Disclaimer. Toujours rien
Version EPUB 2020. Avec une scène Bonus sponsorisée par Playmobil.
12. L'enfant qui grandissait à Poudlard
Chargé d'un plateau fumant, Remus remontait l'escalier qui menait aux appartements des professeurs. Ses excuses – "J'insiste Minerva, je m'excuse du comportement de Harry ! Je suis responsable, j'aurais dû intervenir avant." – et ses discussions avec ses collègues l'avaient retenu plus longtemps qu'il ne le souhaitait. Il voulait absolument parler avec Harry avant qu'il ne s'endorme. Il ne pouvait pas s'empêcher de craindre avoir été trop loin, même si tout le monde lui disait le contraire.
James, Lily ? Qu'auriez-vous fait à ma place ?, s'interrogea-t-il sur le trajet.
Il était à peu près sûr que Lily aurait été tolérante encore moins longtemps que lui. Elle n'avait jamais caché son attachement aux règles, et cela l'avait longtemps opposée aux Maraudeurs. Il sourit au souvenir des colères de Lily quand ils rentraient en pleine nuit dans la tour de Gryffondor. James, lui, avait clairement été beaucoup moins à cheval sur le règlement. "Les règles, Lily, sont faites pour être contournées !" – l'entendait-il encore se justifier. Mais comment aurait-il réagi face à un enfant de presque 6 ans qui se mettait ainsi si consciemment en danger ? Difficile à dire ! Ils étaient eux-mêmes si jeunes et insouciants il y a six ans !
Au détour d'un escalier, Remus se rappela soudain le jour où Minerva – qu'il appelait encore professeure McGonagall – avait dû quitter sa classe pour un moment. Elle avait chargé James, qui n'était pas encore préfet, de surveiller la classe – toujours essayer de gagner les fauteurs de troubles à sa cause, comprenait le professeur Lupin, dix ans plus tard. Évidemment, Sirius avait préféré tout faire plutôt que l'exercice de lecture demandé ! Après plusieurs rappels à l'ordre de James, et l'inconduite de Sirius menaçant clairement d'entraîner le reste de la classe, James avait inscrit son nom au tableau comme leur professeur de Métamorphose l'avait demandé. Remus sourit à la mémoire du visage incrédule de Sirius et des sourcils froncés de James. Il sourit aussi au souvenir du commentaire de Minerva : "Monsieur Black, je n'ose même pas imaginer ce que vous avez pu inventer pour forcer Monsieur Potter à vous dénoncer ! Vous serez en retenue avec moi ce soir, Monsieur Black". Oui, décida Remus, James n'avait jamais eu peur des responsabilités, même quand elles étaient désagréables !
"Alohomora", murmura-t-il, afin d'ouvrir la porte sans lâcher son plateau. L'appartement était totalement silencieux. "Harry ?", appela-t-il.
Une angoisse nouvelle l'envahit. Imaginons qu'il ait été tellement blessé qu'il se soit encore enfui. Comment ferait-il la différence entre la maltraitance de son oncle et une punition méritée ? proposa une vilaine petite voix dans sa tête – celle qui pendant cinq années lui avait interdit jusqu'au simple fait de prendre des nouvelles de Harry ! Il se précipita dans la chambre, seulement éclairée par des veilleuses magiques dont la clarté augmentait automatiquement lorsque quelqu'un bougeait dans la pièce. Dans la pénombre, la silhouette de son petit protégé, endormi sur le ventre, les bras en croix sur son lit, le rassura. Tu vois bien ! Où veux-tu qu'il aille ? répondit-il fièrement à sa vieille paranoïa.
En s'approchant, il vit les traces de larmes sur le petit visage encore rouge et bouffi par les pleurs, les vêtements sales et déchirés qu'il lui avait laissés – Vraiment, Remus, tu fais un fameux tuteur ! s'admonesta-t-il, se dépêchant de poser le plateau sur la commode, pour s'asseoir à ses côtés. Il commença par lui enlever très lentement ses chaussures et ouvrit le lit pour pouvoir mieux l'installer.
L'enfant ne se réveilla pas, laissant seulement encore échapper des soupirs qui fendaient le cœur de l'adulte. Il aurait fallu le changer de vêtements, le faire manger, mais Lunard n'osait pas le réveiller complètement. Il remarqua le mouchoir par terre et se reprocha de ne pas l'avoir métamorphosé avant de sortir. L'enfant avait dû en avoir besoin. À cet instant, Harry bascula sur le dos et son bras gauche vint se serrer devant lui. Dans le mouvement, l'enfant lâcha une feuille de parchemin qui glissa devant Remus. Un dessin, tellement plein de remords, de tendresse et d'espoir que l'adulte sentit ses yeux s'embuer ! Comment refuser une telle confiance ? Comment être à la hauteur ?
"Mon chéri", murmura Remus, caressant les cheveux noirs et emmêlés. "Mon tout petit garçon."
Il essaya d'enlever les lunettes de l'enfant, ce qui le réveilla brusquement. Ses yeux dévisagèrent Remus avec tellement d'inquiétude que l'homme se demanda comment il avait pu se montrer aussi dur avec lui une heure plus tôt.
"Chut, mon chéri, chut ! Rendors-toi !", essaya-t-il de le rassurer.
Mais Harry était trop désorienté tant par le changement de comportement de Remus que par son réveil brutal pour se laisser aller au sommeil.
"C'est le matin ?", s'enquit-il finalement.
"Non, Harry. Je suis désolé, ça m'a pris plus de temps que je le pensais. Tu t'es endormi... Tu n'as pas faim ?", s'excusa maladroitement Remus.
Harry le dévisagea une nouvelle fois. Lunard avait retrouvé des yeux souriants, mais l'enfant avait besoin d'être rassuré :
"Tu, tu n'es plus en colère ?", se risqua-t-il d'une toute petite voix.
Remus prit son temps pour répondre, luttant contre son premier élan qui aurait été de promettre qu'il avait déjà tout oublié. Ce n'était pas vrai et, plus encore, il souhaitait ardemment qu'une telle chose ne se reproduise plus avant très longtemps. Ce n'était pas la peine de l'avoir puni pour laisser entendre que finalement ce n'était pas si grave d'aller se promener dans la Forêt interdite.
"Harry, je suis toujours déçu que tu m'aies désobéi." Il vérifia que ses paroles produisaient bien l'effet attendu dans les yeux de l'enfant avant de continuer : "J'espère que ça ne se reproduira pas."
Harry secoua la tête avec véhémence, mais Remus voulait plus que cela. Devant son silence, l'enfant chuchota : "Je te promets d'être sage, très sage !"
"Plus de disparition ?", insista Remus.
"Non, promis, promis !"
"Tu n'iras plus seul dans la forêt ?"
"Non, non, jamais plus !"
"Tu ferais mieux !", ajouta son tuteur avec une voix sévère que démentaient ses yeux.
"Je peux rester, alors ?"
La question était sortie tout naturellement. Pire, elle sonnait comme un espoir sincère. Pourtant, elle coupa la respiration de Remus :
"Harry ! Comment peux-tu croire que je te laisserais partir ?! Où irais-tu ?", s'exclama-t-il, et sa véhémence inquiéta immédiatement l'enfant.
"Je ne sais pas. J'ai pensé que... tu ne voudrais plus de moi."
Harry avait enfoui son visage dans son oreiller après son aveu comme pour cacher son embarras.
"Harry, je cherche à t'adopter, à devenir ton père. Je ne vais pas me débarrasser de toi comme ça ! Tu devras me supporter jusqu'à ce que tu sois un homme, Harry !", ajouta-t-il en riant un peu nerveusement en verbalisant une idée qui avait fait son chemin dans sa tête ces dernières semaines.
L'enfant tourna la tête pour le regarder longuement avant de murmurer : "Mon père ?"
"Oui Harry. Tu le sais ! Tu l'as toi-même écrit sur ce dessin ! Je ne suis pas ton vrai père, mais je veux devenir le meilleur papa disponible."
"Oh", s'écria Harry, "Tu es le meilleur papa que j'ai jamais rencontré !" Et il se jeta dans les bras de Remus. Ils restèrent un long moment enlacés, goûtant le fait d'être pleinement réunis. Puis Remus l'attira contre lui, sur ses genoux, pour expliquer :
"Harry, tu dois comprendre que je t'ai puni comme je l'ai fait parce que je t'aime. Quand tu étais chez les Weasley, tu as bien dû voir Molly ou Arthur se fâcher ?"
"Oh oui, plusieurs fois", reconnut Harry avec facilité. "Une fois, Molly a même donné une fessée à George parce qu'il nous avait donné des bonbons qui trouent la langue à Ron et moi."
Remus sourit, les jumeaux Weasley promettaient d'être des élèves agités quand ils viendraient à Poudlard.
"Est-ce que tu crois qu'elle n'aime pas George ?"
"Oh, si." L'enfant se blottit contre l'adulte un long moment avant d'ajouter : "Je peux vraiment t'appeler Papa ?"
"Si tu en as envie, Harry", souffla Remus, un peu intimidé par la décision de l'enfant mais aussi impressionné par son courage. "J'en serai très fier !"
"Merci... Papa !"
Le lendemain matin Remus insista pour aller aux cuisines avant le petit-déjeuner. Harry s'excusa auprès de chacun des elfes – qui en pleurèrent d'émotion. Linky, avec toutes ses cicatrices – elle avait finalement opté pour des brûlures au fer à repasser – et son air abattu, impressionna Harry qui l'enlaça en pleurant qu'il ne recommencerait jamais.
"Tu vois, Harry, on est responsable des gens qu'on aime, et même quand ils ne sont pas des humains", le sermonna Remus sur le chemin de la grande salle.
Quand ils entrèrent dans le réfectoire pour rejoindre les autres professeurs, beaucoup d'étudiants les observèrent avec curiosité. Un murmure s'éleva dans lequel Harry capta des morceaux de phrases : "tout seul dans la Forêt interdite", "même pas six ans", "un centaure l'aurait retrouvé", "perdu pendant près de quatre heures", "tout le monde y est allé", "Lupin était furieux". Se sentant rougir, l'enfant se cacha derrière Remus jusqu'au moment où celui-ci l'assit à sa place, à côté de lui à la table des professeurs :
"Tu avais quelque chose à dire, n'est-ce pas, Harry ?"
Toute la tablée le regardait – c'était presque pire que les murmures de la Grande Salle. Mais Remus attendait et Harry n'avait pas envie de le décevoir.
"Je... demande pardon d'avoir... d'être allé dans la Forêt... seul."
Est-ce que ça suffit ? demandèrent ses yeux à Remus qui lui sourit. Il ne remarqua pas du coup les yeux brillants de Minerva ou le petit sourire du professeur Flitwick. Il manqua aussi le grognement sceptique du professeur Rogue ou le regard perçant et désapprobateur que Dumbledore jeta à ce dernier.
"Eh bien, Harry", lui répondit le directeur, "nous espérons que c'est la dernière fois !"
"Oh oui !", promit l'enfant avec candeur, "je ne veux plus de fessées !"
Remus rougit un peu, mais tous les autres adultes rirent – même le professeur Rogue.
"Ça me paraît une bonne résolution, Harry !", commenta Dumbledore avec bonne humeur. "Lui avez-vous parlé de son nouvel emploi du temps, Remus ?"
"Non, pas encore, je voulais le faire maintenant, Professeur. Avec vous tous."
Il se tourna vers Harry.
"Nous nous sommes dit que tu t'ennuyais peut-être avec Linky. Ça ne veut pas dire que tu as eu raison de lui échapper !", précisa-t-il. "Mais la solution que nous avions expérimentée jusqu'à présent ne paraît pas très bonne, ni pour elle ni pour toi. Minerva et Filius sont d'accord pour m'aider à t'apprendre à lire, à écrire, à dessiner et à compter. Tu passeras les matinées avec celui de nous qui est le plus libre. Parfois, tu iras en classe avec nous, et il faudra être encore plus sage !"
Harry sentit qu'il devait hocher la tête.
"Enfin les après-midi, quand ses activités le lui permettront, Hagrid a accepté de s'occuper de toi."
"Hagrid ?" – répéta Harry qui n'en croyait visiblement pas ses oreilles !
"Harry, regarde-moi !", reprit Remus, fermement. "Je sais que tu es ami avec Hagrid, mais je veux que tu lui OBÉISSES !"
Harry opina fébrilement.
"Sinon, tu passeras tous tes après-midi dans ma classe", menaça Remus.
"J'ai compris, Papa, j'ai compris ! Je dois bien écouter tout le monde", répondit Harry, priant pour avoir l'air convaincant.
Tous les adultes les regardaient bouche bée. Harry se demandait bien pourquoi. Avait-il encore dit une bêtise ? Remus leur fit face :
"Harry a décidé de m'appeler "Papa" à partir de maintenant", expliqua-t-il doucement.
Dumbledore acquiesça silencieusement – comme s'il s'y était attendu, pensa Remus avec un certain fatalisme. Minerva essuya furtivement une larme. Filius battit ouvertement des mains :
"Félicitations, Remus ! Ça doit répondre à toutes vos questions d'hier soir, non ?"
Les autres professeurs l'approuvèrent. Même Severus les regarda comme s'il les voyait pour la première fois :
"Bon courage, Lupin", lança-t-il finalement.
Remus plaça son bras autour des épaules de Harry et le serra contre lui :
"Merci, Severus, je crois que je vais en avoir besoin !", admit-il en riant
Minerva et Filius étaient des gens gentils et particulièrement bien disposés envers Harry, et Remus savait toujours rendre les choses drôles quand Harry en avait vraiment assez. Harry était très fier des lettres, des dessins et des chiffres qu'il savait maintenant tracer – bien plus que ce que Dudley réussissait à faire selon ses souvenirs et à peu près autant que Ron, qui apprenait les mêmes choses de sa mère, avait-il maintenant découvert.
"Moi, c'est avec mon Papa", avait-il expliqué à Ron.
"C'est bien que tu aies un Papa toi aussi", avait affirmé son ami.
Les trois professeurs avec qui il passait généralement ses matinées avaient chacun un style d'enseignement propre, mais tous avaient en commun d'être plutôt aimés de leurs élèves et être dans leur classe était rarement désagréable ou inquiétant pour l'enfant. De plus, les trois professeurs avaient jugé trop dangereux qu'il soit associé à des groupes au-delà de la quatrième année et, s'ils lui paraissaient relativement grands, les élèves qu'il côtoyait étaient moins intimidants que les quasi-adultes des dernières années de Poudlard. Malgré cette précaution, c'est avec les premières années que Harry avait manqué plusieurs fois de recevoir des sortilèges mal maîtrisés. Et si on lui avait demandé, il aurait assuré que c'était en métamorphose qu'un tel manque de contrôle coûtait le plus cher. Pas qu'il leur en voulut d'ailleurs, il était assez content de voir autant de magie mise en œuvre.
Harry réalisa en deux semaines que Arthur, le père de Ron, n'avait pas menti quand il avait dit que la magie s'apprenait. Il fallait voir les parchemins et les parchemins que les élèves remplissaient de notes et de théories ! Il fallait les voir inlassablement répéter les mêmes gestes et scander les mêmes mots bizarres dont Harry avait même appris le nom : des incantations. L'enfant se demandait sincèrement si lui-même y arriverait un jour ! Quand il avait posé la question à Remus, ce dernier avait largement souri :
"Harry, ce n'est pas plus difficile que lire ou écrire... C'est en toi, il faut juste apprendre à le maîtriser."
"Je saurai ?", s'était quand même inquiété le petit garçon.
"J'en suis certain, Harry", avait promis son Papa en l'embrassant.
Les après-midi avec Hagrid étaient aussi amusants et variés qu'il l'avait imaginé et, quand le temps était trop mauvais ou tout le monde trop pris et qu'il devait rester avec Linky, il en venait à être content de jouer dans sa chambre ou de fabriquer des gâteaux dans la cuisine du château, sans parler des jours où Ron venait jouer avec lui. C'est grâce à son ami qu'il avait découvert qu'au moins deux des élèves de Poudlard étaient aussi ses frères : Bill, le plus grand, était en quatrième année, Charlie, le plus casse-cou, était en deuxième année. Ils étaient tous les deux à Gryffondor, comme Harry avait appris à le reconnaître aux couleurs des écharpes des élèves. Il savait même maintenant que Minerva était la directrice de cette maison-là. Que Remus comme James et Lily y avaient été élèves aussi.
Depuis son arrivée, Harry était assez fasciné par les élèves en règle générale, mais trop timide pour les approcher vraiment. L'entremise de Ron vint à point nommé pour changer cette situation. Il osa, après, aller à la récréation jouer à les attaquer avec une baguette fictive, et eux – avec une bonne volonté générale – faire semblant d'être touchés. Comme les frères Weasley étaient ceux qui l'intimidaient le moins, il découvrit ainsi les étonnantes capacités naturelles de métamorphose d'une élève de Poufsouffle amie de Bill. Tonks – elle refusait qu'il emploie son prénom – pouvait changer de visage à loisir et ne s'en privait pas pour amuser ses camarades. Passée la stupeur de la première fois, Harry venait souvent lui demander de "parler comme un canard ou comme un cochon", et ladite Tonks s'exécutait assez facilement. Remus se sentait parfois obligé d'y mettre le holà, affirmant que les grands n'avaient pas toujours envie de jouer avec lui, mais ça n'empêchait pas réellement Harry de s'ouvrir chaque jour un peu plus au monde magique.
Harry en vint aussi assez naturellement à vouloir soutenir l'équipe de Quidditch de Gryffondor.
"Pourquoi eux ?", s'était étonné Remus quand l'enfant avait prétendu mettre un pull rouge en soutien de l'équipe au premier match de printemps.
"Parce que c'est l'équipe de Bill et Charlie", avait expliqué Harry comme si ça suffisait comme raison.
"C'est l'équipe de Gryffondor, Harry", avait essayé de tempérer Remus, qui prévoyait déjà combien ce soutien serait interprété. "Ni Bill, ni Charlie n'en font partie pour l'instant…"
"Mais toi, tu étais Gryffondor, non ?", avait contré l'enfant, tout à sa propre logique. "Et James et Lily aussi, non ?"
"Mais toi, rien ne prouve que tu le seras", avait argumenté Remus, malgré ce que lui soufflait son cœur. L'impartialité entre les maisons était quelque chose à laquelle il s'estimait dû.
"Tu crois ?", s'était alors inquiété Harry avec un regard désolé pour son pull rouge comme si cela lui interdisait à jamais de le porter.
"Harry, ici à Poudlard, beaucoup d'élèves t'aiment bien, pas seulement Bill et Charlie. Il y a des élèves de toutes les maisons pour te donner des bonbons ou jouer avec toi, est-ce que tu as envie que cela change parce qu'ils pensent que tu ne t'intéresses qu'aux Gryffondors ?", avait alors questionné Remus.
"Non, Papa", avait reconnu Harry.
Pour mettre fin au problème, Remus avait métamorphosé le pull de Harry pour qu'il porte alternativement les couleurs des deux équipes qui s'affrontaient ce jour-là en lui faisant remarquer que, comme cela, il gagnerait toujours quoi qu'il arrive.
Et pendant toutes ces longues semaines où Harry découvrait Poudlard et la magie, Severus Rogue l'avait regardé.
Honnêtement, rien n'avait plus agacé Severus Rogue que le jour où Albus Dumbledore avait annoncé en réunion d'équipe qu'il tenait un remplaçant idéal pour le poste de Défense Contre les Forces du Mal - même pas les rumeurs de changement de la régulation sur l'épaisseur des chaudrons qui l'obligerait à entièrement modifier les installations de Poudlard. Ça faisait cinq années maintenant qu'il réclamait, avant chaque rentrée, ce poste et autant que le directeur refusait, répétant à chaque fois qu'il n'était pas prêt sans que Severus puisse réellement déterminer sur quoi Dumbledore le jugeait. Et qui ce dernier ramenait-il, fièrement, quelques jours à peine après Halloween, après cette nouvelle nuit passée par Severus à demander pardon à Lily debout devant les ruines de Godric Hollow ?
Et comme un cauchemar n'arrivait jamais seul, à peine le loup-garou était-il revenu à Poudlard, que Severus avait appris qu'il ambitionnait d'adopter Harry Potter. Le fils de Lily. Le fils de James Potter aussi. La preuve vivante des choix de Lily, mais aussi des siens : Harry n'aurait pas survécu s'il n'avait supplié Voldemort d'épargner la mère et que cette dernière n'avait ainsi eu l'occasion de se sacrifier pour son fils. Comment aurait-il eu envie d'avoir des nouvelles de l'enfant après tout ça ?
Mais il y avait pire. De semaine en semaine, il avait compris que l'entrée même de Lupin comme professeur visait à lui donner un statut d'adoptant acceptable auprès du Ministère. Il avait découvert que le projet avait le plein soutien de Dumbledore qui, une fois de plus, lui tournait ainsi le dos. Et comme pour achever de l'exaspérer, Lupin était en quelques semaines devenu la coqueluche de l'école, populaire comme seuls les Maraudeurs avaient toujours su l'être ! Et Minerva pouvait prétendre autant qu'elle voulait que Lupin pouvait se montrer sévère quand la situation le demandait, Severus attendait de le voir de ses propres yeux pour le croire.
Et puis il y avait toute cette presse, ces allusions aux mauvais traitements que Pétunia et son mari auraient perpétrés sur l'enfant. Et Severus avait passé des nuits à ressasser les fois où Lily s'était détournée de lui à cause de cette même Pétunia, à se souvenir de combien, petite fille, celle-ci avait envié puis méprisé la magie. Il n'avait pas eu trop de mal à croire qu'elle ait pu se montrer dure avec l'enfant, en fait. Il s'était même étonné de ne pas y avoir pensé avant. N'avait-il pas grandi sous la coupe d'un père qui craignait et détestait la magie ? S'il avait gardé toutes ces réflexions pour lui, il n'avait plus manqué une discussion ou un entrefilet dans la presse sur la question de l'avenir d'Harry. Il n'avait donc même pas été étonné quand Lucius et Narcissa l'avaient invité pour le sonder sur l'ampleur du soutien de Dumbledore à la candidature de Lupin. Si cela n'était pas la preuve du pouvoir de nuisance du fils de James ? Réveiller à lui seul tous les fantômes enterrés, cinq ans auparavant, avec son innocence ?
C'était donc avec des sentiments plus qu'ambivalents qu'il avait vu arriver le petit Harry à Poudlard. Il n'avait pas succombé stupidement comme toute l'équipe à sa petite bouille de gamin de cinq ans. Il suffisait de le regarder pour voir qu'il grandirait pour être le portrait craché de son père avec les yeux lumineux de Lily, c'est-à-dire avec un pouvoir de nuisance supérieur encore, si on voulait bien regarder froidement les choses ! Il n'avait donc pas été étonné quand, passé la première timidité, l'enfant avait commencé à tous les faire tourner en bourrique avec ses caprices et ses disparitions. Et il s'était demandé si réellement Lupin croyait pouvoir éduquer le petit monstre comme il le prétendait ! Il aurait presque pris le loup-garou en pitié : fallait-il avoir besoin de reconnaissance pour vouloir se faire appeler "Papa" par un gamin qu'il ne connaissait que depuis quelques semaines !?
Et puis, il avait été étonné. Ce qu'il avait prévu pendant ses nuits blanches ne s'était pas réellement réalisé. Lupin avait réussi à concilier son rôle de professeur et de père adoptif, et même sa condition de loup-garou. Ses élèves avaient un niveau plutôt intéressant, si on les comparait à ce qu'avaient obtenu ses trop nombreux prédécesseurs depuis cinq ans. Après sa fameuse course dans la Forêt interdite, Harry avait semblé se calmer, accepter les règles posées par Lupin et apprendre à se mouvoir dans l'école sans provoquer de catastrophes. Il s'était lié avec des élèves – de façon superficielle bien sûr, vu la différence d'âge – mais sans développer l'arrogance que Severus avait tant attendue. Et il était arrivé aux matchs de Quidditch en portant toutes les couleurs de Poudlard – ce que le directeur de Serpentard ne pouvait que qualifier de bon choix politique.
C'est pour toutes ces raisons mêlées, plus une bonne dose de curiosité l'invitant à se faire une idée par lui-même, que Severus Rogue s'était proposé de prendre l'enfant dans son cours un jour de pleine lune où Minerva avait prévu des travaux pratiques un peu poussés et où Flitwick avait un rhume. L'enfant avait ouvert des yeux verts presque effrayés en entendant la proposition, mais avait pris courageusement sa main après que Dumbledore l'ait invité à suivre le professeur Rogue avec ce commentaire inimitable :
"Mais pourquoi pas, Severus. Je suis sûr que Remus sera d'accord, et vous avez tellement de choses à vous apprendre, Harry et vous !"
Comme s'il avait quoi que ce soit à apprendre d'un mioche de cinq ans et demi ! Le trajet jusqu'à la salle de classe s'était fait dans un quasi-silence. Ce n'est que quelques mètres avant la porte de sa classe que Severus avait demandé :
"Tu sais ce que sont les potions ?"
"Des médicaments ? Quand on est malade ?", essaya Harry à qui vint en premier le souvenir un peu désagréable de la Pimentine.
"Notamment", accepta Severus. "Mais il y a mille usages possibles. Il s'agit toujours de mélanges d'éléments naturels et magiques. Il faut beaucoup de calme et de précision quand on les prépare."
"Je serai sage", promit Harry qui avait maintenant trop l'habitude de se faire petit au fond des salles de classe pour ne pas interpréter correctement l'injonction.
"C'est ce que nous allons voir", commenta Severus en entrant avec lui dans la classe.
Remus avait dû batailler pour qu'Albus les laisse partir une semaine entière dans le Londres moldu.
"Je ne veux pas le couper totalement de ce qui a été son mode de vie jusqu'à maintenant, et puis j'aime cet appartement, je veux le garder, et Lily aurait voulu qu'il soit à l'aise dans les deux mondes, j'en suis sûr", avait-il argumenté. Rien que des choses rationnelles, sauf son envie, mais il avait de nouveau des envies.
"Mais la sécurité de Harry, Remus..."
"Je suis de taille à le protéger, professeur... si tant est qu'il y ait un danger... Qui connaît l'existence de cet appartement ? Son adresse ? Surtout, parmi les sorciers, qui pourraient avoir un intérêt à ce que quelque chose arrive à Harry Potter ?!"
"Remus, ne minorez pas les risques. Je vous sais d'un naturel pessimiste et, pour tout dire, c'est pour beaucoup dans ma décision de soutenir votre adoption de Harry. Parce que les dangers sont multiples et réels, Remus. Vous n'avez pas envie que je le répète, mais rien n'est fini. Voldemort est quelque part. Ses soutiens y croient encore. Et ça n'est qu'une partie du problème. Fudge ne rêve que d'une chose, c'est que la pratique nous donne tort. Il ne faut pas qu'il puisse prendre votre comportement en défaut. Il ne faut pas que quoi que ce soit arrive, Remus !"
"J'en suis très conscient, Professeur. Mais justement, cet appartement moldu, c'est une liberté pour lui et moi, un endroit où nous ne serons pas observés par des dizaines d'élèves, des collègues, des journalistes ou des curieux..."
"Je n'ai pas envie de vous espionner, Remus", avait soufflé Dumbledore sur le ton de l'excuse.
Remus avait retenu son envie de hurler sur son mentor, de réclamer son indépendance, d'annoncer qu'il pouvait, demain, disparaître à tout jamais avec Harry... tout ça ne les mènerait nulle part ; il y avait une partie de vérité dans l'inquiétude de Dumbledore et il le savait. Il fallait négocier.
"Je vous ferai un rapport quotidien, Professeur. Ce que nous avons fait, ce que nous ferons le lendemain", avait-il proposé de sa voix la plus humble.
Dumbledore les avait laissé partir.
C'était le printemps à Londres – en tout cas plus qu'en Écosse, et Harry avait grandi pendant ces presque six mois à ses côtés. Ses vêtements étaient trop chauds et trop petits. Quand ils étaient allés faire des emplettes de nourriture pour leur semaine moldue, Remus avait donc jugé utile de rajouter quelques nouveaux vêtements. Harry avait été moins médusé qu'on dépensât de l'argent pour lui que les premières fois mais toujours incapable de demander quoi que ce soit de lui-même. Il fallait que Remus le questionnât pour savoir s'il préférait un sweat-shirt rouge ou bleu, si l'impression sur le t-shirt lui plaisait ou s'il aimait les chaussettes qu'il avait choisies pour lui. Au moins, maintenant, Harry donnait son avis : il préférait le sweat qui avait une capuche – quelle que soit la couleur ; le t-shirt avec les poissons était joli et, d'ailleurs, il y avait des chaussettes assorties... Remus avait tenu compte de ses choix, et Harry était ouvertement content. Il jouait maintenant à se raconter une histoire, utilisant une des paires de chaussettes à poissons comme des personnages. Remus essayait de ne pas s'impatienter alors que l'enfant avançait lentement, tout à son histoire. Il remarqua ainsi une mère un peu près dans la même situation que lui prendre son fils en poids et le mettre dans le caddie. À bien y regarder, pas mal de parents choisissaient cette solution qui devait permettre à la fois de marcher plus vite et de ne pas perdre sa progéniture. Quand Harry arriva à son niveau, il proposa donc : "Et si tu allais dans le caddie ? On irait plus vite."
"Tante Pétunia… dit que c'est… que je peux marcher", objecta l'enfant avec cette espèce de loyauté qui lui faisait souvent lui indiquer que sa Tante et son Oncle n'auraient pas été aussi gentils que lui.
Remus ravala son envie de dire que si Pétunia était contre, c'était sans doute une bonne idée de faire le contraire.
"Tu marches très bien, Harry, mais parfois Hagrid te porte, Linky… te transporte… Et puis ce n'est pas très intéressant ce supermarché, autant qu'on sorte, non ? Et on sera presque à la même hauteur, on pourra parler", argumenta-t-il plutôt.
Harry, les yeux verts écarquillés mais plus par la surprise qu'autre chose, opina brièvement, et Remus le souleva. S'il prétendait ne pas avoir été souvent dans un caddie, l'enfant savait mieux que Remus ouvrir le siège intégré dans l'objet, nota ce dernier avec un amusement certain. Harry eut l'air un peu excité de se retrouver dans ce siège et Remus imagina sans peine le nombre de fois où il avait dû voir son cousin à cette place et ravaler ses envies. Il évita de lui rappeler de mauvais souvenirs et ne posa pas la question.
Ils n'avaient pas fait dix mètres que Remus vit son fils lever une main et ouvrir la bouche et s'arrêter net dans son élan.
"Qu'est-ce qu'il y a ?", s'inquiéta-t-il. Sans réellement attendre de réponse, il se retourna sans arriver à deviner ce qui avait provoqué la réaction de l'enfant. "Tu as vu quelque chose ?" Harry n'avait pas l'air décidé à répondre alors il recula et comprit qu'ils venaient de dépasser un rayon de jouets. "Tu veux voir les jouets ?", vérifia-t-il, et son ton sidéré le fit grimacer lui-même. Mais comment veux-tu qu'il te réponde oui ?! On dirait que c'est incroyable ! Il ne va pas s'intéresser aux perceuses ou aux épinards !
"Non", souffla Harry sans surprise.
Mais il y avait quelque chose qui arrêtait toujours son regard au-delà de son épaule gauche. Remus se retourna de nouveau ; il y avait un étal de boîtes bleues de diverses tailles. Et elles semblaient bien être l'objet de l'attention de son fils.
"Qu'est-ce que c'est ?", s'enquit-il donc en désignant les boîtes.
"Des Playmobils", indiqua Harry s'animant lentement. "Dudley… il avait le camion de pompiers mais… il l'a cassé – il n'aimait pas trop les Playmobils en fait. Piers lui en avait plein… et, des fois, quand j'allais aussi chez lui et qu'ils… m'oubliaient et je jouais avec… un peu."
Ce n'était pas si souvent que Harry avait raconté avec autant de détails des souvenirs aussi innocents. Remus poussa donc le caddie jusqu'à l'étal. Il vit le camion de pompiers en place d'honneur, ça devait être un jouet prisé.
"Tu jouais avec lesquels ?", questionna-t-il en veillant à être souriant.
Harry l'observa quand même avec circonspection avant de répondre.
"La voiture de police… et l'ambulance…", répondit-il en montrant les jouets en question. Maintenant qu'ils étaient plus près, Remus trouvait les figurines un peu grossières : les personnages étaient très raides et les animaux étrangement squelettiques. Mais les yeux de Harry, eux, brillaient. "Et puis le cirque… même si Piers disait que c'était pour les filles… Ils n'ont pas le cirque", regretta-t-il assez clairement.
Des animaux, il aime bien les boîtes qui proposent des animaux. Il n'a pas tant de jouets magiques avec des animaux à l'exception des peluches, réfléchit Remus. Harry ne sembla pas se formaliser de son silence, observant clairement les boîtes avec intérêt.
"Là…", lâcha-t-il avant de ravaler la suite et de ramener la main qui avait commencé à se tendre contre son torse.
"Oui ?", pressa Remus.
"Là… la maison… elle est un peu comme… la cabane de Hagrid", souffla Harry très bas.
Remus chercha et trouva la boîte avec une maison à colombages, quelques animaux et quelques figurines humaines.
"Celle-là ?" Comme Harry opinait, il s'en empara et la posa entre eux en se demandant s'il se mettait de lui-même dans une situation potentiellement difficile mais en n'ayant pas l'impression que la fuite serait productive. "Il y a un chien et des citrouilles", reconnut-il en regardant son fils adoptif.
"Oui !", confirma Harry visiblement ravi de son commentaire.
OK, s'il la demande, je la prends, décida Remus. Il serait toujours temps de mettre des limites. Une autre fois. Mais Harry restait silencieux, regardant la boîte avec envie mais sans trouver le courage ou simplement de raison d'exprimer ses désirs. On lui a interdit d'avoir envie, se rappela Remus. Est-ce que lui-même ne connaissait pas intimement le processus pernicieux de s'interdire le bonheur ? Est-ce qu'en aidant Harry à admettre ses envies, ils ne prenaient pas une revanche commune contre toutes les Pétunia de ce monde ?
"C'est la boîte que tu préfères ?", s'enquit-il après avoir repoussé d'autres formulations.
Les yeux de Harry s'écarquillèrent et le fixèrent avec des doutes et un espoir qui lui serrèrent le cœur. "Tu ne préfères pas le camion de pompiers ?"
"Il n'y a pas de pompiers", répondit Harry avec un petit geste de la main pour indiquer qu'il retenait les mots "À Poudlard" comme il le lui avait demandé.
"C'est vrai", admit Remus. "Mais est-ce que c'est une raison ?"
Harry sembla réfléchir avec sérieux avec la question.
"Les animaux… et la maison… ils pourraient être… partout…"
C'est une sacrée bonne réponse, ça, Harry, songea Remus. Un sourire le taraudait et il décida de s'y abandonner tout en plaçant la boîte dans le caddie à côté de Harry qui en ouvrit la bouche sans arriver à articuler un son.
