Entre Lune et Etoile
Disclaimer. pas à moi, non, non, non
VERSION EPUB 2020.
10- Secrets à partager.
Harry, je... je dois m'absenter quelques jours.
Non, ça n'allait pas. Il avait eu de la chance en décembre parce que le jugement avait été rendu juste après la pleine lune. Mais là, dans deux jours, il devrait se terrer dans une cave en attendant d'avoir cessé d'être une menace pour tous les humains. Comment expliquer ça à un si petit garçon, qui connaissait si peu de choses au monde magique et ne vivait avec lui que depuis quelques semaines ?
Harry, trois jours par mois, je travaille à Londres."
Non, décidément, l'idée d'Albus était ridicule. Il n'allait pas entrer de nouveau dans ces mensonges maintenant que l'ensemble de la communauté magique savait qu'il était un loup-garou ! Même pour l'amour de Harry ! Il était un LOUP-GAROU ! Et si Harry devait être son fils – ou tout comme – il allait bien falloir lui dire !
Lui dire la vérité, se dit Remus en se levant brusquement de son lit et enfilant une robe de chambre rouge qu'il avait ajoutée à sa garde-robe quand il avait fait des courses de vêtement avec Harry – ils avaient ainsi presque la même et l'enfant avait aimait à le faire remarquer. Il n'y a QUE la vérité.
Il se sourit dans le miroir pour se féliciter de sa décision et s'encourager avant de sortir de sa chambre. Il entra sans bruit dans celle de l'enfant. Elle s'était considérablement remplie depuis Noël. Il y avait le jeu de construction magique – les pièces tenaient dans l'air si on le souhaitait très fort. Il le lui avait offert dès leur première sortie à Pré-au-lard. Molly lui avait confié que ça avait été son jeu favori au Terrier et ça ne s'était pas démenti, même si le choix s'était élargi. Il y avait maintenant une véritable collection de cerfs en peluche de taille et de couleurs variées sur le lit d'Harry, certains offerts par des élèves de Poudlard qui avaient remarqué l'attirance de l'enfant. Pourtant au moment d'aller se coucher, Harry leur préférait toujours le mouchoir métamorphosé par Remus. Mme Bibine et Minerva lui avaient donné pour Noël un jeu de Quidditch modèle réduit – on y jouait à deux, chaque joueur manipulant les figurines en les désignant du doigt. C'était encore un peu difficile pour Harry, mais lui et Ron aimaient y jouer quand le benjamin des Weasley venait passer l'après-midi à Poudlard.
Minerva et son amour pour le Quidditch !, sourit Remus. L'année prochaine, si je ne l'en dissuade pas, elle lui offre un balai !
Dumbledore lui avait offert un ballon magique – il revenait vers son propriétaire quand on le sifflait. Pratique, vu la taille du parc, devait reconnaître Lupin. Severus – Severus ! – lui avait offert l'intégrale des aventures de Joey, le Moldu fou et Hagrid un grand livre animé – bien sûr, mais Harry avait été surpris du réalisme des images – sur les dragons. "Un drôle de choix", avait commenté Minerva, mais Remus s'était attendu à pire – un livre sur les loups-garous par exemple. Sans compter le pull-over envoyé par Molly, les dessins de Ron et Ginny – rien des Dursley, bien sûr – l'enfant était resté d'abord incrédule puis s'était jeté sur ses cadeaux. Remus sourit en repensant à la joie de Harry, aux larmes qu'il n'avait pas pu retenir.
Son petit protégé dormait encore à poings fermés. Il s'était couché un peu tard hier profitant que Remus, plongé dans ses corrections, n'ait pas fait attention à l'heure. Depuis la rentrée, il devait jongler entre son rôle de professeur et son rôle de tuteur. L'elfe Linky le secondait, s'occupant de Harry quand il était en cours. Ça ne se passait malheureusement pas aussi bien que Remus et Linky l'auraient souhaité : Harry grimaçait souvent en la voyant arriver et s'accrochait à lui, mais Remus ne voyait pas d'autres solutions. Il avait un moment songé à l'envoyer à l'école de Pré-au-lard mais Harry n'avait pas encore l'âge. Et, Dumbledore pense que sa sécurité ne serait pas totalement assurée, se rappela Remus, qui avait du mal avec certains raisonnements de son mentor : devait-il vraiment constamment penser que Voldemort allait revenir affronter Harry, imaginer le pire, alors qu'il en était à se demander s'il était très sain d'élever son jeune pupille sans autres enfants de son âge. Heureusement qu'il y avait Ron !
Harry s'était retourné vers lui, comme à l'écoute de son monologue intérieur. Ses cheveux rebelles laissaient voir sa cicatrice, immense sur ce si petit front. Finalement, l'enfant s'étira et sursauta en le voyant – la violence des réactions de surprise ou de peur de Harry continuait à désespérer Remus. Ça ne fait qu'un tout petit mois, se répéta-t-il pour se calmer, un mois contre quatre ans.
"Bonjour, petit chat", le salua-t-il en souriant.
"Rem... Remus ?"
"Qui veux-tu que ça soit ?", se moqua gentiment l'adulte.
Harry cherchait maintenant à tâtons ses lunettes, mais sa main fébrile fit tomber le livre de Hagrid avec les lunettes sur le sol – les lunettes flambant neuves, les plus légères possibles que Remus lui avait fait confectionner à Londres. Se reprochant déjà de ne pas les lui avoir données, le sorcier se précipita trop tard, les lunettes étaient cassées.
"Je... je suis désolé", commença Harry, déjà au bord des larmes.
"Harry, je commence à en avoir assez", l'interrompit Remus, agacé par avance des excuses perpétuelles de son protégé.
Mais ces mots figèrent l'enfant dans la crainte, et il leva instinctivement ses bras en protection d'une éventuelle punition.
"Harry, non", soupira Remus, s'invectivant intérieurement d'avoir perdu si vite patience. "Non, Harry, non. Arrête d'avoir peur de tout ! De moi, de Linky, personne ne te veut de mal ici. Ce qui est cassé se répare. Tu ne pouvais pas voir sans tes lunettes. Pourquoi voudrais-tu que je sois fâché ?"
En parlant, il ramassa les lunettes et les répara d'un coup de sa baguette magique et les mit sur le nez de l'enfant.
"Franchement, Harry", continua-t-il, "ai-je l'air si effrayant ? Je ne suis pas un dragon quand même !"
Après un instant d'hésitation, et une inspection de la réparation, Harry remit ses lunettes et regarda Remus par en dessous : "Tu n'es pas fâché ?"
"De quoi, grands dieux, serais-je ENCORE fâché ?"
"Je ne sais pas", reconnut l'enfant avec un petit sourire d'excuse.
"Moi, non plus", constata Remus. "Allez, viens me dire bonjour plutôt, non ?"
Harry grimpa sur ses genoux et l'embrassa. Lupin le serra dans ses bras tout en se demandant comment avoir la discussion qu'il avait en tête après ce départ chaotique.
"Harry, est-ce que tu es bien ici ?"
"Ici ? Sur tes genoux ?"
"Non, ici, à Poudlard."
"Oui, pourquoi ?", demanda l'enfant tout de suite inquiet.
"Tu aimes bien être avec moi ?", continua Remus sans répondre à la première question.
Rendu rendu muet par l'angoisse, Harry hocha la tête avec gravité. Lupin se demanda encore une fois comment continuer. Merlin que c'est difficile !
"Ce que j'ai à te dire est un peu compliqué", commença-t-il, malgré tout. S'il ne le faisait pas aujourd'hui, il ne le ferait sans doute jamais. "Mais si tu aimes bien vivre ici avec moi, tu dois le savoir. Et, je pense que tu es assez grand pour comprendre." Les yeux d'Harry s'élargirent encore derrière ses lunettes. "Ne t'inquiète pas comme ça ! Je ne vais ni te renvoyer, ni… rien de ce que tu peux craindre – je ne sais même pas ce que tu peux craindre", affirma Remus, plus ému qu'il ne l'aurait aimé. Ses émotions devaient impressionner l'enfant. Arrête tes grandes phrases, va droit au but ! "Mon problème est que... je... suis malade."
"Tu as de la fièvre ?", s'inquiéta l'enfant.
"Non", répond Remus en souriant plus largement qu'il ne s'y serait attendu. "Enfin pas aujourd'hui.. Mais dans trois jours, je vais être très malade."
"Comment tu sais ça ?", s'enquit Harry toujours intéressé par les possibilités sans fin ouvertes par la magie.
"Je suis malade tous les mois, au moment de la pleine Lune, depuis que je suis petit", résuma Remus en trouvant presque que, dit comme ça, il n'aurait pas dû se plaindre de son sort. "C'est pour ça qu'on m'appelle Lunard", ajouta-t-il encore peut-être pour alléger l'atmosphère.
Harry ne savait pas quoi répondre. Alors il se tut, se blottissant un peu plus au creux des bras de Remus comme s'il sentait, confusément, que ces paroles annonçaient une séparation.
"Harry, quand je suis malade, je ne peux pas m'occuper de toi", reprit Remus, conscient qu'il devait aller jusqu'au bout. "Quand je suis malade, je me transforme... en loup-garou", termina-t-il furieux de sentir sa gorge se serrer. Harry avait peut-être toujours peur qu'il le laisse, mais Remus était aussi terrorisé que lui à l'idée de lui faire peur ou de constituer une menace pour l'enfant. Mais Harry ne comprenait pas :
"En quoi ?"
"En une sorte de loup", expliqua Remus en se forçant à garder la voix la plus neutre possible.
"En LOUP ?", répéta Harry avec l'air de penser que maintenant Remus se moquait de lui. Ses yeux verts cherchaient dans le visage de son tuteur ce frémissement annonciateur d'un grand rire, et l'enfant frissonna presque quand il ne rencontra qu'un regard très sérieux et un peu triste.
"Oui, Harry, en loup. Ça ne dure que la nuit de la pleine lune, mais ça me fatigue, le jour précédent et le jour suivant, je dois me reposer."
"Ah."
"Tu n'as pas de question ?", demanda Lupin le plus gentiment qu'il put avec l'émotion qui est la sienne.
"Je ne sais pas."
"C'est normal. Tu... tu dois y réfléchir. Tu peux m'en reparler plus tard", affirma Remus, presque bafouillant. Il se força à inspirer plusieurs fois avant de reprendre : "La semaine prochaine, quand je serai malade, Minerva va s'occuper de toi. Je serai vite revenu près de toi."
"Mais tu iras où, toi ?"
"Dans un endroit où je ne peux faire de mal à personne", énonça Remus, un peu sèchement peut-être. Harry frissonna de nouveau mais resta contre lui.
"Je... je peux rien faire pour t'aider ?", chuchota-t-il sans le regarder.
Remus le serra contre lui pour répondre :
"Tu peux continuer à être gentil avec Minerva. Je serai vite revenu. Tu sais, j'étais malade bien avant de te connaître et je le serai toute ma vie, Harry. Ne t'inquiète pas, j'ai l'habitude !, ajouta-t-il un peu amèrement.
"Vraiment, Hagrid, ça ne vous dérange pas ?"
"Non, Professeur, non. Et si ça vous rend service, moi, ça me fait plaisir !"
"Je me sens fautive, j'avais promis à Lupin."
"Allons Professeur ! On me l'a bien confié quand il avait 15 mois. Il a presque 6 ans, maintenant ! Et ce n'est que pour une après-midi !"
"Oui, Hagrid, bien sûr. Si je n'avais pas tout ce travail en retard ! Et puis vous verrez, il est très sage."
"Oui, même peut-être un peu trop !"
Minerva lui lança un regard méfiant.
"Vous allez faire quoi avec lui ?"
Hagrid soupira : "Professeur, faut savoir si vous me faites confiance ! Enfin, si vous voulez savoir, je dois soigner une licorne qui a eu une mise bas difficile, avec toute cette neige ! Et aider M'dame Chourave à aérer les serres. Rien de bien dangereux, si c'est le fond de votre pensée ! Qu'en penses-tu, bonhomme, on va s'en sortir ?"
Harry, qui était resté sagement silencieux aux côtés de Minerva, ne put s'empêcher de montrer son intérêt pour les licornes qu'il n'avait pour l'instant vu qu'en jouets ou dans les livres. Il opina vigoureusement pour montrer son envie de rester avec Hagrid.
Quand la professeure McGonagall finit par quitter la cabane du garde-chasse, après moult recommandations, le colosse se tourna vers l'enfant, se penchant un peu pour croiser son regard : "Allons, Harry, tu es prêt ? Tu es bien couvert ? Alors, suis-moi !"
Dès les premières enjambées de Hagrid, l'enfant sut qu'il aura beaucoup de mal à le suivre ! Encore plus de mal qu'avec Remus !
"Eh, Monsieur Hagrid, où allons-nous ?"
"Voir les licornes, dans la forêt ! Tu vas adorer le poulain, Harry, je le sais ! Et laisse donc tomber le monsieur !"
"Dans la forêt ? Dans la FORÊT INTERDITE ? ?", questionna Harry à bout de souffle, tant d'inquiétude que parce qu'il devait courir pour suivre le garde-chasse.
"Bien sûr ! Où crois-tu que vivent les créatures magiques ?"
"Remus a dit...", commença Harry.
"Que tu ne devais pas y aller ? J'espère bien ! C'est TRÈS dangereux ! Eh, Crocdur, attends-nous ! Harry a du mal à suivre."
Hagrid attrapa son chien pour attendre l'enfant.
"Alors ?" insista Harry très soucieux à l'idée de désobéir à son tuteur, qui n'avait pas pour l'instant édicté tant d'interdictions que cela.
"Comment ça "alors" ?"
"Alors, on va y aller quand même ?"
"Bien sûr. Ne t'inquiète pas ! Ton tuteur ne veut pas que tu y ailles SEUL – et avec raison – mais il sait qu'avec moi tu ne risques rien. Même la professeure McGonagall le sait."
Harry ne répondit rien et regarda la sombre forêt qui était encore à plusieurs centaines de mètres d'eux. Il se sentait vraiment bien avec Hagrid, mieux qu'avec bien des professeurs. Néanmoins, l'idée du danger restait nouvelle pour lui – ses aventures avaient, jusqu'à présent, surtout été domestiques ! Il n'était pas très à l'aise si loin du château qu'il commençait à peine à apprivoiser.
Comme s'il sentait son hésitation, Hagrid reprit : "Tu sais Harry, nous allons aller dans une partie plutôt sûre de la forêt, mais c'est un peu loin. Je vais te porter jusque-là."
Joignant le geste à la parole, le garde-chasse chargea l'enfant sur ses épaules et repartit de son pas lourd mais efficace. La forêt se rapprocha très vite. Harry, qui avait repris son souffle, se sentit un peu gêné. Il détestait se sentir une charge – un poids, disait Tante Pétunia – pour qui que ce soit !
"Hagrid, tu sais, j'aurais pu rester avec Minerva. Elle se sent obligée de jouer avec moi tout le temps, mais je peux jouer seul ! Quand Remus travaille, il me laisse jouer dans son bureau. Je ne fais pas de bruit. Je ne le dérange pas !"
"Tout le monde a bien vu, Harry, que tu aimes beaucoup le professeur Lupin et que tu es très gentil avec lui. Mais, la professeure McGonagall voulait bien faire. Et puis tu es mieux là, non ?"
"Si", reconnut Harry, "je ne suis jamais allé dans la forêt."
Bientôt la lisière disparut, et Harry se demandait bien comment Hagrid, qui avançait en sifflotant, se repérait. Ils arrivèrent bientôt dans une clairière où Hagrid le déposa doucement sur le sol :
"Bon, elles ne doivent pas être loin, mais elles sont très timides. Je vais aller à leur recherche. Toi, tu restes là avec Crocdur, d'accord ?"
"Oui, Hagrid", promit l'enfant avec facilité.
Le garde-chasse revint bientôt avec une licorne chancelante, son poil argenté était bien plus terne que dans les livres. À ses côtés, un poulain doré avançait, en lui donnant des petits coups de naseaux comme pour l'encourager.
Hagrid l'appela : "Viens, Harry, mais très doucement surtout. Voilà, c'est bien, donne-lui ta main à sentir. Voilà, maintenant approche-toi du petit. Attire-le avec cette carotte, allez jouer tous les deux. Moi, je m'occupe de la mère. Vous restez dans la clairière, hein, sinon la professeure McGonagall et le professeur Lupin vont m'arracher les yeux !"
Harry joua un moment avec le poulain qui finit par se laisser caresser sans renâcler. Quand celui-ci revint s'allonger contre sa mère, l'enfant le suivit. Alors qu'il observait les soins que Hagrid prodiguait, une batterie de questions se mit à le hanter. Ce n'étaient pas des questions nouvelles mais l'accumulation de petites interrogations que Harry avait entassées depuis son arrivée à Poudlard sans oser les poser. "Pourquoi ne pas les essayer sur cet adulte-là ?", se dit-il :
"Dis, Hagrid, tu es un professeur ?"
"Non, Harry, non."
"Mais... tu as été étudiant ici ?", questionna-t-il encore parce qu'il avait bien compris maintenant que quasiment tout le monde avait été élève à Poudlard avant d'y enseigner. Même les fantômes et les personnages sur les tableaux !
"Oui, Harry", confirma Hagrid sans surprise.
"Ah. Avec Remus et mes parents ?"
"Peu de temps avant. J'étais déjà garde-chasse quand ils étaient à Poudlard."
"Alors tu le connais depuis longtemps, Remus. Pourquoi tu l'appelles toujours "Professeur" ?"
"C'est son titre, non ? Et puis, nous n'avons jamais été amis. Nous ne sommes pas de la même génération."
"Vous ne vous aimez pas ?", s'inquiéta maintenant Harry, parce qu'il y avait ce sombre Severus qui l'observait si souvent de son regard d'obsidienne et avec qui Remus avait parfois des conversations tendues. Mais ils ne s'appelaient pas par leurs titres.
"Si, je crois que si. En tout cas, moi, je l'aime bien. Mais quand ils étaient tous élèves ici, j'étais déjà le garde-chasse et, eux, les Maraudeurs ! Moi je devais aider à maintenir la discipline et eux faisaient tout pour y échapper."
Il y avait trop d'informations dans la réponse de Hagrid, Harry ne savait pas vraiment par quoi commencer. Comme Remus répétait qu'il devait demander le sens des mots qu'il ne connaissait pas, il releva : "Les Mar'deurs ?"
"Oui, ton père, Remus, Peter et Sirius."
Peter ? Sirius ? Voilà des noms que Harry ne connaissait pas. Il sentait confusément qu'il ne devait pas trop insister. Du coup, il osa de tout autres questions :
"Et Remus, c'était déjà un loup-ga'ou ?"
"Tu veux dire un loup-gaRou, Harry ?", questionna lentement Hagrid qui avait arrêté de bander le flanc de la licorne en entendant la question.
"Oui, c'est ça !", confirma l'enfant, ravi d'avoir retenu le bon mot.
"C'est lui qui t'en a parlé ?", enquêta le garde-chasse un peu gêné.
"Oui", confirma Harry sans vraiment se rendre compte de l'inconfort de son interlocuteur.
"C'est un homme courageux, ton tuteur, tu sais, Harry. Il s'est battu pour toi, il s'est toujours battu", constata Hagrid après un court instant de réflexion.
Visiblement le garde-chasse admirait Remus, comprit l'enfant sans trop saisir le pourquoi de cette admiration. Il sentit encore qu'il valait mieux changer de sujet :
"Est-ce que ça lui fait mal ?"
"Quoi ?"
"De se transformer ?"
"Je ne sais pas, Harry, je n'en sais fichtre rien", regretta ouvertement Hagrid. "Je sais seulement que le professeur Rogue lui prépare une potion pour l'aider, donc je pense que ce n'est pas très agréable."
Pour Harry, le professeur Rogue était ce Severus qui venait parfois le soir travailler avec Remus dans le salon. Quand il arrivait, Lunard fermait la porte de sa chambre après lui avoir demandé s'il n'avait besoin de rien, mais Harry savait quand même que leurs conversations étaient souvent difficiles, comme s'ils se forçaient à faire des choses ensemble. Il avait aussi découvert la potion Pimentine avec son premier rhume et il était prêt à témoigner qu'on ne prenait pas de potions pour son plaisir. Toutes ces informations contradictoires plongèrent l'enfant dans des pensées un peu circulaires. Il caressait machinalement le poulain licorne qui s'était endormi entre sa mère et lui. Il regardait Hagrid qui massait la licorne avec des huiles mystérieuses – elle avait l'air d'apprécier. Il aurait vraiment aimé que Remus soit là pour répondre à toutes les questions qui se bousculaient dans sa tête. Oserait-il les poser ce soir quand son tuteur – un autre mot qu'il avait appris – reviendrait ?
"Tu sais quand il revient ?", finit-il par demander.
"Qui, Harry, qui ?", demanda Hagrid qui lui aussi était plongé dans ses propres réflexions.
"Lun', enfin Remus", précisa Harry qui se souvint juste à temps de la demande de son tuteur : "Tu sais, Harry, je préfère que tu m'appelles Remus devant les autres. Comment t'expliquer ? Lunard, c'est un nom secret, que seuls mes amis les plus proches connaissent, et je préférerais que ça reste comme cela."
"Ah", réfléchit Hagrid. "Je ne sais pas, Harry. La pleine lune est ce soir... Sans doute pas avant demain matin. Tu n'as pas demandé à la professeure McGonagall ?"
"Heu, non", reconnut Harry.
"Tu verras bien. Bon, j'ai fini. On va les laisser tranquilles. Il est tard déjà, on ne pourra pas aider la professeure Chourave aujourd'hui. Je le ferai demain. On va aller boire une tasse de chocolat chez moi, qu'en dis-tu ?"
Les licornes les regardèrent disparaître dans les fourrés. La forêt bruit de cette chose incroyable : l'enfant des maraudeurs était à Poudlard.
Remus ouvrit les yeux en sursaut. "Où suis-je ?" Il n'était plus dans les caves du château, le plafond était blanc, il était dans un endroit chaud et confortable. Un lit ! Il leva doucement sa main dans la pénombre : elle n'avait plus aucun poil, ni aucune griffe. C'était une main, et non une patte de loup. Il était redevenu lui-même.
Remus soupira de soulagement. Malgré les années, il portait toujours cette crainte en lui, qu'une fois il resterait un loup. Pour tout le reste de sa vie. Il avait beau avoir la certitude intellectuelle du contraire, la peur restait. Comme la fatigue de la transformation. Mais qu'est-ce qui m'a réveillé ? Le matin ? À la recherche d'une confirmation visuelle, il laissa courir ses yeux dans la pièce et perçut alors une présence dans la pièce. Il se tourna brusquement – trop brusquement, évidemment ! – et vit Harry battre en retraite. Pour une fois qu'il avait fait le premier pas !
"Non, Harry, reste ! S'il te plaît, reste". Il désigna en tapotant une place à côté de lui.
L'enfant s'approcha lentement mais finit pas se lover contre lui en murmurant : "Bonjour, Remus. Je... je suis si content que tu sois là !"
Lupin le serra contre lui. Les mots restaient coincés dans sa gorge par l'émotion.
"Moi aussi, Harry, je suis content de te retrouver. Qu'as-tu fait pendant ces trois jours ?"
"Je suis resté avec Minerva qui m'a lu des tonnes d'histoires. Et on a joué aux cartes aussi et aux puzzles. L'après-midi, elle avait trop de travail, et je suis allé avec Hagrid. On a soigné des licornes dans..."
Comme il n'osait pas continuer, Remus sourit et compléta : "... dans la Forêt Magique. Je suis content que tu y sois allé avec Hagrid."
"Mais il ne faut pas y aller seul, hein, Remus ?"
"Non, Harry", confirma Remus. "Hagrid te l'a dit ?"
"Oui, il a dit, c'est TRÈS dangereux tout seul."
"Il a raison."
"Ah", ponctua Harry, l'air clairement dubitatif.
"C'est quoi ce "ah" ?", questionna Remus, un peu amusé par la réaction du petit garçon.
"Ça n'avait pas l'air dangereux", reconnut Harry, allant même jusqu'à hausser les épaules.
"Parce que tu étais avec lui !", s'écria Remus, inquiet maintenant de le voir prendre ses avertissements à la légère. D'habitude, Harry était l'obéissance même, s'arrêtant immédiatement au premier "non". Remus s'attendait à ce que ça change avec le temps ; il l'espérait même. Mais il aurait préféré que la première infraction du petit garçon n'ait rien à voir avec la Forêt interdite.
"Ah", répéta Harry, toujours peu convaincu, et Remus se demanda s'il devait insister. Mais l'enfant, pris dans ses propres raisonnements, changea totalement de sujet : "Hagrid m'a aussi dit que quand tu étais petit, tu faisais plein de bêtises avec les Mar, les Mar... "
"Les Maraudeurs ?", interrogea Remus avec une nouvelle inquiétude : il n'avait pour l'instant parlé que de Lily et James, montré des photos, raconté des histoires gaies et simples. Il avait parlé de leur engagement à tous – à tous ? Oui pour l'instant à tous – contre Voldemort. S'il savait qu'il devrait un jour parler de Sirius et de Peter, il voulait que Harry soit un peu plus grand. Il n'y avait pas de raison d'en vouloir à Hagrid, il était impossible d'espérer élever Harry dans une bulle où il pourrait contrôler toutes les informations qui parviendraient à l'enfant qui confirmait, a priori ravi :
"Oui, c'est ça !"
"Et il t'a dit quoi d'autre ?", s'enquit Remus en préparant sa défense.
"Rien", répondit Harry, en haussant de nouveau les épaules. "Que vous faisiez des bêtises. C'est vrai ?"
"C'est assez vrai", reconnut Remus en souriant, après tout il n'y avait pas de raison de cacher cela. "Enfin, surtout au début, quand nous étions très jeunes. Après, même quand on essayait de bien faire, on nous rendait toujours responsables de tout", ajouta-t-il plus pour lui même.
"C'est pas juste !", s'insurgea l'enfant l'air réellement en colère, peut-être parce que ça lui rappelait l'injustice de son oncle et sa tante envers lui.
"Je ne sais pas, Harry. On peut les comprendre, tu sais : on y était quand même souvent pour quelque chose !", concéda Remus en riant.
L'enfant prit le temps de digérer cette nuance avant de reprendre ses questions : "Et il a dit qu'il y avait mon père, toi et deux autres ?"
"Peter et Sirius ?", soupira cette fois Remus. On y était. Plus tôt qu'il ne l'avait prévu mais sans doute était-ce impossible d'espérer retarder trop ce moment. "OK. Sirius était le meilleur ami de ton père, James. C'était le plus grand faiseur de blagues que j'ai jamais connu. Il n'avait peur de rien. C'était aussi ton parrain", expliqua-t-il sans trop savoir si sa présentation était suffisamment équilibrée.
"Était ?", releva Harry dont les yeux avaient brillé à la présentation de Sirius. Peut-être aurais-je dû être plus partial, s'interrogea Remus. Pourquoi est-ce que je n'arrive pas à simplement le haïr ?
"Il est en prison aujourd'hui, Harry", répondit-il finalement, presque à regret. "A Azkaban. Il n'en sortira pas."
"Pourquoi ?"
Évidemment, songea Remus en détournant les yeux pour composer sa réponse. Comment l'enfant n'aurait-il pas posé la question ? Est-ce qu'il ne passait pas son temps à l'inciter à poser des questions ? Et quelle autre question aurait-il pu poser ?
"Harry", commença-t-il assez sérieusement quand il se retourna vers Harry. Comme à chaque fois qu'il prenait un ton moins léger, l'enfant en face de lui se figea davantage qu'il ne l'aurait souhaité. Mais peut-être que cette fois-ci, le sujet le méritait. "Je sais que ça ne va pas te plaire comme réponse. Mais je te promets de te parler un jour de Peter et Sirius : de comment Peter est mort, de pourquoi Sirius est en prison. C'est une histoire triste, très triste. Et pour l'instant, c'est mieux que je la porte seul, OK ?"
Une certaine déception apparut sur le visage de Harry mais il n'osa visiblement pas insister. Et si Remus en était un peu soulagé, une partie de lui ne pouvait pas ne pas regretter que l'enfant ait encore un peu trop peur de lui pour l'interroger davantage. Il fut d'autant plus désarçonné quand l'enfant se risqua finalement à lui demander de sa petite voix timide :
"C'est à eux que tu penses quand, des fois, tu as l'air triste ?"
Remus dut déglutir plusieurs fois avant de se sentir capable de répondre.
"À eux et à tes parents", reconnut-il avec une voix un peu étranglée qui lui déplut : Harry avait besoin de se construire un avenir pas de ressasser avec lui un passé remontant à avant sa naissance. "Mais ça suffit comme ça !" Il se jeta sur lui en le chatouillant et en affirmant : "Je suis un loup qui a très faim de bisous !"
Le rire de Harry, criant grâce sous les chatouilles de Remus, éloigna alors tous les fantômes qui s'étaient réunis autour d'eux, mieux que la lumière du soleil.
"Tu te rends ? Alors, allons déjeuner !"
