Entre Lune et Etoile
Disclaimer : toujours rien.
Version de l'epub de 2020
6. L'enfant qui n'était pas un monstre.
Arthur et Harry transplanèrent directement dans la cuisine du Terrier, la maison des Weasley. Plus tard, Arthur penserait que ça n'avait pas été un très bon choix. Mais, il avait transplané encore sous l'effet de la colère, avec un enfant qui n'avait pas l'âge requis et contre l'avis de son Ministre. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il n'avait pas vraiment réfléchi à la suite !
Les enfants et Molly étaient dans la pièce. Les grands l'aidaient à préparer le dîner. Ron mettait la table sous le regard attentif de Ginny. Harry fut ainsi directement confronté à cinq frimousses rousses qui le dévisagèrent avec stupeur. Tous – sauf la petite fille – étaient plus grands que lui. Instinctivement, il se colla de nouveau à Arthur.
"Molly, les enfants, je vous présente Harry Potter", annonça celui-ci.
"Doux Merlin !", répondit Molly en lâchant son saladier en métal sur le sol, ce qui ajouta à la confusion générale.
"J'y crois pas !"
"Il est tout p'tit !"
"C'est vraiment lui ?"
"Il va rester ici ?"
"Pourquoi tu l'as ramené, dis, Papa ?"
Les questions les plus diverses sortirent des cinq bouches enfantines. Arthur leva les mains en signe d'apaisement :
"Allons, allons ! Harry a eu une journée difficile. Il va dormir ici ce soir, ensuite nous verrons."
Molly le dévisageait toujours. D'un coup, elle sembla revenir à elle.
"Bien sûr Arthur, pas de problème. Il dormira avec Ron", décida-t-elle
"Pourquoi pas avec nous ?", hurlèrent immédiatement les jumeaux
"On ne peut pas dormir avec vous", estima Molly.
"Je veux pas lui donner mon lit !", déclara Ron.
"Moi, je lui prête le mien", proposa Percy, toujours prêt à répondre aux désirs de ses parents.
Comme d'habitude, ils parlaient tous en même temps, et Harry avait vraiment peur : finalement l'Oncle Vernon était un danger prévisible ! Il se colla encore plus étroitement contre Arthur qui le souleva dans ses bras :
"Laissez-le tranquille ! Mettez-vous à sa place ! Du calme, du calme ! On fera comme Maman a dit : Percy, va chercher le matelas de Charlie et met-le dans la chambre de Ron ! Les jumeaux, aidez-le ! Allez, allez !"
Quand les trois aînés furent sortis. Arthur se tourna vers sa femme :
"Ça va, Molly ?"
"Oui Arthur, bien sûr. Mais, tu aurais quand même pu me prévenir !"
"J'ai décidé ça dans l'urgence, tu sais. Je ne pouvais pas le laisser là-bas."
Ils se parlèrent un moment avec les yeux. Molly s'approcha de Harry et le serra dans ses bras. L'enfant tremblait, et elle se sentit fondre. Ce n'était qu'un petit enfant, après tout, Potter ou pas.
"Arthur, Ron n'a pas encore pris son bain. Lave-les ensemble, ils feront connaissance comme ça. Je vais trouver des vêtements qui lui iront."
Arthur lui sourit avant de prendre chacun des enfants par la main et de quitter la pièce. Molly l'avait toujours compris mieux que personne !
Dans la salle de bain, Ron fit de son mieux pour dérider Harry, se contorsionnant et criant en se déshabillant, sautant sur place en attendant que le bain soit prêt. Il n'obtint qu'une sorte de sourire un peu crispé et un peu inquiet, mais ne sembla pas s'en offusquer.
Pendant que l'eau remplissait la baignoire, Arthur ne put que remarquer la maigreur du "sauveur de la communauté magique" à côté de Ron, qui était pourtant plutôt élancé. Et quand son plus jeune fils sauta dans l'eau chaude avec moult éclaboussures, il comprit que l'enfant qu'il avait tiré du monde moldu en avait sans doute vécu de plus dures qu'il ne l'avait encore imaginé. Sous l'enthousiasme de Ron, une gerbe plus importante que les autres vint s'écraser sur le visage de Harry et emporta ses lunettes. L'enfant ne poussa même pas un cri de protestation – pas plus qu'un rire d'amusement d'ailleurs. Il se contenta de plonger stoïquement les mains dans l'eau chaude et d'en ressortir les lunettes cassées en deux morceaux.
"Oh, tes lunettes !?", regretta immédiatement Ron – à la satisfaction d'Arthur qui hésitait entre sévir et voir ce qui allait se passer.
"C'est pas grave", murmura Harry. "C'est le Kotch qui est parti... Désolé, j'aurais dû les enlever", ajouta-t-il ensuite, en regardant le père de Ron avec un air plutôt inquiet.
"Mais tu n'y es pour rien", répondit mécaniquement Arthur en tendant la main pour s'emparer des lunettes et les examiner – et pour voir, à sa grande tristesse, l'enfant reculer. Peut-être a-t-il peur que je le frappe ! "Je peux les voir ?", demanda-t-il le plus gentiment possible.
L'enfant hésita longuement à se défaire de ses morceaux de lunettes mais finit par les tendre, avec plus de résignation que de confiance, selon Arthur. Sans doute parce qu'il n'imagine même pas refuser.
"Tu vas les réparer, Papa ?", s'enquit Ron débordant au contraire de confiance filiale et d'anticipation positive quant à la magie à venir. Et peut-être aussi dans l'espoir de voir disparaître le problème qu'il venait de causer.
"Ça me paraît une bonne idée, non, Harry ?"
L'enfant parut sidéré qu'Arthur lui demande son avis et eut besoin de quelques secondes de plus pour répondre par une question bien sibylline pour les sorciers qui l'entouraient : "Vous avez du Kotch ?"
"Du quoi ?", s'enquit Ron avant son père.
"Du Kotch qui colle", expliqua Harry, très patiemment, avant d'ajouter l'air contrit : "Un petit morceau, ça suffit... ça coûte cher... Désolé !"
"On va faire autrement", annonça Arthur, en essuyant sa main droite sur son pantalon avant de tirer sa baguette de sa poche et de la pointer sur les montures tout en réfléchissant. Le Kotch devait être le drôle de papier collant qu'il avait remarqué plus tôt sur les lunettes de Harry. Arthur aimait beaucoup les technologies moldues et il était quasiment certain qu'il existait des méthodes de réparation plus consistantes que celle-là. Un nouveau mauvais point pour les Dursley, décida-t-il.
Ron félicita d'un "Hourra, Papa" sincère son Reparo. Harry – Arthur ne savait pas ce qu'il voyait sans ses lunettes – resta totalement immobile et silencieux jusqu'à ce qu'il lui repose ses lunettes sur le nez.
"Voilà, plus de problème !", commenta le sorcier avec un entrain un peu forcé.
L'enfant murmura un "merci" timide et ne posa aucune des questions auxquelles Arthur s'était attendu. Le reste du bain se passa sans autre incident, si ce n'est que Harry ne joua pas avec l'eau, ne répliqua pas quand Ron l'aspergea, attendant d'être lavé sans faire un geste. Il ne dit pas non plus un mot, attendant en réprimant ses frissons que Arthur le sèche ou l'habille d'un pyjama qui était déjà trop petit pour Ron.
À table ensuite, il mangea à peine, au désespoir de Molly : "Tu n'aimes pas ? Il faut manger pour grandir !"
"Je peux finir son assiette ?", s'enquit Ron.
Comme il sentait que sa femme allait sans doute surréagir à la gourmandise de leur benjamin, Arthur préféra intervenir.
"Tu as suffisamment mangé, Ron, tu vas être malade !", affirma-t-il avant de souffler à sa femme : "Ne t'inquiète pas, Molly, Harry a eu une dure journée. Il est surtout effrayé !"
"Avec nos monstres, il y a de quoi !", reconnut sa femme en se résolvant à retirer l'assiette de pudding à moitié pleine.
Après le dîner, Arthur emmena les trois plus petits se coucher alors que les trois grands essayaient de jouer calmement avec Molly. D'habitude, ils faisaient le contraire, mais les Weasley avaient jugé que Harry ne connaissait pas assez Molly pour se détendre suffisamment et s'abandonner au sommeil avec elle. Aux deux tiers de l'escalier, Arthur entendit Percy se plaindre que les jumeaux trichaient et il se demanda combien de temps il faudrait à sa femme pour craquer et mettre fin à la partie.
Dans la chambre de Ron, il installa Ginny à côté de son frère en lui expliquant qu'il la porterait dans sa chambre après l'histoire. La petite réclama immédiatement sa licorne en peluche qu'il fit venir. En voyant ses deux enfants serrer contre eux leur jouet préféré, il se rendit compte que Harry n'avait rien.
"Je crois qu'on a oublié ton doudou, Harry", regretta-t-il à haute voix.
"À moi ?", questionna l'enfant sincèrement surpris. "J'ai pas de doudou... Dudley en a un", ajouta-t-il après une seconde de réflexion.
"C'est qui ?", questionna Ginny avec curiosité.
"Mon cousin", la renseigna Harry sans exprimer aucun sentiment.
Arthur fit le tour de la chambre des yeux mais ne vit rien qui pourrait se substituer au jouet inexistant. Il finit par prendre un mouchoir dans le placard de Ron et demander :
"Quel est ton animal préféré ?"
De nouveau, la question parut totalement désarçonner le petit garçon.
"Les dragons ?", proposa Ginny.
"C'est trop gros", marmonna Ron.
"Les licornes !"
"C'est un truc de fille !"
Harry dut sentir qu'il devait dire quelque chose. Arthur le vit se mordiller les lèvres comme s'il n'osait pas dire ce qui lui venait finalement en tête avant de murmurer d'une toute petite voix : "Un cerf ?"
"C'est gros aussi", remarqua Ginny
"Comme une licorne", répliqua Ron.
"C'est très joli", commenta Arthur mettant fin à la dispute entre ses enfants. "Il me faut du silence pour réussir, vous savez bien !"
Il se concentra soigneusement pour réussir son cerf en peluche du premier coup. De nouveau, ses propres enfants, pourtant habitués à la magie, parurent plus enthousiastes que Harry. Si ce n'était l'éclat nouveau de ses yeux, Arthur aurait pu penser que l'enfant était totalement indifférent à la métamorphose qui venait d'être faite sous son nez.
"Ce n'est que pour ce soir, expliqua-t-il. "Ça ne peut pas rester comme cela longtemps. Ça redeviendra un mouchoir dans quelques heures. Mais je le referai... autant de fois que tu voudras."
Sans un commentaire ou une question, Harry prit cérémonieusement le cerf qu'Arthur lui tendait et le posa avec tout autant de soin à côté de lui. Il le contempla un instant avant de murmurer :
"Comme Oncle Vernon ? Il n'est pas resté comme ça ?"
De nouveau, il n'y avait aucune trace d'émotion dans sa voix. Impossible de savoir s'il regrettait sa famille.
"Non", répondit Arthur, pas mal embarrassé, a posteriori, par sa réaction chez les Dursley – de la magie de potache, inexcusable de la part d'un sorcier adulte, sans parler d'un envoyé du Ministère ! "Il a dû reprendre sa... il doit pouvoir bouger maintenant", reconnut-il et, lisant la question muette dans les yeux de ses enfants, il s'empressa de changer de sujet : "Ronald, choisis une histoire !"
L'histoire était celle d'un petit sorcier perdu dans une grande forêt et qui ne devait son salut qu'à l'aide d'animaux magiques dont il avait d'abord très peur. Ron et Ginny l'interrompaient sans cesse par leurs questions. Harry écoutait sans mot dire. Il avait de grands yeux verts derrière ses lunettes épaisses, moins bizarres maintenant qu'elles étaient réparées, des yeux qui ne le quittaient pas, mais il ne disait rien. Quand, l'histoire terminée, Arthur se pencha sur lui pour l'embrasser, l'enfant se figea d'abord, comme s'il le craignait toujours.
"N'aie pas peur, Harry. Tu peux demander à Ron et Ginny, même quand je suis en colère, je ne suis pas bien méchant. Tu as peut-être des questions ?"
Harry sembla chercher son courage, rapprocha le cerf de lui, puis murmura : "Comment faites-vous tout ça ?"
"Quoi donc, Harry ?"
"Et b'en l'Oncle Vernon... venir ici, réparer mes lunettes... le cerf... Tout ça."
"Il veut dire la magie, P'pa !", s'écria Ron, totalement redressé dans son lit.
"J'avais compris Ronald. Dors s'il te plaît !", le calma son père avant de se retourner vers le si jeune vainqueur de Voldemort pour lui expliquer, avec une certaine émotion : "Harry, je crois que ton oncle et ta tante t'ont caché que tes parents étaient, comme Molly et moi, des sorciers. Et toi, comme Ron et Ginny et mes autres enfants, tu apprendras à en devenir un !"
"Mais Papa, c'est Harry Potter ! C'est déjà un sorcier ! Il a..."
"Ron, il devra quand même apprendre. Tout le monde doit apprendre à se maîtriser et à utiliser ses pouvoirs", affirma Arthur, en songeant que cet enfant allait aussi devoir apprendre à vivre avec sa réputation et que ce serait sans doute le moins facile. La décision de Dumbledore de le confier à sa famille moldue prit soudain un autre sens. Dommage que la famille n'ait pas été à la hauteur de la tâche !
Harry, lui, n'en croyait pas ses oreilles. Des sorciers, il était chez des sorciers. Comme dans les livres ! Et ils prétendaient que lui aussi en était un. Absolument incroyable ! Ils faisaient tous des choses plus "bizarres" que tout ce qu'Oncle Vernon avait pu lui reprocher mis bout à bout et affirmaient que c'était normal. Il n'osait absolument pas poser une autre question de crainte que le rêve s'effondre, que tous se moquent de lui et qu'il ouvre les yeux dans sa chambre sous l'escalier avec les araignées pour compagnes.
"Ça fait beaucoup de choses pour aujourd'hui, hein, Harry ?", reprit Arthur doucement, et l'enfant ne put qu'acquiescer d'un infime signe de tête.
Le sorcier sortit alors une fiole de sa poche et versa une cuillère de sirop en expliquant :
"Prends ça ! Tu dormiras bien et tu seras en forme demain."
Harry eut peut-être une hésitation, mais il avait trop envie que tout soit vrai, que la réalité bizarre d'Arthur dure et s'impose comme la seule véritable, pour ne pas obéir. Ensuite, il se laissa de même embrasser sur le front par Arthur. Puis le sorcier lui enleva ses lunettes et les posa sur la table de nuit.
"Tu as des lunettes depuis toujours ?", demanda-t-il, sans trop savoir d'où lui venait la question.
"Non... cet été... C'est le docteur qui a dit qu'il fallait", expliqua l'enfant.
"Sans doute, elles ont l'air fortes, tu dois en avoir besoin !"
"Je vois beaucoup de choses avec", confirma l'enfant. "Quand je... quand Dudley et Piers les ont cassées, j'ai eu peur de ne plus en avoir... Oncle Vernon a dit que ça montrait bien que j'en avais pas besoin, sinon j'en aurais pris soin... Mais moi... je les ai recollées avec du Kotch", expliqua encore Harry avec plus de mots que Arthur ne l'avait entendu en prononcer depuis qu'il était arrivé au Terrier. Ces lunettes avaient dû représenter un sacré changement dans sa courte vie. "Mais c'est fragile, faut le changer tout le temps... et Tante Pétunia dit que c'est cher..."
"On a trouvé une alternative au Kotch", lui rappela doucement Arthur.
"Ça va tenir longtemps ?", voulut savoir Harry – et la question fit plaisir au sorcier. Il fallait que Harry quitte sa réserve, pose des questions, aussi naïves soient-elles, qu'il entre dans le monde magique.
"Tant que tu ne les casseras pas une nouvelle fois et, ne t'inquiète pas, je pourrais encore les réparer", promit Arthur.
"C'est bien", conclut Harry avec une expression de détente nouvelle, comme si cette certitude que jamais il n'aurait plus peur pour ses lunettes était tout ce qu'il avait espéré de la vie. Et peut-être n'ai-je pas tellement tort, décida Arthur avec un pincement au cœur.
En quittant la chambre des enfants quelques minutes plus tard, Arthur se demanda ce qu'il devait faire ensuite : contacter Fudge – qui n'allait pas être content ? contacter Dumbledore – ce qui énerverait encore plus Fudge ? Contacter ce Lupin, qui lui avait si instamment demandé de sortir Harry de sa famille ?
Le salon était déserté, les grands devaient se coucher sous la houlette de Molly. Incertain, il s'assit devant la cheminée et sortit de sa serviette la lettre que ce dernier lui avait envoyée le jour précédent. Elle n'était pas très longue mais il n'en relut que le dernier paragraphe :
"Je sais que vous ne me connaissez pas et que vous pourriez douter. Mais quand vous le verrez, comme moi, vous sentirez qu'il nous appelle à l'aide.
C'est le fils de mes meilleurs amis et il est tout ce qui me reste au monde. Je vous en prie M. Weasley, sauvez-le !"
Arthur remarqua que Lupin n'avait à aucun moment invoqué ce que le monde sorcier devait à ce petit garçon, et ça lui plut. Il repensa aussi à la joie d'Harry quand il avait évoqué le loup-garou, et sa décision fut prise. Il se tourna vers le feu et appela clairement :
"Remus Lupin."
