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Chapitre 19 | La Chasse est ouverte
Remus se réveilla une nouvelle fois en sursaut. Cette fois, c'était Ron qui se tenait au bord du lit. Il avait l'air perdu. Lui aussi.
"Ron ? Ça va ?", lui demanda-t-il machinalement.
Du coin de l'œil, Lupin constata qu'il était à peine sept heures du matin. Il était dit qu'il n'arriverait décidément pas à dormir plus de deux heures d'affilée cette nuit-là ! Il soupira mais revint sur Ron qui se balançait d'un pied sur l'autre.
"Viens, Ron, n'ai pas peur ! Tu vois, Harry est déjà là ! C'est normal d'avoir du mal à dormir après ce qui s'est passé…"
Instinctivement il posa sa main sur le front de l'enfant qui s'était approché, pour constater qu'il n'avait pas de fièvre. Ron sembla rassuré par ce geste. Il s'assit sur le lit.
"Harry… il est là depuis longtemps ?"
"Deux ou trois heures… pourquoi ?"
Ron haussa les épaules. Remus sentit son besoin de réconfort.
"Tu voudrais rentrer chez toi ?"
"Maman va me tuer", soupira Ron.
"Allons donc ! Parce que tu as perdu un vieux rat ?"
"Parce que je l'ai emmené… que je t'ai causé des histoires… avec des Moldus – Papa aussi va être furieux... il ne veut pas qu'on embête les Moldus… Pardon, Remus… je ne pensais pas que ça ferait autant d'histoires… Tu sais, Harry ne voulait pas… qu'on emmène Croûtard."
Remus sourit.
"Je te crois, ne t'inquiète pas ! Et puis, je crois même avoir une solution à ton problème." Ron leva vers lui des yeux pleins d'espoir. Remus continua : "On va dire que j'étais d'accord pour que tu l'emmènes… et qu'il s'est enfui de chez moi… Pour le vaccin… on va dire que c'était obligatoire pour aller au Reptilium. Ça te va ?"
"Pourquoi tu dirais ça ?", demanda Ron stupéfait, après un silence. Comment un directeur d'école pouvait mentir à des parents ?
"Disons que, un, je sais que tu ne voulais pas mal faire et que, deux, j'aimerais bien passer un marché avec toi", répondit Remus dans un soupir.
"Un marché ?"
"Oui. Donnant, donnant. Je ne dis pas tout ce qui s'est passé… et toi, tu ne dis pas tout non plus… Ce n'est pas vraiment un mensonge, c'est juste pour un moment…"
Ron le regardait par en dessous, pesant les paroles du père de son meilleur ami. Il voyait plus ou moins ce que Remus ne voulait pas ébruiter. Harry avait dit que le serpent lui avait parlé… et puis, Remus s'était bizarrement intéressé à Croûtard. Ron sentait confusément que tout ça était lié.
"D'accord", lâcha-t-il incapable de résister au regard de Remus.
"Tope-là !", dit Remus avec un sourire chaleureux. "Bon, alors, levons-nous je vais faire à manger… on a beaucoup de choses à faire, finalement, aujourd'hui… On va retourner au Reptilium, voir s'ils ont des nouvelles de Croûtard… et puis voir ce que Harry sait faire avec des serpents… hein ? Un vrai programme de vacances, non ?"
Le directeur du Reptilium parut plutôt ennuyé de les voir revenir. Non, il n'avait pas de nouvelles du rat, non. Il s'étonna aussi que Ron ne revienne pas avec ses parents. "Ils sont en voyage", répondit évasivement Remus, avant d'ajouter qu'ils étaient revenus "juste au cas où", parce que l'enfant avait réclamé l'animal. Lupin pouvait voir que le directeur avait de mal à considérer Croûtard comme l'animal de compagnie idéal pour des enfants de dix ans. Pendant que les adultes discutaient, les deux jeunes amis s'écartèrent doucement – comme prévu avec Remus. Harry s'approcha nerveusement d'une cage au hasard. Elle contenait des couleuvres.
"Ron, dis-moi si quelqu'un me regarde !"
"Ça va, Harry. Vas-y !" Ron n'avait pas l'air moins nerveux que lui.
Harry respira à fond et, la gorge sèche, murmura :
"Hé, serpent, tu m'entends ?"
Rien ne se passa. Remus se trompait, pensa-t-il nerveusement. Il n'avait aucun pouvoir particulier. Il était juste bon pour Ste-Mangouste !
"Tu sais Harry, je ne pense pas que ce serpent parle anglais", commenta Ron un peu moqueur.
Harry le dévisagea.
"Comment veux-tu que je parle une autre langue ?"
"Essaie en latin !", se moqua Ron gentiment.
Harry haussa les épaules. Ne sachant que faire, il changea de cage. Il avait devant lui une magnifique vipère. Elle était vraiment belle ! Brillante. La tête fine.
"Tu es très belle", dit-il. S'il avait regardé Ron à ce moment-là, il aurait su qu'il n'avait pas, cette fois-là, parlé anglais. Mais il se sentait hypnotisé par le reptile qui, lui-même, s'approcha de la paroi comme pour lui parler.
"Alors tu es revenu ?", entendit-il clairement.
"Ron, Ron, tu entends !?"
"Chut Harry ! Ne crie pas ! Continue, ça marche ! Ça marche !", Ron continuait de faire le guet mais son cœur battait la chamade. Son meilleur ami était incroyable ! Il avait défait Voldemort quand il était un bébé. Son père était un loup-garou et voilà qu'il parlait aux serpents ! Il tourna la tête pour vérifier que personne ne les observait. Il voyait au loin Remus s'entretenir avec le directeur, l'entraînant vers une cage dans la direction opposée. Les rares visiteurs, de si bonne heure, ne s'attardaient pas dans le pavillon des reptiles européens où ils se trouvaient. Ils ne risquaient rien.
La vipère continua.
"L'anaconda nous a parlé de toi…"
"Ah…" Harry était sidéré : comment l'anaconda pouvait-il parler de lui à d'autres serpents placés dans des cages de verre armé dans des bâtiments différents ? Mais il n'eut pas le temps de peser toutes les implications de cette information. La vipère continuait :
"Tu dois faire attention à toi… L'Autre reviendra… c'est écrit"
"L'Autre ?"
"Celui qui comme toi connaît la noble langue… Même les serpents évitent de dire son nom… et le Rat l'aidera… ça aussi c'est écrit". En parlant, elle s'était enroulée autour d'une branche et se balançait comme si elle voulait les hypnotiser pour de bon.
"À propos", commença Harry se rappelant soudain de sa mission, "le… le rat, il est toujours là ?"
"Je ne sais pas… pas dans ce pavillon, en tout cas"
"Merci", répondit Harry, vaguement soulagé. "Je suis désolé de ne pas pouvoir te rendre ta liberté", ajouta-t-il sincèrement.
"Fais bon usage de la tienne… et laisse la lune et l'étoile t'aider", répondit la vipère en se lovant sur elle-même comme si cette conversation l'avait épuisée.
"Alors que t'a-t-elle dit ?", le pressa alors Ron comprenant que l'entretien était terminé.
"Elle… elle ne sait pas où est Croûtard…"
"C'est tout ?"
"Allons voir Papa", répondit Harry, "faut que j'essaie dans d'autres pavillons."
Ils y passèrent la matinée. Sans beaucoup de résultats. Harry arrivait de plus en plus facilement à entrer en contact avec les serpents. Mais, malgré le regard admiratif de Ron et les encouragements de son père, qui semblait prendre ce nouveau pouvoir comme allant de soi, il n'arrivait pas vraiment à s'en réjouir. Il n'aimait pas sentir que les serpents savaient des choses, ou croyaient savoir des choses, sur son avenir. Il détestait qu'on lui répète que c'était "écrit" ou qu'on lui parle de lune ou d'étoile qui pourraient l'aider ! Une fois de plus, il ne souhaitait rien d'autre que de rentrer à Poudlard, de reprendre son balai, ses cours de latin et de potions. Remus ne se méprit pas sur ses soupirs.
"Arrêtons, Harry, si tu n'en as plus envie. Personne ne l'a vu. Il est peut-être loin d'ici, maintenant !"
"Mais Papa, et…"
"On trouvera d'autres solutions", l'interrompit son père avec autorité. Remus trouvait que Ron savait déjà trop de choses… or moins il en saurait, moins il aurait à en cacher – et Remus n'était pas à l'aise avec son marché. Il trouvait difficile de devoir faire confiance à un garçon de dix ans qui allait être bientôt loin de lui.
"On va aller voir Albus", ajouta-t-il finalement comme pour répondre à la question muette des enfants. Harry se sentit rassuré. Mais oui, c'était certainement ça la solution ! Grand-père Albus était puissant. Il savait encore plus de choses que Minerva, Remus ou Severus. Il saurait quoi faire !
Mais Albus Dumbledore était introuvable. Il était parti au Japon pour de mystérieuses recherches, leur apprit son secrétaire au Magenmagot. Ils pouvaient bien sûr essayer de lui envoyer un hibou ou lui confier un message. Remus le remercia. Il n'était pas question qu'il prenne le risque d'écrire des théories aussi fumeuses que celles qu'il portait en lui depuis vingt-quatre heures. Les risques étaient trop grands ! Il se contenta de demander que "l'estimé professeur Dumbledore les prévienne de son retour". Lupin ne doutait pas qu'Albus serait curieux des raisons de leur visite et qu'il les contacterait rapidement. Il était néanmoins un peu nerveux. Les choses lui échappaient un peu trop à son goût.
Comme les garçons étaient épuisés par leurs deux dernières journées, ils rentrèrent chez Remus en taxi. La circulation était affreuse et ils mirent un temps incroyablement long pour traverser Londres. Les deux garçons avaient laissé tomber leur tête sur les épaules de Remus et dormaient quand ils arrivèrent devant son immeuble.
Il eut beaucoup de mal à leur faire monter les escaliers – Voilà, un moment où la magie me serait bien utile !, songea malgré lui Remus. Il les laissa s'effondrer sur le lit tout habillés. Qu'ils dorment !, pensa-t-il en refermant la porte de la chambre derrière lui. Ils en ont besoin !
Il se prépara un plateau télé, décidé à se laisser emmener le plus loin possible de la magie et de ses problèmes. Ce soir, il voulait dormir ! Il voulait laisser de côté toutes les théories qui l'assaillaient. Il était déjà somnolent lorsque des coups discrets, frappés à sa porte, le firent sursauter.
"M. Lupin ? C'est Mrs Weston, votre voisine", entendit-il.
Un peu rassuré, il poussa le verrou et vit apparaître une femme fine entre deux âges.
"M. Lupin, ça fait si longtemps… Je vous ai guetté toute la journée mais j'ai dû vous rater… et puis j'ai entendu des pas… Je me suis dit que vous deviez être là !"
Remus hocha la tête. Il savait que Mrs Weston était bavarde. Il avait aimé la laisser pendant quatre ans lui faire la conversation. Ça l'avait aidé à se sentir humain – puisqu'un autre humain prenait la peine de lui parler. Et ça ne demandait qu'un minimum d'efforts.
"Ça se passe bien ces vacances ? J'ai vu votre fils de loin… c'est le brun, n'est-ce pas ? Il a bien grandi !"
Remus sourit avec patience, toujours incapable d'interrompre le flot des paroles.
"Bon, mais je m'égare… je voulais juste vous dire que le Reptilium a téléphoné… Je ne savais pas qu'il y avait un Reptilium à Londres ! Brr, rien que de penser à tous ces serpents, j'en ai la chair de poule… Bref, les gens du Reptilium ont dit de vous dire qu'ils avaient retrouvé ce que vous aviez perdu… Ils n'ont pas dit quoi… Enfin vous devez comprendre, non ?", finit-elle enfin avec un air de curiosité non dissimulé.
Remus la regarda sans mot dire. Il sentait ses joues se vider de leur sang. Il entendait, dans le silence soudain, son cœur cogner contre ses tympans. Le Rat, ils ont le Rat ! Comme Mrs Weston le regardait avec inquiétude, il se secoua.
"C'est l'ami de mon fils… Ron, il a perdu sa… game-boy… pendant la visite", bredouilla-t-il finalement. Où allait-il chercher ça ? "Tu as toujours été un grand menteur, Lunard, sous tes airs de sainte-nitouche", susurra dans sa tête la voix de Sirius. Sirius… Voilà que ses barrières internes anti-souvenirs de Sirius se désagrégeaient… Si vite ? Toi, tu ne vas pas t'en remettre si tu te trompes ! Calme-toi !, songea-t-il.
"Ah, bon… bon… iIs ont dit que vous pouviez passer quand vous vouliez… Même ce soir… le gardien de nuit l'aura… c'est ce qu'ils ont dit", compléta Mrs Weston.
"Maintenant ?", murmura Lupin.
"Oui ! C'est ce que j'ai compris."
Remus sut tout de suite qu'il ne pourrait pas attendre jusqu'au lendemain. Il ne pourrait pas passer une autre nuit à spéculer ainsi dans le vide ! Il hésitait néanmoins sur la marche à suivre. Il pouvait y aller seul et revenir avec… avec le Rat – quel qu'il soit – chercher les enfants. Il pouvait les emmener et aller ainsi directement à Poudlard. Il sut immédiatement que cette solution lui plaisait plus. À Poudlard, il aurait de l'aide, des témoins, un soutien. Il ne serait pas seul avec les garçons et un rat qui pouvait être celui qui avait détruit leur vie à tous neuf ans auparavant. Tout ça devait se régler à Poudlard.
Il rassembla rapidement leurs affaires et les rangea dans la grande valise à roulettes. Remus descendit ensuite les restes de son frigidaire à Mme Weston et lui demanda de lui commander un taxi. "L'ami de mon fils est malade", lui raconta-t-il sans se soucier de son air surpris. "Je vais le ramener à ses parents".
Il réveilla ensuite Harry et Ron et les fit descendre dans le hall avec la valise. Les enfants titubaient de sommeil. Dans le taxi, ils se rendormirent immédiatement. À cette heure, la circulation était fluide. Ils furent devant le Reptilium en moins d'une heure. Remus demanda au chauffeur de l'attendre et s'engouffra dans le bâtiment. Le gardien de nuit fut un peu étonné mais il lui tendit sans discuter une petite cage où se terrait un rat gris au pelage terne. Remus la prit le cœur battant et la leva dans la lumière. Il ne pouvait pas bien le distinguer au fond de la cage. Il se retint de l'ouvrir tout de suite. Tout cela devait déjà sembler trop curieux. Il remercia le gardien avec un pourboire – bénissant, pour une fois, ses quatre années moldues, qui lui avaient enseigné ce genre d'usage !
Quand il remonta dans le taxi, Harry ouvrit les yeux, et Remus répondit à sa question muette par un imperceptible hochement de tête. Il demanda au taxi de les amener à Trafalgar Square – près de la Croisée des Chemins, nota Harry. Le chauffeur eut un instant d'hésitation : "C'est un serpent que vous trimballez-là ?"
"Non", répondit Lupin avec fermeté, "une fouine… elle chasse les serpents…". Et un mensonge de plus !
Est-ce vraiment Peter Pettigrow qui se cache dans cette boîte ? Dans ce rat ?, s'interrogea l'enfant appuyé contre lui. Était-ce bien celui qu'il avait appris à considérer comme un héros, mort pour venger la trahison faite à James et Lily ? En était-il l'artisan ? Devait-il le haïr ? Remus lui avait demandé de ne jamais haïr Sirius, "qui avait trahi tout ce qui lui était le plus cher au monde"… mais que dirait-il de Peter ? Pourquoi les avait-il trahis ?
Harry sentait l'excitation monter dans ses veines et le réveiller complètement. Il n'avait jamais été aussi prêt de comprendre ce qui s'était passé il y avait neuf ans, de comprendre son histoire ! Les lumières extérieures jetaient de loin en loin leurs éclats sur le visage de son père. Un visage fermé. Lui aussi devait se poser les mêmes questions. Il ne pouvait QUE se les poser ! Harry soupira se sentant d'un coup bien plus vieux. Il eut soudain très envie d'être arrivé à Poudlard, de se retrouver en sécurité et de savoir la vérité…
