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Chapitre 20 | Tu quoque mi fili

Revenir à Poudlard ne fut pas le soulagement que Remus et Harry avaient attendu. Rien décidément ne semblait plus aller correctement ces jours-ci ! Les lieux comme les gens – ou les animaux ! – se révélaient détenir plusieurs personnalités. Le château leur parut moins une maison accueillante que la source redoutable de nouvelles embûches. À peine avaient-ils posé le pied dans le Grand Hall que Minerva fondait sur eux.

"Ah, Remus ! Vous ne pouvez pas savoir comme je suis contente de vous voir !", commença-t-elle sans attendre.

Harry et Ron levèrent instinctivement les yeux vers Lupin qui n'avait jamais semblé aussi épuisé. Presque la même tête que les jours de pleine lune, s'inquiéta Harry. Par réflexe, il regarda par les portes ouvertes le plafond de la Grande Salle pour vérifier où en était le cycle lunaire. Il restait une semaine avant la pleine lune. Harry ne put s'empêcher de frissonner. On lui avait toujours dit que seule la lune pouvait provoquer cette transformation, mais était-ce bien sûr ? Et si l'épuisement brisait d'un coup la fragile barrière qui protégeait l'homme du loup ?

"Que se passe-t-il, Minerva ?", demanda pourtant calmement Remus, reprenant en un instant son masque de directeur de Poudlard. Au plus grand soulagement de Harry, ce calme sembla déteindre sur sa professeure de Métamorphose qui reprit une posture plus conforme à son propre personnage.

"Excusez-moi, Remus… Rien de si catastrophique… Juste le départ brutal de Severus cet après-midi, en votre absence… Les articles de journaux mentionnant des manœuvres de Malefoy contre… contre nous… Albus étant introuvable… Mais que tenez-vous là ? C'est pour toi, Harry ?", répondit-elle nerveusement, visiblement partagée entre le besoin de raconter et le souci de ne pas trop en dire devant les garçons.

Instinctivement, Remus baissa les yeux vers la cage qu'il tenait dans sa main et frissonna.

"Non. Je vous expliquerai, Minerva. Et vous aussi, vous me direz ce qui se passe. En attendant, je vais coucher ces enfants… Je gage que même les manœuvres de Malefoy contre moi…" – il avait apprécié l'effort de solidarité de Minerva sans en être dupe pour autant. Lui seul était visé, il le savait. – "… peuvent attendre une petite heure. Retrouvons-nous dans mon bureau… d'accord ?"

Sans attendre de réponse, il entraîna les garçons dans ses appartements. Severus était parti ? Brutalement ? Cela l'inquiétait plus que la Gazette des sorciers et les manœuvres de Lucius.

Et tout cela, bien sûr, quand Dumbledore trouve bon d'être de l'autre côté de la Terre !, soupira-t-il intérieurement. Il ne fallait pas inquiéter les enfants. Il sentit le Rat, dont l'angoisse n'avait cessé de croître depuis qu'ils avaient quitté le Reptilium, essayer de ronger la cage de bois. Levant celle-ci devant lui, il sortit sa baguette et murmura "Durcidium". Le bruit s'arrêta immédiatement.

Est-ce qu'un rat normal ne continuerait pas ?, s'interrogea Lupin. Au fond de son âme, il SAVAIT que Peter était là, dans cette petite cage de bois et de fer. Calme-toi, chaque chose en son temps, s'admonesta-t-il pour la millionième fois. S'occuper d'Harry avait toujours été sa priorité et le sens de sa vie depuis qu'il était revenu dans le monde magique. Ce n'était pas le moment d'en changer.

À peine arrivé dans leur appartement, ledit Harry se jeta sur le canapé devant la cheminée, visiblement heureux d'être rentré chez lui. Ron s'assit à ses côtés, moins à l'aise, les yeux rougis par le manque de sommeil et les cheveux en bataille.

"Bon, ça suffit pour aujourd'hui, non ?", commença Remus gentiment. "Allez vite vous coucher ! Cette fois, je promets de ne pas vous réveiller !"

"Sans manger ?", s'inquiéta Ron.

Remus regarda sa montre. Il était plus de dix heures du soir. Il soupira en pensant à tout ce qu'il lui restait à faire CE soir, tout ce qui le séparait d'un repos réparateur. Il s'enquit néanmoins d'une voix à peu près égale :

"Vous avez faim ?"

Comme les garçons opinaient, il s'approcha de l'âtre et appela Linky.

"Oh Maître Remus, vous êtes revenus !", s'exclama l'elfe avec son inénarrable – et parfois fatigant – entrain permanent. "Linky ne vous attendait que dans deux jours !"

"Oui Linky, nous sommes revenus plus tôt ! Et sans dîner ! Tu peux t'occuper des garçons, s'il te plaît ? Dès qu'ils ont fini de manger, ils doivent se coucher, d'accord ? Sans lire, ni rien", expliqua Remus tout en vidant la valise à roulettes de son contenu et en lui rendant sa taille normale. "C'est bien d'accord vous deux ?"

Ron hocha la tête, satisfait de ne pas se coucher sans repas. Harry, qui s'était raidi en entendant les paroles de son père, ne répondit pas, mais Remus avait déjà reporté son regard sur l'elfe :

"Je voudrais aussi que tu restes ici, s'ils avaient besoin de quelque chose cette nuit… Je ne sais pas quand je reviendrai", continua-t-il, "Ah, dis aussi en cuisine que je veux bien manger quelque chose dans mon bureau… Ce qu'il reste, hein, ne réveillez personne pour nous, c'est compris ?"

L'elfe s'inclina : "Oui Maître Remus. Linky revient tout de suite avec de quoi faire manger les jeunes Maîtres… Et Linky attendra le retour de Maître Remus dans le salon… Et un repas attendra Maître Remus dans son bureau !"

"Parfait Linky", répondit Remus avec un sourire. Il y avait quand même des aides qu'il aurait été malvenu de refuser ! Il allait faire un commentaire en ce sens à Harry, quand il remarqua l'air furieux de son fils : "Quel regard ! Qu'est-ce qui ne va pas ?"

Harry sembla d'abord hésiter, mais finalement il explosa : "Tu ne peux pas nous envoyer au lit comme ça ! On n'est pas des... bébés ! On veut savoir !"

"Harry, Harry, du calme !", commença Remus d'un ton apaisant. "Personne n'a jamais dit que TU ne saurais pas… ce que tu auras à savoir… Mais je ne sais pas combien de temps cela va prendre… ni comment ça va se passer…" Il hésita à continuer son explication et conclut : "Et de toute façon, vous êtes épuisés."

Ron nota qu'il ne l'incluait pas dans ceux qui "sauraient". Il n'aurait pas su dire si ça le dérangeait vraiment. Depuis deux jours, il avait l'impression d'avoir basculé dans un monde inconnu, plus étonnant encore que celui des Moldus, et dont il ne comprenait pas vraiment les règles. Et surtout, il était TRÈS fatigué.

"Parce que toi, tu es en pleine forme, hein ?", répondit rageusement Harry.

"Allons, allons, Harry, sois raisonnable", essaya encore Remus.

"Et puis d'abord, c'est aussi mon histoire ! Je VEUX être là !", hurla son fils avec colère.

Ron ferma les yeux. Il aurait bien aimé être ailleurs qu'au milieu de cette dispute qu'il ne comprenait qu'à moitié. Il avait aussi vu s'allumer une lueur nouvelle dans les yeux de Remus – une lueur que Harry connaissait mais qu'il avait délibérément décidé d'ignorer. Cette lueur, décida le jeune Weasley avec moins d'expérience, n'augurait rien de bon !

"Maintenant ça suffit !", ordonna alors Remus d'une voix que Ron ne lui connaissait pas encore. "Écoute-moi bien, Harry, je ne vais pas le répéter : même si c'est TON histoire, comme tu dis, ce qui va se passer cette nuit ne TE regarde pas ! Tu vas aller te coucher et, demain, nous en reparlerons !"

"Non !", répondit son fils farouchement.

"Harry, tu préfères que JE te couche ?"

La voix de Remus sembla dangereusement calme à Ron. Il jeta un regard nerveux à son ami qui visiblement fulminait mais semblait néanmoins avoir choisi, enfin, de se taire. Harry semblait mesurer que Remus ne céderait pas.

Linky revint sur ces entrefaites, chargée de victuailles. Remus reprit la parole d'une voix plus calme :

"Linky, ils ne traînent pas trop, hein ? Tu sais où je suis, s'il se passe quoi que ce soit ? Et vous, c'est bien clair, vous vous couchez et vous DORMEZ, hein ?"

"Oui, Remus", répondit immédiatement Ron.

"Hum", répondit Harry les yeux étincelants de colère retenue.

"Harry ?", insista Lupin en affrontant sans ciller ce regard.

"On va essayer", grommela l'enfant après avoir encore lutté un instant.

"Bonne résolution", commenta son père en essayant de paraître plus chaleureux. Il empoigna la petite cage de bois et sortit de l'appartement sans plus se retourner.

L'incident tournait encore dans sa tête en boucle quand il entra dans son bureau. Minerva n'était pas encore arrivée. C'était aussi bien. Il avait clairement besoin de reprendre son calme avant d'affronter les affaires de Poudlard et le Rat.

D'un certain côté, il comprenait Harry et sa soif de savoir. Il sourit presque en repensant à son courroux obstiné. Il n'avait jamais autant ressemblé à James que dans cet instant ! Cette résolution furieuse, Remus avait eu l'occasion de l'observer de nombreuses fois pendant leurs sept années d'amitié. James ne laissait pas tomber. Jamais. Et ses longues insomnies avaient amené Remus à penser que cette obstination inflexible avait peut-être été la cause de sa perte… et de celle de Lily.

S'il tient autant de James que ce que tu aimes à la croire, suggéra une petite voix plutôt pessimiste, tu penses qu'il va rester dans son lit ? Remus chassa avec fermeté cette nouvelle angoisse… et tous les démons intimes qu'elle pouvait rameuter à sa moindre faiblesse. Il avait déjà trop à faire ce soir ! Et il était convaincu que ce n'était pas sa place : un enfant de dix ans n'avait pas à rendre justice… en aucune façon. Il fallait laisser ça aux adultes, à ceux qui eux aussi connaissaient l'erreur et la rédemption, la trahison et l'engagement pour une cause, la colère et le pardon. Il laissa donc sa raison tenir la dragée haute à la petite voix pessimiste : Il se pose des questions, et c'est normal. Mais il tombe de fatigue ; une fois dans son lit, il va simplement dormir.…

Tout en réfléchissant, il avait posé la petite cage sur une table basse de son bureau. "Revelatum", souffla-t-il. Les parois de la cage devinrent translucides, et il put voir le Rat tapi dans le coin le plus éloigné de lui.

"Alors, Peter… on a peur de ses amis maintenant ?", murmura-t-il après avoir observé, le cœur battant, la forme de museau, des petits yeux ronds et noirs, des oreilles. "On aurait quelque chose à se reprocher ?"

Le Rat ne bougea pas d'un millimètre. Ses moustaches frémissaient. Ses minuscules oreilles s'agitaient dans tous les sens.

"Tu sais… j'ai tellement pleuré ta mort, Peter, tellement admiré ton courage… Et maintenant, neuf ans après avoir bousillé nos vies, tu viens encore bousculer l'admiration que je t'ai portée ? Ce n'est pas très gentil ça, Peter !"

"Lupin ? Vous n'êtes pas seul ?", interrogea une voix dans son dos.

"Entrez, Minerva ! Nous sommes entre vieilles connaissances", répondit Remus, sans se retourner pour accueillir son ancien professeur, devenue avec les années une de ses rares confidentes.

"Pardon ?"

Remus pouvait voir l'inquiétude dans le regard de la professeure de Métamorphose. Elle regardait la cage et son contenu sans comprendre. Il soupira.

"Minerva", commença-t-il, "j'aurais tant aimé que Severus ou Albus soient là ce soir… Mais il n'y a que vous… et j'ai besoin de votre aide…"

La vieille dame le dévisagea avec cette raideur professorale qu'elle affectait. Elle le jaugeait.

"Je n'ai pas bu, Minerva, je vous le jure", se moqua-t-il doucement.

Les yeux de la professeure McGonagall ne le lâchèrent pas. Il soutint son regard sans un mot. Il n'y avait pas un bruit dans la pièce. Même le rat se tenait parfaitement immobile. Quand il fut sûr qu'elle avait senti la gravité du moment, il commença :

"Minerva… l'histoire qui se joue ce soir a commencé il y a seize ans… quand trois étudiants ont, par amitié pour un quatrième, pris les plus grands risques…"

Pas une seule fois, elle ne l'interrompit. Pas une seule fois, ses yeux ne le lâchèrent. Certains auraient pu trouver cela insupportable. Remus, lui, savait que cette écoute trahissait la confiance qu'elle lui accordait. Quand il eut fini, le même silence redoutable retomba sur le bureau. Puis Minerva demanda d'une voix un peu rauque :

"Qu'attendez-vous de moi, Remus ?"

Lupin lui sourit. Elle le croyait. C'était incroyable mais elle le croyait. Il n'existait pas pour Remus de personne plus rationnelle et équilibrée que Minerva McGonagall. Si elle le croyait… Il avala néanmoins sa salive :

"Je compte sur votre témoignage… Vous seule pouvez le reconnaître formellement. Vous pourrez aussi m'aider à le forcer à se montrer, si besoin… Ensuite, si je ne me suis pas trompé… je compte le livrer à la justice dès demain…"

"Et faire libérer Black ?"

"Oui", avoua Remus. Il avait l'impression d'être redevenu un élève devant elle. Avait-il les bonnes réponses ?

Pour la première fois depuis qu'elle l'avait rejoint dans son bureau, le regard de Minerva se détourna de lui. Elle se leva, alla jusqu'à la double fenêtre, contempla le parc éclairé par la lune montante. Remus attendit le cœur battant à grands coups sourds. Quand elle se retourna, sa baguette était sortie de ses robes et ne tremblait pas.

"Ayons-en le cœur net", fut sa seule réponse.

Une pierre énorme s'envola de la poitrine de Lupin. Il acquiesça gravement, lui aussi trouvait les mots difficiles.

Quand ils prononcèrent l'incantation, leurs voix leur parurent immatérielles. Comment pouvaient-ils avoir des voix aussi fermes alors que leurs cœurs battaient la chamade ? La transformation commença instantanément balayant leurs derniers doutes. Un petit homme blond, très vieilli pour quelqu'un de trente ans, remplaça le rat sur la petite table. Il se tenait recroquevillé comme le rat l'avait fait avant lui. Il tremblait comme l'animal quelques secondes plus tôt. Ses yeux affolés volaient de l'un à l'autre.

"Pettigrow", souffla Minerva.

"Peter", murmura Remus, déchiré par des vagues d'émotions contradictoires. Il y avait son ami Queudver, si confiant en eux, si demandeur de leur affection et de leur reconnaissance. Il y avait le traître, qui avait détruit leurs rêves, leurs vies. Il était content de ne pas être seul face à lui. Il ne savait pas quelle émotion aurait dominé. La présence de Minerva lui permettait de tempérer l'une avec l'autre : l'ami avait trahi ; le traître méritait la justice puisqu'il était son ami… Il frissonna néanmoins.

Minerva lui jeta un regard et il secoua la tête imperceptiblement. Non, il ne se sentait pas capable de l'interroger. Elle comprit avec cette finesse qu'il lui avait toujours reconnue.

"Peter, nous vous croyions morts", commença-t-elle sévèrement.

Elle aurait pu tout aussi bien dire : "Pettigrow, vous m'avez rendu votre devoir en retard", songea Remus. De fait, Peter sembla accepter d'emblée son autorité.

"Mais… mais je suis mort, Professeure… Je ne suis rien… une ombre… un rat… Ne suis-je pas pire que mort ?", répondit Peter d'une voix saccadée. On sentait qu'il n'avait pas utilisé ses cordes vocales depuis longtemps. Elles le trahissaient toutes les trois syllabes, dérapant dans les aigus ou disparaissant dans les graves sans raison. Malgré des paroles véhémentes, son corps n'avait pas bougé. Il restait assis, prostré sur la petite table. Ses yeux ne s'étaient pas calmés eux non plus.

"Mais, pourquoi, Peter ? Pourquoi vous cacher ainsi ?", reprit la directrice de Gryffondor.

"Je n'avais pas le choix !", plaida Peter.

"Pas le CHOIX ?" gronda Remus brusquement. "Pas le CHOIX ?"

Minerva posa sa main libre sur son bras.

"Racontez, Pettigrow… c'est votre seule chance…"

"Ma seule chance de quoi ?", répliqua le petit blond avec un imperceptible haussement d'épaules.

"...de libérer votre conscience", précisa Minerva, intraitable.

Peter la fixa un moment puis partit d'un rire sans joie.

"Qu'est-ce que ma conscience a à voir là-dedans ? Les ai-je sacrifiés sans y être obligé ? Qui peut comprendre ? Vous êtes là à me juger sans savoir… aurais-je dû mourir ? Vous me préférez mort, n'est-ce pas ? Un bon rôle pour le petit Peter, n'est-ce pas ? Même ma mère a été heureuse de ma mort !", répondit-il. Sa voix étrange rendait ses paroles encore plus insupportables.

Remus frissonna. Était-il prêt à entendre tout cela ? Non, mais il le devait. Il le devait pour Harry…

Harry, lui, n'avait pas retrouvé son sourire habituel après le départ de son père. Ron avait découvert à cette occasion quelqu'un de bien différent. Avec Linky, il avait été capricieux et bougon. Rien de ce qu'elle lui proposa à manger ne trouva grâce à ses yeux. Les œufs étaient trop cuits, le jus de citrouille trop froid, le pain trop dur, les pommes de terre trop salées et le fromage insipide. Même la tarte aux framboises fut repoussée. Trop sucrée. Linky supporta sans rien dire la mauvaise humeur d'Harry. Elle s'excusait automatiquement de la mauvaise qualité des plats, en proposait d'autres, cajolait l'enfant pour lui arracher un sourire qu'il lui refusa. Ron était surpris car il ne l'avait jamais entendu se plaindre de quoi que ce soit quand il restait au Terrier. Il ne l'avait pas plus vu faire le difficile avec son père. Il subodora que cette relation avec Linky avait un passé et, surtout, que Harry se vengeait sur l'elfe du refus de son père. Il évita de montrer qu'il l'avait remarqué. Il n'était pas sûr que Harry serait très fier de lui le lendemain.

Les choses empirèrent encore lorsque Linky voulut suivre les ordres de Lupin et les envoyer se coucher. Harry essaya tous les subterfuges pour repousser le moment du coucher. Il avait soif, chaud, mal à la tête, oublié de dire quelque chose à son père… Il en fallut beaucoup mais finalement, Linky se fâcha.

"Maître Harry vous êtes vraiment méchant ! Vous savez ce qu'a dit votre père ? Linky peut l'appeler pour n'importe quoi… Maître Harry veut que Linky demande à Maître Remus de venir ?", demanda-t-elle les yeux brillants de larmes.

Faire cela revenait pour l'elfe à reconnaître son impuissance devant son Maître. C'était échouer. C'était de la part de l'elfe une tentative plus que désespérée de restaurer son autorité. Mais elle réussit pourtant. Harry hésita une fraction de seconde, mais céda. Avec mauvaise humeur.

Il ne semble pas se faire d'illusion sur la réaction de son père si l'elfe l'appelle, songea Ron qui continua à se faire le plus discret possible tant que l'elfe n'eut pas éteint les lumières et quitté la chambre. Et, je crois qu'il a raison.

Quand plus aucun bruit ne parvint du salon, Ron se tourna vers Harry.

"Eh, Harry, tu dors ?"

"Non."

"Ça va ?"

"Hum."

"Dis-moi… qu'est-ce qu'il fait cette nuit ton père que tu voulais absolument voir ? Pourquoi a-t-il besoin de Croûtard ?", interrogea Ron timidement.

Harry ne répondit pas immédiatement. Il avait oublié que Ron ne savait pas tout. Il était par contre sûr que Remus n'aurait jamais voulu qu'il lui dise tout. Et comme il était très en colère contre son père, il lui raconta tout ce qu'il savait – même la fumeuse théorie de son père sur la véritable nature de Croûtard et l'innocence de Sirius Black. Comme Ron pensait que Remus et Harry étaient les deux personnes les plus merveilleuses qu'il ait eu l'occasion de rencontrer, il ne douta pas un seul instant qu'ils aient raison. Ainsi son frère et lui avaient caché et nourri un assassin ? Ron n'en revenait pas. Cette fois, Percy pourrait prendre ses airs supérieurs, Fred et George pourraient se moquer, il n'en aurait cure. Il était le seul vrai aventurier de cette famille !

"Waow", fut son seul commentaire. Il ramena un bref sourire sur le visage de Harry. Mais son ami se renfrogna très vite :

"Tu comprends, c'est pas juste… Sans moi, sans mes pouvoirs… est-ce qu'on l'aurait retrouvé ? Et maintenant, il veut que je reste dans ma chambre !"

Ron hocha la tête. Il comprenait que Harry se sente frustré mais, en même temps, ce qu'on lui avait dit de l'homme qui s'était caché dans le rat lui paraissait un peu effrayant. Est-ce que Remus n'était pas un peu présomptueux de s'en occuper seul ? N'aurait-il pas dû faire appel au ministère de la Magie ? Harry balaya ces objections d'un revers de main. Ces idiots avaient mis son parrain en prison il y a neuf ans, on ne pouvait rien attendre d'eux ! Ron fut un peu vexé – il était assez fier que son père travaille pour le Ministère – mais il ne trouva pas de réponse adéquate. Il préféra changer de sujet.

"Tu n'essaies pas d'aller voir ?"

Harry haussa les épaules

"Avec Linky sur le canapé ?

"Elle ne va pas finir par dormir ?", demanda Ron avec un grand bâillement.

Harry s'assit dans son lit d'excitation.

"Tu as raison, Ron. Je ne vais pas rester là sans rien faire !"

Ron se gratta la tête. Il avait peut-être parlé un peu vite… Et si Remus le voyait ? Mais Harry, d'habitude si fier de copier la réflexion et la mesure de son père adoptif, n'avait plus envie d'entendre des paroles de prudence. En trois enjambées, il était à la porte et écoutait les bruits du salon. Doucement il tourna la poignée et tira légèrement le battant. Linky ne se retourna même pas dans son sommeil. Sur la pointe des pieds, il traversa le salon. Devant la porte d'entrée, il hésita. Si Linky y avait posé des charmes, il était perdu. Revenir en arrière lui parut impossible. De quoi aurait-il l'air devant Ron ? Et puis, à tout prendre, mieux valait avoir affaire à Linky qu'à Remus, non ?

Il inspira profondément et posa délicatement sa main sur la poignée. Il appuya légèrement et vit la porte fonctionner. Aucune protection particulière, a priori. Il n'attendit pas une seconde de plus et se glissa dans le couloir. Il savait Severus absent et Minerva avec son père. Il ne risquait donc presque rien. Les autres professeurs hantaient peu les couloirs et Rusard ne venait pas régulièrement dans cette partie du château….

Harry progressait sans bruit, l'oreille aux aguets. Il cherchait tout particulièrement à détecter le bourdonnement qui accompagnait l'apparition des fantômes du château. Peeves avait toujours pris un malin plaisir à le dénoncer. Le Baron sanglant aussi – il professait un grand respect pour le directeur de Poudlard, quel qu'il soit. Nick était plutôt gentil avec lui mais il manquait souvent de discrétion. Ce n'est pas pour rien qu'il est le fantôme des Gryffondors, pensa Harry. Il frissonnait dans les couloirs de pierre malgré la saison. J'aurais dû m'habiller, songea-t-il sans pour autant faire demi-tour.

Certains portraits ouvrirent un œil sur son passage, un ou deux poussèrent jusqu'à lui grommeler un salut ensommeillé mais aucun ne donna l'alarme. Harry soupira. Il était maintenant tout proche du bureau directorial. Deux chemins s'ouvraient à lui. Le plus direct l'amènerait en haut de l'escalier tournant devant les doubles portes du bureau. Mais il n'allait sûrement pas entrer par la grande porte ! L'autre était un chemin connu d'une partie seulement du personnel – et des elfes sans doute, ajouta mentalement Harry. En traversant plusieurs salons de réception, on pouvait rejoindre le bureau de son père par une porte dérobée. C'était clairement le chemin à suivre s'il voulait en savoir plus ! Il traversa sans encombre les grandes pièces éclairées par la lune montante. "La lune et l'étoile t'aideront", avait dit la vipère.

Il s'arrêta devant la boiserie qui s'ouvrait sur le petit salon du bureau. Son père lui avait appris à l'ouvrir juste avant qu'il ne parte chez Ron. Harry inspira profondément et posa sa main moite sur le panneau central. Il attendit de sentir une chaleur irriguer sa main.

"Lupis filium sum", murmura-t-il. Il avait lui-même choisi son mot de passe. Il en avait été si fier, se rappela-t-il. Cette pensée l'embarrassa un peu, alors il la repoussa. Ce n'était pas le moment de craindre le loup… même quand on était son fils !

La porte pivota silencieusement. Harry entra précautionneusement, le cœur battant, s'attendant à chaque pas à voir surgir son père. Il allait refermer la porte quand il se souvint de la mise en garde de Remus : "Rappelle-toi, tu ne peux ouvrir cette porte que de l'extérieur, Harry." S'il la refermait, il s'interdisait toute retraite. Il la laissa donc ouverte, convaincu qu'il n'allait pas rester bien longtemps… s'il n'était pas découvert !

Harry n'avait pas fait trois pas quand il distingua entre la voix de son père et celle de Minerva, une troisième voix. Une voix étrange, presque inhumaine. Elle prononçait avec peine des paroles terribles :

"… tu te crois autorisé à me juger, Remus… parce que tu as réussi, hein. Mais tu devrais me remercier… Si James et Sirius étaient encore là, que serais-tu ? Tu serais peut-être professeur – Ils t'auraient peut-être recommandé… peut-être pas… Après tout ils croyaient que TU étais le traître !"

"Pettigrow, arrêtez, ces paroles sont indignes !", s'emporta la vieille dame.

"Laissez-le dire, Minerva, je veux savoir… Et puis, il y a une part de vrai dans ce qu'il dit", murmurait son père.

"Mais bien sûr, Remus, bien sûr que je suis dans le vrai ! Tu le sais". La voix s'était enflammée causant encore plus de variations des graves aux aigus. "Ah, Lily t'a défendu… bien sûr… admirable, comme toujours… "Elle ne pouvait pas y croire"… mais que pouvait-elle, hein, contre ces deux-là ? Elle n'était que la mère de l'héritier", continua-t-elle perfidement.

"Laisse Lily en dehors de ça !", gronda Remus.

"Pourquoi ? Pourquoi, Lunard ? N'est-ce pas pour elle que tu élèves l'enfant ? Hein ? L'enfant que tu n'auras jamais ? Ah, j'ai bien rigolé quand tu lui as chanté la chanson de la fleur ! et Queudver si "érudit", si "sincère"… si con, oui ! Quelle finesse de jugement cette Lily, n'est-ce pas ? A-t-elle jamais su combien tu l'aimais ?"

Harry, tremblant de froid, de fatigue et de peur, entendit des bruits de chaises qui tombent et de lutte.

"Ça suffit, maintenant, ça suffit ! Ne vous laissez pas manipuler, Remus !", criait Minerva.

"Vas-y, mais vas-y, frappe-moi donc", grinçait la voix, "Tu en meurs d'envie !"

Ses tripes lui criaient de s'en aller. Retourne te coucher, ce n'est pas ça que tu voulais savoir… Papa avait raison… Et puis, quelqu'un va finir par te voir… Rentre maintenant ! Mais il était incapable d'arrêter d'écouter l'horrible voix. Il en voulait encore. Il fit encore un pas dans le noir vers la porte du bureau de son père.

"Et c'est par dépit que vous les avez livrés à Voldemort ?", questionna Minerva, visiblement incrédule, quand le calme fut revenu.

"Par lucidité", répondit la voix.

"Peter, comment as-tu pu croire que tu t'en sortirais ?" Il y avait du désespoir dans la voix de son père, pensa Harry. Mais que faisait-il là à découvrir des secrets sordides… où était la justice flamboyante qu'il avait imaginée… l'homme à genoux demandant pardon ? Où ?

"Comment aurais-je pu croire que la prophétie était vraie ?", répondit sobrement la voix.

Visiblement les autres n'avaient pas de réponse. Quelle prophétie ?, songea Harry perdu.

Au même moment, un bruit nouveau et régulier s'imposa à son esprit. Des pas. Quelqu'un arrivait… derrière lui par les salons. La lumière jaillit par la porte qu'il n'avait pas refermée. De nouveaux pas, quelqu'un s'approcha de la porte dérobée. Un sorcier. À contre-jour, Harry n'arrivait pas à le reconnaître. Ce nouveau venu lui bloquait toute retraite ! L'homme hésitait lui aussi. Va-t'en, pria Harry silencieusement, va-t'en ! Mais le sorcier prit la décision contraire, il sortit sa baguette, fit deux pas en avant et cria d'une voix de fausset : "Y'a quelqu'un ?"

Quirrell ! C'était le professeur Quirrell ! Il était perdu ! De fait, la porte du petit salon s'ouvrit violemment sur son père. Il avait un visage épouvantable : des traits tirés, des cernes violacés, des yeux injectés de sang. Sa baguette tremblait dans sa main. Caché derrière un rideau, Harry se mordit les lèvres pour ne pas crier d'effroi.

"Ah, c'est vous Quirrell… Comment… comment êtes-vous entré ?"

"Mais… mais c'était ouvert, M. le directeur ! Je… je ne savais pas que vous étiez revenu, M. le directeur… Je, je me suis un peu perdu dans les couloirs et je me suis retrouvé là, dans ces salons... Cette porte était ouverte", balbutia le jeune sorcier visiblement impressionné par l'état de Lupin.

Remus lui jeta un regard suspicieux et avança jusqu'à la porte. Il posa sa baguette sur le panneau de bois et murmura des incantations que Harry ne put saisir. Il vit par contre sur le bois apparaître en lettres de feu son mot de passe "Lupis filium sum". Il vit aussi les épaules de son père s'affaisser encore un peu plus. Puis sa voix, d'autant plus glaciale qu'elle était posée, arriva jusqu'à ses oreilles.

"Sors de ta cachette, Harry."

L'enfant n'hésita pas longtemps. Il sortit, les yeux baissés, du rideau derrière lequel il s'était réfugié à l'entrée de Quirrell. Ce dernier dévisageait le père comme le fils sans cacher son étonnement. Remus n'offrit d'abord à Harry qu'un regard vide et épuisé. Puis il s'anima étrangement en fixant les pieds de l'enfant :

"Mais regarde-toi, pieds nus dans les couloirs ! N'importe quoi !", souffla-t-il avec colère.

Harry aurait aimé disparaître… ou n'être jamais venu là… ou trouver les bons mots pour s'excuser... Il sentait Remus au bord de l'explosion. Difficile de décider d'être la goutte d'eau !

Minerva avait reculé, la baguette à la main, et observait de l'encadrement de la porte leur petit groupe d'un air interrogateur. Harry comprit qu'elle surveillait Peter en même temps. Après avoir échangé un regard avec elle, Lupin soupira imperceptiblement puis s'adressa à Quirrell :

"Quirinus, vous tombez bien… Nous venons d'être attaqués, la professeure McGonagall et moi par… par un ancien étudiant – un homme dangereux au demeurant… un Animagus… Je compte le livrer aux autorités demain matin…"

Quirrel avait ponctué le discours de Remus de "Ah", "Vraiment", "Quelle histoire", que Harry aurait trouvés risibles dans d'autres circonstances. Minerva hochait la tête comme pour appuyer les paroles de son père.

"Je sollicite donc votre aide", reprit Remus, "Minerva et moi, nous sommes épuisés… J'aimerais que vous surveilliez cet homme jusqu'à, disons, cinq heures du matin… La professeure McGonagall vous relaiera ensuite jusqu'à neuf heures… Vous êtes d'accord ?"

"Oh, mais bien sûr, M. le directeur. À votre service !", s'empressa de répondre Quirrell.

Minerva ajouta : "Nous allons l'emmener dans les cachots, n'est-ce pas, Quirrell ?"

En parlant, elle avait tiré Queudver, qui ne lui résistait pas, hors du grand bureau. Harry ne put s'empêcher de le dévisager avec curiosité. Ainsi cet homme avait été l'ami de ses parents – de tous ses parents… – et les avait tous trahis. Cet homme disait qu'ils – eux trois – l'avaient déçu… Les petits yeux fatigués de Peter se posèrent sur lui et s'allumèrent d'une flamme ironique :

"Tiens, tu es là, toi ? Toujours des problèmes d'autorité, Lunard ?", croassa-t-il.

Harry rougit. Il se sentait déjà tellement honteux d'avoir ainsi été surpris en pleine désobéissance ! Il ne tenait pas à fournir un nouveau prétexte à ce traître pour persifler ! Mais Remus se contenta de hausser les épaules en poussant son ancien ami vers la sortie. Il raccompagna l'étrange groupe jusqu'à l'escalier tournant sans plus prononcer un mot.

Quand Remus entra de nouveau dans son bureau, il constata que Harry n'avait pas bougé d'un millimètre. Il se sentit au bord de la nausée. Et il lui fallait encore se mettre en colère ? Où trouver l'énergie ? N'y avait-il donc jamais de pitié pour les pères loups-garous épuisés ?

"Mais que vais-je donc bien pouvoir faire de toi ?", murmura-t-il avec sincérité.

Il avait effroyablement envie de laisser tomber, d'envoyer Harry se coucher et d'attendre un jour nouveau pour décider quoi que ce soit. N'avait-il pas assez donné en une seule journée ? Mais Harry le regardait avec une visible appréhension qui l'exaspéra – est-ce qu'il avait besoin que son fils ait peur de lui, en plus ?

"Il est un peu tard pour te demander comment je vais prendre ça, non ?", lança-t-il sèchement, sa colère se développant hors de sa volonté, se nourrissant elle-même, comme un monstre indomptable, comme le loup qui revenait tous les vingt-cinq jours lui prendre son humanité.

"Je suis désolé", murmura Harry d'une voix larmoyante qui lui hérissa le poil.

"Bien sûr", éternua Remus, incapable d'élaborer, de dépasser sa colère et son chagrin. Il préféra s'éloigner de peur de ses propres gestes. Il fallait en finir, décida-t-il. Il fit apparaître une paire de chaussons qu'il tendit au jeune garçon.

"On ne va pas traîner ici", annonça-t-il en ouvrant la porte de son bureau. Harry le suivit, l'air prêt à fondre en larmes à la moindre remarque.

"Je ne sais pas ce que tu as entendu mais... je n'aurais ni la patience ni la force d'en discuter avec toi ce soir", le prévint Remus.

"Papa...", commença Harry, et son air suppliant réveilla sa colère intacte.

"Écoute, Harry, surtout ne dis rien, surtout ne te cherche pas d'excuse !", explosa Remus. "Je ne crois pas que je résisterai à l'envie de te coucher avec une fessée sinon !"

Face à lui, Harry se mordit les lèvres, peut-être pour retenir des larmes, mais Remus n'arrivait pas à ressentir de remords. Lui aussi était blessé, de bien des manières différentes, et personne ne viendrait le consoler.

Ils finirent donc le chemin dans le plus grand silence, lequel ne se brisa que quand Remus ouvrit la porte de leur appartement, poussant un Harry défait devant lui. Linky se réveilla en sursaut, en criant :

"Qui va là ? Oh ! Maître Remus ! Et… Maître Harry !" L'elfe plaqua ses deux mains sur sa bouche, l'air terrifiée. "Qu'est-ce… Oh, non… Ne me dites pas ! Linky ! Linky, incapable !"

L'elfe commença à se gifler avec vigueur, mais Remus écarta ses bras avec fermeté.

"Ça suffit ! Ce n'est pas ta faute ! Tu m'entends ? Ce n'est PAS TA faute !"

"Oh Maître Remus est trop gentil avec Linky ! Et Linky qui dort quand son Maître a besoin d'elle", l'interrompit l'elfe d'une voix pleurnicharde.

"Linky ! Je ne t'ai jamais demandé de l'empêcher de sortir ! Je ne pensais pas qu'il ferait ça… Alors, arrête ! Arrête ! Sinon je vais VRAIMENT me mettre en colère."

"Linky mérite la colère de Maître Remus. Elle subira !", affirma l'elfe avec dignité.

Remus soupira. Quelqu'un le laisserait-il aller se coucher, ce soir ? Hein ? À bout de nerfs, il secoua l'elfe par les épaules :

"Ecoute-moi bien, Linky", gronda-t-il, s'accrochant à la planification du futur comme à une bouée. "Tu vas aller te coucher et revenir tout à l'heure… avant neuf heures… avec un petit-déjeuner. Tu resteras avec les garçons et tu les surveilleras… Si quand tu arrives, je vois que tu t'es blessée, je te donnerai des vêtements, tu entends ? Est-ce que quelqu'un va m'obéir ce soir, à la fin ?"

Linky avait écouté, pétrifiée, ce que lui ordonnait, si violemment, le directeur de Poudlard. Elle fut incapable de faire autre chose que de hocher la tête en silence quand elle fut convaincue qu'il avait fini de hurler.

"Bien. Alors, exécution !", termina Remus, douloureusement conscient qu'il devait se forcer à baisser la voix – ses nerfs décidément lui échappaient.

L'elfe hésita un quart de seconde puis elle fit une petite révérence et disparut. Derrière lui, Harry sembla penser que la meilleure chose à faire était de se faire oublier et recula doucement vers la porte de sa chambre. Remus se dit vaguement qu'il devrait lui parler – essayer de savoir ce qu'il avait réellement entendu, le gronder peut-être aussi d'avoir profité du manque de vigilance de l'elfe – mais la tâche lui parut insurmontable. Il avait besoin de dormir. Oui, dormir. Et l'idée vint seule : il connaissait suffisamment Harry pour savoir que ce dernier n'allait pas trouver le sommeil facilement après une scène pareille.

"Attends, Harry", appela-t-il doucement, "viens ici."

L'enfant s'était figé, visiblement un peu inquiet, et une bouffée d'amour et d'agacement envahit Remus – Oui, vraiment, tu n'es pas en état d'avoir une vraie discussion avec Harry, se répéta-t-il intérieurement. Et c'était sans doute vrai pour Harry aussi, ils avaient besoin de repos et de recul.

"Allez, viens-là !", insista-t-il tout en sortant d'une petite armoire deux flacons de potion – fabrication exclusive de Severus. L'enfant était maintenant à côté de lui, avec un air de question ambulante. L'appréhension visible sur son visage épuisé augmenta quand il vit son père diriger la cuillère qu'il venait de remplir vers lui.

"C'est quoi ?", demanda Harry méfiant

"La dernière chose dont j'ai besoin, c'est que tu sois malade demain", expliqua patiemment Remus, prévoyant déjà les protestations

"Pas… pas cette horrible potion au poivre ?", balbutia l'enfant.

"J'ai bien peur que si."

Harry soupira, se forçant visiblement à renoncer à une réelle confrontation, et Remus eut envie de sourire pour la première fois depuis de longues heures.

"Allez", insista-t-il pourtant, et l'enfant finit par avaler sa potion en grimaçant.

Remus prit le deuxième flacon en expliquant :

"Je pense que tes nerfs ont été mis à rude épreuve ce soir – pas que les tiens d'ailleurs… Tu vas prendre une potion pour un sommeil sans rêves : ça m'évitera de te trouver dans deux heures au pied de mon lit."

Cette fois, Harry ne chercha pas à y échapper.

"Je peux aller me coucher maintenant ?", protesta-t-il quand même ensuite.

"Comme ça, ce serait de ma faute ?", lâcha Remus – presque une moquerie mais pas loin d'une remontrance non plus.

"Non. Bien sûr que non", répondit Harry en piquant du nez.

Remus hésita une nouvelle fois. Il n'aimait vraiment pas comment les choses s'étaient passé ce soir. Mais ses yeux tombèrent sur l'horloge qui annonçait trois heures du matin et il renonça.

"On parle demain, OK ? Va dormir."

Harry acquiesça et s'écarta très doucement de lui, comme à regret. Eh bien, regrette, mon chéri, regrette, décida Remus, luttant contre l'envie de le serrer contre lui et de tout oublier – ce n'était pas une chose à faire.

"Et ne réveille pas ton copain !", ajouta-t-il quand il le vit près de la porte de sa chambre. "Ah, et demain, vous restez au lit jusqu'à neuf heures, hein ? Et vous ne faites pas enrager Linky, c'est clair ?"

Harry acquiesça gravement, ses grands yeux verts fatigués braqués sur lui comme une prière, et Remus ne put s'empêcher de sourire.

"File maintenant !"

En le regardant disparaître dans la chambre sombre, Remus se demanda si le peu d'heures qu'il lui restait à dormir suffirait à lui rendre les forces nécessaires pour affronter ce qu'il l'attendait. Il eut un peu peur du futur et des inconnues qu'il comportait – mais l'excitation était forte aussi, presque suffisante pour tirer un trait provisoire sur les questionnements du passé qui venaient de se rouvrir. Jamais il n'allait arriver à dormir ! Il regarda le flacon qu'il tenait encore dans la main et décida de prendre une demi-cuillère de potion pour s'assurer qu'au moins il s'assoupirait.