Entre Lune et Étoile
Version EPUB 2020
16- Vacances moldues
"Ah ! Remus ! Vous voilà ! Bienvenue !"
Arthur s'était approché du foyer la main tendue, débordant de cette sympathie directe que lui enviait Remus. Arthur ne devait pas avoir besoin de marcher comme lui pour tenir ses démons à distance. Ses démons devaient lui ressembler : ronds et souriants, ils invitaient à paresser au coin du feu. Les siens, il le savait, étaient affamés, cruels et se déplaçaient en meute.
"Bonjour, Arthur. Alors, le Terrier a tenu le coup avec un locataire supplémentaire ?", demanda le nouvel arrivant en époussetant sa robe.
"Mais oui, mais oui ! Ne vous en faites pas, Remus ! Le Terrier en a vu d'autres !", répondit Arthur tout sourire.
"Et Harry n'est pas le pire de tous !", ajouta Molly en entrant dans le salon "Bonjour Remus ! Vous avez fait bon voyage ? Vous arrivez plus tôt que prévu, non ? Leurs affaires ne sont pas encore prêtes !", continua-t-elle en lui tendant la main.
"Bonjour Molly ! J'avais fini tout ce que j'avais à faire – notamment trouver un remplaçant pour mon cours", expliqua le nouvel arrivé. "Un remplaçant à temps partiel : je garderai les sixièmes et septièmes années pour l'instant – le temps qu'il s'aguerrisse", ajouta-t-il autant pour les parents d'élèves qu'il avait en face de lui que pour lui même. Il retint le "ou que je trouve quelqu'un d'autre", mais il n'eut pas l'impression de tromper grand-monde.
"Pas beaucoup de candidats, si je comprends bien", remarqua diplomatiquement Arthur.
Molly et lui voyaient souvent Remus depuis qu'il avait adopté Harry et ils appréciaient l'homme qui avait transformé l'enfant abandonné à lui-même qu'ils avaient recueilli en préadolescent épanoui. Ils savaient aussi, par leurs fils, qu'il était un bon professeur, soucieux de ses élèves, exigeant avec les autres comme il l'était avec lui même. Sa nomination en tant que directeur de Poudlard montrait bien la confiance que Dumbledore lui accordait – et avec lui l'ensemble de la communauté magique. Il n'y avait eu que Lucius Malefoy au conseil d'administration de l'école pour émettre des réserves sur sa nomination – et les doutes d'un Malefoy avaient peu de poids pour les Weasley.
"Non, pas beaucoup – et pas très satisfaisants. Enfin, quand le professeur Quirrell aura dépassé sa timidité, ça ira… j'imagine", expliqua Lupin un peu nerveusement.
Cette embauche était en quelque sorte sa première décision directoriale et, assez ironiquement, il s'était trouvé devant le même constat que son prédécesseur avant lui : les spécialistes en Défense Contre les Forces du Mal disponibles ne couraient pas les rues, et peu d'entre eux avaient une fibre pédagogique. Entrevue après entrevue, ses exigences s'étaient réduites, et il en était arrivé à la conclusion que, si Severus lui réclamait le poste, comme il l'avait a priori fait pendant des années auprès de Dumbledore, il ne saurait pas le lui refuser.
Mais Severus n'avait pas voulu avoir le moindre rôle à jouer dans ce recrutement – "à moins que ça ne soit un ordre de Monsieur le Directeur", il avait précisé. Si Remus savait déjà qu'il faudrait qu'ils apprennent à partager la direction de Poudlard, il n'avait pas jugé souhaitable de forcer le Maître des Potions à l'assister sur cette tâche. C'était son propre remplaçant après tout.
"Bref, ceci fait, je me suis dit que j'allais les prendre dès ce soir… Il faut qu'on y aille, qu'on s'installe, autant y aller le plus tôt possible… et puis ce sont mes dernières "vraies" vacances avant longtemps, j'en ai peur !", il reprit balayant mentalement ses soucis professionnels. Ses vacances avec Harry passaient avant tout.
"Oh, je peux préparer leurs bagages très vite. Vous dînez ici quand même ?", répondit Molly. Ce n'était pas vraiment une question.
"Bien sûr", confirma Remus avec un sourire plus détendu.
"Bien", jugea-t-elle, satisfaite, en sortant de la salle.
"Venez, Remus, ils jouent au Quidditch derrière la maison", l'invita Arthur.
Ils entendirent les clameurs des joueurs bien avant de les voir.
"Allez, allez Harry ! Tu vas l'avoir !", criait la seule voix féminine du groupe.
Remus et Arthur échangèrent un regard entendu. Ginny avait gardé pour Harry des sentiments qui semblaient se renforcer avec le temps. Elle prenait toujours bec et ongle son parti contre ses frères – pour leur plus grand amusement et pour le plus grand embarras d'Harry ! Ils pouvaient maintenant observer les deux équipes. Harry, George et Lee contre Fred, Ron et Percy. Harry et Percy étaient les attrapeurs et ils se disputaient un Vif d'or un peu rouillé. Dans ce duel, Harry avait clairement l'avantage malgré son jeune âge. Il était plus rapide et prenait plus de risques. Tous étaient trop concentrés sur le jeu pour se rendre compte de l'arrivée des adultes. Il fallut attendre que Harry s'empare du vieux Vif d'or des Weasley – par une périlleuse pirouette qui fit se fermer de crainte les yeux de Remus. Tous, même Ron et Fred – Percy était vexé –, laissèrent éclater leur joie de voir finir ce match par une si belle action. Comme il se tenait à l'écart, Percy fut le premier à remarquer Remus.
"Oh, Professeur, bonjour ! Vous êtes là depuis longtemps ?"
Les autres tournèrent la tête à ces paroles.
"Papa ? Papa !?", s'écria son fils lâchant son balai pour sauter dans ses bras avec un enthousiasme sans retenue. "Tu as vu comme j'ai gagné !?"
"Bonjour, Harry", répondit Remus en riant. Il savait combien Harry était chez lui au Terrier.
"Oh, bonjour Papa, pardon", corrigea facilement Harry en l'embrassant. "Tu es venu nous chercher ?"
"Oui, si vous voulez toujours passer une semaine chez les Moldus avec moi, Ron et toi !"
"Bien sûr !", s'écria Ron. Harry se contenta de sourire.
Les jumeaux hochèrent la tête avec une pointe de jalousie. Même s'ils comprenaient que Remus ne les ait pas choisis pour compagnons de vacances d'Harry. "Vous êtes avant tout ses élèves… Vous êtes tellement calmes !… et puis Ron a le même âge", leur avait seriné Molly depuis que Remus avait proposé de prendre Ron deux ou trois semaines pendant les vacances. Les jumeaux aimaient beaucoup Harry et souffraient un peu de voir Ron prendre leur place. Ils n'étaient peut-être pas les seuls. "Le professeur Lupin est bien gentil de passer ses vacances avec deux gamins insupportables comme vous", avait commenté Percy – qui pourtant n'était pas à proprement parler l'ami d'Harry. "Eh Perce, c'est MON père, tu t'en rappelles ?", s'était moqué Harry, en l'entendant. "Si je suis insupportable, c'est de SA faute !"
"On partira après le dîner", précisa Remus.
Pendant que les garçons rangeaient leurs balais, Arthur et Remus retournèrent lentement vers la maison.
"Au fait, vous les emmenez où ?", s'intéressa Arthur.
"Dans mon ancien appartement. C'est petit, mais pour une semaine, ça ira… et c'est bien placé pour aller presque partout en métro…"
"Votre ancien appartement ?"
"Oui, quand je travaillais dans une école moldue… avant Harry… Je ne l'ai jamais laissé. Le loyer est ridicule et puis j'aime bien y aller de temps en temps. Sortir du monde magique où tout le monde se connaît", lui avoua Remus en baissant un peu la voix.
"Ça doit être passionnant ! Le métro, le téléphone…", commenta Arthur plus intéressé par les technologies moldues que par les raisons profondes qui attachaient Remus à son refuge moldu.
Tout le long du dîner, Remus continua de répondre aux questions des Weasley, petits et grands, sur les us et coutumes moldus. Parfois, Harry l'aidait à répondre. Puis la conversation tourna sur la rentrée prochaine – moins de trois semaines, le nouveau professeur de Défense Contre les Forces du Mal, ses nouvelles fonctions. Percy se plaignit de ne pas arriver à assez travailler, entre ses frères et le manque de bibliothèque magique à proximité. Les jumeaux se moquèrent ouvertement de lui au grand dam de Molly qui leur reprochait de ne pas avoir, eux, commencé leurs devoirs de vacances. Remus sentit qu'il ne pouvait décemment se contenter de sourire.
"Vous avez tous raison et tort", commença-t-il de cette voix calme et posée que tous les élèves essayaient d'imiter dans les couloirs de Poudlard quand ils parlaient de lui. "Oui, les devoirs de vacances sont importants pour ne pas trop oublier de choses… ou pour les revoir différemment… mais, je pense VRAIMENT, que les vacances sont aussi faites pour s'amuser… s'amuser est aussi un moyen d'apprendre des choses, Percy – des choses différentes, bien sûr, mais tout aussi utiles !" Il avait plongé ses yeux dorés dans ceux du plus sérieux des Weasley. Ce regard, Harry le connaissait si bien. Ce regard était si difficile à ignorer et semblait lire au tréfonds de votre être.
"Sans doute, professeur… mais pour moi le travail EST amusant", répondit Percy en baissant les yeux et en rougissant. Harry ne savait pas si les autres avaient vu comme lui la furtive déception qui avait traversé le regard de Remus. Molly, en tout cas, avait clos la conversation.
"Je ne veux pas vous mettre dehors mais il me semble que vous devriez y aller !", commença-t-elle en se tournant vers Remus. "Vous m'avez dit que vous vouliez utiliser des transports moldus…"
"Vous avez tout à fait raison Molly", répondit Remus se tournant vers Harry et Ron. "Ça va être une semaine moldue, on est bien d'accord. Alors vous n'emportez RIEN de magique, pas même un livre de Quidditch ou une dragée surprise de Bertie Crochue. OK ?"
Les deux garçons opinèrent en se levant de table pour aller boucler leur sac.
"J'ai tout mis sur vos lits", ajouta Molly.
"Ah, changez dès maintenant de vêtements !", leur rappela Remus.
Lupin grimaça un peu en voyant arriver Ron avec des vêtements dépareillés et un peu trop grands pour lui. Il n'aimait pas se signaler ainsi, peut-être parce qu'il devait cacher le loup en lui. Il se promit de lui acheter un déguisement moldu plus crédible dès le lendemain. Il les pressa néanmoins de lui donner leurs bagages sans faire plus de commentaires. Il réduisit de moitié les sacs des garçons avant de les mettre avec les siens dans une grande valise à roulettes – Arthur fit remarquer à Molly combien les Moldus avaient des bagages pratiques :
"Pas comme nos grands coffres lourds et malcommodes… même vides !"
"Nous allons d'abord aller dans un endroit un peu spécial. Je ne sais pas si tu le connais, Ron. C'est un sas entre le Londres moldu et le monde magique. Ce lieu s'appelle la Croisée des chemins. Vous êtes prêts ? Harry, vas-y le premier."
Ils arrivèrent tous les trois, tour à tour, dans une sorte de cave voûtée où tous les murs étaient percés de cheminées de formes et de styles variés. Un vieil homme se redressa de son fauteuil à leur arrivée.
"Ah, c'est vous, professeur Lupin ! C'est vrai, vous m'aviez prévenu ! Et c'est le petit Harry, ça, hein ? Il a encore grandi ! C'est fou, ça hein ? Ça nous pousse vers la tombe, les enfants, hein ?"
Harry regardait avec amusement son père opiner de la tête sans dire un mot. Il avait déjà vu plusieurs fois le gardien de la Croisée des Chemins. À chaque fois, il l'avait entendu débiter à peu près le même discours. Avec Ron, ils suivirent les adultes jusqu'à une grande porte cloutée.
"Nous y voilà. La voie est libre. N'oubliez pas : la semaine prochaine, le mot de passe sera "porte à porte"."
"Porte à porte ?"
"Oui, Professeur."
Ils sortirent dans une rue très calme. Il faisait presque nuit mais l'air était encore très doux. Sans mot dire, Remus leur fit signe de le suivre jusqu'à une station de taxis.
"Pour ce soir, je pense que nous éviterons le métro… S'il te plaît Ron, essaie de ne pas avoir l'air trop surpris par ce que tu vois. Si tu as des questions, garde-les pour plus tard. Tu es trop grand pour que les gens conçoivent que tu n'en saches pas un minimum sur ton environnement. Ah oui, et comme le mot "moldu" n'existe pas, essayez de ne pas l'utiliser !"
Malgré cette mise en garde, Ron s'étonna presque de tout sur le chemin. Le nombre de personnes dans les rues, le fait que Remus ne les connaisse pas, les lumières, les affiches lumineuses, les bus à étages, les vêtements des gens… Remus choisit d'en rire, indiquant dans la conversation avec le chauffeur que "ce petit cousin écossais" n'était jamais trop souvent sorti de sa campagne. Ils arrivèrent bientôt dans ces rues calmes où Remus avait caché quatre ans de sa vie, son chagrin et son désespoir. À chaque fois, il sentait son cœur se serrer au souvenir de ces années perdues. Peut-être était-ce pour ça qu'il avait gardé ce petit appartement. Pour se rappeler ce qu'il aurait pu être s'il ne s'était pas réveillé. Il se secoua mentalement. Il voulait que cette semaine soit joyeuse et festive. Pour Harry. Il lui avait promis de passer une semaine que pour lui et il entendait tenir sa promesse.
