Entre Lune et Etoile
Rien n'est à moi, toujours..
Version 2020 de l'epub.
4- L'agenda du Ministre
"Albus, vous ne pouvez pas être sérieux !", s'exclama Cornélius Fudge quand il eut retrouvé assez d'énergie pour le faire.
"J'ai rarement été aussi sérieux, Monsieur le Ministre", confirma Albus Dumbledore, faussement révérencieux. Il n'avait jamais douté que Fudge aurait du mal à se rallier à sa proposition, et ses yeux pétillaient derrière ses petites lunettes : ça allait être une vraie bataille, mais certaines batailles valaient la peine d'être menées.
Face à lui, et sans doute conscient de l'affrontement inévitable, Cornélius Fudge soupira profondément avant de lancer le premier assaut :
"Albus, vous ne voulez pas confier HARRY POTTER à un loup-garou ?"
"Au meilleur ami de son père, Cornélius", corrigea le directeur de Poudlard sans élever la voix.
Beaucoup de choses dans ce plan échappaient encore à Albus Dumbledore : saurait-il assurer une protection suffisante à Harry loin du sang de sa mère ? Saurait-il prévenir l'aspiration des Malefoy ou de Fudge à vouloir mettre la main sur l'éducation du garçon ? Mais la lycanthropie de Lupin était la dernière chose qui l'inquiétait.
"Voulez-vous que je vous rappelle ce que lui a fait l'autre "meilleur ami" de son père, Albus ?", contra le Ministre.
Dumbledore soupira à son tour. Sirius Black en aurait-il jamais fini de faire souffrir Harry Potter ? Il avait trahi ses parents, violé son serment de parrain, l'avait privé de toute famille aimante et, aujourd'hui encore, bien qu'enfermé aux tréfonds d'Azkaban, il pouvait priver cet enfant d'une nouvelle chance de grandir auprès de tuteurs aimants.
Albus n'avait jamais vraiment compris comment ce jeune homme fougueux et franc avait pu devenir ambitieux et tortueux au point de rejoindre Voldemort. Pendant les sept années que le jeune homme avait passées à Poudlard, plusieurs fois, Dumbledore avait pu envisager que Black finisse à Azkaban, mais pour de tout autres motifs que de s'être rallié, de la façon la plus vile qui soit, au Seigneur des Ténèbres !
Depuis quatre ans, Albus avait maintes fois cherché, sans trouver, une quelconque rationalité à ce revirement : Sirius Black n'avait jamais semblé avide de pouvoir ; il avait paru mépriser l'or et les honneurs parce qu'ils représentaient ce à quoi ses parents abhorrés tenaient le plus ; il n'avait jamais montré aucune prévention à l'égard des créatures ou des sorciers nés-moldus ; il n'était même pas fasciné par le pouvoir intrinsèque de la magie. Alors, qu'est-ce que Voldemort avait pu trouver pour retourner Sirius Black ?
"Je pense que la question se pose autrement, Cornélius", essaya Dumbledore avec patience. Pouvaient-ils échapper une fois pour toutes au passé, à une malédiction qu'ils avaient crue anéantie avec Voldemort ? Albus en doutait parfois, parce que les Ténèbres n'étaient jamais totalement vaincues, le combat était sans fin, et les petites victoires ne devaient jamais cacher l'existence du risque d'une grande défaite. Il croyait néanmoins que ce n'était pas en ressassant le passé qu'on changerait le futur ; et le futur du petit Harry avait besoin d'autre chose.
"J'ai, d'un côté, ces rapports indiquant des maltraitances graves de la part des gardiens actuels de Harry. Et j'ai, d'un autre côté, ce jeune homme, proche de ses défunts parents, professeur à Poudlard, libre de toute attache familiale et prêt à s'occuper de l'enfant. Ils seraient à Poudlard, c'est-à-dire en sécurité. Je pourrais y veiller personnellement."
Personnellement. Péchait-il une nouvelle fois par orgueil comme lui avait laissé entendre Abelforth quand il était allé lui raconter son nouveau projet ? "En fait, tu n'acceptes de l'aider que parce qu'il t'offre une excuse pour contrôler ce môme encore un peu plus", avait froidement résumé son frère derrière son comptoir. Non, affirma Albus pour lui même. Je paie au contraire mes dettes : je prends le risque de soutenir ouvertement Lupin alors que la communauté magique déteste les loups-garous ; je cesse de refuser de voir que je me suis trompé il y a quatre ans en pensant que Pétunia saurait avoir pitié du fils de sa sœur. Puis-je en faire plus ?
"Pourquoi ne pas le placer dans une vraie famille ?", objecta le Ministre.
"Comment pensez-vous que les enfants de cette famille réagiraient ? Qui voudra s'occuper d'un héros de cinq ans ?", interrogea Albus avec conviction. C'était, après tout, des choses auxquelles il avait pensé bien souvent. "Lupin est une bonne solution, Cornélius. C'est un loup-garou. Il lui faudra une dérogation pour envisager une adoption. Cet enfant, c'est la chance de sa vie !"
Dumbledore n'avait même pas honte de sa présentation ; c'était après tout l'argument qui l'avait le plus convaincu lui-même quand il avait essayé d'évaluer la proposition du jeune Remus le plus froidement possible. Il fut satisfait de voir que Fudge prenait le temps de réfléchir avant de répondre – l'idée faisait peut-être son chemin. Le procédé était un peu honteux mais la fin justifiait les moyens.
"Ne va-t-il pas, du coup, être incapable d'autorité sur cet enfant ?", questionna encore le Ministre.
Parce que cet enfant te fait peur en un sens, Cornélius, songea Albus Dumbledore. Tu t'étais fait à l'idée qu'il grandisse loin de toi, chez les Moldus, qu'on l'oublie, lui et les vraies menaces qui peuvent peser sur notre communauté. Son absence était confortable en un sens.
"Je crois au contraire qu'il prendra son rôle très au sérieux", répondit néanmoins Dumbledore, content de se sentir maintenant si sincère et convaincu lui-même de la validité de la solution. "Outre son attachement sincère à l'enfant, c'est un pédagogue dont je suis satisfait. Et puis encore une fois, ils seront à Poudlard, et nous pourrons facilement intervenir. On peut même envisager de lui confier d'abord de manière temporaire, si vous voulez."
"Un loup-garou à Poudlard... un loup-garou tuteur d'Harry Potter, Albus...", répéta le Ministre avec entêtement.
"Lupin a déjà fait toutes ses études à Poudlard. Il n'y a jamais eu d'accident quand il était enfant, pourquoi y en aurait-il maintenant qu'il est adulte et encore plus conscient de son statut ?", choisit de répondre Dumbledore. Ça ne serait sans doute pas la dernière fois qu'il devrait justifier son choix, autant s'entraîner. "Comme je vous le disais précédemment, ce poste est une trop grande chance pour lui pour qu'il la gâche !"
"Je ne sais pas Albus, je ne sais pas. Ça va agiter des passions, cette histoire : Harry Potter, un loup-garou, franchement, comme si j'avais besoin de ça !"
Albus Dumbledore soupira. Cet homme, dont il avait soutenu la candidature après la disparition de Voldemort, ne serait-ce que parce que lui-même ne voulait pas de ce poste, était toujours aussi décevant et prévisible. Tout plutôt qu'affronter les problèmes !
"Vous me dites ainsi que la sécurité de Harry Potter n'est pas prioritaire ?", s'enquit-il donc plus fraîchement que précédemment. Il avait fait le tour de la voie du compromis. Comme Remus en un sens, pensa-t-il.
"Non, Albus, non ! Je... Je pense seulement qu'il ne faut pas s'emballer. Vous-même avez soutenu pendant des années que l'enfant était mieux chez les Moldus et, maintenant, vous voulez le ramener à Poudlard et le confier à un loup-garou. Comprenez-moi ! C'est si soudain. Je dois réfléchir."
"De combien de temps pensez-vous avoir besoin pour réfléchir, Cornélius ?", s'enquit Dumbledore, conscient de la part de vérité dans l'objection de son opposant.
"Je ne sais pas..."
Le temps n'est pas mon allié, décida le directeur de Poudlard, je n'ai d'autre choix que de le bousculer.
"Je vais vous dire, moi, si vous ne faites rien, je vais en sortant d'ici à la Gazette du Sorcier leur raconter que Harry Potter est maltraité et que vous refusez d'en entendre parler. Je vais vous faire revoir votre agenda, Cornélius !"
Fudge s'étouffa de colère.
"Ne me menacez pas, Albus !"
"Moi ? Vous menacer, Cornélius ? Je viens avec certes un problème, mais aussi avec sa solution, et vous..."
"Albus, je ne peux pas prendre une décision aussi grave sur la foi d'un racontar", geignit le Ministre.
Dumbledore le toisa, préférant ne pas exprimer verbalement ce qu'il pensait de sa réaction. Fudge soupira, se gratta la tête, regarda le vieil homme qui lui avait si souvent sauvé la mise et décida de se montrer conciliant.
"Albus, ne le prenez pas mal. Tout le monde sait que vous êtes d'un naturel, disons... confiant. Vous pensez sans doute sincèrement du bien de ce jeune homme, malgré sa condition... D'ailleurs, je ne peux que vous mettre en garde, Albus : vous allez au-devant d'une grande opposition de la part du conseil d'administration si cela s'ébruite !"
"J'ai toute confiance en les quelques personnes au courant. Je ne vois pas comment cela s'ébruiterait, Cornélius..."
Et moi, je m'en veux de l'avoir laissé si longtemps seul dans la nature. Il mérite que j'essaie de vous convaincre de lui laisser sa chance, songea douloureusement Dumbledore.
"Peut-être. Mais imaginez que les parents ou, pire, la presse l'apprennent !", s'entêta le Ministre.
"Cornélius, ils ont plus de chance d'apprendre que vous ne voulez pas intervenir pour mettre fin aux malheurs du jeune Potter", lui rappela donc Dumbledore sans pitié.
"Mais le destin de la communauté magique britannique est plus compliqué à gérer que de faire écrire un article à Rita Skeeters, ou d'embaucher un loup-garou pour enseigner à Poudlard", s'agaça Fudge. "Je dois faire attention aux formes, aux craintes et aux attentes de notre communauté..."
"Je ne comprends pas", mentit froidement Dumbledore. S'il ne l'avait pas su, peut-être serait-il aujourd'hui à la place de Cornélius en train de ménager le ver et la citrouille. Il aurait bien sûr fallu qu'il arrive à se convaincre qu'en accédant à autant de pouvoir, il ne prenait pas le risque de ne plus être capable de discerner le bien commun de ses propres ambitions. Les chances restaient minces.
"Il faut... Si vous voulez éviter trop de questions et d'émois, la demande doit venir de notre administration", décida le Ministre. "Nous allons écrire à ces Moldus et leur dire que quelqu'un va venir leur rendre visite."
L'avancée était réelle : on discutait des conditions et non plus du principe, mais Albus ne pensa pas qu'il devait trop s'en réjouir. Il lui suffisait d'imaginer la frustration de Remus Lupin quand il lui expliquerait la décision prise pour trouver les mots : "Cornélius, si ces gens maltraitent cet enfant, ils vont le cacher. Il faut les prendre par surprise !"
"On doit pouvoir demander une visite rapide, nos services les préviendront la veille pour le lendemain. Ils n'auront pas le temps de cacher quoi que ce soit. Mais respecter les formes est important !"
Dumbledore étouffa un soupir de frustration. Remus et Arabella avaient réussi à le convaincre qu'il se passait des choses graves au 4, Privet Drive, et il ne voulait plus voir de temps perdu en tergiversations. Mais il savait aussi que, devant le Magenmagot, la forme et la nature des preuves seraient déterminantes. La parole d'un employé assermenté du Ministère, d'un spécialiste, serait toujours plus forte que celle d'une Cracmolle et d'un loup-garou. Sans compter la presse.
"Qui allez-vous envoyer ?", demanda-t-il donc.
"Je ne sais pas, moi", avoua Fudge, visiblement agacé de voir un nouveau problème se dresser face à lui. "Un médicomage ou... quelqu'un de confiance... Voyons..."
La porte s'ouvrit sur ces mots, laissant passer un homme roux d'une quarantaine d'années :
"Monsieur le ministre, excusez-moi de vous déranger, mais je dois vous parler du dossier... Oh, mais vous êtes en réunion ! Bonjour, Professeur, vous allez bien ? Encore désolé, je reviendrai, Monsieur le Ministre", s'excusa encore Arthur Weasley en opérant un retrait stratégique.
Fudge et Dumbledore se regardèrent. Pour une fois, ils étaient d'accord.
"Weasley, restez, restez ! Nous allions justement vous faire appeler !", dit Fudge.
"Arthur", renchérit Dumbledore, "vous êtes l'homme de la situation !"
