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Chapitre 18 – Insomnies
"Bon, redis-moi tout cela, Ron. Tu veux bien ?"
Dans le grand lit à côté de Harry, l'enfant soupira, sans doute lassé de répéter les mêmes faits pour la cinquième fois. Pourtant Remus ne pouvait se décider à abandonner son enquête. Il avait lutté contre l'urgence qui l'avait saisi dans le petit bureau du directeur du Reptilium. Ça ne pouvait pas être ÇA. Il devait se tromper. Il ne pouvait QUE se tromper, s'était-il raisonné. Fort de cette défense intérieure, il avait trouvé le courage de terminer civilement la discussion avec le directeur et l'infirmière du vivarium.
Il avait même réussi à accepter que Ron achète des cartes postales immobiles d'anacondas pour les envoyer à Bill. Dans la boutique du musée, il avait remarqué que Harry ne semblait pas, lui non plus, vraiment dans son assiette, mais il avait mis son air étrange et son peu d'intérêt pour les t-shirts et autres souvenirs sur le choc des évènements. Ron est peut-être toujours plus solide, avait-il pensé avec un pincement au cœur. Et surtout, il n'avait rien dit.
Remus avait encore tenu son impatience en laisse dans le bus et le train qui les avait ramenés vers Londres puis – avec peut-être moins de mérite – dans le métro bondé qu'ils avaient emprunté. À l'appartement, il s'était efforcé de ne pas ressasser tout de suite les évènements avec les enfants, de leur laisser le temps de se calmer, de passer à autre chose. Il avait ainsi mis un point d'honneur à les faire dîner, se doucher et se coucher comme si rien de totalement extraordinaire ne venait de leur arriver. Mais maintenant, Remus n'y tenait plus ! Il devait recouper les craintes et les preuves avant la longue nuit d'insomnie, qui, il le savait, l'attendait.
"Charlie avait ce rat depuis… depuis toujours", raconta Ron.
"Est-ce que tu sais quand exactement ?", insista Remus.
"Je ne sais plus moi ! Depuis que je suis né ou presque… Depuis que Ginny est née, je crois… Oui, c'est ça !", se rappela soudain l'enfant avec une certaine satisfaction. "J'étais le seul à m'en occuper un peu à part lui. Comme il a eu un hibou, Charlie me l'a donné", expliqua encore Ron avec un bâillement. "Y'a pas longtemps : trois semaines quelque chose comme ça…"
Harry, parfaitement silencieux, était roulé en boule sur son oreiller. Il ne quittait pas Ron des yeux. Il n'a rien dit de toute la soirée, réalisa soudain Remus. Je suis tellement dans mes délires que je ne m'en rends compte que maintenant ! Merlin ! Il soupira. Il devait avant tout en finir avec cette histoire de rat. Il serait toujours temps de savoir ce qui tracassait Harry !
"Et, il a toujours eu ce doigt... en moins ?", reprit-il en maîtrisant le tremblement de sa voix. Il nota néanmoins le regard inquisiteur d'Harry sur lui. Évidemment, avec lui, ça ne marche pas… Il me connaît trop ! Manquerait plus que je lui transmette mes angoisses !, pesta-t-il intérieurement.
"Oui, aussi loin que je m'en souvienne. S'il avait eu un accident quand j'étais petit, je m'en rappellerais. Charlie l'aurait raconté !", affirma Ron sans sembler remarquer l'émotion de Remus.
Lupin pesait tous ces éléments sans trouver LA réponse dont il avait besoin. Croûtard était dans la famille de Ron depuis neuf ans – Harry était orphelin depuis le même nombre d'années. Allait-il faire lui-même le décompte et imaginer une relation entre les deux faits ? Non, je ne pense pas, essaya de se rassurer Remus.
Il manquait au rat un doigt de la patte droite. Depuis toujours. On n'avait retrouvé dans la rue où on avait arrêté Sirius qu'un doigt, son authentification comme étant celui de Peter avait une pièce maîtresse de l'accusation qui avait fait de Sirius non seulement un traître, un complice de Voldemort mais aussi l'assassin d'un de ses proches amis.... Et alors ? Il y a mille façons pour un rat de perdre un doigt ! ragea silencieusement Remus.
Il y avait aussi cette histoire de chocolat. Peter adorait le chocolat... Arrête ça, souffla sa raison. Qu'est-ce que c'est que cette théorie que tu échafaudes ? Peter se coupe le doigt – lui qui avait peur d'entrer dans un souterrain noir ! –, se cache sous la forme d'un rat chez les Weasley pendant neuf ans – autant dire sous ton nez ! – et décide aujourd'hui – et pourquoi maintenant, hein ? – de s'enfuir dans un vivarium où rien ne le menace ! Remus soupira à son tour. Tout cela ne tenait pas debout. Pire qu'un conte pour enfants moldus !
"Bon, eh bien, j'espère que les gens du Reptilium vont le retrouver", commenta-t-il à haute voix en se voulant souriant et rassurant. "Ne t'inquiète pas trop Ron, hein ? Je suis sûr que Charlie ne t'en voudra pas vraiment, quoi qu'il arrive !" Il se tourna vers Harry qui le contemplait sans rien dire derrière ses lunettes. "Et toi, tu ne dis rien, ça va ?"
L'enfant haussa les épaules.
"Ça ira mieux demain", finit-il par lâcher sans avoir l'air d'y croire vraiment.
Comme il semblait incapable d'en dire plus, Remus l'embrassa tendrement et lui retira ses lunettes selon leur rituel du soir. "Oui, Harry. Tout va s'arranger. On va retrouver Croûtard… Allez ! Dormez vite, tous les deux", murmura-t-il. Il ferma la porte après avoir éteint la lumière.
Malheureusement, personne n'était là pour le mettre au lit, lui. Personne pour prendre une part de ses cauchemars et pour l'obliger à débrancher son cerveau en surchauffe pendant quelques heures. Remus n'avait pas de potions ni de cachets moldus pour le sommeil avec lui. Il doutait d'ailleurs que l'un ou l'autre ait pu venir à bout de son angoisse et lui offrir plus qu'un désagréable état d'hébétude. Il ne voulait pas non plus quitter l'appartement et aller marcher. Sa vieille recette universelle ! Si sa théorie était vraie – c'est-à-dire si Peter s'était caché neuf ans et avait fait envoyer Sirius en prison et qu'il était dehors – il ne pouvait pas laisser un instant Harry seul ! Il frissonna en pensant que son fils avait partagé cinq nuits son lit avec CE rat !
Si sa théorie était fausse, il n'en restait pas moins que les enfants avaient eu une dure journée et qu'il ne pouvait pas ne pas être là si l'un ou les deux faisaient des cauchemars. Il s'en voulait déjà tellement de ne pas s'être rendu compte qu'ils cachaient pendant cinq jours un rat dans cinquante mètres carrés ! Vraiment ! Et dire que tout le monde pensait qu'un loup-garou avait plus d'instinct que les autres ! Ça promettait si, comme directeur, il n'était pas capable d'un meilleur jugement sur les agissements de ses élèves… voire des professeurs ! Cette dernière pensée le ramena douloureusement à ses interrogations concernant l'embauche de Quirrell. Il n'était pas satisfait. Ce petit homme aux études compliquées, aux passions peu communes pour les trolls, à l'élocution défaillante, aux manières timides… il n'était pas sûr… mais qui d'autre ?
Remus soupira et se retourna pour la centième fois sur son petit canapé. Les ressorts grinçaient. Il regretta de ne pas être fumeur. Ça l'aurait peut-être aidé. Les fumeurs brûlaient-ils leurs angoisses au bout de leurs doigts ? Un doigt… il revoyait le petit écrin de bois sombre dans lequel la mère de Peter avait reçu le doigt de son fils. Peter aurait-il pu se couper lui-même le doigt avant de transplaner et de faire croire à la culpabilité de Sirius ? Était-ce parce qu'il avait compris ça que Sirius avait ri quand les Aurors étaient venus l'arrêter ? Comment Peter aurait-il pu leur cacher son jeu, à eux ses compagnons de chambre, de jeux, de cours, de bonheur et de malheur pendant sept ans ?
Arrête ! Ne t'es-tu pas déjà posé neuf ans cette question à propos de Sirius ? Peter ou Sirius, qu'est-ce que ça change ? Tu t'es trompé, c'est tout. Il soupira encore. Même si sa raison avait… raison, le cœur n'arrivait pas à l'avaler. Tant de duperie le laissait plus malheureux encore.
Et que faire maintenant, si sa "nouvelle" théorie se trouvait vérifiée ? Et comment la vérifier d'ailleurs ? Comment amener suffisamment de preuves pour faire libérer Sirius ? Dans quel état celui-ci allait-il être ? Allait-il lui pardonner d'avoir cru à cette parodie de justice il y a neuf ans ? Il sentait confusément qu'il souhaitait avoir raison. Il voulait revoir Sirius, lui demander pardon ! Il voulait voir son nom réhabilité. S'il devait choisir, il préférait qu'ils aient été trahis par Peter !
Cette pensée lui fit honte. Tout ça n'était que des fantasmes ! Pourquoi Peter, qui officiellement s'était sacrifié, n'aurait il pas eu droit au même traitement ? Pourquoi n'avait-il jamais souhaité qu'il ne soit pas mort comme il se prenait, contre toute logique, à souhaiter encore et encore que Sirius ne fût pas coupable ? Encore une fois, le lit grinça. Ou alors il l'avait toujours su. Ou alors il devenait fou…
Remus dut quand même s'endormir sans s'en rendre compte. Puisqu'il se réveilla. D'un coup. Avec une bouffée d'angoisse qu'il lui fit chercher nerveusement sa baguette sous son oreiller. Dans la clarté laiteuse du petit matin, une frêle silhouette se découpait à contre-jour de la fenêtre. Harry.
"Tu avais dit "pas de magie"", dit sa petite voix, et Remus eut l'impression qu'il n'allait pas pouvoir respirer. Cet enfant le tuait parfois : il l'écoutait trop ; il disséquait tout… Arriverait-il un jour à prendre la vie comme Ron, au jour le jour ?
Était-ce sa faute à lui ? Des pans entiers d'insomnies revenaient à la charge. Il ferma les yeux, contrôlant sa respiration et les palpitations de son cœur.
"Tu m'as fait peur", reconnut-il en re-glissant sa baguette sous son oreiller.
"Qui croyais-tu que c'était ?", s'enquit l'enfant sans pitié.
"Quoi ?"
"Tu as cru que c'était… Voldemort ?", questionna Harry avec une infime hésitation sur le nom mais un sacré culot.
"Harry !", protesta faiblement son père adoptif. Sirius, Peter et maintenant Voldemort ? Combien de fantômes amers rôdaient autour d'eux ?
"Je croyais qu'il ne fallait pas avoir peur de son nom ?", continua l'enfant avec une sécheresse de ton que ses yeux brillants démentaient.
Sa nuit n'a pas été meilleure que la mienne, comprit Remus. Car Harry avait aussi ses démons. Ils venaient lui rappeler une nuit d'Halloween qui lui avait pris dans un grand éclat de lumière verte des parents qui l'aimaient. Plus il grandissait, plus il cherchait "à comprendre", Remus l'avait noté. Et son comportement à lui, hier soir, n'avait rien arrangé. Bon, eh bien, à lui de jouer ! Il avait signé après tout ! Et, il était meilleur avec les démons des autres généralement.
"Viens là", commença-t-il doucement tendant dans le noir sa main vers lui.
L'enfant ne bougea pas. Il semblait hésiter. Il regrettait peut-être ses dernières paroles, inutilement agressives.
"Allez ! Viens là !", insista Remus sans pour autant élever la voix.
Harry obéit très lentement, presque à contrecœur. Il s'assit sur le bord du matelas, les yeux baissés. Lupin, qui s'était redressé, lui prit la main et la serra.
"Qu'est-ce qui ne va pas ? Hein ? Tu as fait un cauchemar ?", s'enquit ce dernier sans recevoir de réponse. "Harry ? Tu ne peux pas me réveiller comme ça et puis te taire ! C'est une sorte de torture, tu sais ? Les Moldus l'uti…"
"Toi d'abord."
"Moi ?"
"Oui", confirma l'enfant. "Dis-moi, toi : qu'est-ce qui se passe ?"
Harry avait levé des yeux verts inquisiteurs vers ceux de celui qui était depuis cinq ans son père. Remus comprit qu'il ne s'était pas trompé. Son angoisse à lui avait exacerbé celle d'Harry. Il essaya néanmoins de se défiler en partie, en contre-attaquant.
"Oh rien ! Mon fils et son copain cachent un rat dans ma chambre pendant une semaine puis le laissent s'échapper dans un vivarium causant la plus belle panique depuis l'ouverture de l'établissement, dixit le directeur… Rien que les très banales vacances moldues du professeur Lupin et son jeune fils Harry ! On devrait écrire un livre, non ? Qu'en penses-tu ?", commenta-t-il d'un ton léger.
Les yeux verts ne l'avaient pas lâché. Ils fouillaient son visage cherchant une confirmation. Remus ne sut pas ce qu'ils avaient trouvé, mais Harry sembla se détendre d'un seul coup. Son visage perdit son expression douloureuse pour reprendre ses rondeurs enfantines. D'un bond, il se colla contre son père, enfouissant son visage dans son épaule.
"Allez, allez ! Ça va aller, Harry", murmura Remus, en lui caressant les cheveux. "Je sais que tu as eu peur… Moi aussi, c'est toujours délicat des choses comme ça avec les Moldus… Molly va être furieuse que je les aie laissés vacciner Ron… tu ne crois pas ?"
"Papa ?", l'interrompit son fils, sans se décoller de lui.
"Harry ?", l'encouragea Remus.
"Tu crois que… on est fou quand on entend des voix ?"
"Des voix ?"
"Oui… des voix… enfin, une voix."
"Harry, tu entends une voix ?"
L'enfant hocha la tête sans répondre. Remus s'assit un peu plus dans son lit sans rompre le contact physique dont Harry semblait avoir tellement besoin.
"Quelle sorte de voix ? Dans tes rêves ?"
"Je suis malade ?"
"Harry, si tu ne m'en dis pas plus…"
L'enfant se ratatina un peu plus dans le lit comme s'il avait fait une bêtise. Puis semblant trouver un nouveau courage, commença à raconter ce qui s'était passé dans le Reptilium. Quant il eut fini, il attendit dans l'immobilité la plus complète que Remus commentât. Mais rien ne venait. De fait, Lupin en avait le souffle coupé. "Sa" théorie était plus que vraie si la "voix" avait raison.
"Alors ? Je suis fou ? Je vais aller à Ste-Mangouste ?", demandait Harry avec insistance.
"Arrête ça, Harry, tu veux ? Tu as entendu quelque chose, j'en suis sûr."
"Mais quoi ?"
Remus resta silencieux encore un instant – qui sembla durer une éternité pour Harry. Son cerveau travaillait à plein régime. Posant des hypothèses, les rejetant, en soulevant d'autres, pesant leurs implications.
"Comment était cette voix ? Je veux dire… l'as-tu entendue dans ta tête ou au-dehors ? Ne cherche pas à me faire une réponse logique, Harry, OK ? Dis-moi ce que tu crois, c'est tout."
"Pour moi, elle venait de… dehors…"
Remus respira profondément avant de reprendre l'enquête.
"Elle venait de… la cage ?", questionna-t-il le cœur battant.
Harry se décolla violemment de son père pour le regarder dans la pénombre.
"Qu'est-ce que tu veux dire ?"
"Harry, je pense – et je ne trouve aucune autre explication qui tienne la route –… que tu… que tu es fourchelangue", répondit-il dans un souffle.
"Fourchequoi ?"
"Fourchelangue. Que tu parles la langue des serpents", expliqua patiemment Remus. Qu'avait dit Dumbledore, il y a cinq ans quand il lui avait dit qu'il voulait élever Harry ? Que ce ne serait pas un travail facile ? Il s'autorisa un sourire fatigué.
"C'est possible, ça ?", s'intéressa Harry après un moment de réflexion.
"C'est très rare", reconnut l'adulte, presque amusé de sa réaction. "La seule personne que je connaisse qui soit comme ça… c'est Voldemort… justement", avoua-t-il encore, espérant ne pas paniquer son fils. Mais la vérité pouvait-elle être pire que l'ignorance ? Ne s'était-il pas juré d'élever Harry dans le maximum de vérité ? "Albus a toujours pensé qu'il avait pu te donner une partie de ses pouvoirs… en voilà un ! Enfin, si je ne me trompe pas."
"Et alors ?", questionna Harry partagé entre l'inquiétude et la curiosité.
"Et alors, rien", estima Remus, en échafaudant sa réponse au fur et à mesure. "C'est bien ! Tu peux parler avec les serpents ! Enfin, tu dois savoir que la plupart des sorciers vont trouver ça bizarre, mais bon… c'est moins grave que d'être un loup-garou !"
Harry resta un moment silencieux. La magie venait de nouveau de s'affirmer dans sa vie comme quelque chose d'incontournable. Il avait beau grandir, apprendre et penser qu'il progressait de lui-même, il en semblait toujours ramené à ce constat : il était "magique."
"Mais… et ce qu'il a dit : "Ce rat n'est pas un rat", tout ça ?", questionna-t-il enfin, essayant de relier tous les fils.
"Ah ça", murmura Remus, hésitant. Ce qu'il allait dire était grave. Il allait introduire un doute important dans les explications qu'il avait jusqu'à présent servies à Harry. Et, si ça se trouvait, il se trompait. Mais il n'y tenait plus, il était lui-même rongé par le doute…
"Écoute, j'ai bien une idée. Mais, ça va être plus long à t'expliquer… Et, c'est peut-être toi, finalement, qui vas penser que JE suis fou…"
Harry écouta, captivé, Remus lui expliquer comment Sirius, Peter et James étaient devenus des Animagi – "Tu sais, comme Minerva ?" – pour l'accompagner les soirs de pleine lune. Il lui re-raconta les évènements d'Halloween, neuf ans plus tôt en ajoutant l'histoire du doigt coupé. Il aboutit ainsi à sa "nouvelle" théorie, comme il l'appelait. Celle qui faisait de Sirius un innocent impétueux plutôt qu'un immonde traître. Une fois de plus, il se surprit à souhaiter qu'elle soit vraie !
"Tu veux dire que le serpent… que le serpent a VU que Croûtard n'était pas un vrai rat… que c'est pour ça qu'il m'a dit de le… de le tuer ?", vérifia Harry après un moment de réflexion.
Remus frissonna devant l'excitation d'Harry. Même si on pouvait mettre ça sur le contrecoup de l'angoisse, il ne pouvait quand même pas le laisser dire n'importe quoi !
"Harry, tu n'as à TUER personne… que j'aie raison ou non. La justice, ce n'est pas la vengeance, OK ? Serais-tu plus heureux en étant un meurtrier ? Même de celui qui aurait trahi tes parents ? Tu ne peux pas adopter le point de vue d'un serpent, Harry !"
"Mais il a vu, non ?", s'obstina Harry – sans doute préférait-il une version où les animaux avaient voulu le protéger.
"Oui, je pense que oui. Ça ne m'étonne pas de ce que je sais des serpents", reconnut l'adulte. "Mais j'insiste Harry, ne va pas t'imaginer dépositaire de je ne sais quelle mission stupide ! Parce qu'un serpent t'a parlé ! Je ne plaisante pas, Harry !", insista Remus d'un ton sérieux.
"Mais, si c'est vrai, il…", objecta l'enfant les sourcils froncés.
"Si c'est vrai", le coupa Remus, "si c'est vrai, c'est à la justice d'agir… pas à toi… en aucun cas ! Tu m'entends ?"
Harry se renfrogna devant sa réaction. "Mais…", commença-t-il à protester.
"Mais quoi ?"
"Il faut sortir Sirius de prison !"
L'affirmation de Harry toucha Remus en plein cœur. Sirius. Prison. Il eut l'impression de manquer d'air. Il s'entendit néanmoins répondre d'une voix qui aurait pu être moins assurée :
"Harry, il faut avant tout se calmer, d'accord !", énonça-t-il – conscient qu'il parlait alors autant pour lui que pour son fils adoptif. "Il faut D'ABORD être sûr ! Ensuite, et ensuite seulement, justice pourra être faite… Si besoin est."
Mais l'enfant en face de lui n'avait pas l'air totalement convaincu par son appel au calme. Il évitait trop soigneusement de le regarder pour être tout à fait d'accord avec la prudence et à la modération qui venaient de lui être ordonnées. Alors que Remus cherchait déjà comment mieux formuler ses idées, l'enfant sembla se décider à exprimer ce qui le gênait :
"Papa ?"
"Oui, Harry."
"Je, je ne… Enfin… Si, si c'était vrai…", commença l'enfant avec l'air de ne pas oser terminer.
"Eh bien ?", le relança Remus, totalement affolé par le "si" présent dans la phrase comme par l'hésitation de son fils adoptif. Qu'est-ce que l'enfant était en train de s'imaginer ? Dans quoi l'avait-il entraîné ? Si Remus avait eu accès à un Retourneur de temps, il aurait maintenant choisi de cacher ses suppositions. Tant pis pour son envie de transparence et son besoin de partager ! C'était à l'adulte de faire face et non à l'enfant, même si c'était entrepris en son nom.
"Tu, tu ne crois pas qu'il… - enfin que le rat… - il aurait cherché à… à me faire du mal ?", formula lentement et maladroitement Harry. "Enfin, tu sais, il a quand même aidé à… Enfin, tu sais !"
Et l'objection de mon fils tient la route, reconnut Remus, un peu rasséréné par la logique de l'enfant. Si Peter était ce monstre de duplicité, s'il avait déjà décidé dans le passé de sacrifier Harry, s'il était le traître qui avait livré James et Lily, pourquoi n'avait-il rien tenté contre l'enfant aujourd'hui ? Craignait-il l'enfant qui avait défait Voldemort ? De nouveau, les questions étaient trop nombreuses et trop complexes.
"Je ne sais pas", admit-il. "C'est pour ça qu'il faut avant tout vérifier ma petite théorie. Mais, dans tous les cas, tu n'es pas fou, Harry, ça j'en suis sûr", ajouta-t-il en l'embrassant parce que l'ordre des priorités était d'abord de protéger Harry.
D'abord, l'enfant le regarda en silence, sans doute encore un peu effrayé par ce qu'il venait d'apprendre sur lui comme sur d'autres. Mais il se laissa finalement aller contre son père avec un sourire revenu :
"Tu es drôle, tu sais ! Tu me grondes parce que je pourrais suivre à la lettre ce que m'a dit un serpent… C'est fou, non ?", estima-t-il avant d'ajouter un peu malicieusement : "Tante Pétunia avait raison : vous autres, les sorciers, vous êtes BIZARRES !"
"Tiens, ça faisait longtemps que nous n'avions pas eu droit à l'opinion de cette chère Pétunia !", se moqua Remus en réponse – ils étaient là en terrain connu : pendant leur première année commune, il avait eu l'impression de passer son temps à devoir défaire les raisonnements de cette sœur de Lily qu'il connaissait si mal et méprisait plutôt. Elle avait laissé dans l'esprit d'Harry des réflexes de défiance et d'autocensure qu'il avait dû mettre toute son énergie à combattre. Comme les autres fois, Harry parut d'abord un peu vexé de la pique avant de se blottir plus étroitement contre son père adoptif comme pour renforcer son appartenance au monde magique.
"Je peux rester là, dis ?", murmura-t-il.
Remus hocha la tête : "Bien sûr, Harry, bien sûr..." L'angoisse de l'enfant, même si elle avait perdu son agressivité première, restait palpable. Lui-même n'allait pas mieux, jugea-t-il. Peut-être arriveraient-ils à surmonter tout ça, ensemble, espéra-t-il. Il faudrait bien ! "Courage, mon chéri, on va trouver une solution", murmura-t-il à l'enfant collé à lui comme une promesse. "On va trouver…"
