Entre Lune et Étoile
Version EPUB 2020
14 – Matières magiques
Harry jouait avec ses playmobils dans la cabane que Hagrid lui avait construite. Le demi-géant n'était pas loin. Comme d'habitude, Harry avait promis de ne pas s'éloigner. Il était bien pris dans ses histoires quand il avait entendu de petits rires. Nymphadora Tonks, Tanya Sawbridge et Dawn Lawrell se tenaient à l'entrée de sa cabane et lui souriaient.
C'était plus loin que le règlement n'autorisait les élèves à s'enfoncer dans la forêt mais loin encore de la zone dangereuse. Et elles sont en dernière année, remarqua Harry pour lui-même. Il savait que les trois fréquentaient le cours de son père qui leur permettrait de présenter le concours de futurs Aurors – un métier sacrément cool de l'avis de Harry et Ron – encore qu'il y avait aussi joueur de Quidditch dans leur liste.
"Harry, ta cabane cette année est encore plus jolie que les autres fois !", estima Dawn
"C'est Hagrid qui l'a faite", répondit Harry facilement.
"Et ce joli centaure aussi ?", s'enquit alors Tonks qui s'était accroupie pour regarder les figurines. "J'ai jamais vu des playmobils aussi cools !"
"Non" répondit prudemment Harry. "Papa." C'était un mensonge mais pas totalement. Certaines figurines avaient bien été transformées par Remus après tout. "Tu connais les playmobils, Tonks ?"
"J'ai de la famille moldue, Harry", lui apprit la jeune fille en se relevant. Elle n'avait pas cligné des yeux mais ses cheveux prirent la forme des Playmobils réglementaires, et Harry n'arriva pas à garder son sérieux.
"On va réviser et on a de super bons gâteaux au chocolat", ajouta Dawn avec complicité. "Tu veux venir avec nous, Harry ? On va se mettre au soleil, un peu plus loin. "
"Je dois demander", soupira Harry – est-ce qu'un jour il pourrait faire trois pas sans demander l'autorisation ?
"Oui, oui, demande Harry", approuva Tonks, et ses deux copines pouffèrent.
"On ne voudrait SURTOUT pas que le professeur Lupin soit mécontent, n'est-ce pas ?", commenta Tanya, et Dawn rit de nouveau sous cape sans que Harry comprenne bien pourquoi. Ce n'était pas comme si elles ignoraient la règle.
"Ce n'est pas très cool pour Harry de le faire gronder", rappela d'ailleurs Tonks avec une rougeur des joues qui n'avait pas l'air de tenir de la métamorphomagie cette fois.
"Surtout qu'après, c'est Hagrid qui est grondé aussi", renchérit Harry.
"C'est ce qui s'est passé la dernière fois ?", questionna Dawn et elle ne riait plus.
"Papa, il ne crie pas mais... Hagrid après, il ne voulait plus me laisser seul", soupira Harry. L'affaire avait bien deux ans ; la première fois que Tonks et ses copines lui avaient proposé un pique-nique. Évidemment, il avait fallu que Papa et Hagrid le cherchent et ne le trouvent pas tout de suite. Rien de tel pour que Remus se fâche vraiment : qu'il gronde les jeunes filles, qu'il le punisse, qu'il fasse des remarques qui désolent Hagrid. Harry avait fait d'autres goûters improvisés avec des élèves dont les trois jeunes filles depuis mais il avait toujours demandé.
"Il faut éviter ça", reconnut Tanya Sawbridge avec sobriété.
Elles l'attendirent donc, prenant soin d'être visibles pour le garde-chasse, alors que Harry lui courait jusqu'à Hagrid pour obtenir la permission. Quelques minutes plus tard, ils étaient installés, mangeaient des chocolats et riaient aux pitreries de Tonks qui refaisait vraiment très bien Minerva. Elles ouvrirent un peu leurs livres, et Harry joua avec ses figurines pour ne pas les déranger. Elles laissèrent néanmoins tomber leurs révisions pour jouer avec lui, inventant des histoires de combats et de sauvetages magiques qui plurent beaucoup à Harry. Le soleil perdait de sa chaleur quand Remus arriva pour venir le chercher. Harry n'avait pas vu le temps passer.
"Je vois que vous avez pris le parti de révisions au grand air", les salua Remus. Les trois jeunes filles s'étaient redressées.
"J'ai dit à Hagrid", commença Harry.
"Je sais", indiqua Remus. "Merci de t'en être souvenu." Il hésita une fraction de seconde avant de demander : "Je peux m'asseoir ?"
"Bien sûr, Professeur. Vous voulez du gâteau ?", répondit Tanya avec un étrange regard de biais pour Tonks.
"Non, merci", refusa Remus tout en s'installant. "Une raison particulière pour avoir choisi cet endroit ?", s'enquit-il après un silence que personne d'autre n'avait brisé.
"On y est tranquille", essaya Dawn.
"On est au-delà de la limite", soupira Tonks. "C'est ça que vous vous sentez obligé de dire, Professeur, allez-y."
Harry n'eut pas l'impression que Tanya ou Dawn approuvaient le ton de Tonks, mais son Papa avait l'air amusé – pas près à rire ouvertement, mais discrètement amusé.
"Disons que je m'interroge sur la perception que trois futures Aurors ont de l'idée de limite..."
"Si c'était dangereux, est-ce que Hagrid y construirait une cabane pour Harry, Professeur ?", rétorqua Tonks.
"Donc pour vous, mademoiselle Tonks, la définition des limites inclut une zone de tolérance", remarqua Remus sur le ton de la conversation.
"Non ?"
"Je ne suis pas certain qu'on puisse en faire une généralité. Et comment définir l'ampleur de cette zone ?"
"Mais en..." Tonks chercha visiblement le mot : "en l'espèce, Professeur, c'est bien trop près de Poudlard pour que les créatures dangereuses s'y aventurent, non ?"
"Beaucoup de choses me questionnent dans votre affirmation, mademoiselle Tonks. Il faudrait définir ce que vous entendez par créatures dangereuses. Il y a des gens qui me classeraient avec des arguments entendables comme une créature dangereuse. Voire le dirait de Hagrid..."
"Ah bon", s'étonna ouvertement Harry. "Hagrid ?"
Dawn et Tanya ravalèrent leur envie de rire cette fois. Remus, lui, lui sourit.
"On en parlera ensemble plus tard, Harry, si tu veux bien. Je n'ai pas fini de leur répondre. Parce que, et c'est plus sérieux, je ne pense pas que la proximité de Poudlard écarte les créatures dangereuses. Les Forces du Mal, comme nous appelons, seraient plutôt attirées par autant de magie positive, voire fragile, qu'autre chose. Si elles ne s'approchent pas en ce moment, c'est parce que Hagrid est là et qu'il représente le pacte de non-agression mutuel qu'a passé Poudlard avec la faune magique qui l'entoure au travers des siècles. C'est un équilibre momentané et non une vérité immuable, et il ne faut jamais l'oublier."
Les trois jeunes filles opinèrent pensivement et un peu nerveusement. Aucune d'elles, même Tonks, ne trouva à répliquer, et Harry décida de tirer quelque chose au clair.
"Tu les grondes, là, Papa ?"
"Pardon ?", eut l'air de sincèrement s'étonner Remus, mais Harry voulait être sûr.
"Parce que ça ne sert à rien de dire à Hagrid si après tu les grondes", insista l'enfant, et les trois étudiantes eurent l'air d'avoir du mal à ne pas rire cette fois.
"Oh", sourit Remus en passant la main dans des cheveux. "Je ne crois pas, mais tu fais bien de poser la question. Il faut vérifier que ses intentions sont comprises. Est-ce que vous avez l'impression que je vous gronde ?"
"Un peu", admit Dawn très bas. Comme tout le monde la regardait, elle continua : "Vous nous dites que nous sommes trop grandes pour faire comme si le danger n'existait pas, pour ne pas analyser la nature du danger, ou de l'absence de danger…"
"Ça ne me paraît pas un bon lieu pour donner des points mais je suis heureux que certaines idées vous accompagnent", approuva Remus.
"Mais s'il nous grondait vraiment, il enlèverait des points, Harry", ajouta Tonks pour le jeune garçon avec une forme de complicité.
"Comme l'a souligné mademoiselle Lawrell, je tends à penser que vous êtes assez grandes pour prendre vos décisions en fonction d'autre chose que des points gagnés ou perdus", commenta alors Remus.
"Ouch", lâcha Tonks un peu comiquement. "Nous voilà pas grondées avec efficacité, Professeur. J'imagine qu'on ferait mieux de retourner dans notre salle commune."
Dawn se mit immédiatement à ranger les restes du pique-nique et Tanya à ramasser leurs livres.
"Mes remarques n'ont rien à voir avec la présence de Harry avec vous, surtout qu'en effet, vous avez respecté mes règles en la matière", précisa un peu formellement Remus en se levant. Tanya plia le plaid sur lequel ils s'étaient installés.
"C'est la première chose que Harry a dite quand on lui a proposé", indiqua Dawn, mais Remus continuait à regarder Tonks.
"Et Hagrid a dit oui", intervint Harry.
"C'est encore une autre discussion", soupira son Papa.
"Tu ne vas pas gronder ou pas 'pas gronder' Hagrid maintenant !"
"J'ai bien peur que cette conversation-là ait déjà eu lieu, Harry. Les limites existent pour la sécurité de tous. Mais…"
"C'est ça que tu devrais dire !", reprit Harry l'air assez mécontent. "Si vous allez même à la lisière de la forêt, vous prenez le risque de faire gronder Hagrid… parce que personne ne veut qu'on gronde Hagrid !"
Bizarrement, sa sortie eut l'air d'attrister Remus et même les trois étudiantes – comme si ça les éloignait tous de lui.
"Tout le monde ne veut pas protéger Hagrid, Harry", se lança finalement Tonks avec un sourire d'excuse. "C'est bien triste mais c'est la vérité. Et tu fais bien de le rappeler parce que je ne suis pas sûre qu'il aurait accepté qu'on reste si on n'avait pas été avec toi. Comme le dit ton Papa, dès qu'on sort des règles, on rentre sur des équilibres momentanés qu'il faut bien peser… Je lui ferai des excuses."
"Je suis certain qu'il en sera touché, Mademoiselle Tonks", indiqua Remus.
"À demain, Professeur. Bonne soirée, Harry", termina Tonks et ils les regardèrent s'éloigner.
"Tu n'as pas été très gentil avec elles", estima Harry quand elles eurent totalement disparu.
"Je ne rendrai service à personne en étant trop gentil", souffla Remus. "Mais je n'ai grondé personne non plus."
Harry lui prit la main et le regarda : "Elles vont devenir Aurors ?"
"Elles ont de très grandes chances, oui."
"Elles vont me manquer quand elles ne seront plus là. Bill aussi."
"À moi aussi, Harry. À moi aussi."
oo
Tout avait commencé quelques semaines auparavant, alors que Harry s'ennuyait ferme sur un livre de botanique alpine que Severus lui avait donné à lire. C'était le début du deuxième semestre, et les premières années Gryffondors corrigeaient avec leur professeur les devoirs de potions rédigés pendant les vacances.
Pour autant que Harry pût en juger, Severus ne semblait pas content de ce qui lui avait été rendu. Depuis plusieurs minutes, il s'en prenait particulièrement aux devoirs des jumeaux Weasley qui étaient assis juste devant lui, à l'avant-dernier rang.
"Est-ce qu'au moins l'un de vous, messieurs Weasley, pourrait me dire pourquoi on ne peut PAS mettre de l'armoise dans cette potion ?"
Les jumeaux échangèrent des regards aussi nerveux qu'incompétents.
"N'ouvrez-vous donc jamais vos livres ?", s'emporta le professeur Rogue. "N'avez-vous aucun respect pour les gallions que vos parents investissent dans vos études ? Pour leurs sacrifices ?"
Harry savait bien que les Weasley n'avaient pas beaucoup d'or. Depuis qu'il vivait avec Remus, il avait passé de nombreux séjours chez les Weasley – des vacances ou des pleines lunes – et, à chaque fois, son père lui avait rappelé qu'il ne devait rien demander de plus que ce qu'on lui donnerait. Ron avait parfois exprimé que Harry avait de la chance parce qu'il avait de l'argent. L'argument de Severus sembla d'ailleurs faire mouche sur les terribles jumeaux mieux que beaucoup d'autres. Harry se mordit la lèvre, désolé. Il n'aimait pas voir d'autres personnes humiliées, et sa déjà longue pratique de Severus Rogue lui disait que celui-ci n'allait pas s'arrêter en si bonne voie.
"Non ? Voyons si j'ai plus de chance avec vos camarades : est-ce que quelqu'un sait pourquoi cette réponse est particulièrement stupide ?"
Le silence qui s'installa dans le cachot montrait bien que non – ou qu'aucun Gryffondor présent n'osait prendre ainsi le devant de la scène. Severus commença une longue tirade sur leur incompétence à tous. Harry en profita pour se pencher en avant et souffler à George qui était le plus proche :
"Psitt ! Ça aurait fait tout exploser !"
George le regarda sans comprendre : "Quoi ?"
"L'armoise… avec les racines d'hellébore, ça explose", explicita Harry un peu plus fort.
George n'eut pas le temps de considérer la réponse proposée par l'enfant. Severus en deux longues enjambées se tenait entre eux :
"Vous ne vous sentez pas concerné par ce que je dis, Weasley ?"
George baissa la tête, comme pour que l'orage s'éloigne au plus vite.
"Et vous, M. Potter-Lupin ? Vous n'avez donc RIEN à faire ?", continua le Maître des Potions en se tournant vers Harry qui se fit tout petit. Severus ne lui avait jamais parlé comme ça. Généralement il le tutoyait et l'appelait par son prénom. Et Harry n'aimait pas non plus la manière dont il avait appuyé sur la première partie de son nom de famille. Mais l'absence d'opposant n'avait jamais arrêté le Maître des Potions auparavant : "Peut-on savoir ce que vous aviez de si important à vous dire pendant mon cours, tous les deux ?"
Avant que George n'ait rien eu le temps de dire, Harry répondit avec toute la franchise de ses neuf ans : "Je lui disais juste que ça aurait explosé – l'armoise et l'hellébore…" Comme Severus le dévisageait sans rien dire, Harry s'inquiéta : "Non ?"
D'un geste fluide, le Maître des Potions attrapa le parchemin de George, le plaça sous le nez d'Harry et lui demanda d'une voix notoirement plus calme : "Harry, est-ce que tu peux me dire, alors, l'autre énorme erreur de ton ami George Weasley ?"
L'enfant jeta un regard nerveux aux jumeaux, puis lut lentement le devoir de George, étrangement conscient des regards de toute une classe braqués sur lui, du temps qui passait, mais en essayant de rester concentré pour faire une réponse capable de maintenir l'amabilité de Severus Rogue.
"Heu, tu… Enfin, vous voulez dire, en plus de s'être trompé d'ingrédients de liaison ?", il demanda considérablement gêné d'être utilisé pour ridiculiser deux de ses amis.
"Oui", confirma sobrement le Maître des Potions.
"Heu, je dirais que la procédure n'est pas correcte… Il manque un temps de repos et un filtrage", s'aventura Harry malgré tout.
"Peux-tu me dire à quel moment ?"
Si Harry avait levé la tête, il aurait vu de la fascination dans le regard de son Maître et que les autres élèves retenaient leur souffle. Mais il était trop occupé à chercher la bonne réponse.
"Du repos avant de mettre l'hellébore et un filtrage après", finit-il par proposer toujours nerveusement. Il tremblait de ce que Severus ferait d'une réponse fausse.
"Harry, quel âge as-tu ?", demanda Severus après un court silence.
L'enfant leva des yeux, surpris – Severus savait bien son âge ! – mais répondit dans un murmure timide : "9 ans et demi."
"Voilà, messieurs et mesdemoiselles de Gryffondor : cet enfant de 9 ans et demi qui ne suit pas réellement ce cours SAIT comment on fabrique une potion vitalisante. Ça se passe de commentaires, non ? Je veux que TOUS vous repreniez vos devoirs et que vous me les rendiez corrigés dans mon casier avant ce week-end", clama le Maître des Potions en retournant vers le tableau dans une grande envolée de robes.
Harry ne savait pas trop quoi penser de cet incident. Il se replongea timidement dans son livre de botanique et contempla l'aconit, ses différentes variétés et ses vertus médicinales en attendant la fin du cours. Fred, Lee et George lui jetèrent de loin en loin des regards inquisiteurs, mais il n'osa pas lever la tête. Il ne tenait pas à troubler encore le cours de Severus ! Quand le dernier Gryffondor eut quitté la salle, le professeur de Potions ferma la porte derrière lui et revint vers Harry. Celui-ci le regarda s'approcher non sans appréhension.
"Je suis désolé", lança-t-il immédiatement. Comme Severus le dévisageait sans un mot, il ajouta : "Tu vas lui dire ?"
"Qu'entends-tu par là, Harry ?"
"Tu vas dire à mon père que… ce qui s'est passé, hein ?"
La désolation de Harry était tellement perceptible que l'imperturbable Severus s'autorisa à sourire.
"Mais oui. Ça a l'air de t'inquiéter ?", se moqua-t-il. Comme Harry haussait légèrement les épaules, il continua plus sérieusement : "Ce qui s'est passé aujourd'hui, Harry, confirme quelque chose que je pense depuis longtemps. À force d'être là, tu as appris beaucoup de choses. Je me demandais d'ailleurs si tu aimerais participer au cours des premières années, comme élève, j'entends."
"Faire des potions ? Oh, oui !", s'enthousiasma Harry immédiatement, avant de se désoler tout aussi rapidement en se rappelant les limites constantes que Remus mettait à son apprentissage de la magie : "Mais Papa ne voudra jamais !" Sa moue arracha un nouveau sourire à Severus.
"Pourquoi ne me laisserais-tu pas lui en parler, Harry ?"
"Je ne sais pas Severus", soupira Remus en posant sa plume à côté de la pile de devoirs qu'il était en train de corriger avant que Severus ne lui présente sa proposition. Ils étaient tous les deux seuls dans la salle des professeurs. "Il est encore petit ! Je sais son potentiel, mais il n'a pas dix ans ! Je ne veux pas en faire un singe savant. Laissons-le être un enfant !"
"Comme tu veux, Lupin", capitula immédiatement Severus, comme s'il n'avait pas une longue liste de contre-arguments soigneusement préparés dans sa manche. "Je trouve ça simplement dommage…"
Sur ce regret, les deux hommes se replongèrent dans leurs corrections respectives, jusqu'au moment où Remus redemanda pour la cinquième fois :
"Tu dis qu'il savait toutes les réponses ?"
"Oui. L'incompatibilité de l'armoise et de l'hellébore, la nécessité d'introduire cette dernière dans une potion ayant reposé et de filtrer le mélange", répéta patiemment le Maître des Potions, content intérieurement de voir Remus apprivoiser l'idée. Il fallait que la décision vienne de lui pour qu'il accepte, Severus en était quasiment certain. Et il était prêt à pas mal de choses pour que Remus accepte. "Tout, je ne sais pas, mais plus qu'eux tous réunis, en tout cas, oui !"
"Tu peux me mettre dans le lot… Je ne crois pas me souvenir de tout ça !", sourit Remus.
Rogue leva les yeux au ciel, mais ne commenta pas les compétences de Lupin en potions – ou leur absence avouée. Il préféra développer un tout autre argument : "Il n'y a pas de restriction d'usage de la magie en matière de potions, je veux dire pas d'âge minimum. Beaucoup d'écoles primaires magiques donnent des rudiments de potions…"
"Tu ne me parles pas de rudiments", objecta le père adoptif de Harry.
"Je ne parle pas de choses intensives non plus", précisa Severus, bien conscient de la volonté de Lupin de préserver l'enfance de Harry. On lui a volé ses six premières années en un sens, l'avait-il une fois argumenté avec passion auprès de Minerva qui aurait voulu elle aussi accélérer l'apprentissage de la magie de l'enfant. Laissons-lui le temps de jouer et d'ignorer ses pouvoirs ! "Il n'aura pas les devoirs à faire, juste les leçons. Je ne le noterai pas non plus. Il ne fera pas celles que je jugerai trop dangereuses", ajouta-t-il encore pour faire bonne mesure.
Remus le regarda avec un amusement non dissimulé :
"Tu en as vraiment très envie ?"
"De quoi ?"
"De faire de Harry un petit Maître des Potions", constata Lupin.
"Lily n'était pas mauvaise en potions", se défendit Severus comme si c'était une réponse.
"James non plus", objecta Remus.
"Tu veux dire qu'il était meilleur que toi ?"
La pique fit simplement éclater Remus de rire – un rire d'adolescent auquel Severus daigna sourire. Aucune de leurs deux mémoires n'aurait pu trouver un précédent à ce fait extraordinaire. Tous deux eurent la maturité de ne pas le faire remarquer.
"Pourquoi pas, Severus, essayons !", conclut le professeur de Défense Contre les Forces du Mal. "Mais ne viens pas me réclamer de l'or s'il fait exploser ton cachot, hein ?"
C'est ainsi que Harry se retrouva à suivre les cours de Potion des premières années avec différents groupes, dont les Gryffondors première année. De mémoire de Poudlard, aucune autre promotion de la maison rouge et or n'avait pu bénéficier d'autant de patience et de pédagogie de la part du professeur Rogue – au point que les Poufsouffles et les Serdaigles les envient.
Ce jour-là, il faisait équipe avec Fred Weasley sur une potion censée rénover des papiers abîmés par le temps – une chose pas très utile de l'avis d'Harry, mais il était convaincu que son opinion en la matière n'intéressait personne. À la moitié de la préparation, Severus se rendit compte qu'il n'avait pas assez de larves de sauterelles pour tous les élèves.
"Je vais dans la réserve", annonça-t-il. "Pendant mon absence, merci de contrôler votre créativité personnelle et de suivre scrupuleusement les indications au tableau... Lesquelles ne mentionnent en aucun cas de faire exploser ou de renverser quoi que ce soit ! Suis-je bien clair ?"
Même si personne n'osa réellement se réjouir, tous les élèves gagnèrent un ou deux centimètres après la sortie du Maître des Potions. Quand le bruit de ses pas fut remplacé par le silence, les langues se délièrent. Certains se retournèrent pour discuter avec leurs voisins, ne surveillant plus que d'un œil leur potion. Montant d'un cran encore dans l'insouciance, George et Lee commencèrent un concours de celui qui ferait tourner le plus longtemps et le plus vite des morceaux de papier autour de sa baguette. Très vite Fred se mit à faire pareil, s'attirant le regard envieux et flatteur de Harry. Finalement, son partenaire de potion lui proposa d'essayer :
"Tu veux ? C'est facile : tu prends ta baguette, tu lui imprimes des petits mouvements circulaires, comme ça et tu répètes "circulo". Voilà, ça tourne !"
"Je n'ai pas de baguette, Fred", lui rappela doucement Harry.
"Prends la mienne !", offrit son ami.
Harry se retourna vers la porte ouverte du cachot. Pas de bruits de pas. Severus ne semblait pas prêt de revenir. Pourtant, il n'osait pas :
"Je ne sais pas, j'ai pas le droit… Je suis trop petit."
"Arrête !", s'amusa Fred, "Même Ron sait le faire ! Et toi, t'es quand même Harry Potter ! Et puis, t'as vu les potions que tu sais faire à neuf ans ? Allez, c'est facile, essaie !"
Harry hésita encore. Il n'avait presque jamais encore osé toucher une baguette, tant Remus avait insisté sur son interdiction. Jamais, il ne s'était risqué à essayer de lancer un sort. En même temps, il en avait toujours eu très envie… Et là, à regarder faire Fred, ça semblait vraiment enfantin. Harry hocha la tête presque sans l'avoir décidé. Le frère de Ron arrêta immédiatement pour lui tendre sa baguette. Quand il s'en saisit, Harry sentit de légers picotements dans ses doigts mais n'osa pas demander si c'était normal de peur de passer pour un bébé, de montrer son inexpérience en la matière et de faire revenir son équipier sur sa décision. Sans attendre ni faire attention à l'hésitation de l'enfant, Fred avait disposé les petits morceaux de parchemins sur la table :
"Vas-y ! Dis "Circulo" et agite la baguette au-dessus des papiers", l'invita-t-il.
"Circulo", murmura Harry, la gorge un peu serrée par l'émotion.
Les papiers décollèrent immédiatement de la table pour son plus grand plaisir. Harry fit alors des cercles – de trop grands cercles auraient sans doute remarqué des sorciers plus expérimentés – avec sa baguette. Et, c'est le contenu du chaudron trop proche sur leur table qui se mit à tourner sans qu'aucun des jeunes sorciers ne s'en préoccupât à temps. Bientôt, une sorte de mini-tornade sortit du chaudron avec un bruit de tonnerre pour tout asperger dans un rayon d'un bon mètre. Les élèves glapirent de surprise voire de douleur pour ceux qui reçurent le contenu du chaudron dans les yeux. Harry en lâcha la baguette de Fred qui alla rebondir sur le sol souillé. Au-delà des visages hébétés et sales de ses camarades, Harry vit – avec un mélange d'inquiétude et de soulagement – Severus revenir au pas de course dans la classe.
"Qu'est-ce qui se passe ici ?!", rugit-il à la cantonade. Puis localisant la source du désordre, il se précipita : "Harry ? Tu es blessé ?"
L'enfant fit non de la tête sans oser le regarder. Contemplant la scène, Severus pointa la baguette qui avait roulé au milieu de la travée et tonna :
"À qui appartient cette baguette ?"
Les oreilles rouges de Fred le trahirent.
"Quelle surprise", susurra Rogue en sortant sa propre baguette de ses robes. Même si Harry ne pouvait pas réellement penser que Severus lui jette un sort, il se raidit presque autant que Fred en la voyant. Mais le "Evanesco" de Rogue n'était destiné qu'aux dégâts sur le sol.
"Vous allez amener cet enfant à son père, M. Weasley," annonça-t-il ensuite, "et lui expliquer comment et pourquoi vous avez jugé bon de le laisser utiliser votre baguette. Je suis sûr que le professeur Lupin sera sincèrement intéressé..."
Fred ouvrit la bouche et la referma, visiblement accablé par la décision de Rogue. Harry essaya d'intervenir :
"Sev... Professeur, c'est moi..."
"Garde donc tes excuses pour ton père, Harry, moi, je t'ai assez vu pour aujourd'hui", le coupa abruptement le Maître des Potions.
Harry sentit les larmes lui monter très rapidement aux yeux.
"Ah, c'est trop tôt ou trop tard pour pleurer, Monsieur Lupin ! Allez ouste ! Et ne traînez pas en route !"
Au moment où Fred et Harry allaient sortir, Severus ajouta : "Bien sûr, M. Weasley, n'espérez pas que votre triste prestation d'aujourd'hui vous rapporte plus qu'un Troll !"
Dans l'escalier qui les menait vers le grand Hall, Harry voulut s'excuser, mais Fred haussa les épaules avec philosophie.
"Pour une fois, tu vois, je crois que Rogue a raison... C'est bien à moi, d'aller voir ton père. Et, quitte à avoir une retenue, j'aime autant que ce soit avec lui, tu sais."
"Ah", commenta Harry, découvrant avec un certain intérêt le point de vue de Fred sur l'incident. Il voulait bien admettre que son père soit moins intimidant que Severus Rogue pour les élèves. Mais ça ne suffisait pas à le dédouaner ses propres choix, décida-t-il. "Quand même, c'est de ma faute", souffla-t-il, sincèrement désolé.
"Moitié, moitié, non ?"
"OK", admit Harry, rasséréné de voir que le grand frère de Ron ne lui en tenait pas rigueur. Il espérait que Remus ne serait pas trop sévère avec lui parce qu'il avait juste voulu le faire participer à leurs jeux, sans vraiment voir comment obtenir ce résultat.
Ils étaient presque arrivés, quand Fred s'arrêta et murmura : "Si tu veux, j'insiste pour lui dire que c'est moi qui t'ai poussé à essayer. De toute façon, si c'est pas lui, ce sera Rogue qui me collera en retenue. Comme ça, j'imagine qu'il ne te grondera que pour la forme..."
"Et ?", s'enquit Harry qui avait bien senti que la proposition n'était pas totalement désintéressée.
"Tu me dis comment trouver des licornes dans la Forêt magique ?"
L'entrevue avec Remus se passa peu ou prou de la manière dont Fred l'avait anticipée. Ils étaient arrivés au milieu du cours de cinquième année – heureusement aucun autre Weasley n'en faisait partie, avait mesuré Harry en croisant les regards curieux des élèves. Devant l'inquiétude manifeste de Remus de les voir entrer dans sa classe, Fred avait joué à fond la carte de sa culpabilité :
"Le professeur Rogue m'envoie expliquer ce qu'il vient de se passer en potions", il avait avoué sans détour. "Il était sorti, j'ai... je faisais des cercles avec ma baguette... pour faire tourner des morceaux de papier... et Harry... était fasciné... et… je lui ai proposé d'en faire autant et... le contenu du chaudron le plus proche…"
Les rires réprimés des Serdaigles l'avaient dispensé de finir son explication.
"Vous avez prêté votre baguette à Harry, Monsieur Weasley ?", avait résumé Remus.
"Oui", avait reconnu le jeune Gryffondor avec l'air de regretter une formulation aussi sobre.
Remus avait assigné une lecture à ses élèves et était sorti avec eux dans le couloir, laissant néanmoins la porte ouverte derrière eux pour renforcer ses instructions de silence et de concentration. Harry avait imaginé que tous tendaient plutôt l'oreille à ce qui allait être dit dans le couloir et s'était répété qu'il détestait quand tout le monde savait qu'il faisait des bêtises. Lupin n'avait pas élevé la voix : il avait commencé par remercier le jeune Weasley de sa franchise, avant de rappeler longuement les risques associés à l'usage d'une baguette par un enfant trop jeune pour maîtriser ses pouvoirs.
"Mais Fred a dit que Ron le f…", était intervenu innocemment Harry, avec l'intention maladroite de venir au secours de son camarade.
"Ron ?", avait souligné Remus l'air plutôt moins enclin au pardon que précédemment. "Je doute que vos parents apprécieraient cette information, Frédéric !"
"Non, professeur", avait reconnu le coupable. "Mais j'ai dit ça pour rassurer Harry... Ron a essayé quand Charlie nous a montré ce tour à George et moi, quand on a eu nos baguettes... On était dans le jardin... Il a soulevé des feuilles... pas aussi haut que Harry... pas le contenu d'un chaudron... Je suis désolé."
"Mais les risques demeurent, Frédéric. Je pense que vous les sous-estimez beaucoup trop", avait insisté Remus. "J'attends de vous un essai sur quand, comment et pourquoi on a jugé bon d'encadrer l'utilisation des baguettes magiques en Angleterre... Il y a sans doute de quoi remplir facilement un rouleau de parchemin. Comme le sujet risque d'être un peu ardu pour un première année, je vous laisse dix jours pour le faire. Si vous devez demander de l'aide à Charlie, je pense que ça ne fera qu'améliorer votre appréhension familiale du danger."
Devant la grimace de Fred, Harry avait compris que Remus prévoyait d'en toucher un mot au quatrième année. Conscient qu'il était sans doute responsable de cette évolution, il se retint néanmoins de protester de peur d'envenimer encore les choses. De toute façon, Remus se tournait vers lui :
"Harry, même si je comprends que tu aies envie d'utiliser une baguette, il me semble bien que j'avais été clair. Et si j'entends bien que Frédéric t'y a incité, le fait que tu l'aies fait au beau milieu de la classe de Severus est assez ennuyeux : je ne peux pas avoir l'air de cautionner que tu fasses n'importe quoi", avait-il conclu en lui prenant le menton pour lui relever la tête. "Tu ne dîneras pas dans la Grande salle ce soir et je veux que tu fasses des excuses à Severus demain. Maintenant, vous allez vous asseoir tous les deux au fond de ma classe. Je ne vais pas vous laisser vagabonder et créer plus de désordre aujourd'hui."
"Tu me montreras quand même les licornes ?", s'était inquiété Fred quelques minutes plus tard, montrant qu'il prenait le reste avec philosophie.
"Oh oui, bien sûr", avait soufflé précipitamment Harry, peu soucieux de discuter maintenant alors que la classe de son père les observait à la dérobée.
Le soir même, il s'apprêtait à aller se coucher sous la supervision de Linky quand Remus revint du dîner dans la Grande Salle. Il n'était pas seul, Grand-père Albus l'accompagnait. Harry se rappelait bien à quel moment il avait commencé à l'appeler Grand-père. C'était quelques semaines après la décision du tribunal confirmant son adoption pleine et entière par Remus Lupin. Un soir de pleine lune où Albus avait proposé de s'occuper de lui. Le vieux sorcier était venu derrière lui alors que l'enfant regardait le parc assombri par la nuit tombante :
"Tu t'inquiètes pour Remus", avait-il constaté.
"Je n'arrive pas à imaginer", avait reconnu l'enfant, soulagé de ne pas avoir à expliciter ses inquiétudes.
"À cette heure, il n'est pas encore transformé. Il ne le sera que quand la lune pleine apparaîtra dans le ciel", avait indiqué lentement Albus.
"Oh", avait commenté Harry intéressé et étonné que son père s'enferme si tôt avant sa transformation.
"L'angoisse d'un loup-garou responsable est d'être pris par surprise", avait correctement interprété le vieux sorcier.
"Et les autres... ont peur ?", avait osé demander Harry.
"Les autres... L'humain se définit souvent par opposition à l'animal, Harry. La transformation de l'un en l'autre, même de manière temporaire, réveille la peur de l'homme de perdre son humanité."
L'enfant avait acquiescé, heureux d'entendre des paroles – même compliquées – sur l'étrange condition faite à son père adoptif.
"Merci de m'expliquer, Professeur !"
"Tu ne vas pas toujours m'appeler professeur, Harry, si ?"
"Papa t'appelle professeur", avait-il remarqué simplement.
"Je sais. Il va falloir que j'y remédie", avait reconnu Albus. "Il est temps que les hommes s'affirment, que certains formalismes soient rangés avec les souvenirs d'enfance. Ton Papa, ou Severus, acceptent et assument d'importantes responsabilités. Le temps de la fausse modestie est passé. Je voudrais que tu voies en moi une sorte de grand-père, Harry. Je me sens grandement responsable de la génération de tes parents. Ils sont un peu les enfants que je n'ai jamais eus. Peut-être à cause de la guerre, je les considérais comme mes héritiers : James, Lily, Remus..."
Il avait eu cette interruption pendant laquelle Harry s'était bien sûr demandé où il aurait rangé ce parrain, Sirius, qui avait fini à Azkaban ou cet autre, Peter, qui était mort en même temps que ses parents. "Tu es en quelque sorte le petit-fils que je n'aurai jamais", avait conclu le vieux sorcier pas moins rêveur que lui.
"Grand-père Albus ?", avait proposé Harry un peu intimidé.
"Avec plaisir, Harry !"
De fait, Remus et Severus s'étaient mis quelques semaines plus tard à l'appeler en privé Albus, et Harry avait eu l'impression que les trois hommes n'avaient jamais eu autant de réunions tous ensemble. Comme cet état de choses avait perduré, il avait fini par l'accepter.
"Grand-père !", s'écria-t-il donc en se jetant avec joie dans les bras du vieil homme, escomptant plus ou moins échapper à une mise au lit immédiate.
"Bonsoir, Harry. J'ai appris que tu avais trouvé judicieux de faire des essais de baguette dans le cours de Severus ? Tes petits camarades ont dû bien apprécier !"
"Albus, ne l'encouragez pas !", protesta Remus, alors que Harry mesurait une nouvelle fois combien tous ses faits et gestes étaient observés à Poudlard. "Déjà que je ne l'ai pas grondé très fort !"
"Les grands-pères sont là pour transmettre la relativité des choses, selon moi, Remus", estima le vieux sorcier avec un sourire serein. "Et les pères n'ont pas toujours besoin de gronder très fort pour être entendus, n'est-ce pas, Harry ?"
"Mais ils sont là pour rappeler que c'est l'heure d'aller se coucher", avait estimé Remus avec autorité. "Je suis revenu exprès pour te dire bonsoir, Harry, mais nous avons à travailler – Grand-père, Severus, Minerva et moi – ce soir. Nous serons ici dans ce salon, à côté de toi. Tu ne voudrais pas que Severus te trouve encore debout quand il arrivera ?", avait-il ajouté avec un air plus moqueur que sévère, mais tout aussi efficace pour anéantir les dernières prétentions de Harry à rester avec eux.
ooo
C'est presque par hasard que Harry se retrouva une dizaine de jours plus tard sur les gradins du stade de Quidditch à la fin d'une après-midi qui semblait déjà annoncer le printemps. Il revenait avec Hagrid de la Forêt interdite. Il était un peu fatigué et ses pieds étaient boueux, mais il s'était bien amusé. Il n'avait pas beaucoup d'autres envies que de rentrer goûter et jouer calmement dans sa chambre, quand Hagrid s'arrêta net :
"Mille milliards de verracrasses, fallait que j'oublie ça !"
"Quoi ?", s'inquiéta Harry.
"Le flacon... Je ne peux pas le laisser dans la forêt !", maugréa le garde-chasse.
Harry soupira en s'imaginant refaire le chemin inverse à la remorque du demi-géant jusqu'à l'endroit où ils avaient soigné une licorne qui boitait. Hagrid sembla s'en rendre compte.
"Ça fait un bout de chemin pour toi, bonhomme, hein ? Bon... Hum... Et si tu m'attendais ici ?", proposa le garde-chasse en montrant le terrain de Quidditch où s'entraînait l'équipe de Poufsouffle. "Tu ne bouges pas de là, hein ? Sous aucun prétexte !"
Trop heureux de la proposition, Harry promit sans hésiter et s'installa sur les gradins. Il était ravi de regarder les joueurs évoluer dans les airs, de voir les Batteurs projeter les Cognards de toutes leurs forces et les Poursuiveurs se lancer avec adresse le Souafle au travers des airs. Il adorait le Quidditch. Il n'avait pas d'autre rêve que, un jour, se mesurer à d'autres joueurs. Avec Ron, ils en parlaient à chaque fois qu'ils se voyaient. Quand ils ne jouaient pas à incarner leur rêve, les deux pieds sur le sol, armé d'un ballon en mousse et d'une épée en bois qui servait de batte !
Parce que malgré le balai offert par Minerva à Noël, Remus maintenait qu'il n'était ABSOLUMENT pas prêt à jouer au Quidditch avec. Qu'il apprenne d'abord à maîtriser son engin, qu'il fasse la preuve qu'on pouvait lui faire confiance pour limiter les prises de risques et on en reparlerait ! De l'avis secret de Harry, ce n'était pas pour tout de suite, sans doute pas avant qu'il entre à Poudlard.
Le Capitaine des Poufsouffles leva soudain la main, arrêtant les joueurs, et tous se réunirent autour de lui. Il expliquait visiblement une stratégie compliquée à en juger par ses gestes. Harry aurait aimé entendre ce qu'il proposait. Sans trop le décider, il quitta le gradin où il était sagement assis et vint s'appuyer contre la rambarde. Sans vraiment s'en rendre compte, Harry s'imagina à la place du capitaine ; il mettait au point des feintes nouvelles et acclamées de tous. Tout à sa rêverie, et plus par jeu qu'autre chose, il ne réfléchit pas réellement au fait qu'il enjambait la rambarde comme un balai virtuel. Il ne fit pas plus attention à l'entraînement qui reprenait. Il entendit juste quelqu'un hurler :
"Harry, le Cognard !"
Il tourna la tête pour voir la grosse sphère métallique foncer vers lui, poursuivie par deux des joueurs qui espéraient sans doute encore l'arrêter. Ensuite, il ne réfléchit pas plus mais il se retrouva l'instant d'après accroché en haut d'une des grandes hampes qui portaient le dais des gradins. Quand il baissa les yeux et vit le sol très loin au-dessous de lui, la tête lui tourna un peu.
"Ne lâche pas", hurla un autre joueur qui fonçait vers lui.
Harry s'agrippa par réflexe plus étroitement à la hampe, terrorisé par toute la situation – et s'il tombait ? Et qu'allait dire Hagrid s'il le voyait là ? Pourquoi se mettait-il toujours dans des situations pareilles ?
"Harry", reprit le joueur qui était maintenant tout près de lui, "ne lâche pas, OK ? Je suis là, je vais t'attraper."
Harry sentit les mains du garçon prendre sa taille et l'attirer vers lui.
"Lâche une main... Voilà... enjambe le balai... Très bien... l'autre main maintenant..."
Quand le poids de Harry fut entièrement sur le balai, l'engin piqua un peu du nez mais le joueur l'empoigna fermement et le redressa.
"N'aie pas peur."
"Je n'ai pas peur", affirma Harry, surpris lui-même que ce soit aussi vrai.
"On va redescendre maintenant, OK ?", continua toujours gentiment le garçon.
"OK", répondit Harry faisant son maximum pour être petit entre ses bras et ne pas le gêner. "Je suis désolé", il ajouta.
"Tout finit bien", répondit l'autre en laissant doucement glisser le balai vers le sol. "Oh, je crois que ton père est là."
Harry baissa les yeux sur le sol et les vit, Hagrid et Remus, qui accouraient sur le terrain, chacun venant d'une direction différente. Il aurait bien aimé dire au garçon de remonter mais c'était trop tard – sans compter qu'il doutait que ce dernier lui obéisse.
"Merci, M. Diggory", commenta sobrement Remus quand ils prirent pied sur le terrain.
"De rien, Professeur. On ne l'avait pas vu avant... Et lui jouait sur la rambarde. Il n'a vu le Cognard qu'au dernier moment."
Remus hocha la tête, sans dire s'il réellement croyait la version du Poufsouffle. Le reste de l'équipe les avait maintenant rejoints.
"De toute façon, on a fini", ajouta alors le capitaine de l'équipe comme s'il jugeait que c'était la meilleure façon de mettre fin à l'incident. "Mais encore désolé, professeur."
"C'est un accident", le rassura Remus avant de se tourner vers le garçon qui avait tenait toujours son fils entre ses bras. "Vous me prêtez votre balai, M. Diggory ?", demanda-t-il, à la surprise de tous, Harry compris.
"Bien sûr", accepta le jeune Poufsouffle par pur automatisme.
Avant que quiconque ne pose une question, Remus prit sa place derrière Harry.
"Nous allons faire un petit tour, tous les deux", expliqua-t-il aux élèves médusés. "Merci encore pour votre réaction rapide et efficace. Dix points pour Poufsouffle."
Avant que les élèves aient remercié, le père et le fils étaient dans le ciel.
"Je suis désolé", répéta Harry, incapable de trouver quoi que ce soit d'autre à dire.
"Encore", sourit Remus derrière lui.
"J'aurais pas dû... me mettre sur la rambarde", développa l'enfant, regrettant sincèrement un incident qui allait être avidement commenté dans la Grande Salle et à la table des professeurs, il le savait. Même s'il était sûr maintenant de l'affection de Remus pour lui, il lui paraissait toujours qu'être sage et obéissant était le minimum qu'il pouvait faire pour un homme qui l'avait tiré de chez les Dursley. Ce n'était pas réellement une pensée qu'il aurait formulée mais, à chaque fois qu'il se sentait pris en faute, il avait confusément l'impression qu'il aurait mérité que Remus se détourne de lui.
"Elle n'est effectivement pas faite pour ça", commenta simplement ce dernier. "Ni la hampe pour faire de la gymnastique."
Sa voix avait l'air plus amusée qu'autre chose, mais Harry tint à s'excuser encore :
"Je ne sais vraiment pas comment je suis arrivé là-haut, Papa !", promit-il, des larmes dans la voix.
"Allons, Harry, ne me dis pas que tu ne sais toujours pas de quoi la magie est capable !"
"La magie ?"
"Tu as eu peur, et ta magie naturelle t'a sorti de la trajectoire du Cognard. Tu l'aurais voulu consciemment que tu n'y serais pas arrivé... Tu as tout simplement transplané – ce qui est d'ailleurs normalement impossible aux humains dans l'enceinte de l'école", expliqua Remus.
"Oh", souffla Harry impressionné. Il ne savait pas pour autant si c'était un mal ou un bien. "Et.. ce n'est pas une bêtise ?", s'enquit-il innocemment – après tout, dire à Fred où trouver des licornes avait été qualifiée par Remus de "grosse bêtise frisant l'irresponsabilité" et sanctionnée comme telle. Quand la magie entrait dans l'équation, les catégories entre le permis et l'interdit lui semblaient toujours relativement fluctuantes.
"La magie spontanée est irrépressible, Harry", répondit son père d'un ton franchement amusé. "Comment serait-ce une bêtise ? Est-ce qu'on reproche aux dragons de cracher du feu ? Aux chevaux de savoir sauter un obstacle ? Aux oiseaux de voler ?"
"Ah", commenta Harry un peu rasséréné. "Tu n'es pas en colère, alors ?"
"J'ai eu un peu peur quand je t'ai vu – où est Hagrid ?", reconnut Remus.
"Parti rechercher un flacon qu'il a oublié dans la forêt. Il a dit de l'attendre – j'ai attendu", précisa l'enfant avec une nouvelle inquiétude. "Et c'est pas sa faute !"
"J'ai déjà dit que je pensais que c'était un accident", rappela patiemment Remus, content quelque part que Harry s'inquiète de sa propre responsabilité et amusé de sa protection automatique de Hagrid. "Je n'ai aucune raison d'être fâché et, généralement, dans les familles sorcières, Harry, quand un enfant montre pour la première fois des capacités magiques certaines, on ne le gronde pas. On fait plutôt une fête..."
"Une fête ?", répéta Harry, émerveillé.
"Tu voudrais ça ?", demanda Remus très doucement.
Pour toute réponse, Harry se laissa aller contre son père.
