Entre Lune et Étoile
Disclaimer : A elle…
Chapitre 24 – Arrières pensées
La neige avait blanchi Londres pendant toute la nuit précédente. Cela donnait à la ville, un nouveau calme, une beauté étrange, une certaine douceur. Harry laissait ses yeux vagabonder sur les immeubles, les parcs et les décorations de Noël pendant que le taxi roulait avec un frrrch humide et doux. Remus et le conducteur discutaient de la circulation, de la politique du gouvernement – là, Remus écoutait surtout - et de la fraîcheur de cet hiver. Harry savait déjà que son père avait des capacités à se fondre dans la population moldue que peu de sorciers partageaient. Mais, finalement, n'était-ce pas toute son histoire ? N'était-il pas allé se fondre dans la population moldue de peur d'être rejeté par la population magique ? N'avait-il pas dû toujours cacher sa singularité au sein de la population magique ? Harry comprenait de plus en plus que cette attention aux détails et cette humilité témoignaient avant tout de la souffrance intérieure de son père, de sa crainte permanence d'être repoussé comme monstrueux. Cette souffrance il l'avait pleinement découverte cet été et elle continuait de l'interpeller sans qu'il ne sache bien comment y répondre. La plupart du temps, il essayait de ne pas y penser parce qu'il avait surtout besoin de la face lumineuse de Remus : ses certitudes, son attention et son amour…
A un feu rouge, Harry vit un groupe d'enfants moldus de son âge qui entamaient une grande bataille de boules de neige aux portes d'un parc. Il envia leur insouciance et leur camaraderie. Pourquoi avait-il cette impression que la vie lui interdisait en permanence – et ce quoique que puisse prétendre Remus - un tel détachement ? Une nouvelle fois, Harry essaya d'imaginer à quoi allait ressembler l'enfant qu'ils allaient chercher à l'aéroport d'Heathrow. Remus lui avait montré des photos de Sirius lors de leur première année à Poudlard. Un jeune garçon élancé mais solide, aux cheveux noirs mi-longs et souples, y chahutait la plupart du temps. Il dépassait largement le blond et rond Peter d'une tête. Harry n'arrivait pas à croire que ce dernier avait pu trahir ses amis sept ans plus tard ! Peter avait l'air à la fois si timide et si gentil. Il n'avait que peu de chose en commun avec l'homme prématurément vieilli et désabusé qu'il avait croisé l'été dernier dans le bureau de son père…
James – à chaque fois, Harry avait l'étrange impression de se voir jouer avec les trois autres, sauf que cet enfant là avait des yeux noisette ! - avait presque la même taille que Sirius, mais ses lunettes et son visage rond le faisait paraître plus jeune. Remus, quant à lui, y montrait généralement une transparence lumineuse – une peau blanche, des yeux clairs, un maintien modeste et un air un peu maladif. Le premier lui ressemblait tant physiquement ! – pourtant il ne le connaissait pas ou, plutôt, il ne connaissait de lui que ce que le dernier lui avait raconté. Et si aucun trait physique ne rattachait Harry à son père adoptif, tous deux savaient bien la profondeur du lien qui les unissait ! Quelque soit le trouble qu'il ressentait en observant un presque jumeau, il n'avait aucun doute sur qui était SON père.
Sur toutes les photos, le jeune Sirius plongeait droit dans l'objectif des yeux noirs intenses et sûrs d'eux. Harry le trouvait plutôt intimidant mais il n'osait pas le dire à Remus.
« Et tu crois qu'il sera comme ça ? », avait-t-il simplement demandé.
« Je ne sais pas, Harry… je ne sais vraiment pas… Il devrait lui ressembler, c'est sûr : c'est son corps après tout ! Il sera un peu plus petit… Je pense qu'il sera à peu près de ta taille, Sir…Cyrus a toujours été grand pour son âge », ajouta-t-il visiblement soucieux de s'habituer à prononcer ce nom.
« Et… et ce sera un enfant ou… » Harry ne savait pas vraiment comment expliquer sa question. Remus lui avait rabâché que l'enfant abriterait deux personnalités – une personnalité propre qui aurait neuf ans et serait comme une page blanche et une personnalité ancienne, celle de son parain. Mais vraiment, comment s'y préparer ?
« Les deux, Harry. L'idée est d'aider Cyrus a être le plus enfant possible, OK ? C'est ce qui protègera son secret, tu comprends ? »
Harry avait hoché la tête, il comprenait mais avait du mal à se représenter comment faire.
« Il…il va jouer à être un enfant ? »
« Non… Il va laisser l'enfant en lui être un enfant… Non, pas 'en lui' », se corrigea-t-il. « Il va laisser l'enfant qui l'abrite vivre une vie d'enfant… il va en profiter pour se reposer…Ne t'inquiète pas trop Harry, pour moi aussi, c'est difficile à accepter mais… je suis sûr que quand nous y serons, nous allons y arriver ! »
La voix de son père se voulait rassurante, mais Harry avait bien vu qu'il doutait lui aussi. La lueur d'inquiétude qui persistait dans le regard de son fils avait poussé Remus à être plus affirmatif :
« Harry, regarde moi ! Je ne peux pas te promettre que tout va se passer sans difficultés. Ce serait faux. Mais quelques soient ces difficultés, nous serons capables d'y faire face… parce que nous le faisons pour quelqu'un qui nous aime. Même si toi tu ne rappelles pas de lui, je suis sûr que lui pense à toi… Je suis quasiment sûr qu'il a accepté ce plan en partie parce qu'il lui permet d'être près de toi… Mais, plus encore, nous allons y arriver parce que nous sommes deux… Avec toi, Harry, je SAIS que j'y arriverai !»
Remus avait plongé ses yeux dans ceux de son fils adoptif en y mettant toute cette persuasion tranquille qui était sa force. Harry avait été impressionné par son air sérieux et tendre à la fois. Il s'était jeté dans ses bras.
« Oh, Papa… oh Papa… »
Il n'était arrivé pas à en dire plus mais ça avait suffi à Remus. Il lui avait chuchoté à l'oreille :
« Quoiqu'il arrive, Harry, souviens toi que TU es mon fils et que je t'aime plus que tout sur cette terre… D'accord ? »
Harry avait hoché la tête.
Ces souvenirs lui amenèrent un léger sourire alors que le taxi s'engageait sur une voie rapide conduisant à l'aéroport.
« Vol British Airways 3702 en provenance de Brasilia, porte 11. »
Remus avait répondu d'un signe de tête à la question muette d'Harry, et ils avaient accéléré pour rejoindre le comptoir de la compagnie British Airways. Ils croisèrent une foule de gens qui sortaient de la fameuse porte 11, rejoignaient des gens qui étaient venus les attendre et poussaient devant eux une pile de bagages sur de légers chariots en aluminium. Harry songea distraitement combien Ron aurait posé de questions dans un tel environnement. Ron. S'il avait été sûr que le 'frère' qui l'attendait lui offrirait la même amitié que le dernier garçon des Weasley, il aurait su faire taire son angoisse !
Mais l'arrivée de cet enfant pour l'instant l'amenait à mentir à Ron : Remus l'avait enjoint de lui écrire pour lui raconter l'arrivée de ce petit frère du bout du monde. Harry avait dû prétendre dans sa lettre qu'il n'avait pu en parler avant mais qu'il était au courant depuis longtemps, qu'il l'avait déjà rencontré… Remus lui avait expliqué que Dumbledore et lui avaient choisi le Brésil pour trois raisons : la première était l'éloignement et le peu de relations entre les deux communautés magiques; la deuxième était que les Maraudeurs s'étaient tous ensemble rendus au Brésil en vacances après leur diplôme de Poudlard ; et la dernière que Sirius et lui y étaient retournés peu après la naissance d'Harry encore une fois en vacances.
« Tu n'es pas obligé de dire tout ça dans cette lettre… mais s'il te demande… et ce ne sont pas des mensonges », avait insisté Remus.
Ça l'avait quand même un peu gêné de devoir cacher la vérité à son meilleur ami mais comment refuser ? Surtout que Remus comptait sur Arthur et Molly pour s'emparer de la nouvelle et la répandre autour d'eux. « Si des gens comme les Weasley y croyaient suffisamment, Cyrus serait relativement à l'abri », avait-il expliqué.
Au comptoir de British Airways trônait une hôtesse en uniforme bleu marine et minuscule calot assorti. Un drôle de costume, songea Harry qui mettait pour la première fois les pieds dans un aéroport. Lui-même aurait pu passer pour n'importe quel enfant moldu avec ses baskets, son jean et son gros sweat-shirt à capuche. Ses vêtements comme ceux de son père étaient noirs – « Nous sommes en deuil, Harry, pas la peine de sangloter, mais le noir ça impressionne toujours. » Il portait par-dessus une parka molletonnée orange fluo. Son game-boy dépassait d'une de ses poches.
« Mademoiselle ? » appela Remus. « Je viens chercher mon fils, mon plus jeune fils. Il voyage seul. Il arrive de Brasilia… »
Il vit les yeux de l'hôtesse s'élargir et le dévisager. Merlin, ne put-il s'empêcher de s'inquiéter, Que va-t-elle m'annoncer !
« Vous… vous êtes son… père ? », s'enquit l'hôtesse.
« Mon nom est Remus Lupin, je viens chercher mon fils, Cyrus », précisa l'interpelé avec une légère inquiétude. Peut-être n'auraient-ils pas dû faire autant confiance à des moyens de transport moldus.
Les yeux de l'hôtesse coururent de Lupin à Harry, notant les vêtements sombres, le brassard de deuil de Remus. Les cernes qui marquaient en permanence le visage du jeune directeur de Poudlard, comme sa distinction, finirent de l'impressionner. Elle prit une expression de circonstance.
« Oui, bien sûr. Quelle terrible histoire ! Je m'excuse… je ne m'attendais pas à voir quelqu'un de... si jeune », finit-elle par avouer presque rougissante.
« Voici, mon fils aîné, Harry », répondit Remus un peu sèchement pour cacher sa propre surprise. Si jeune ? Oui, les Moldus ont des enfants plus tard que nous en général… Jeune ? Suis-je jeune ? J'ai parfois l'impression d'être plus vieux que Dumbledore !
Harry fit un petit signe de tête à la mention de son nom. L'hôtesse lui sourit :
« Oh, mais alors toi aussi… tu es orphelin ? Mon pauvre petit… tu es aussi brun que ton frère… »
« Mon frère ? » Harry s'était tellement concentré sur l'enfant qui allait arriver qu'il n'avait pas réfléchi au regard des autres sur lui. Etait-il lui aussi sensé avoir perdu sa mère ? Ressemblait-il vraiment à Cyrus ? Absolument perdu, il jeta un regard suppliant à Remus qui l'entoura aussitôt de son bras.
« Excusez-le… tout ça est encore si récent… »
« Bien sûr, oui… c'est à moi de m'excuser… J'aurais dû… je vais appeler ma collègue… », répondit l'employée un peu confuse.
Elle souleva le combiné du téléphone et chuchota :
« Cecilia ? C'est Vanessa au comptoir. Le père de l'enfant est là. Oui, le père du garçon… Oui… Non, avec le grand frère… Non, je n'ai rien dit… Ils…ils sont en deuil, Cécilia… Oh, fais comme tu veux ! Bien. »
Harry et Remus échangèrent un regard surpris.
« Un problème ? », questionna l'adulte.
La jeune femme hésita.
« Non… ils arrivent… Enfin, je devrais peut-être vous prévenir -vous avez l'air si gentil… Mais, ma collègue a eu un peu de mal avec lui - le choc, j'imagine… Il… il a été... »
« Malade ? »
« Non, non… insupportable », murmura l'hôtesse rougissante.
« Oh », dit Remus ne trouvant rien de mieux dans l'instant.
Mais une voix fatiguée leur parvint au même moment, le dispensant de trouver de meilleure réponse :
« … arrête de traîner comme ça ! Je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi obstiné! Je lui souhaite bien du courage à ton père! Tu peux être sûr que je vais lui dire… »
Harry leva les yeux et vit Remus se mordre la lèvre. Il le connaissait assez pour dire que son père luttait avant tout contre l'envie de rire. Et il en fut un peu jaloux : est-ce que Remus avait jamais ri à ses bêtises ? Pas devant lui en tout cas !
« Hé ! Mais où tu vas, reviens là ! »
Un enfant mince – presque maigre - aux cheveux noirs assez longs voltigeant autour de lui, vêtu de vêtements dépareillés trop légers pour l'hiver londonien, venait de s'arracher à l'emprise de l'hôtesse et courrait vers eux. Il se jeta sur Harry, le serrant de toutes ses forces dans ses bras fragiles.
« Harry ! Oh, Harry ! Je suis SI content de te voir, si content ! J'ai cru que jamais… »
L'enfant n'arriva pas à finir sa phrase. Harry sentit ses larmes qui tombaient sur son épaule. Une vague inconnue d'affection vint dissoudre ses appréhensions. Il était très ému lui aussi. Il n'aurait jamais cru que Cyrus le reconnaîtrait ou qu'il ferait le premier pas. Et ça lui faisait incroyablement plaisir ! C'était comme si toutes ces histoires devenaient vraies et qu'il venait réellement chercher un demi-frère qui aurait vécu loin de lui ! Tout en rendant son embrassade à Cyrus, il leva les yeux vers son père dont les yeux brillaient. Les deux hôtesses échangèrent un regard éloquent. La dernière arrivée ne semblait plus si sûre de sa colère. Mais Cyrus se tourna vers Remus et le fixa de ses immenses yeux noirs qui semblaient engloutir son très mince visage. Ils se dévisagèrent un court instant avant que l'enfant ne murmure un « Papa » quasiment inaudible et ne se jette une fois de plus dans ses bras.
« Oh, Si…Cyrus, Cyrus… enfin ! », murmura Lupin en fermant les yeux.
Entre ses bras, l'enfant se mit à sangloter, et il continua à le serrer dans ses bras tout en murmurant des paroles apaisantes :
« Ne t'inquiète pas … c'est fini, c'est fini, maintenant… plus jamais… plus rien ne nous séparera… On va rester tous les trois, hein ? Qu'est-ce que t'en dis ? Tous les trois, on y arrivera… » Cyrus hocha la tête sans arriver à articuler un mot.
Harry, qui avalait difficilement sa salive, pouvait voir l'émotion gagner les deux hôtesses. Celle qui les avait accueillis murmura à l'autre : « Pauvre gosse… sa mère tuée devant lui et toi qui fais le dragon… regarde-les ! »
L'autre haussa les épaules avec peu de conviction. « T'as pas passé 18 heures de vol à essayer de le faire tenir en place ! Mais je reconnais… il a peut-être des excuses… »
Remus prit sur lui de briser l'embrassade de Cyrus en l'asseyant sur le comptoir de la compagnie aérienne. Il sentit en le faisant combien l'enfant était léger – bien plus qu'Harry, par exemple, qui n'était déjà pas un poids lourd ! Dumbledore lui avait fait savoir que Sirius était en très mauvais état physique – sans parler de son moral - quand il l'avait fait sortir d'Azkaban. Il essuya doucement les yeux de l'enfant avec un mouchoir qu'Harry avait sorti de sa poche. Le petit visage de Cyrus était marqué par la fatigue et la malnutrition. Seuls ses yeux sombres brillaient d'une flamme impressionnante, comme si toute sa vie s'y était concentrée. Harry lui fit un petit sourire timide d'encouragement que Cyrus lui rendit. Ce sourire transforma son visage. Il ressembla alors l'espace d'un instant trait pour trait aux photos de l'album de son père. Harry en eut le souffle coupé. Remus, lui, se tourna vers les deux femmes :
« Excusez-nous », commença-t-il en souriant légèrement
« Oh Monsieur, c'est naturel ! Nous… nous sommes désolées... Nos sincères condoléances, encore un fois » s'empressa de répondre l'hôtesse Vanessa. Sa collègue opina, ayant visiblement oublié ses plaintes et son ressentiment. Mais Remus insista en la fixant :
« J'ai cru comprendre que le voyage n'avait pas été facile. Je sais combien Cyrus peut être… difficile parfois… J'imagine que les circonstances - l'attaque… l'orphelinat… n'ont pas aidé. »
L'hôtesse Cécilia acquiesça visiblement mal à l'aise. Mais comme Remus se taisait sans pour autant la lâcher du regard – un technique que Harry et bien des élèves de Poudlard avaient appris à redouter – elle se sentit obligée de répondre :
« Oui... eh bien, je dois dire qu'il… qu'il a peu dormi », répondit-elle en rougissant un peu.
« J'en suis désolé… sincèrement ! », lui assura Lupin calmement. « Cyrus, je pense que tu pourrais t'excuser. »
Harry pouvait dire que Remus était assez content d'avoir impressionné l'hôtesse et que Cyrus l'avait regardé faire avec plus de curiosité que d'inquiétude. Il lançait maintenant à son « père » un regard plus interrogateur que gêné. Harry n'était pas sûr qu'il aurait été capable d'une telle nonchalance dans la même situation. Puis, haussant les épaules, il murmura de cette voix si aiguë qui était la sienne :
« Pardon, mademoiselle, mais, c'était si long, ce voyage ! »
Harry vit l'hôtesse Cécilia se mordre les lèvres pour s'empêcher de rire. Sa collègue se retint visiblement de dire que ces excuses étaient un peu légères et opta pour un sourire crispé. Remus, lui, hocha gravement de la tête comme si l'explication de Cyrus était suffisante.
« J'imagine qu'il y a des formulaires à remplir », ajouta-t-il, soucieux d'en finir avec cette conversation.
Dumbledore lui avait obtenu un passeport moldu où apparaissaient Harry ET Cyrus. Il possédait de plus une lettre de l'orphelinat Paolo Freire de Brasilia l'informant du jour et de l'heure de l'arrivée de Cyrus. Tout ceci fut suffisant pour les deux hôtesses.
Cécilia fit néanmoins remarqué que l'enfant n'avait pas de bagages : « Je ne sais pas si vous étiez au courant »
« Si bien sûr… Il n'a rien pu prendre. La maison a…brûlée » expliqua-t-il en mettant suffisamment d'émotion dans sa voix pour qu'aucune des deux hôtesses n'ait envie d'insister. « J'ai amené des vêtements plus adaptés », ajouta-t-il en levant un petit sac de voyages.
« Oh bien sûr ! », s'empressa de répondre Vanessa. « Suivez moi, je vais vous trouver un endroit tranquille ! »
Quand ils sortirent des vestiaires de la compagnie, Cyrus était habillé comme Harry, exception faite de sa parka qui était bleu pâle. Il tenait la main de Remus de la façon la plus naturelle du monde. Harry l'avait remarqué sans trop savoir si ça le gênait ou pas. Comme l'autre main de Remus se posa sur son épaule et la serra affectueusement, il décida que non.
Ils s'éloignèrent dans la galerie marchande qui conduisait vers les taxis. Remus au détour d'une vitrine vit leur reflet. Avons-nous l'air d'une famille ? Il était incapable de le dire. Pourtant pour lui, dans ce reflet, se tenaient auprès de lui les deux personnes qui comptaient le plus au monde, la famille qu'il s'était par deux fois construite. James et Sirius avaient été ses frères. Harry était son fils. Et sa volonté de protéger Cyrus était suffisante pour qu'il accepte de mettre lui et Harry en danger. N'était-ce pas ça une famille ?
« On va où ? », questionna la petite voix aiguë de Cyrus le tirant de sa rêverie.
« Chez Albus », répondit Remus « Il veut te voir… nous irons demain à Poudlard »
« C'est toujours très amusant de dormir chez grand-père Albus », commença Harry un peu impulsivement avant de se demander si cette information intéresserait un adulte caché dans un enfant. Cyrus l'observa et lui sourit :
« T'y vas souvent ? »
« Heu non… mais j'aime bien : il a une grande piscine chauffée », développa Harry toujours mal à l'aise. Son trouble ne diminua pas quand il vit Cyrus s'intéresser clairement à quelque chose qui était derrière lui, puis derrière eux.
« Hé, Papa, c'est quoi, ça ! », demandait l'enfant désignant un hall de jeux vidéo d'où s'échappait un mélange saisissant de sifflements et d'explosions électroniques, d'exclamations de dépits et de musique criarde. Il s'était arrêté et tirait Remus en arrière.
« Des jeux vidéo, Cyrus »
« Des jeux quoi ? »
« Vi-dé-o,- un truc moldu », chuchota Remus.
« On peut y aller, dis ? »
« Pas maintenant», commença Lupin en souriant devant l'impulsivité du jeune garçon. « Albus nous attend ! »
L'enfant tapa du pied, clairement agacé. Harry le regardait avec curiosité. Il ne pouvait pas croire que son parrain aurait un tel comportement. Il devait clairement « laisser l'enfant qui l'abritait faire », songea-t-il. C'était donc bien un enfant qui allait vivre avec eux ? Jusqu'à présent, Harry n'y avait pas vraiment cru. Il attendait un parrain et c'était vraiment un enfant qui venait à lui. Il se demanda s'il ne préférait pas cela. Avant qu'il n'y ait plus réfléchi, son père reprit un peu plus sérieusement.
« Cyrus, je serais content de te faire plaisir… mais ce n'est pas possible maintenant… »
« T'es pas drôle ! »
Remus eut brusquement du mal à respirer. Même si la voix était étonnamment plus aiguë que celle de Sirius dans ses souvenirs, l'expression et le ton ne le trompèrent pas. Combien de fois, Sirius leur avait corné cela dans les oreilles ? « Pas drôle » était le comble de la critique qu'il pouvait leur adresser. Comment y répondre maintenant, presque dix ans plus tard, quand ses propres priorités avaient tellement changé ? Il se sentit peu sûr de lui tout à coup. Surtout avec Harry qui les observait sans rien dire !
« Non, Cyrus, je ne suis pas toujours drôle », reconnut-il de sa voix la plus calme. « Surtout quand c'est une question de sécurité… Or nous devons partir d'ici au plus vite, ce n'est pas notre monde. »
L'argument eut l'air de porter quelque peu.
« Je ne voudrais pas avoir à t'obliger, Cyrus », ajouta-t-il très sérieusement. Les immenses yeux noirs de l'enfant le fixèrent d'un air surpris. Le pour et le contre d'une confrontation flottèrent dans les grandes pupilles sombres.
Cyrus finalement soupira : « Pfff… trop nul », mais il avança tout de même.
« Merci, Cyrus », répondit Remus, se forçant à cacher son soulagement.
Cet incident finit de convaincre Harry qu'il avait peut-être finalement vraiment hérité d'un nouveau compagnon de jeu. Mû par le désir de s'en faire un ami, il lui tendit son game-boy :
« Tu peux déjà t'entraîner sur ça… C'est la même chose en petit ! »
A la surprise de Remus, Cyrus s'enthousiasma à l'instant :
« Oh, un enfant en avait une dans l'avion mais il n'a pas voulu me la prêter ! Je peux ? Vraiment ? Merci, Harry ! Comment ça marche ?... »
Jusqu'au taxi, les deux jeunes garçons ne lâchèrent plus la console, et Remus dut les pousser pour entrer dans la voiture.
Le trajet d'Heathrow à Finchley, une banlieue résidentielle de Londres où résidait maintenant Dumbledore, fut assez long pour que Cyrus s'endorme entre Harry et Remus qui échangèrent un regard amusé et attendri.
« Il n'a pas du beaucoup dormir dans l'avion, on dirait », avança prudemment Harry. Il se demandait tout de même si cet enfant serait aussi incontrôlable que le Sirius des souvenirs de Remus. Comment son père envisageait-il cela ?
Le soupir de Remus vint presque comme une confirmation.
« J'en ai bien peur », reconnut-il. Puis, croisant le regard interrogateur d'Harry, il ajouta : « Il semblerait qu'il ait bien cette partie de son caractère… mais Sirius » - il pensait pouvoir parler librement dans un taxi moldu – « Sirius avait des raisons personnelles pour se rebeller contre toute autorité… Les circonstances ont changé… Cyrus… j'espère que Cyrus s'en rendra compte… »
Harry pouvait dire que Remus était troublé. Ce n'était pas de lui de faire des explications aussi peu claires ! De quelles circonstances, de quelle rébellion parlait-il ? Mais il le connaissait assez pour sentir qu'il était inutile de poses CES questions-là. Il n'aurait pas de réponses plus précises ! Il hocha simplement la tête et reprit son observation du paysage enneigé.
Le taxi se rangea en douceur devant une grande maison cossue, rendue encore plus imposante par son manteau neigeux. Remus et Harry sortirent. Lupin portait dans ses bras Cyrus toujours endormi. Le secrétaire de Dumbledore les laissa entrer sans manifester la moindre surprise. Il les fit aussitôt passer dans un salon victorien. Quand la porte se referma sur eux, Remus dit d'une voix forte « Pudding de Noël ». Les murs tremblèrent et disparurent. Ils se trouvèrent dans une autre salle, plus vaste et plus ancienne, d'un style purement médiévale. Auprès de la haute cheminée où un feu crépitait, se tenait Dumbledore, Fumseck sur l'épaule. Il s'avança vers eux.
« Mes chers amis, bienvenus ! Oh, mais il dort ? »
« Oui, il n'a pas dormi dans l'avion - c'est ce qu'on nous a fait comprendre », indiqua Remus avec un petit sourire indulgent qui, une fois de plus, agaça Harry.
« Oh, je vois », commenta Dumbledore lui aussi un avec air amusé. « Allons lui trouver un lit… »
Ils s'enfoncèrent en silence dans les corridors de ce château médiéval qui se cachait dans le pavillon cossu de Finchley. Le vieux professeur les conduisit jusqu'à la chambre qu'ils occupaient à chaque fois qu'ils venaient lui rendre visite. Une chambre dans une tour, avec une vue imprenable sur un Finchley que les Moldus ne pouvaient pas voir, fait de châteaux et de manoirs. Un troisième lit à baldaquin y avait été ajouté. Remus y posa son fardeau, déchaussa l'enfant et le recouvrit d'un plaid. Quand il se redressa, il croisa le regard interrogatif de Dumbledore :
« Remus, vous pensez qu'on peut le laisser seul ? »
Lupin haussa les épaules.
« J'imagine qu'il va dormir plusieurs heures… »
« On va lui laisser Fumseck. Il viendra nous prévenir s'il se réveille », proposa le vieux sorcier, et l'oiseau s'envola de son épaule pour se poser à la tête du lit. « Fumseck a toujours eu la plus grande patience avec Sirius », commenta encore Dumbledore.
Harry, qui était resté silencieux pendant tout ce temps, s'interrogea une fois de plus sur la personnalité de son parrain. La première réaction de tous était d'inviter à la patience et à l'indulgence ! C'était tout de même étrange ! Sirius n'était plus un enfant quand il était entré à Azkaban ! Il suivit les deux adultes sans vraiment écouter leur conversation qui tournait essentiellement sur Poudlard. Il était tellement plongé dans ses pensées qu'il n'entendit d'abord pas la question de son 'grand-père'.
« Harry », insista Remus « Albus te demande si tu veux aller te baigner en attendant le dîner ! »
L'enfant dévisagea les deux hommes avec un peu de méfiance. Pourquoi avait-il l'impression qu'on cherchait à se débarrasser de lui ? En même temps, l'immense bassin souterrain de la demeure de Dumbledore était un petit paradis tropical, peuplé de fleurs, d'oiseaux et de singes, au beau milieu de Londres. Même pour un enfant vivant dans un monde magique, l'endroit méritait un détour. Il hocha donc la tête et partit en courant en lâchant un simple « à tout à l'heure ! »
Les deux hommes échangèrent un sourire.
Le dîner et la soirée étaient passés assez vite. On n'avait parlé ni de Cyrus – qui était resté obstinément endormi -, ni de Peter –Harry supposa qu'ils en avaient parlé en son absence -, ni de Malefoy… Les adultes furent en effet soucieux d'aborder des sujets légers – le Quidditch, la vie de Poudlard, les frasques des jumeaux Weasley, les prochaines fêtes de Noël…- et de l'inclure dans leur conversation. Harry s'était laissé gagner par cette atmosphère détendue et avait retrouvé un comportement sans arrière-pensée avec ces deux hommes qui l'avaient élevé. Harry et Remus avaient rejoint leur chambre fort tard. Harry, qui avait particulièrement apprécié que personne ne l'envoie au lit plus tôt, s'était écroulé en observant, comme dans un brouillard, son père remercier Fumseck et remonter les couvertures d'un Cyrus qui n'avait pas bougé un cil.
Le rêve était venu plus tard. Il s'était immiscé dans l'esprit d'Harry sans que celui-ci ne puisse rien faire pour le contenir.
Il courait. La forêt semblait l'empêcher d'avancer. La Forêt interdite : immense, sombre et menaçante, comme quand il s'y était perdu enfant. Alors qu'il errait sans but, il avait entendu des bruits dans un fourrées.
« Faites que ce soit Hagrid… ou un centaure », s'était-il entendu prié.
Mais une forme noire indistincte, qui semblait glisser plus qu'elle ne marchait sur le sol, était sorti de l'ombre. Harry n'avait pas été élevé par un professeur de défense contre les forces du mal pour rien, il sut immédiatement ce qu'était cette silhouette.
« Un détraqueur ! Un détraqueur si près de Poudlard ? Incroyable ! »
Pourtant il était sûr maintenant que la silhouette s'avançait vers lui. Il ne lui restait que la fuite sauf qu'à cet instant, comme sous l'effet d'une magie maligne, tous les bosquets autour de l'enfant se couvrirent d'épines acérées qu'il ne pouvait traverser. Harry s'était retrouvé acculé, sans échappatoire, le détraqueur continuant de s'avancer vers lui sans sembler jamais hésité. Affolé, Harry avait ramassé une branche – aussi stupide que ça puisse paraître… - et avait prononcé la formule qu'il avait vu son père enseigner aux septièmes années qui souhaitaient devenir des Aurors. Ce n'était pas une magie facile, mais à sa grande surprise et à son grand soulagement, elle fonctionna… Elle fonctionna trop bien même…
« Expecto Patronum ! » avait-il crié comme si sa vie en dépendait.
La branche avait tremblé et il avait du la tenir à deux mains. Un halo gris argenté s'était formé à son extrémité et deux silhouettes avaient commencé à apparaître. Un chien ET un loup. Le détraqueur s'était arrêté en les voyant. Il ne bougeait plus. Les deux canidés grondèrent et grognèrent puis se jetèrent sur la silhouette encapuchonnée. Harry avait senti son cœur sauté de joie dans sa poitrine. Il était sauvé !
Mais les deux animaux étaient passés au travers du détraqueur aussi facilement que si celui-ci avait été un fantôme. Ils avaient alors perdu l'équilibre, roulé sur le sol et, quand ils s'étaient relevés, ils s'étaient jeté férocement l'un sur l'autre.
« Arrêtez », hurla Harry, désespéré - sans trop savoir pourquoi ce combat le rendait si triste.
« C'est TA faute », répondit d'une voix sifflante le détraqueur en reprenant sa progression vers lui.
« Non, non ! Je suis innocent ! INNOCENT ! », protesta Harry dans son rêve.
« Je suis innocent ! INNOCENT », hurlait une voix grave, désespérée et inconnue dans la réalité.
Réveillé en sursaut, dressé dans son lit, l'enfant l'écouta le cœur battant la chamade. La Forêt avait disparu ainsi que le Détraqueur mais l'angoisse persistait. Ce n'était pas SA voix. Il ne connaissait personne qui ait cette voix. Qui pouvait hurler dans la réalité la même chose que lui dans son rêve ? Avec un bref soulagement, il reconnut la voix douce de son père qui murmurait :
« Sirius, arrête ! Cet enfant ne peut pas vivre avec tes cauchemars. Arrête de le charger de tes émotions ! Cyrus, Cyrus, tu m'entends ? Bats-toi ! Ne te laisse pas faire ! »
Mais ces paroles ne semblèrent pas calmer celui – ou ceux – auxquelles elles étaient adressées.
« Je… je suis innocent… innocent… Je ne suis PAS le gardien du secret… C'est Peter, PETER ! », répétait fiévreusement la même voix grave que le rêve de Harry.
« Je sais Sirius, je sais », répondait Remus patiemment. « On le trouvera… Tu seras réhabilité… Tout s'arrangera maintenant… »
Harry chercha d'une main tremblante ses lunettes. Elles lui confirmèrent ce qu'il avait déjà compris. Cyrus – ou Sirius ?- délirait, les yeux grands ouverts, le visage déformé par la peur, dans le lit opposé à lui. Remus le tenait dans ses bras et lui murmurait – sans résultat – des paroles apaisantes. Avant qu'Harry ait pu secouer la peur qui le figeait, la porte de la chambre s'ouvrit doucement devant Dumbledore. Il s'approcha de Remus qui leva des yeux interrogateurs vers lui. Le vieux professeur murmura d'un ton las :
« Il arrive, Remus, il arrive… Il ne voulait pas… mais je lui ai ordonné de venir… »
Version revue en juillet 2010
