Entre Lune et Étoile

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15. La répartition des poids

(ex : Attrapeur d'étoile !)

Chapitre 1 | La répartition des poids

Quand le dernier membre du Conseil eut disparu dans le dernier carrosse, Remus laissa échapper un soupir qu'il ne savait pas avoir retenu. Severus à sa droite, leva les yeux au ciel en l'entendant. Finalement, le Serpentard craignait plus que lui d'afficher ses craintes. Albus, à sa gauche, mit sa main assez paternellement sur son épaule :

"J'étais sûr que nous allions les convaincre, Remus."

"Que vous alliez les convaincre, Albus", corrigea l'interpellé, qui ne voyait pas l'intérêt de se voiler la face : son acceptation par la communauté magique britannique restait entièrement conditionnée par la protection du vainqueur de Grindelwald. Remus ne lui en voulait pas – au contraire. Il avait même appris à accepter que l'homme se serve de lui et de Harry. C'était un échange en quelque sorte – protection contre réputation. Parfois, il arrivait même à se dire qu'il y avait plus maintenant dans leur relation : qu'il avait fait la preuve non seulement de son dévouement et de sa fidélité mais aussi de son efficacité. Mais malgré les années, Remus n'osait que rarement exprimer, même pour lui-même, autant d'autosatisfaction.

"Non, nous, tous les trois", insista néanmoins le vieux sorcier. "Je ne sous-estime pas mon influence, mais ils ne m'auraient pas écouté si la solution que nous leur avons proposée n'avait pas été séduisante en elle-même."

"Cette chimère d'unité !", maugréa Severus avec plus de dédain que d'amertume.

"Je sais, Severus", lui concéda immédiatement Albus. "Ils vous classent dans un groupe qui ne vous correspond pas ou plus", précisa-t-il prévenant ainsi la réaction du Maître des Potions, "Et en acceptant cette erreur, vous nous rendez service – un service incommensurable de plus ! Et Remus et moi vous remercions…"

Le compliment agaça visiblement l'homme qui se raidit :

"Si vous voulez dire, Albus, qu'ils viennent de nous choisir tous les deux sous de fausses apparences !", éternua-t-il.

"Je ne crois pas que l'équilibre entre les deux camps ait été leur seul souci", essaya de modérer Remus. Il se voulait aussi lucide que Severus sans renoncer pour autant à tout espoir d'amélioration. Il avait aimé notamment le ton du vibrant discours de Griselda Marchbanks, qui avait souligné l'importance de la continuité dans les enseignements de Poudlard.

"J'ose l'espérer", renchérit leur mentor commun. "Mais, quelles que soient leurs raisons, l'important est vos nominations. Je laisse Poudlard entre de bonnes mains et, pour moi, c'est le plus important !"

Comme aucun des deux professeurs n'osait réellement commenter ce nouveau compliment, Dumbledore reprit :

"Nous devrions fêter ça ! Pouvez-vous partager mon repas, l'un et l'autre ?"

"J'ai promis à Harry de le rejoindre dès que j'aurais fini", répondit d'abord Remus, désolé de devoir dire non. "Il fait beau, et il y a longtemps qu'il a envie de faire un pique-nique ! Mais…"

"Très bonne idée, vous avez besoin de ce temps tous les deux", applaudit Albus sans le laisser finir.

"Moi, Albus, j'avais prévu de profiter du reste de mon week-end pour travailler dans mon laboratoire. Mais bien sûr, si vous le souhaitez…", indiqua le second.

"Bien sûr, des hommes de votre âge ont des projets, des dizaines de projets, et c'est ce qui fait leur force... J'irais sans doute déjeuner avec mon frère, il y a trop longtemps que nous ne nous sommes pas disputés", termina Albus comme pour bien marquer que la question était close.

Quand Severus et Albus l'eurent quitté en lui souhaitant une bonne après-midi dehors avec Harry, Remus se dirigea vers les cuisines

"Maître Remus", l'accueillit Linky avec son enthousiasme habituel. "Le pique-nique est prêt !"

"Magnifique", apprécia Remus en regardant le grand panier concocté par l'elfe.

Il y avait cinq sortes de sandwichs, un gâteau, une bouteille de limonade, des pommes, un thermos de thé, du chocolat et une grande couverture moelleuse. Tout le nécessaire pour un dimanche après-midi confortable et tranquille. Le genre d'après-midi calme et tranquille qu'il avait si longtemps pensé être hors de sa portée. Leur fréquente répétition n'y changeait rien : la seule possibilité d'autant de bonheur domestique l'émerveillait.

"Linky n'a rien dit à Maître Harry", ajouta l'elfe, avec une grande jubilation. "La dernière fois qu'elle est allée voir, il travaillait à ses devoirs !"

"Très bien", commenta Remus, qui savait ce qu'il devait à l'elfe dans la gestion quotidienne de Harry. Et mes nouvelles fonctions ne vont sans doute pas améliorer ma disponibilité – raison de plus pour ne plus tarder et partager ce pique-nique !, se répéta-t-il.

Sortant sa baguette, Remus réduisit l'ensemble jusqu'à ce qu'il prenne la taille et le poids d'un galet qu'il pouvait glisser dans sa poche. Chargé de cette promesse, il traversa de nouveau le château en direction de l'aile des professeurs. C'était peut-être une idée qu'il se faisait, mais il avait l'impression que quelque chose avait changé : son esprit restait tout entier tendu vers une sorte de chant qu'il avait l'impression d'entendre pour la première fois.

C'était comme si le château tout entier résonnait de cette musique. La magie de Poudlard lui parvenait – hermétique encore, mais perceptible. Sa propre magie s'en nourrissait, un lien se tissait. Et ce château – ses pierres, son parc, son histoire et ses fantômes – qui lui avait toujours paru un refuge, prenait de nouvelles dimensions. Il devenait un partenaire, un alter ego magique, et le sens de ses nouvelles fonctions lui apparut plus clairement.

Au deuxième étage de l'aile des professeurs, au bout du couloir à gauche, Remus entra dans son salon ensoleillé par le soleil de juillet. Sans y avoir réfléchi auparavant, il sut qu'il ne changerait pas de logement quand sa nomination serait effective. Il faudrait peut-être une pièce supplémentaire pour qu'il ait un bureau plus conséquent. Il y ferait dresser une bibliothèque suffisante pour accueillir tous ses livres. Mais il resterait là où il avait osé prendre racine, décida-t-il. Là où Harry avait appris à sourire et à s'ouvrir au monde.

Son fils lisait allongé sur le sol devant une fenêtre ouverte. Lupin prit le temps de l'observer avant de lui parler. Il avait beaucoup grandi depuis qu'il vivait avec lui, et le gosse maigrichon qu'il avait adopté lui semblait bien maintenant dans la moyenne des enfants de son âge, même si Ron était plus grand et plus large que lui. Dans un an, les deux amis entreraient à leur tour à Poudlard. Dans juste une année, c'était presque incroyable !

Ses cheveux noirs étaient absolument incoiffables – comme ceux de James. Son visage, sa façon de marcher étaient aussi clairement ceux de son père biologique. Ses yeux restaient évidemment ceux de sa mère, même s'ils avaient autant besoin de correction que ceux de son père. Mais si l'on oubliait l'aspect physique, songea Remus avec un mélange d'orgueil et de gêne, il était aussi clairement un Lupin. Il se reconnaissait dans sa façon d'écouter les autres sans mots dire et d'attirer les confidences – ce qui n'avait jamais été un grand fort ni de James, ni de Lily. Harry aimait aussi beaucoup lire mais surtout il optait de plus en plus pour une façon de parler tout à fait lupinesque. Cette manière d'affirmer des choses d'une voix calme, mais inflexible, cette dérision tranquille et rarement agressive, il les cultivait, Remus le voyait bien et, fallait-il le dire, s'en réjouissait.

"Tu fais quoi ?", lança-t-il finalement, faisant sursauter l'enfant.

"Ah, c'est toi, Papa ? Déjà ! Je croyais que tu avais une grande réunion ce matin ?"

"Finie !", annonça Remus sans cacher sa satisfaction. Il était toujours content d'avoir plus de temps que prévu à accorder à son fils.

"Super !", se réjouit Harry avec une apparente sincérité.

"Tu ne m'as pas répondu ?"

"Ah, heu, b'en mon latin, bien sûr !" Harry souleva son livre pour confirmer ses paroles.

Depuis six mois, Remus et Minerva lui enseignaient le latin – "Une lacune trop courante dans l'instruction des sorciers", avaient-ils professé tous les deux. "Tout le monde lance des incantations latines à longueur de journée, personne ne sait ce qu'il dit !"

"Bien ! Je voulais juste être sûr", répondit Remus en souriant.

"Tu veux m'interroger ?", proposa Harry.

"Non, non, en tout cas, pas maintenant. Tu viendrais faire un tour dehors avec moi ?"

Harry le regarda intensément. Il le connaissait son père maintenant. Dès que quelque chose le tracassait, il partait marcher des heures, des jours… comme si la réponse se trouvait quelque part sur le chemin qu'il empruntait. Il lui lança un regard inquisiteur. Non, décida-t-il, il n'avait pas ce visage fermé et lointain qui trahissait les crises les plus graves. Il avait même plutôt l'air satisfait. Il n'y avait qu'une façon de savoir ce que cachait cette envie de marcher, et Harry sauta sur ses pieds.

"Allez ! On va où ?"

Comme l'enfant aurait pu le prédire, son père haussa les épaules :

"Où tu veux, Harry… à Pré-au-lard ?"

"D'accord", répondit Harry qui n'avait pas plus d'opinions.

Père et fils traversèrent le château. Dehors l'air était léger, et ils partirent d'un bon pas vers la sortie du parc. Entre Remus et Hagrid, Harry était devenu un marcheur tout à fait acceptable – même s'il préférait plus que tout voler sur le balai que Minerva lui avait offert lors du dernier Noël. Remus n'avait pas sauté de joie au début.

"Vraiment, Minerva, il est encore trop jeune !"

"Allons, Lupin, à quel âge avez-vous appris à voler ?"

"À Poudlard, Minerva, pas avant !"

"Mais Harry EST déjà à Poudlard, Remus !", avait répondu la vieille dame avec beaucoup de malice.

Mais, Remus ne s'était pas défilé, devait reconnaître Harry. Il aurait pu demander au Professeur Bibine mais, non, il avait volé avec lui. Dès que le temps l'avait permis, son père l'avait emmené sur le terrain de Quidditch et lui avait appris à appeler son balai, à le diriger et à adorer ça ! Dès la troisième leçon, Remus avait retiré le charme qui bridait le balai, et ils avaient commencé à se poursuivre à pleine vitesse. Olivier Dubois, joueur de quatrième année de Gryffondor, était venu le voir un jour dans la Grande Salle : "Tu sais Harry, je t'ai vu voler avec ton père, l'autre jour, tu feras un fameux attrapeur bientôt… Tu aimes le Quidditch ?" Une raison de plus pour attendre de pied ferme d'entrer à Poudlard comme élève !

La voix de Remus le tira de sa rêverie : "Tu sais Harry, j'ai presque passé la moitié de ma vie à Poudlard !"

"Moi aussi, Papa."

Ils se regardèrent, complices, en riant.

"C'est vrai", reconnut Lupin, "toi aussi !"

"Je ne me rappelle plus… Tu es devenu professeur tout de suite ?"

"Non, d'abord j'ai continué des études à Londres, et puis… et puis tes parents ont été tués… Et je n'ai plus eu envie d'être dans le monde magique pendant quatre ans… Jusqu'à ce que j'aille voir comment tu allais…"

"Bonne idée que tu as eue là !", approuva Harry très sérieusement.

Même si les années avaient estompé ses souvenirs, sa peur de l'abandon et son sentiment d'insécurité, il se souvenait clairement qu'il n'avait pas été très heureux à Privet Drive. De loin en loin, il revoyait en rêve sa tante, toujours insatisfaite et distante, et son oncle, menaçant et écrasant. Il y avait aussi ce cousin colérique et parfois violent. Toujours, Remus venait le sauver – et si ce n'était pas dans son rêve, c'était dans la réalité en le serrant dans ses bras.

"Oui, je le pense aussi", répondit Remus toujours souriant en passant un bras complice sur ses épaules.

Ils marchèrent un moment en silence, collés l'un à l'autre. Harry chérissait la sécurité qu'il ressentait avec Remus, cette quasi-certitude qu'il ne serait jamais plus seul et incompris. Il aimait aussi le monde magique dans lequel ils vivaient, même s'il avait appris à voir au-delà de l'apparente facilité des sortilèges : il y avait les injustices faites aux loups-garous, aux géants et à toutes les créatures. Il ne pouvait pas vivre aux côtés de Remus sans le savoir. Il y avait aussi ces magies interdites, noires, terribles et inquiétantes. Il y avait aussi tous ces mystères qui entouraient encore la mort de ses parents biologiques, ces histoires de prisons et de trahison que Remus n'avait jamais fait plus qu'évoquer et repousser à plus tard.

"Tu… Quand vas-tu me le dire ?", osa l'enfant fort de l'étreinte de son père adoptif autour de ses épaules.

"Quoi donc ?"

"Tu sais… comment ils sont morts, comment Sirius et Peter… enfin, tu sais ?"

Le sourire léger de Remus disparut brutalement, et Harry se mordit les lèvres, désolé de s'y être mal pris. La question le hantait de plus en plus souvent. Cette zone d'ombre, qui séparait nettement les souvenirs nombreux et heureux de Remus et des Maraudeurs et l'arrivée d'Harry à Poudlard, l'intriguait vraiment. Il sentait confusément que sa propre identité se cachait dans cette ombre et avait envie d'y jeter un coup de projecteur, mais pas au prix de froisser son père adoptif.

"Pourquoi pas", annonça finalement Remus d'une voix rauque.

Harry le regarda avec surprise, retenant son souffle. Lupin allongea le pas quittant le chemin de Pré-au-lard pour se diriger vers une forêt plus civilisée que la Forêt Interdite. Harry le suivit sans mot dire. Il sentait qu'il faudrait être patient, que ce que Remus avait à raconter demandait du temps. Mais il avait déjà tellement attendu…

Petit à petit, avec des interruptions assez longues pendant lesquelles Remus cherchait clairement ses mots, il commença son récit :

"Je t'ai déjà dit que James et Lily se sont fiancés dès la fin de la sixième année. Ils se sont mariés dès la remise des diplômes. Ils avaient à peine vingt ans quand tu es né…"

Harry acquiesça, cette partie-là était connue, documentée de photos et de souvenirs croisés de Minerva ou Grand-père Albus.

"James et Sirius avaient alors commencé leur formation d'Auror", continua Remus. "Ils avaient toujours voulu faire ça. Ils étaient très bons, très rapides, très inventifs, très combatifs…" ajouta-t-il avec une note de regret que Harry, occupé à imaginer des sorciers forts jeunes et imposants, ne nota pas vraiment ? "Peter et moi, nous étions à l'université magique de Londres… On se retrouvait à Godric's Hollow, tous les week-ends", ajouta encore Remus avant de faire plusieurs grandes enjambées silencieuses. "On aurait pu être très heureux, mais Voldemort n'arrêtait pas de monter en puissance… Dumbledore nous a proposé de rejoindre l'Ordre du Phénix… et nous sommes tous devenus des cibles pour les Mangemorts…"

Ce silence-là fut plus long. Harry retenait son souffle. Pour l'instant, il n'avait rien appris de vraiment nouveau mais il pensait que Remus n'allait pas s'arrêter là. Et quelques minutes plus tard, se faisant visiblement violence, Remus reprit effectivement d'une voix hachée :

"Dumbledore a dit à James que tu… qu'il… que vous étiez… vraiment très menacés… Tu avais à peine un an… Lily était seule à Godric's Hollow une partie de la journée… Dumbledore leur a conseillé de prendre un "gardien du secret"… C'est un sortilège compliqué : tant que le gardien ne dit rien, on ne peut trouver les gens qu'il protège", expliqua-t-il en lui jetant un regard comme pour vérifier qu'il comprenait. Harry acquiesça un peu au hasard. "Au début, Albus devait être ce gardien", précisa Remus avec une certaine douleur. "Puis James… a voulu que ce soit Sirius… - C'était son plus proche ami, son frère", conclut Remus, le regard perdu dans les bois.

Harry voulait entendre la suite plus que tout au monde. Comme le silence persistait, il essaya une question au hasard :

"Je croyais que vous étiez tous amis ?"

Ce n'était pas très bien vu comme question, regretta-t-il immédiatement quand il croisa le regard blessé de son père. Remus soupira plusieurs fois, mais finit par répondre :

"Entre Sirius et James, c'était encore plus fort… Ils se connaissaient avant Poudlard… De loin mais ils venaient tous les deux de vieilles familles, même si leurs pères avaient des conceptions totalement opposées de ce que devait être l'avenir de la magie… Quand Sirius s'est fâché avec ses parents, ce sont les Potter qui l'ont recueilli… Ils étaient du même monde… Malgré toute l'affection qu'ils nous portaient à Peter et moi, c'était différent… Je ne sais pas si tu peux comprendre", conclut-il un peu abruptement.

Le chemin se fit plus raide, et tous deux se turent le temps de l'ascension. La voix de son père fit sursauter Harry qui pesait encore ses précédentes paroles :

"Bref, Sirius est devenu le gardien", reprit-il avec une rage contenue que Harry perçut pourtant. "Et puis, le soir d'Halloween, Voldemort est venu à Godric's Hollow… Et James et Lily sont morts… et pas toi…"

De nouveau, Harry était ici en terrain connu. Il avait survécu au sortilège de mort de Voldemort et il devait savoir qu'il figurait à ce titre dans tous les livres d'histoire de la magie et de Défense Contre les Forces du Mal, Remus l'avait plusieurs fois expliqué. Surtout que le sortilège en rebondissant sur lui avait provoqué la disparition du Seigneur des Ténèbres. "Mais pourquoi ? Comment ?", avait demandé Harry après qu'il ait entendu l'histoire plusieurs fois. "Albus suppose que... le sacrifice de tes parents, en particulier de ta mère, t'a protégé. C'est de la vieille magie, de la magie de sang, aussi vieille que le monde, Harry... aussi incontrôlable que la magie instinctive des enfants." La seule information nouvelle était que ce meilleur ami de ses parents, ce mystérieux parrain enfermé à Azkaban, devait les avoir trahis. Pas qu'il ne l'ait pas déjà supposé en analysant les éléments dont il disposait.

"Et Peter est parti à la recherche de Sirius… et Si…", reprit Remus avec encore plus de difficulté que précédemment. Puis comme butant sur le nom, il s'arrêta complètement de marcher et se tourna vers Harry, plongea ses yeux dorés dans ses yeux verts et murmura : "Quand Peter a trouvé Sirius, Si… Sirius l'a tué."

Le temps ne changeait rien à l'affaire, Remus n'arrivait toujours pas à admettre l'enchaînement des faits. Il se força néanmoins à continuer. Pour Harry.

"Il l'a fait exploser dans une rue pleine de Moldus… Les Aurors l'ont capturé juste après… Il a été envoyé à Azkaban… J'ai perdu mes quatre meilleurs amis en deux jours", conclut-il amèrement.

"Sirius les a trahis ?", questionna Harry qui n'arrivait pas réellement à y croire. Toutes ces histoires de maraudes et d'amitié et puis cette trahison ? Ça n'avait pas réellement de sens. Il devait manquer quelque chose. Encore.

Remus haussa les épaules.

"Je n'arrive toujours pas à y croire neuf ans après, Harry, mais c'est ce que tout le monde te dira !"

Son visage était devenu de pierre et impressionnait Harry, qui regrettait maintenant d'avoir voulu savoir. Mais c'était trop tard. Il se rappela soudain de leur première discussion sur ce sujet : "C'est une histoire très, très triste, Harry… il vaut mieux que je la porte seul." Il se rapprocha de son père, l'enlaça un peu timidement et murmura :

"On… on pourra la porter ensemble, maintenant… cette histoire, Papa."

Remus lui prit les mains – les siennes tremblaient ! Ses épaules aussi, Harry le sentait. Il devait pleurer. C'était bien la première fois que Harry le voyait pleurer et sa gorge se serra, mais ses propres yeux restèrent étonnamment secs.

Ils reprirent leur marche silencieuse dans la forêt, se tenant toujours par la main. Harry hésitait entre faire la conversation pour briser le silence solennel qui s'était imposé et laisser son père reprendre l'initiative. Il se disait qu'il avait suffisamment remué ses pires souvenirs pour accepter que Remus prenne son temps. Lui-même, sentait-il, n'allait plus vraiment être le même après ça.

"Alors Harry, qu'en penses-tu ?", questionna finalement Lupin d'une voix plus connue de Harry.

"Je… je ne sais pas… c'est très… triste", reconnut d'abord l'enfant. "Mais je crois que je suis quand même content de savoir… Merci."

Remus hocha la tête gravement :

"Dans un an quand tu seras à Poudlard, quand tu seras étudiant... il y aura obligatoirement des gens qui sauront – ou qui croiront savoir. Autant que tu aies ta propre opinion avant. Mais, je veux que tu saches… personne ne sait vraiment ce qui s'est passé… Il n'y a pas eu de procès."

"Pourquoi ?", s'étonna Harry.

"Les faits semblaient parler d'eux-mêmes", murmura Remus. C'étaient exactement les mots qu'avait employés l'Auror qui l'avait prévenu à la demande expresse de Dumbledore : "Les faits parlent d'eux-mêmes, M. Lupin."

"Quoi qu'il en soit, la punition de Sirius est pire que la mort, Harry. Azkaban est pire que la mort. C'est un endroit sans aucune joie, même minuscule ! Tu ne dois pas souhaiter… pas chercher de revanche, Harry", ajouta Remus avec ferveur. "Tu ne dois pas perdre ton âme à le détester. Pense qu'il a trahi ce qu'il aimait le plus ! Il est à plaindre… peut-être plus que James, Lily ou Peter qui sont morts fidèles à leurs engagements."

La voix de Remus se brisa encore à ce point de leur conversation. Harry n'osa pas dire qu'il ne comprenait pas tout. Il y aurait d'autres occasions, espéra-t-il. Il était un peu nerveux d'avoir poussé son père, qui avait l'air si détendu une heure plus tôt, à lui livrer des secrets qui visiblement le brûlaient encore d'un feu dévorant. Il se demanda brusquement de quoi ils auraient parlé s'il n'avait pas amené ce malheureux sujet !

"Je veux que tu me promettes, Harry, de ne pas le détester !", exigea alors Remus en le regardant droit dans les yeux une nouvelle fois.

Sa voix était pressante, bien plus impérieuse que souvent. L'enfant ne voyait pas comment, ni pourquoi, il pourrait refuser ça :

"D'accord. Si tu veux."

"Promets-le-moi !", insista l'adulte.

"Je te promets que je ne le détesterai pas", obéit Harry sans plus réfléchir.

"Je te fais confiance, Harry", conclut simplement Remus.

Dans ces mots, il y avait une attente énorme, réalisa Harry soudainement. Il ne fut pas vraiment sûr d'avoir mesuré l'engagement qu'il venait de prendre. Ils reprirent leur marche, et Harry sentit peu à peu son père s'apaiser dans l'effort et la répétition. Comme d'habitude. Ils arrivèrent en haut de la colline qui avait offert un prétexte à leurs efforts. Fatigué, le jeune garçon se jeta dans l'herbe jaunie.

"Tu as soif ?", s'enquit doucement Remus comme si leur conversation sérieuse était totalement oubliée.

"Oui… Mais on a rien pris", regretta Harry.

Son père prit un air faussement vexé :

"Est-ce bien la peine d'avoir un père professeur à Poudlard, que dis-je, bientôt DIRECTEUR de Poudlard… pour penser qu'il ne va pas trouver de solution à un problème aussi trivial !"

"Directeur ? Tu as dit Directeur ?", questionna Harry en se redressant immédiatement.

Ça faisait maintenant un an que son père s'occupait de plus en plus de choses dans la gestion de l'école. Il avait même remplacé six mois la professeure McGonagall à la tête de la maison Gryffondor parce qu'elle voulait écrire un nouveau manuel d'enseignement de la métamorphose. Il y avait eu des élèves pour pronostiquer qu'il finirait sous-directeur, mais Harry n'y avait pas réellement fait attention.

"Exactement", sourit Remus avec l'air presque gêné. "Qu'en penses-tu ?"

"C'est carrément génial !", affirma Harry avec sincérité, avant de mesurer toutes les implications de cette promotion. "Mais… et grand-père Albus ?"

"Il va prendre la direction de la Coopération magique et siéger plus régulièrement au Magenmagot", expliqua Remus. "Il m'a demandé de prendre sa suite… Severus m'aidera, il sera sous-directeur", précisa-t-il parce qu'il savait que Harry serait content pour le Maître des Potions.

Tout en parlant, Remus avait sorti une sorte de galet de sa poche. Il amena sa baguette contre la pierre et murmura : "festis initio". En lieu et place du galet apparut un copieux pique-nique qui ravit positivement Harry.