qu'il ressens quelque chose pour toi. Après tout, ne t'a-t-il pas suivi pendant des siècles pour te protéger ? Il aurait très bien pu se mettre à la recherche de vengeance, ou jouer les fantômes n'importe où, mais non, il n'a cessé de te protéger durant toutes tes vies humaines. Et même maintenant, il s'est fait blesser pour te sauver des mains des anges.

- C'est un vieux réflexe qui lui est revenu. Le réflexe de me protéger. C'est moi qui lui ai appris, après tout, alors qu'il était dans le Glaive Divin, à me protéger et m'obéir. Il n'a fait, par la suite, que ce qu'il avait appris de moi, ne sachant pas son identité, il m'a offert sa protection. Et l'événement de la semaine dernière c'est la même chose.

- Moi je crois qu'il est amoureux de toi. Quand même Alexiel ! Tu ne peux quand même pas vulgariser tout ce qu'il a fait par un simple fait de « réflexe ». S'il ne t'avait pas aimé, il ne se serait pas laissé dressé.

Tiens, elle n'y avait jamais vraiment réfléchi. Mais elle touchait un point intéressant. Il avait toujours dit que, parce qu'elle poursuivait un but différent des autres possesseurs du Glaive, il ne l'avait pas détruite. Mais en était-ce là la vraie raison ? Serait-il possible qu'il n'ait pu la tuer parce qu'il avait pour elle des sentiments particuliers ?

- Tu fuirais sa compagnie si tu ne l'appréciais pas un peu, insista la jeune impératrice, qu'est ce qui fait que tu restes auprès de lui ?

- Il aurait fait pareil pour moi, il l'a fait pendant si longtemps, je lui dois bien cela, mentit Alexiel

Pourquoi mentait-elle à Kouraï ? Elle savait qu'elle restait avec Lucifer simplement parce qu'elle avait envie de sentir sa présence. Elle avait pris soin de lui la semaine dernière parce qu'elle voulait lui rendre cette « affection » qu'il lui avait manifesté en la sauvant des griffes d'Uriel. Au fond d'elle, elle ne pouvait cependant dire si elle était ou non amoureuse de lui. Elle ne ressentait rien au fond d'elle, tout comme Lucifer sans doute. Tout deux avaient été faits insensibles aux sentiments et aux souffrances humaines.

Deux êtres nés ainsi ne pouvaient, en théorie, aimer. Mais elle aimait la petite Kouraï, elle aimait son amie Zoe sur terre, elle aimait Setsuna … L'humanité lui avait appris à être humaine. Tout comme Lucifer, elle en était certaine. Leurs vies humaines les avaient changés tout deux, détourné leur destin, transformé leurs cœurs.

- Écoute, lui dit Kouraï, la sortant de ses pensées, je ne veux pas te jeter dans ses bras, c'est toi qui décides de ce que tu fais. Je voulais t'en parler parce que j'avais l'impression que tu aurais peut-être aimé en parler à quelqu'un. Et ce n'est pas un sujet que tu peux vraiment aborder avec n'importe qui.

- Je sais, tu es gentille Kouraï, je comprends ce que tu veux faire. Mais il se trouve que moi-même je ne sais pas ce que j'éprouve pour lui, nous sommes trop liés de différentes manières et tout deux trop orgueilleux pour nous parler de nos sentiments. Lucifer resterait de glace si je lui en parlais, il refuserait de se dérober. Je ferais pareil s'il me parlait. Tu comprends, c'est difficile avec nos deux caractères trop semblables de se comprendre. C'est comme un jeu pour savoir qui aura le dessus sur l'autre. Moi je suis persuadée que c'est moi qui a le dessus parce que je l'ai dominé pendant des siècles, lui est persuadé qu'il a le dessus parce qu'il a le dessus sur tout le monde et refuse que cette loi change.

- Je trouve ça triste en quelque sorte, avoua Kouraï en haussant les épaules

- Pourquoi ?

- Parce qu'après tant d'années à vous courir après, lui prisonnier du Glaive, incapable de concrétiser son amour puisque sans corps, puis toi prisonnière de tes réincarnations, inconsciente de sa présence et lui forcé d'emprunter des corps étrangers pour te suivre ne pouvant t'avouer la vérité à ton sujet … Maintenant lui et toi avez retrouvés vos deux corps, vous n'êtes plus des ennemis, vous êtes tout deux libres. Mais ni l'un ni l'autre n'ose concrétiser ce que vous souhaitiez depuis des siècles en secret. Comme quoi quand on a la possibilité d'avoir ce qu'on a longtemps désiré et pas pu avoir, on abandonne.

- Nous ne sommes pas plus libres qu'autrefois, pauvre Kouraï, soupira Alexiel, Lucifer est le prince des ténèbres, il a des responsabilités énormes. Moi je refuse d'être dans un camp. Je ne veux pas entrer dans la longue file des maîtresses de Sa Majesté le Roi des enfers.

- Tu es plus que cela pour lui.

- Qu'il le prouve ! nargua Alexiel qui en avait assez de penser à cela

Kouraï se leva brusquement et secoua Alexiel.

- Mais qu'est ce que tu veux qu'il fasse de plus ! Es-tu aveugle Alexiel ? Il s'est sacrifié tant de fois pour toi ! Il a veillé sur toi pendant des siècles ! Il est resté une bonne partie de sa vie à tes côtés, sans que tu ne le sache, taisant son amour pour toi pour ne pas déranger le cycle de tes réincarnations. Il t'a suivi partout, tentant de te faire dévier tes destins. Autrefois, alors qu'il n'était qu'une âme habitant le Glaive, il t'a aidé à arriver à tes fins en t'offrant son pouvoir. Encore aujourd'hui, il t'a encore une fois aidé. Que tu faut-il de plus pour te prouver son amour ? Qu'il se fasse crucifier ?

- Depuis quand tu es du côté de Lucifer toi ? demanda Alexiel avec un sourire moqueur

Elle grimaça de dégoût.

- Ce n'est pas pour lui que je fais cela, selon moi, cet homme mérite encore quelques bons millénaires dans un Glaive pour payer de tous ses crimes. J'aurais évidemment préféré te faire découvrir qu'un beau prince charmant t'aimait mais il se trouve que c'est lui, et je vois que toi aussi, tu sembles hésiter. Je le fais pour toi car je sens que tu mijotes beaucoup sur le sujet… parfois c'est bon d'avoir une opinion extérieure. Tu m'as si souvent aidé et supporté, je te le dois bien.

Alexiel soupira et se leva.

- Merci Kouraï, j'apprécie beaucoup ta gentillesse. Seulement, les choses sont très complexes. Plus que tu ne le crois.

Kouraï resta silencieuse, Alexiel lui fit un sourire triste et partit. La première chose qu'elle fit fut d'aller mettre des vêtements moins légers dans sa chambre puis elle marcha le long du grand corridor et sortit à l'extérieur du palais. Elle décida de trouver l'entrée du portail du Scheol, à tout hasard. Peut-être réussirait-elle à parler à Belial et prendre des nouvelles de Lucifer. Son état l'inquiétait. Elle n'avait pas eu de nouvelles de lui depuis qu'il l'avait quittée il y a une semaine.

Elle s'envola dans le ciel de Gehenne et trouva derrière les montagnes la vieille cabane de pierre aux fenêtres grillagées où se trouvait le portail. Elle entra dans la salle silencieuse et sursauta.

Un démon l'attendait.

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Une odeur forte de renfermé et de pourriture hantait la pièce quand il y entra. Il savait pourtant que l'ange qui s'y trouvait n'était pas mort, il entendait son souffle, sentait encore la vie dans ses veines. Il fit un pas et entra dans la petite cellule.

Il y trouva son jeune frère comme prévu. Il était étendu sur le sol, ses yeux étaient fermés. Il devait être tombé dans le coma depuis déjà quelques jours. Il jeta un coup d'œil à son corps à moitié déchiqueté par l'entité qui habitait la Terre. Une roche sombre avait pris place au travers de ses entrailles à nu. Il était complètement fusionné avec la terre, solidement ancré au sol.

Il se pencha sur lui, remarqua les traces d'ongles de chaque côté de son corps, il avait dû se débattre de toutes ses forces et échouer lamentablement à chaque tentative d'évasion. Ses cheveux étaient presque noirs tellement il s'était débattu sur le sol, son visage était empli de poussière. Du sang s'écoulait encore de sa bouche. Le reste de son corps était difficile à différencier d'avec la pierre qui l'entourait.

Il fit un bref mouvement de la main et rappela à lui l'entité, celle-ci bougea un peu au travers du corps de Mikaël, tremblante. Il se mordit alors le bout du doigt, faisant une petite fissure dans sa chair et laissa couler le sang laissant tomber sa main près du sol. Il bougea un peu le bout du doigt, comme s'il appelait à lui un petit animal. La pierre devient soudainement prise de frénétiques mouvements, faisant trembler le corps de l'ange évanouit. Elle sembla se fusionner, fondre à l'intérieur de lui, puis elle se reforma et devint une sombre silhouette noire, tel un obscur serpent. Elle sortit complètement de Mikaël et rampa jusqu'au doigt tentateur de Lucifer se délecter du sang qui perlait là.

Puis, il fit un autre geste de la main et elle se dissipa dans le sol.

Lucifer enleva la longue cape noire qu'il portait et entoura son frère avec. Il le prit ensuite dans ses bras et ouvrit un portail dans le mur jusqu'à sa chambre.

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- Bonsoir, dit le démon en s'inclinant

- Que faites-vous ici Asmodeus? demanda Alexiel

Asmodeus sourit et alluma un cigare. Il portait une tenue très chic, comme elle l'avait vu la dernière fois. Son allure élégante lui donnait un air distingué et plutôt gentilhomme. Mais elle n'avait pas envie de jouer au petit jeu auquel Asmodeus jouait si souvent.

- Je partais, plutôt, ma chère, dit-il en souriant, j'avais à faire en anagura.

Il repartait au Scheol ?

- Ah, dit Alexiel avec un sourire mesquin, et vous retourniez au Scheol ? Ne serais-ce trop vous demander de m'amenez avec vous ?

Asmodeus sourit et s'approcha d'elle. Il la considéra un instant, vêtue d'un long veston noir ajusté aux courbes voluptueuses de son corps dont le décolleté laissait paraître le haut de son tatouage et d'un pantalon droit de même couleur d'un tissu épais. Ses longs cheveux tombaient librement dans son dos, comme elle avait l'habitude de les porter. Il haussa un sourcil et releva les yeux vers les siens, un sourire pervers aux lèvres.

- Et qu'aurais-je en retour ? demanda-t-il

- C'est votre Roi qui vous remerciera, mentit-elle en prenant un air convaincu, c'est lui qui m'a demandé de venir le rencontrer.

- Habituellement, c'est Belial qui s'occupe d'amener les nouveaux invités au Scheol, nous avons des lois, ma chère, et la première est de ne laisser entrer personne de suspect. Et je dois dire, avec vos magnifiques yeux, que nous semblez être un ange de haut rang. Je ne crois pas que je serais très enclin à amener parmi nous un ange de votre caste. Vous pourriez perdre quelques plumes durant votre séjour, ce serait fort dommage d'ailleurs, d'abîmer une beauté tel que la vôtre.

- J'ai manqué Belial de très peu, dit Alexiel en soupirant, je suis arrivée en retard au point de rendez-vous et nous n'avons pas pu nous rencontrer. Je me suis dit que peut-être que si je retournais au portail je pourrais tenter de la contacter. C'est un heureux hasard que je vous trouve ici pour pouvoir me conduire au Scheol.

Asmodeus ne parut pas convaincu.

- Écoutez, insista Alexiel, menez moi jusqu'à votre Seigneur et vous aurez la preuve que je ne mens pas.

Asmodeus tendit son bras, son éternel sourire aux lèvres. Alexiel passa son bras autour du sien tandis qu'il prononçait quelques mots dans une langue étrangère. Tout deux entrèrent dans le portail qui s'était ouvert devant eux.

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Il ne savait pas ce qui l'avait éveillé. Il avait, à la seconde où ses yeux étaient ouverts, scruté son corps toujours endolori. La peur d'y voir encore ses entrailles déchirées s'était effacée brusquement quand il avait vu son corps intact, sans aucune marque. Il se souvenait très clairement de l'atroce douleur qu'il avait ressentie et frissonnait à l'idée que ce n'avait pas été qu'un mauvais rêve.

Il était allongé dans un lit immense aux draps noirs. La chambre était plongée dans la pénombre, quelques chandelles brillaient loin près de la grande porte close. Face à lui s'ouvraient de grandes fenêtres dont les rideaux noirs n'avaient pas été tirés, il pouvait voir le ciel obscur à l'extérieur et la silhouette des montagnes se dessiner sur l'horizon. Autour de lui se dressaient des meubles simples, de couleur sombre fait de bois ou de métal. Un feu mourrait dans une cheminée de briques noires. D'épais tapis étaient étendus partout dans la pièce. Le lit lui-même était richement ornementé de gravures pratiquées dans le bois sombre, des rideaux noirs tombaient de la tête du lit, achevant leur course sur le sol.

Il y avait une odeur particulière sur les oreillers. Une odeur qui lui rappelait d'amers souvenirs. Du coup, son cœur se mit à battre plus fort dans sa poitrine.

C'est à ce moment qu'il remarqua la forme sombre assise dans un fauteuil près de la baie vitrée. Il plissa les yeux et distingua la silhouette de son frère aîné, lisant un document. Il portait un large peignoir satiné qui s'étendait autour de lui en de sombres vagues. Ses cheveux qui lui tombaient désormais jusqu'à la taille étaient encore humides.

Sans doute s'aperçu-t-il qu'on l'observait car il tourna la tête dans sa direction. Son regard vide fit un effet désagréable à Mikaël mais si chaleureux du même coup. Une partie de son cœur vivait encore les moments passés où tout deux étaient des alliés. Il aurait voulu que les bras tendres de son frère l'entourent, qu'il puisse se réconforter blotti contre lui, sentir ses mains sur son dos. Comme autrefois, comme le jour où l'aube tardait et qu'il avait commis son premier péché.

// ENTER FLASHBACK

Il passa une main dans ses cheveux et observa devant lui l'image de ce frère au sourire pâle qui le regardait. Assis dans son large fauteuil de bureau, son uniforme d'habitude impeccable froissé et entrouvert, il le scrutait, victorieux, tandis que l'ange devant lui tentait de reprendre ses esprits, assis sur le bureau de travail du grand séraphin.

Il regarda autour de lui, nerveux, comme s'il avait peur que quelqu'un les surprenne. Lucifel semblait calme, tant qu'à lui.

- Qu'avons-nous fait, murmura Mikaël plus à lui-même qu'à quiconque d'autre

Il se rémora quelques instants plus tôt, ses cris de plaisir, son frère en lui qui forçait son intimité. Les mains de son frère sur son sexe, touchant l'interdit, le tabou et le péché sans ciller.

C'était quelques jours avant la Chute, quelques jours avant qu'ils ne deviennent ennemis.

// END FLASHBACK

Lucifer posa son document sur la table basse qui lui faisait face et le scruta, impassible. Il remarqua alors que, de l'autre côté du large fauteuil, une forme noire était agenouillée près du prince. Il se souvint d'elle, c'était avant qu'il ne tombe inconscient, avant la douleur, dans la petite prison de pierre. C'était la première forme qu'avait prise son attaquant, la chose qui lui avait dévoré l'intérieur.

Elle était là, aussi noire et opaque que dans son souvenir mais avec peut-être des courbes plus féminines, plus racées. Le cou tendu vers la main blanche de Lucifer posée sur le bras massif du fauteuil, elle suçait avec vigueur l'index de celui-ci.

Lucifer sembla attendre que Mikaël distingue clairement ce tableau puis un sourire léger apparut sur ses lèvres. Ce sempiternel sourire qu'il avait toujours vu sur le visage de son frère, plus glacé encore que son regard même.

Nul doute qu'il devait être encore au Scheol, et qui plus est, dans les appartements même de Lucifer.

- Ta volonté n'a pas faiblit, constata Lucifer, immobile

Mikaël grimaça.

- C'était stupide de ta part de croire que je parlerais, peut importe de quelle information tu as besoin, va la chercher ailleurs.

- Oh mais ton petit séjour dans les sous-sols n'était pas là pour te faire avouer quoique ce soit, dit Lucifer. Je n'ignore pas que tu as été, comme n'importe quel ange, formé pour te laisser mourir au lieu de parler. Tu n'avais qu'à ne pas te mettre en travers de notre chemin, il y a quelques jours, en Asshiah.

- J'avais reçu des ordres clairs, dit Mikaël

- Oui, acquiesça Lucifer, et pas de n'importe qui.

Mikaël demeura silencieux.

- J'ai eu une conversation très peu agréable avec Lui, ce n'est plus un secret maintenant que Son éveil était réel, affirma Lucifer son regard devenant plus aiguisé. Est-il cependant possible qu'Il soit prisonnier d'une forme humaine ? Il me semble que l'attaque qu'Il m'a envoyée était plus fade que celles connues auparavant.

Tiens, il n'y avait pas pensé. Il était vrai qu'il n'avait pas vu le Tout-puissant sous une autre forme que celle qu'Il avait prise, sous un visage humain. Mais peut-être était-ce simplement pour ne pas être vu, ou ne pas trop attirer l'attention. Évidemment, selon les dires de plusieurs, quand le grand Créateur recevait des visiteurs en audience, autrefois, son apparence avait des traits humains, mais le corps qu'il utilisait n'avait rien d'un corps d'homme. C'était un corps semblable aux corps des anges, créé pour utiliser tout le pouvoir astral qu'Il disposait et qui Lui était infini.

Mais, comme l'avait dit Lucifer, le corps qu'Il utilisait cette fois-ci était un véritable corps humain. Bien entendu, l'essence astrale de Son âme et de Son pouvoir lui permettait d'utiliser Ses pouvoirs et Ses ailes mais le contenant de cette âme était bel et bien humain.

Il était certain que, étant donné la nature pauvre en fibres astrales des humains, le pouvoir de n'importe quel ange réincarné dans le corps d'un homme ou d'une femme de pouvait être développé, ni utilisé. Seulement quelques anges avaient réussi à utiliser leurs pouvoirs sous cette forme, des anges plus puissants qui connaissaient leur identité, comme Alexiel, par exemple. Sans doute le pouvoir du Tout-puissant était si grand qu'il pouvait aisément se servir de Sa puissance même avec une telle enveloppe charnelle mais peut-être, comme avançait son frère, Il avait à faire face à des limites.

- Je l'ignore, dit Mikaël, Il s'est présenté sous cette forme depuis le début.

- Et pourquoi crois-tu qu'Il n'est apparut que devant toi ? demanda Lucifer en haussant un sourcil

- Je n'en sais rien, personne ne le sait d'ailleurs.

- Le connaissant, continua Lucifer, Il n'a pas dû donner beaucoup d'explications sur Sa longue absence, ni sur cette soudaine apparition.

- En effet, personne n'a eu d'informations, répondit Mikaël

Il se sentait quelque peu mal à l'aise. Les draps sous lui paraissaient maintenant très froids et hostiles. Il ne se sentait pas chez lui, il avait envie de partir loin de ce lit trop grand et trop vide, hors de la portée du regard perçant de son frère qui entretenait avec lui une conversation presque mondaine, chose qui n'était pas courante chez lui.

Il porta son regard par delà les fenêtres, où s'étendait un paysage sinistre. L'air semblait alourdit par une fumée grise flottant au dessus du sol désertique, craquelé par endroits. Plus près d'eux, à environ trois cents mètres en dessous, s'étendait une cité obscure aux toits aigus qu'il supposait être la cité de Dys, la capitale des enfers. Les maisons semblaient empilées les une sur les autres tellement l'architecture était serrée. Il pouvait distinguer trois murs de remparts au travers des rues et une autre qui faisait le tour de la ville, plus épais. Comme si on avait construit et reconstruit à chaque fois par delà les limites de la ville. De petites lumières brillaient par les fenêtres et des étendras flottaient dans l'air enfumé. Il n'y avait ni étoiles ni lune dans le ciel, rien qu'un aplat d'un brun presque noir.

- Le paysage est plutôt médiocre, constata Mikaël avec un sourire mesquin

C'était lui qui l'avait envoyé ici, aux tréfonds des enfers, dans ce trou noir et malsain. C'était Mikaël, l'archange de la guerre qui avait punit le mal et emprisonné celui-ci dans les sous-sols d'où aucune créature ne revenait. Le traître avait été châtié, son péché l'avait condamné aux flammes des enfers.

L'orgueil de cette victoire était la seule bouée au quelle il pouvait s'accrocher face à sa défaite toujours constante envers son frère.

Alors pourquoi maintenant, en le regardant, il y voyait le même sourire que celui qu'il avait vu autrefois, alors qu'il lui avait porté le coup final ? Pourquoi une voix lui chuchotait toujours qu'il n'avait pas gagné ?

Face à toi je serai toujours le vainqueur.

Il déglutit avec peine et tenta de chasser cette pensée parasite de son esprit.

- Comme tu fais des efforts pour te convaincre que c'est par toi seul que je suis ici, dit froidement son frère

Il se leva lentement, la créature à ses pieds tira un moment sur son index mais il la chassa de la main. Elle prit sa place à quatre pattes sur le fauteuil, comme aux aguets de chaque mouvements de son maître.

Lucifer marcha vers lui d'un pas lent mais décidé. Son image était presque éthérée. Son peignoir semblait flotter autour de lui tellement il était léger, comme une fine membrane de soie noire qui le recouvrait entièrement, traînant majestueusement derrière lui. Ses cheveux cachaient une partie de son visage, encore empreints d'humidité sûrement dû à une douche récente. Ils cascadaient autour de lui, leur texture soyeuse se fondant avec le fin tissu du peignoir.

Mikaël resta muet devant la beauté divine de son frère, absorbé par son charme inné, comme toujours et comme autrefois. En lui il sentait des sensations anciennes, longtemps cachées dans les recoins les plus sombres de son cœur, s'éveiller. Le péché charnel, qu'il n'avait commis qu'une fois avec l'autre moitié de lui, un péché mortel, imbibé de passions secrètes et d'inceste caché. Une nuit, une seule, là dans cette pièce silencieuse, des gémissements de plaisir, la découverte de passions mordantes et de désirs secrets.

Et là devant lui, l'image de la tentation elle-même. Qui n'avait pas frémi devant ce visage gracieux, ces lèvres pleines, ces yeux où l'on voulait y voir briller luxure et désir ? Créature damnée de Dieu, toi tu t'élèves toujours parmi tous les autres, plus grand et plus gracieux car tu représente la vérité de l'essence du cœur, les plaisirs du corps et l'apaisement de l'âme par la satisfaction du corps.

Toi qui as commis le premier péché qui fut de s'élever contre le Très haut, tu as montré la force du désir et amené toute l'humanité vers la noire lumière de ton enfer pavé de délices.

Il s'arrêta sur le bord du lit et le toisa du regard. Mikaël sentait la présence de son frère l'écraser mais ce n'était pas ce qui lui faisait le plus peur. Il sentait l'âme de Lucifer tout contre la sienne. Il savait qu'il lisait en lui comme dans un livre ouvert. La lumière tout contre les ténèbres.

- Je suis là, dit Lucifer, presque mytique

Mikaël voulut croire qu'il disait cela pour le réconforter.

Lucifer leva son bras droit et tendit la main dans sa direction.

- Lumière, viens à moi

Mikaël se surprit à tendre la main è son tour, mais sa volonté n'avait pas de poid face à son désir de retrouver son frère enfin. Les draps glissèrent de son corps nu. Il se mit debout sur le lit, mesurant ses pas pour ne pas perdre l'équilibre sur le matelas. Son frère ne le tira pas vers lui, il le laissa s'approcher. Mikaël le dépassait de presque une tête debout sur le lit mais il ne bougea pas, il le laissa venir doucement, comme pour ne pas affoler une proie farouche.

Quand il fut tout près, il s'arrêta, incapable de faire plus. Lucifer lâcha sa main et le leva sur son visage touchant son tatouage du bout du doigt, de sa joue jusque sur sa poitrine nue.

- Aniki, murmura Mikaël, comme hypnotisé par le mouvement de son frère

Il vit les grandes ailes noires de Lucifer se déployer dans son dos et le vit reculer vers la baie vitrée, jusqu'à l'extérieur, sur la grande terrasse qui surplombait la cité endormie. Mikaël cilla mais le suivit, sentant l'air chaud sur son corps nu.

Quand il fut tout près de nouveau Lucifer le prit brusquement par la taille et s'envola haut dans le ciel. Par réflexe, Mikaël déploya à son tour ses ailes.

Il leva les yeux sur son frère et vit son regard posé sur le sien.

Il sentit le baiser d'avantage en lui que sur ses lèvres. Les premières notes d'une longue plainte mélancolique qui rythmait sa culpabilité. Il n'avait pas le droit de faire cela. Les anges n'aimaient que Dieu.

- Lumière, murmura Lucifer à son oreille, tu veux être souillée. Ta pure blancheur t'éblouit et mes ténèbres t'envoûtent.

Ils flottaient tout deux dans le ciel sans nuages. Un ciel plat et noir.

Les mains de Lucifer glissèrent sur ses hanches. Il bascula Mikaël à l'horizontale et écarta ses cuisses.

Mikaël poussa un petit cri quand il sentit la bouche de son frère se refermer sur son sexe à demi éveillé par les nouvelles sensations qu'il vivait. Il cambra les hanches vers l'avant alors que Lucifer le dévorait sur toute sa longueur. Mikaël poussa de doux gémissements de plaisirs cadencés par le mouvement continuel de son frère.

Mais Lucifer ne le mena pas au bout de son plaisir immédiatement, un sourire froid sur les lèvres, il défit le cordon de son peignoir qui flottait dans le vent et s'approcha de nouveau de l'ange entendu dans le vide. Il le contourna d'un battement d'aile, arriva près de sa tête. Il lui déposa un rapide baiser sur les lèvres et, le prenant par la taille, il le remit à la verticale en pressa son dos contre sa propre poitrine.

Mikaël pouvait maintenant sentir la peau de son frère contre la sienne et son sexe fermement appuyé contre ses fesses. Il sentait sa chaleur et la douceur de sa peau. Les mains de son frère ses glissèrent devant lui tel deux habiles serpents et empoignèrent sa queue de nouveau. L'ange aux cheveux rouges bascula la tête vers l'arrière, contre l'épaule de son frère et poussa un soupir. Dans sa tête se disputaient ses instincts et sa raison. Il tentait de balayer ses émotions qui lui criaient de partir et d'honorer le serment qu'il avait fait naturellement, à la naissance à son Dieu, le serment dont tous les anges sont priés de rester fidèles. Il ne faut aimer que Dieu.

Comment pouvait-il se retrouver devant le grand Adversaire du Tout-puissant, dans les bras du prince des ténèbres ?

Comme en réponse à sa question muette, Lucifer poussa ses hanches vers l'avant et forca son intimité. Mikaël serra les dents, la douleur était palpable, là, entre ses reins. Lucifer ne recula pas devant le visage de son frère et donna un second coup. Mikaël hurla, complètement ouvert, il sentait du sang couler en lui.

Alors qu'il espérait à un peu de répit, Lucifer se mit à le pénétrer d'abord très lentement mais ensuite il accéléra la cadence alors que le corps de Mikaël devenait de plus en plus coopératif. Les mains agiles de Lucifer caressaient sans relâche son sexe brûlant, Mikaël gémissait de plaisir et de douleur.

Son frère glissa sa tête dans le creux de son cou et mordilla la chair qui se trouvait là.

- Tu avais été plus doux la première fois, commenta Mikaël d'une voix torturée

- La première fois nous n'étions pas des ennemis.

Les coups de butoir devinrent plus intenses et plus fort. Mikaël cambra de nouveau les hanches pour coordonner les mouvements de son corps avec les mains et le corps de son frère. Ses joues se peignirent d'une douce couleur rouge.

Son cœur était en pleurs. En lui criait sa conscience de résister au plaisir soudainement gonflé.

Mais il était dans les bras de la seule personne qu'il voulait vraiment. Depuis des siècles, ses rêves avaient été hantés par ce moment.

Seigneur, pardonnez-moi.

Son cri résonna dans les cieux des enfers comme le chant du jeune enfant de cœur au jubé d'une église. Son plaisir éclata, les mains de son frère se refermèrent plus fermement sur leur proie. Mikaël leva les yeux au ciel, espérant que sa prière avait été entendue. Mais déjà, Lucifer se retirait de lui.

- Lumière, tu n'as jamais été plus que la flamme mourante de la bougie engouffrée par l'obscurité qui la baigne.

Oui, lumière j'ai été. Sans le vouloir on m'a donné ce nom. Mais on a pas cru en moi, on a laissé les ténèbres me dominer. Frère, j'ai appris de toi que l'amour est ingrat et unique. Il ne laisse qu'un goût amer de poussière dans la bouche. Aujourd'hui encore, tu as gagné sur moi, je t'ai aimé mais la leçon perdure, jamais tu n'aimeras personne sauf ce noir qui étouffe ton cœur de marbre.