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Khila Amin Note de la traductrice : Sans essayer de supplanter les deux merveilleuses auteurs de cette non moins merveilleuse histoire dans votre coeur, je me permets d'écrire un petit mot de remerciement à tous ceux qui ont reviewé (et donc lu) le premier chapitre. Et tout spécialement à la délicieuse Adriana qui, craignant de massacrer la langue de Baudelaire, m'a fait un tel éloge dans celle de Tolkien que j'en ai encore les larmes aux yeux. J'ai décidé de traduire Khila Amin autant par amour de la langue française que par amour d'Haldir, et j'adore faire cela. Cependant, je ne m'attendais pas à déclencher un tel enthousiasme ! Une si belle review m'a énormément touchée, si bien que j'ai mis un temps fou à traduire le second chapitre, que je n'arrêtais pas de relire. J'espère qu'il sera à la hauteur de vos attentes, quelles qu'elles soient, tout comme les suivants.
Merci à tous.
Mélusine
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Chapitre Second : Rétablissement
J'étais assise sur mon lit, recroquevillée, le regard errant sur les murs de la chambre. La compulsion d'aller trouver le Roi devenait plus forte à chaque instant. Comme au jour où j'avais eu à soigner la petite fille, je me trouvai bientôt attirée contre mon gré vers les hauteurs et la Tour Blanche de Minas Tirith. Une nouvelle fois, je me trouvai face aux portes closes ; mais cette fois-ci elle s'ouvrirent en grand sur mon passage, et je les franchis sous le sourire des gardes.
Une fois à l'intérieur, je baissai les yeux sur les guenilles que j'arborais, honteuse de n'avoir rien de mieux à me mettre ; puis je levai les yeux sur le grand escalier qui menait à la tour, et sur l'arbuste qui s'épanouissait si superbement à son pied. Saisie par l'hésitation, je me laissai tomber sur une large pierre auprès de l'arbre, le coeur si lourd que je n'osais continuer. Que pouvais-je, moi, simple guérisseuse, quand les Elfes s'étaient montrée incapables de guérir ? J'eus un rire sans joie, et serrai les bras autour de moi dans un effort pour chasser les doutes qui m'assaillait et la confiance qui me faisait défaut. Tout ce à quoi je pouvais me cramponner était l'image de l'Elfe blessé, et ma propre obstination.
Je finis par céder et entamait l'ascension de la volée de marches qui menait à la tour, quand à ma grande surprise surgit Aragorn, qui gravissait les marches quatre à quatre pour me rejoindre à mi-chemin. Avec un regard empreint de soulagement, il me prit la main et me conduisit en haut, mais je renâclai lorsqu'il s'avisa de me mener à l'intérieur. J'avais les joues cramoisies, et il me dévisagea d'un air confus jusqu'à ce qu'il me vît baisser les yeux sur ma robe, et réalisât la source de mon embarrassement. Avec un sourire, il me pria d'attendre, et disparut dans la vaste enceinte du couloir.
Je m'assis incommodément, ignorant ce qu'il pouvait attendre de moi, mais il réapparut un moment plus tard et je compris. Mon embarras s'accrut lorsque je vis qu'il avait mandé son épouse, Arwen, pour faire ma rencontre ; mais celle-ci me sourit et, posant la main sur mon bras, m'accueillit avec une grande gentillesse.
Je me tournai vers le Roi afin d'exposer les raisons de ma venue, et il acquiesça, bénissant mon courage, baisant le bout de mes doigts dans un geste de sincère gratitude. Comme je me tournai pour partir, la Reine m'arrêta en m'effleurant de nouveau le bras. Si tel était mon désir, j'aurais une place de servante. Je hochai la tête avec force remerciements, mais je ne pouvais accepter. Mon séjour dans la Cité Blanche avoisinait de sa fin, bien qu'il ne se pût dire comment je savais cela. Ils me regardèrent partir, et je me hâtai de faire le chemin inverse jusqu'au bas des escaliers, ayant accepté d'aller voir l'Elfe au matin suivant.
***
Je m'éveillai le lendemain prise d'une terreur sans nom, et tandis que je m'habillai, je fixai mon propre regard dans le petit miroir qui était suspendu au-dessus de mon lit. Pourquoi éprouvais-je tant de crainte ? Et cette crainte lui était-elle destinée, à Lui ?
Je quittai ma chambre pour parcourir lentement les rues, oublieuse de la foule qui se pressait autour de moi. Je sursautai lorsque quelqu'un tira sur ma jupe, puis je m'aperçut qu'il ne s'agissait que de Gwinnyth. Elle me sourit et glissa sa main dans la mienne, et je me sentis étrangement calmée comme elle marchait avec moi jusqu'à la porte de la cité.
Je m'arrêtai en-deçà du seuil, le regard perdu sur la vaste plaine à présent égayée par des centaines de tentes aux couleurs chamarrées. Les Elfes avaient choisi de rester là dehors, et je pouvais voir un certain nombre d'entre eux se mouvoir gracieusement entre les tentes. Gwinnyth resta debout à mon côté pendant que j'hésitais, me demandant où aller, puis j'entendis la voix d'Aragorn, et je me tournai.
Il dit qu'il m'emmènerait parler avec la Dame Galadriel avant que je fisse ma proposition à Haldir. Les sourcils froncés du roi exprimaient toute son inquiétude à l'idée que l'Elfe si fier pût refuser mon aide. Avec un soupir, je m'assis à côté de la petite fille, à qui je fis mes adieux, et elle me serra dans ses bras. Puis je me levai, le coeur cognant sauvagement dans la poitrine comme je me préparai à ce qui allait venir.
Aragorn me conduisit à travers le flot des tentes chatoyantes jusqu'à l'une d'elles, tendue de soie et d'or, plus grande que les autres, ses étendards flottant haut dans la brise matinale. Nous nous arrêtâmes devant les sentinelles, et je ne pus m'empêcher de dévisager les deux Elfes qui se tenaient si droits, leurs longs cheveux argentés resplendissaient dans la lumière du soleil. Leurs tuniques d'un noir verdoyant contrastaient violemment avec la tente, et la présence de leurs armes servaient à me rappeler de qui ils étaient les gardiens.
Leurs yeux perçants se posèrent sur moi lorsqu'Aragorn s'adressa à eux en langue elfique. L'une des sentinelles se glissa à l'intérieur, et je me mordis les lèvres, l'incertitude me gagnant davantage à chaque instant qui passait. Puis la porte de la tente s'ouvrit, et la reine de Lothlórien se tint devant moi, grande, majestueuse et immobile, ses yeux emplis de siècles étincelant comme les étoiles d'un ciel lumineux et pur.
Elle ne dit mot, mais au lieu de cela me considéra, examinant tour à tour ma vêture, mes cheveux et mon visage. Enfin, elle me fit signe de venir à l'intérieur, et je dû me battre pour rassembler mes pensées, sachant que les mots que je prononcerait devant elle devraient traduire la force de mes croyances. Je fis la révérence comme elle s'asseyait lentement, son Seigneur à ses côtés, et lorsque je me redressai après m'être inclinée, leur extrême beauté, leur grâce infinie et la lumière qui émanait d'eux me frappèrent à nouveau. Je sentis ma nervosité croître, car ni l'un ni l'autre n'avait encore proféré le moindre son.
Aragorn fit un pas en avant pour se rapprocher de moi. « Elle ne peut lire en vous, » expliqua-t-il, ajoutant que cela faisait très longtemps que Galadriel avait été incapable de franchir les barrières qui muraient l'esprit de chaque être, qu'il fût Elfe ou humain.
Stupéfaite, je rendis son regard à la Damel, le menton pointé dans l'espoir de cacher mon inconfort intense. Elle ne souriait pas, mais je sentis qu'elle était amusée ; puis quelqu'un pénétra dans la tente et ses yeux me quittèrent. D'une manière étrange, sans même avoir eu à regarder, je sus que ce n'était pas Lui mais quelqu'un qui lui était proche ; et nous fîmes demi-tour, Aragorn et moi, pour saluer l'Elfe qui se tenait derrière nous.
Il était grand et élancé, avec des yeux d'un bleu glacial qui me détaillaient sans pour autant trahir la moindre pensée. Lorsqu'il s'inclina devant la Dame et le Seigneur, ses yeux ne quittèrent pas un seul instant mon visage. Je me raidis, l'instinct me soufflant que celui-ci doutait fortement de moi, et je gardai la tête haute. A ce moment, je réalisai que mon appréhension étavait disparu, remplacée par un désir irrésistible de les persuader que je pouvais le faire, que je pouvais soigner celui qui était la cause de leurs inquiétudes, Haldir.
Je me tournai vers la Dame, et expliquai que je n'étais rien de plus que ce que je paraissais être, que ma seule pensée était d'alléger la souffrance du Gardien de ses Frontières. Je lui confiai que j'avais guéri de nombreuses personnes, et que mes dons avaient récemment grandi, bien que je n'en connusse point la raison. Lorsque je finis par me taire, elle inclina la tête et me dit qu'elle n'avait aucune objection à faire, mais que le choix nécessaire ne lui appartenait pas. L'Elfe derrière moi sortit aussi silencieusement qu'il était entré, et Galadriel, se levant, me guida hors de sa tente.
Nous parcourûmes la courte distance qui nous séparait de la tente d'Haldir, qui était similaire à la sienne mais de plus petite en taille. A l'intérieur, cela semblait sombre. Un lit de camp bas était appuyé contre une paroi, et de magnifiques tapis de laine jonchaient le sol, qui étouffèrent mes pas juste comme je m'arrêtai sur le seuil de la porte. Il était allongé sur le lit, un genou plié, un bras relevé pour couvrir ses yeux. Ses longs cheveux d'argent cascadaient sur le bord du lit, en invite à mon regard par leur incroyable beauté. L'Elfe aux yeux bleus glacés était assis à son côté sur une chaise, et un autre qui leur ressemblait se tenait debout près d'une console où étaient disposés des rafraîchissements. J'étais certaine qu'ils fussent les frères d'Haldir, même si je ne posai point la question.
Galadriel se dirigea vers Haldir et prit place sur le siège qu'avait précipitamment déserté l'Elfe au regard de glace. Avec une grande douceur, elle se pencha et effleura le bras de son Gardien. Mais s'il prit la peine d'ôter le bras de son visage pour la regarder dans les yeux, sa réponse fut laconique. Elle fronça les sourcils et me jeta un coup d'oeil, et je sus qu'il avait refusé.
Mon coeur sombra, et je commençai à me détourner lorsqu'il parla à nouveau. Je tournai les talons et le fixai regardai comme il s'asseyait avec raideur, repoussant les mains qui se tendait pour lui venir en aide. Bien qu'il le cachât bien, je pouvais voir la souffrance dans ses yeux. Avais-je mal compris ? Etait-il possible qu'il voulût bien me permettre d'essayer ?
Aragorn me saisit le bras, l'inquiétude qu'il éprouvait pour moi gravée sur son visage. Je devrais être prudente, chuchota-t-il. Les Elfes pouvaient s'accommoder de plus de douleur que je pouvais l'imaginer. Je ne devais pas aller trop loin. Compris, acquiesçai-je, et il me relâcha.
Haldir s'assit, les coudes sur ses genoux, la tête fièrement levée pour me regarder comme je m'approchais de lui. Son regard gris et pénétrant me parcourut, sondant mon apparance, et je fus prise de court par l'intensité de ma réaction à son égard.
« Ainsi, vous pensez être en mesure de me soigner ? » interrogea-t-il, d'une voix froide et non dépourvue d'hostilité.
Je lui rendis son regard, me sentant à la fois intimidée et attirée par lui, et souhaitat désespérément cacher ces deux émotions aux yeux elfiques qui nous considéraient. « Je ne peux qu'essayer, » fis-je d'un ton bravache. « J'ai connu de nombreux succès, mais il m'est aussi arrivé d'échouer. »
Il fronça les sourcils et jeta un coup d'oeil à Galadriel, qui hocha doucement la tête pour formuler quelque silencieux message. Il soupira, et m'accorda à nouveau son regard. « Très bien, mais j'aimerais connaître votre nom d'abord. »
« Keara, » répondis-je sans hésiter.
« Keara, » répéta-t-il, allongeant les syllabes, mon nom glissant sur ses lèvres comme une caresse. Ses yeux me parcoururent une nouvelle fois, dans une forme différente d'appréciation, masculine d'une manière assez inquiétante, mais ce qu'il pouvait bien penser de moi, je l'ignorais, et fit mine de n'en avoir cure.
Je n'arrivais à supporter qu'il m'observât pendant que je me mettais à l'oeuvre, et je trouvais je ne sais où le courage de le lui dire. La crispation infime qui incurva le coin de ses lèvres ne fit rien pour soulager ma tension, et je poussai un soupir de soulagement quand il ferma enfin les yeux. Mais il fronçait encore les sourcils, affirmant qu'il ne goûtait pas cela, et qu'il aurait mieux aimé me voir. Cet Elfe n'était pas de ceux qui laisse sans heurt le contrôle à d'autres. Ma main tremblait lorsque je me penchai sur lui pour toucher son front, sentant la chaleur de sa peau sous le bout de mes doigts. Les moments s'écoulèrent où je ne percevait rien, aussi j'ouvris la main et, fermant les yeux, la posai à plat sur son front. Je trouvai le pouls, son battement lent et régulier me permettant d'établir avec lui un lien nécessaire.
Pendant un moment, rien ne se passa. Puis les portes s'ouvrirent en un seul coup et je ne pus que frémir sous l'intensité de la souffrance qui déferala sur moi. Je le sentis se raidir, mais j'ignorais si c'était en réponse à mon sursaut ou sous le coup de la douleur. Essayant de faire preuve d'autorité, je le repoussai à sur le lit de ma main libre, mon autre main toujours plaquée contre son front comme je manquai m'étaler sur lui dans ma chute. J'eus vaguement conscience que ses frères avaient bondi sur leurs pieds, mais Galadriel devait les avoir rassurés, car ils ne tentèrent rien, ni ne protestèrent.
Haldir gisait sous moi tandis que je frissonnais violemment. Sa force de volonté et sa capacité à endurer la douleur m'avaient prise de court, et je dus lutter pour garder intacte la mienne propre en dépit des assauts de cette sensation atroce. La somme complète de mois de souffrance, à la fois physique et morale, me traversait, et je laissai échapper un cri, tout en me demandant comment il avait bien pu réussir à survivre. Confusément, je sentis qu'il avait passé un bras autour de moi, comme pour m'offrir un réconfort ou son soutien.
Les parois d'une obscurité immense et hurlante m'entourèrent comme je recevais encore et encore davantage de sa souffrance en moi, en une agression presque intolérable pour mon corps simplement humain. Je compris obscurément que c'était ce contre quoi Aragorn m'avait mise en garde, et qu'il me serait impossible de pratiquer la guérison en un seul jour. Je devais dans l'instant me séparer d'Haldir ou être perdue.
Je m'efforçai à reprendre conscience et fis un pas hors des ténèbres, ouvrant les yeux sur la pièce embrumée de couleurs dansantes. Au-dessous de moi, il gisait immobile, et je sus qu'il avait perdu conscience de ma présence ou de quoi que ce fût d'autre. J'ôtai la main de son front et tentai de me relever, mais ne parvint qu'à m'effondrer sur le tapis, au moment où tout basculait dans le noir total.
***
Lorsque je repris connaissance, la douleur épouvantable me soumit au supplice. C'était pire que tout ce que j'avais jamais pu connaître ou même osé imaginer. Je perçus un concert de chuchotements animés et furieux non loin de moi, et je tournai la tête, battant des cils pour dissiper la brume tourbillonnante qui brouillait ma vision. Je vis Aragorn, parlant aux deux frères d'Haldir sous le regard attentif de Galadriel qui se écoutait monter leurs voix. Je n'étais pas en mesure de saisir leurs paroles, mais je fus certaine qu'ils se querellaient à mon propos. Lorsque je luttai pour me rasseoir, ils se tournèrent vers moi, le regard fixe.
Comme Aragorn se précipitait pour m'assister, je réalisai que nous n'étions plus dans la tente d'Haldir, mais dans un endroit qui m'était inconnu. Cependant, cela représentait le dernier de mes soucis : la douleur de l'Elfe avait investi chacun de mes os, pris chacun de mes muscles et s'était insinuée dans la moindre de mes articulations. Je fus sciée par la douleur, le souffle coupé sous l'effet de la torture tandis que le Roi se penchait sur moi pour me saisir par les coudes.
« Nous devons partir, à présent, » souffla-t-il à voix basse.
Je secouai la tête, incapable de comprendre, mais il refusa de lâcher prise. Luttant pour retrouver ma respiration, je le contemplai d'un air absent jusqu'à ce que ses mots finissent par prendre le chemin de mon esprit.
« Il voudra vous voir, » dit Aragorn, sur un ton chargé d'avertissement.
Je sus soudain qu'Haldir n'avait nullement été informé de la manière dont je soignais, et qu'il serait furieux du moment où il réaliserait la pleine étendue de ce que j'avais souffert par sa faute. Aragorn souhaitait me protéger de la colère de l'Elfe, et d'un inévitable face-à-face. Et je le soupçonnais fortement de vouloir protéger Haldir d'une vérité qui lui serait un lourd fardeau.
J'examinai le visage inquiet d'Aragorn et vit que j'avais raison. Je clignai à nouveau des yeux, essayant d'éclaircir ma vision, et fut étonnée de voir les deux frères se raidir soudain, puis quitter la tente. Le soupir de frustration d'Aragorn me prévint de ce qui allait venir.
Je repoussai Aragorn, chassant les ténèbres de ma vue au seul prix d'un effort considérable de volonté. Aussi tremblante comme une feuille un jour de grand vent, je me redressai et m'arc-boutai comme Haldir s'engouffrait dans la tente. Avec une grâce que je ne lui connaissais pas, il marcha d'un pas digne droit sur moi, et je levai les yeux pour le regarder, espérant que la douleur qui me tordait ne lui serait pas trop évidente.
Ses durs yeux gris fouillèrent mon visage, et il étendit le bras pour agripper mon menton. Bien que ses doigts ne fissent montre d'aucune rudesse, son regard étréci et ses lèvres serrées me dirent que je n'étais parvenue à cacher absolument rien, et qu'il était, en effet, fort en colère. Il comprenait bien mieux qu'Aragorn ce par quoi j'étais passée, et les ravages que cela m'avait causé.
« Pouquoi ? » demanda-t-il brutalement. « Pouquoi avez-vous fait cela ? »
Profitant de ce qu'il avait lâché mon menton, je le relevai dans un air de défi et tentai de sourire, essayant de faire paraître tout à fait ordinaire ce que j'avais fait. « Parce que c'est ce que je fais, » répliquai-je. « Et je n'en ai pas encore fini avec vous. »
Il émit un reniflement plein de dérision, puis se précipita en avant, me rattrapant de justesse comme je perdai l'équilibre précaire que j'avais eu tant de mal à acquérir. Je ne pouvais plus respirer, j'avais besoin d'air, et tout me faisait si mal ! Toujours luttant pour m'en cacher, je poussais futilement contre sa poitrine, mais il me serra davantage et je ne pus l'en empêcher. Les larmes me montèrent aux yeux, larmes dont je savais qu'il les avait vues et pour lesquelles il ne manquait pas de se blâmer.
« Vous ne poserez plus jamais la main sur moi, » déclara-t-il d'un ton péremptoire. « Il n'est pas question que vous passiez à nouveau par cela, tout comme je m'y serais opposé en premier lieu si seulement j'avais été averti de manière convenable. »
Je secouai la tête. « Non, vous ne pouvez pas refuser ! Il faut que vous m'écoutiez. »
Je trouvai d'une manière ou d'une autre la force de m'expliquer, de lui dire que je n'avais pas seulement pris sur moi sa douleur, mais deviné ce qui la causait. Les Elfes l'avaient bien guéri, mais pas complètement. Les nerfs rompus n'étaient pas réparés, et comme il me soutenait - mes genoux ne répondaient plus à mes commandes - je lui confiai ce que j'avais découvert. Jamais plus il le pourrait lever son arc, si je ne terminais pas ce que j'avais entrepris. La force dont il avair besoin pour ce faire ne lui serait jamais rendue.
Quand bien même son visage prît une couleur livide, il resserra sa prise sur moi, tentant s'exercer sa dominance ; mais je le repoussai une nouvelle fois et, à mon intense soulagement, il finit par céder. Nauséeuse, en proie au vertige, je chancelai et titubai en arrière, et ce fut Aragorn qui vomla à mon secours juste comme les ténèbres m'absorbaient. Je le suppliai de me ramener à la maison, et ce furent les derniers mots que j'allais prononcer avant longtemps.
***
Je quittai mon lit avec prudence, testant chaque articulation, chaque os et chaque muscle avant de me lever. Quelques minutes passèrent avant que je remarque la robe étendue sur le dossier de ma chaise. Fronçant les sourcils, je la contemplai, puis me précipitai à ma porte pour scruter le palier. J'y trouvai Legolas, assis en travers du seuil. La surprise me fit reculer, et je lui demandai depuis combien de temps il était ici.
Il se releva avec une grâce infinie, ses yeux bleus assombris par l'inquiétude. Quatre jours, me répondit-il. Les quatre jours où j'avais gît sans connaissance. Il était entrée dans ma chambre, de temps à autre, afin d'être sûr que je n'avais besoin de rien. Aragorn en avait envoyé d'autres, mais Legolas m'affirma qu'ils leur avait à tous barré le passage. Il me dit que je m'étais réveillée plusieurs fois, et qu'il m'avait nourrie de soupe, mais je n'en avais gardé aucun souvenir.
Choquée que cela eût été si long, je remerciai l'Elfe de sa prévenance, et retournai dans ma chambre, laissant la porte ouverte afin qu'il puisse rentrer s'il le souhaitait. Il me suivit, me jetant des regards attentifs tandis que me laissai tomber sur mon lit, frappée de consternation devant la robe lie-de-vin.
« Qui a envoyé cela ? » lui demandai-je.
Legolas sourit. « C'est un cadeau de Galadriel. »
« Je n'accepte rien en paiement de mes services, » Je savais que ma voix établissait de manière très claire que je ne voulais pas du vêtement. Je fus stupéfaite devant son expression choquée.
« Vous ne pouvez refuser un cadeau de la Dame ! »
Je réfléchis à cela, et réalisai que dans un tel cas il ne m'était guère possible de choisir autre chose qu'accepter.
Puis il me dit qu'Haldir était venu pendant que j'étais inconsciente, que c'était lui qui avait livré la robe. Legolas ne l'avait pas laissé entrer dans ma chambre - ce dont je lui sus gré - mais Haldir lui avait fait promettre de lui donner des nouvelles régulières de mon état, et c'est une charge dont Legolas s'était acquitté chaque jour jusqu'à présent. Le Gardien des Frontières de Galadriel s'était montré des plus insistants, ajouta Legolas avec l'ombre d'un sourire.
Il partit et je pus m'habiller, et en passant le vêtement si peu familier je fus stupéfaite par l'exactitude de la coupe, qui soulignait ma silhouette d'une manière singulièrement différente de ma vieille robe grise. Puis le vertige m'assaillit et j'oubliai la robe. Je me sentais mal. La douleur avait disparu, mais mon corps n'était pas complètement remis. Je savais, cependant, que je ne pouvais m'offrir d'attendre plus longtemps pour finir ce que j'avais commencé.
Je parcourus la cité aux côtés de Legolas, dont les arguments raisonnables ne servirent qu'à renforcer ma décision de procéder. Mes pas se faisaient lents, mais je m'obligeai à poursuivre, ignorant la faiblesse grandissante qui menaçait de me terrasser. Nous passâmes la porte, et je fis halte, plusieurs Elfes non loin se retournant pour me dévisager. Legolas me saisit le bras avec réticence, car il répugnait à ce que je continue. Mais je me dégageai de son étreinte et, le pas traînant, je persistai. Je savais que mon ami avait peur pour moi, mais moi, à mon tour, craignait pour cet autre Elfe qui devrait passer l'éternité sans force si je n'achevais pas de le guérir.
Je les entendis bien avant de les voir, cachés par des tentes aux brillantes couleurs ; leurs voix paraissaient joyeuses bien que je ne comprisse pas la signification de leurs paroles. Je m'étais arrêtée devant la tente de Galadriel lorsque les trois Elfes apparurent. Les frères d'Haldir s'immobilisèrent brusquement en me voyant, mais Haldir son chemin, ses mouvements gracieux et mesurés. Son regard glissa sur moi avec prudence avant de se tourner vers Legolas, qui le lui rendit calmement, avant de s'approcher pour serrer l'épaule du Gardien des Frontières. Legolas parla avec courtoisie, mais la tension entre les deux Elfes étaient perceptible.
J'étudiai les trois frères Elfes. Haldir soutint mon regard, mais il me fut impossible de déchiffrer son expression ; ses deux frères paraissaient inquiets. Je fis un pas en avant, plus près de Haldir, ignorant les palpitations erratiques de mon coeur quand je croisai ses yeux d'un gris scintillant.
« Pourquoi êtes-vous venue ? » demanda-t-il.
« Vous savez pourquoi je suis venue, » rétorquai-je, avec un aplomb que j'étais loin de posséder. « Pour achever ce que nous avons commencé. »
La désapprobation joignit ses sourcils sombres. « C'est encore trop tôt pour vous, Keara. »
« Et pour vous, cela pourrait bien être trop tard, » répliquai-je avec obstination. « La guérison doit être terminée bientôt si l'on veut qu'elle réussisse. Mais le choix vous appartient. Vous pouvez vivre pour toujours comme vous êtes, ou me permettre de vous aider à recouvrer vos forces. Je le puis. »
Ses yeux s'écarquillèrent, et je tremblai intérieurement dans l'attente de sa réponse. Ce qui pourrait bien advenir de moi je n'aurais su le dire, mais je n'allais pas lui en faire part. Je savais seulement que mon désir de le soigner était inépuisable, et que pour lui était déjà perdue en son nom, mais j'aurais refusé d'admettre cela, y compris à moi-même.
Je pouvais le voir soupeser cette décision, et un poids énorme me fut ôté des épaules lorsqu'enfin, il donna son accord. Il me prit par le coude, et m'escorta ainsi assez gentiment vers sa tente. La sensation de sa main sur mon bras m'était délicieuse, et je repoussai mes terreurs, la crainte de ce qui allait venir.
Comme auparavant, il prit place sur le lit de camp, et je notai avec plaisir à quel point ses déplacements se paraient d'une grâce extraordinaire, avec quelle élégance il se mouvait à présent. Ses frères nous accompagnaient, leurs inquiétudes s'exprimant en doux murmures imperceptibles à mon oreille.
Il ne pouvait pas savoir ce que cela me coûtait de poser la main encore une fois sur son front, d'y trouver à nouveau la chaleur de sa peau, de chercher son pouls et de lui permettre de battre au rythme du mien. A ma surprise, il me regarda dans les yeux et agrippa ma taille comme je m'approchai, et cela brisa ma concentration pendant un moment. Puis il soupira et baissa les paupières, m'abandonnant le contrôle.
Peut-être valait-il mieux que je ne fusse pas préparée à la jonction lorsqu'elle me frappa. Son corps tressaillit, ses frères le rattrapant comme il tombait en arrière, et que je m'écroulais à genoux, à moitié sur lui. Il trouva à nouveau, je ne sais trop où, la force de passer un bras autour de ma taille avant que de perdre connaissance ; et peut-être est-ce en partie ce qui me sauva.
Il m'avait semblé connaître les profondeurs de sa souffrance, mais de la même manière que je lui avais caché beaucoup, ainsi s'était-il caché de moi. Une cavité douloureuse et secrète demeurait toujours en lui, et j'eus le souffle coupé par les frissons comme elle me ravageait, cherchant refuge assez illogiquement en me blottissant contre lui. L'obstination m'enracina à mon but, et je me frayai un chemin à travers les ombres, à la recherche de ce que j'avais besoin de trouver. Mon esprit était de plus en plus confus, mais par la grâce des Valar, je fus capable de remplir ma tâche avant de le relâcher.
Pour moi, c'était un instant trop tard ; je me débattis désespérément, mais me sentis emportée dans les confins d'un néant vaste et noir. Je ne savais plus rien. L'obscurité m'entourait, me faisant trembler de froid. Aucune lumière, aucune lueur grisâtre ne me guidait. Je me démenais sous la peur, sur le point de voir les ténèbres m'engloutir. J'étais perdue et terrifiée.
Comment pourrais-je trouver le chemin du retour ? Je sanglotai comme le poids du vide m'écrasait, agitée de spasmes sous les coups de la panique que je tentais de contrôler. La pensée m'effleura que je ne verrais plus jamais la lumière, et j'en fus horrifiée. Je m'enveloppait de mes bras, cherchant quelque chose de réel à quoi m'accrocher, quelque chose qui éclairerait le chemin pour moi.
Une pensée naquit dans mon esprit, et comme quelqu'un qui est en train de se noyer, je m'y accrochai. La pensée grandit, acquit une forme visible et, peu à peu, gagna en substance, assez réelle pour être touchée et portée. Elle possédairt souffle et vie, profondeur et solidité. Elle me m'adressait des mots que je ne connaissais pas, m'appelant, m'attirant de nouveau vers la lumière.
La vision à laquelle je m'étais cramponnée si fermement, la vision qui m'avait empêchée de sombrer dans l'abîme qui ne m'aurait jamais laissé partir, était celle d'un Elfe de haute taille, aux cheveux couleur d'argent et aux yeux gris.
Lui.
Khila Amin Note de la traductrice : Sans essayer de supplanter les deux merveilleuses auteurs de cette non moins merveilleuse histoire dans votre coeur, je me permets d'écrire un petit mot de remerciement à tous ceux qui ont reviewé (et donc lu) le premier chapitre. Et tout spécialement à la délicieuse Adriana qui, craignant de massacrer la langue de Baudelaire, m'a fait un tel éloge dans celle de Tolkien que j'en ai encore les larmes aux yeux. J'ai décidé de traduire Khila Amin autant par amour de la langue française que par amour d'Haldir, et j'adore faire cela. Cependant, je ne m'attendais pas à déclencher un tel enthousiasme ! Une si belle review m'a énormément touchée, si bien que j'ai mis un temps fou à traduire le second chapitre, que je n'arrêtais pas de relire. J'espère qu'il sera à la hauteur de vos attentes, quelles qu'elles soient, tout comme les suivants.
Merci à tous.
Mélusine
~*~
Chapitre Second : Rétablissement
J'étais assise sur mon lit, recroquevillée, le regard errant sur les murs de la chambre. La compulsion d'aller trouver le Roi devenait plus forte à chaque instant. Comme au jour où j'avais eu à soigner la petite fille, je me trouvai bientôt attirée contre mon gré vers les hauteurs et la Tour Blanche de Minas Tirith. Une nouvelle fois, je me trouvai face aux portes closes ; mais cette fois-ci elle s'ouvrirent en grand sur mon passage, et je les franchis sous le sourire des gardes.
Une fois à l'intérieur, je baissai les yeux sur les guenilles que j'arborais, honteuse de n'avoir rien de mieux à me mettre ; puis je levai les yeux sur le grand escalier qui menait à la tour, et sur l'arbuste qui s'épanouissait si superbement à son pied. Saisie par l'hésitation, je me laissai tomber sur une large pierre auprès de l'arbre, le coeur si lourd que je n'osais continuer. Que pouvais-je, moi, simple guérisseuse, quand les Elfes s'étaient montrée incapables de guérir ? J'eus un rire sans joie, et serrai les bras autour de moi dans un effort pour chasser les doutes qui m'assaillait et la confiance qui me faisait défaut. Tout ce à quoi je pouvais me cramponner était l'image de l'Elfe blessé, et ma propre obstination.
Je finis par céder et entamait l'ascension de la volée de marches qui menait à la tour, quand à ma grande surprise surgit Aragorn, qui gravissait les marches quatre à quatre pour me rejoindre à mi-chemin. Avec un regard empreint de soulagement, il me prit la main et me conduisit en haut, mais je renâclai lorsqu'il s'avisa de me mener à l'intérieur. J'avais les joues cramoisies, et il me dévisagea d'un air confus jusqu'à ce qu'il me vît baisser les yeux sur ma robe, et réalisât la source de mon embarrassement. Avec un sourire, il me pria d'attendre, et disparut dans la vaste enceinte du couloir.
Je m'assis incommodément, ignorant ce qu'il pouvait attendre de moi, mais il réapparut un moment plus tard et je compris. Mon embarras s'accrut lorsque je vis qu'il avait mandé son épouse, Arwen, pour faire ma rencontre ; mais celle-ci me sourit et, posant la main sur mon bras, m'accueillit avec une grande gentillesse.
Je me tournai vers le Roi afin d'exposer les raisons de ma venue, et il acquiesça, bénissant mon courage, baisant le bout de mes doigts dans un geste de sincère gratitude. Comme je me tournai pour partir, la Reine m'arrêta en m'effleurant de nouveau le bras. Si tel était mon désir, j'aurais une place de servante. Je hochai la tête avec force remerciements, mais je ne pouvais accepter. Mon séjour dans la Cité Blanche avoisinait de sa fin, bien qu'il ne se pût dire comment je savais cela. Ils me regardèrent partir, et je me hâtai de faire le chemin inverse jusqu'au bas des escaliers, ayant accepté d'aller voir l'Elfe au matin suivant.
***
Je m'éveillai le lendemain prise d'une terreur sans nom, et tandis que je m'habillai, je fixai mon propre regard dans le petit miroir qui était suspendu au-dessus de mon lit. Pourquoi éprouvais-je tant de crainte ? Et cette crainte lui était-elle destinée, à Lui ?
Je quittai ma chambre pour parcourir lentement les rues, oublieuse de la foule qui se pressait autour de moi. Je sursautai lorsque quelqu'un tira sur ma jupe, puis je m'aperçut qu'il ne s'agissait que de Gwinnyth. Elle me sourit et glissa sa main dans la mienne, et je me sentis étrangement calmée comme elle marchait avec moi jusqu'à la porte de la cité.
Je m'arrêtai en-deçà du seuil, le regard perdu sur la vaste plaine à présent égayée par des centaines de tentes aux couleurs chamarrées. Les Elfes avaient choisi de rester là dehors, et je pouvais voir un certain nombre d'entre eux se mouvoir gracieusement entre les tentes. Gwinnyth resta debout à mon côté pendant que j'hésitais, me demandant où aller, puis j'entendis la voix d'Aragorn, et je me tournai.
Il dit qu'il m'emmènerait parler avec la Dame Galadriel avant que je fisse ma proposition à Haldir. Les sourcils froncés du roi exprimaient toute son inquiétude à l'idée que l'Elfe si fier pût refuser mon aide. Avec un soupir, je m'assis à côté de la petite fille, à qui je fis mes adieux, et elle me serra dans ses bras. Puis je me levai, le coeur cognant sauvagement dans la poitrine comme je me préparai à ce qui allait venir.
Aragorn me conduisit à travers le flot des tentes chatoyantes jusqu'à l'une d'elles, tendue de soie et d'or, plus grande que les autres, ses étendards flottant haut dans la brise matinale. Nous nous arrêtâmes devant les sentinelles, et je ne pus m'empêcher de dévisager les deux Elfes qui se tenaient si droits, leurs longs cheveux argentés resplendissaient dans la lumière du soleil. Leurs tuniques d'un noir verdoyant contrastaient violemment avec la tente, et la présence de leurs armes servaient à me rappeler de qui ils étaient les gardiens.
Leurs yeux perçants se posèrent sur moi lorsqu'Aragorn s'adressa à eux en langue elfique. L'une des sentinelles se glissa à l'intérieur, et je me mordis les lèvres, l'incertitude me gagnant davantage à chaque instant qui passait. Puis la porte de la tente s'ouvrit, et la reine de Lothlórien se tint devant moi, grande, majestueuse et immobile, ses yeux emplis de siècles étincelant comme les étoiles d'un ciel lumineux et pur.
Elle ne dit mot, mais au lieu de cela me considéra, examinant tour à tour ma vêture, mes cheveux et mon visage. Enfin, elle me fit signe de venir à l'intérieur, et je dû me battre pour rassembler mes pensées, sachant que les mots que je prononcerait devant elle devraient traduire la force de mes croyances. Je fis la révérence comme elle s'asseyait lentement, son Seigneur à ses côtés, et lorsque je me redressai après m'être inclinée, leur extrême beauté, leur grâce infinie et la lumière qui émanait d'eux me frappèrent à nouveau. Je sentis ma nervosité croître, car ni l'un ni l'autre n'avait encore proféré le moindre son.
Aragorn fit un pas en avant pour se rapprocher de moi. « Elle ne peut lire en vous, » expliqua-t-il, ajoutant que cela faisait très longtemps que Galadriel avait été incapable de franchir les barrières qui muraient l'esprit de chaque être, qu'il fût Elfe ou humain.
Stupéfaite, je rendis son regard à la Damel, le menton pointé dans l'espoir de cacher mon inconfort intense. Elle ne souriait pas, mais je sentis qu'elle était amusée ; puis quelqu'un pénétra dans la tente et ses yeux me quittèrent. D'une manière étrange, sans même avoir eu à regarder, je sus que ce n'était pas Lui mais quelqu'un qui lui était proche ; et nous fîmes demi-tour, Aragorn et moi, pour saluer l'Elfe qui se tenait derrière nous.
Il était grand et élancé, avec des yeux d'un bleu glacial qui me détaillaient sans pour autant trahir la moindre pensée. Lorsqu'il s'inclina devant la Dame et le Seigneur, ses yeux ne quittèrent pas un seul instant mon visage. Je me raidis, l'instinct me soufflant que celui-ci doutait fortement de moi, et je gardai la tête haute. A ce moment, je réalisai que mon appréhension étavait disparu, remplacée par un désir irrésistible de les persuader que je pouvais le faire, que je pouvais soigner celui qui était la cause de leurs inquiétudes, Haldir.
Je me tournai vers la Dame, et expliquai que je n'étais rien de plus que ce que je paraissais être, que ma seule pensée était d'alléger la souffrance du Gardien de ses Frontières. Je lui confiai que j'avais guéri de nombreuses personnes, et que mes dons avaient récemment grandi, bien que je n'en connusse point la raison. Lorsque je finis par me taire, elle inclina la tête et me dit qu'elle n'avait aucune objection à faire, mais que le choix nécessaire ne lui appartenait pas. L'Elfe derrière moi sortit aussi silencieusement qu'il était entré, et Galadriel, se levant, me guida hors de sa tente.
Nous parcourûmes la courte distance qui nous séparait de la tente d'Haldir, qui était similaire à la sienne mais de plus petite en taille. A l'intérieur, cela semblait sombre. Un lit de camp bas était appuyé contre une paroi, et de magnifiques tapis de laine jonchaient le sol, qui étouffèrent mes pas juste comme je m'arrêtai sur le seuil de la porte. Il était allongé sur le lit, un genou plié, un bras relevé pour couvrir ses yeux. Ses longs cheveux d'argent cascadaient sur le bord du lit, en invite à mon regard par leur incroyable beauté. L'Elfe aux yeux bleus glacés était assis à son côté sur une chaise, et un autre qui leur ressemblait se tenait debout près d'une console où étaient disposés des rafraîchissements. J'étais certaine qu'ils fussent les frères d'Haldir, même si je ne posai point la question.
Galadriel se dirigea vers Haldir et prit place sur le siège qu'avait précipitamment déserté l'Elfe au regard de glace. Avec une grande douceur, elle se pencha et effleura le bras de son Gardien. Mais s'il prit la peine d'ôter le bras de son visage pour la regarder dans les yeux, sa réponse fut laconique. Elle fronça les sourcils et me jeta un coup d'oeil, et je sus qu'il avait refusé.
Mon coeur sombra, et je commençai à me détourner lorsqu'il parla à nouveau. Je tournai les talons et le fixai regardai comme il s'asseyait avec raideur, repoussant les mains qui se tendait pour lui venir en aide. Bien qu'il le cachât bien, je pouvais voir la souffrance dans ses yeux. Avais-je mal compris ? Etait-il possible qu'il voulût bien me permettre d'essayer ?
Aragorn me saisit le bras, l'inquiétude qu'il éprouvait pour moi gravée sur son visage. Je devrais être prudente, chuchota-t-il. Les Elfes pouvaient s'accommoder de plus de douleur que je pouvais l'imaginer. Je ne devais pas aller trop loin. Compris, acquiesçai-je, et il me relâcha.
Haldir s'assit, les coudes sur ses genoux, la tête fièrement levée pour me regarder comme je m'approchais de lui. Son regard gris et pénétrant me parcourut, sondant mon apparance, et je fus prise de court par l'intensité de ma réaction à son égard.
« Ainsi, vous pensez être en mesure de me soigner ? » interrogea-t-il, d'une voix froide et non dépourvue d'hostilité.
Je lui rendis son regard, me sentant à la fois intimidée et attirée par lui, et souhaitat désespérément cacher ces deux émotions aux yeux elfiques qui nous considéraient. « Je ne peux qu'essayer, » fis-je d'un ton bravache. « J'ai connu de nombreux succès, mais il m'est aussi arrivé d'échouer. »
Il fronça les sourcils et jeta un coup d'oeil à Galadriel, qui hocha doucement la tête pour formuler quelque silencieux message. Il soupira, et m'accorda à nouveau son regard. « Très bien, mais j'aimerais connaître votre nom d'abord. »
« Keara, » répondis-je sans hésiter.
« Keara, » répéta-t-il, allongeant les syllabes, mon nom glissant sur ses lèvres comme une caresse. Ses yeux me parcoururent une nouvelle fois, dans une forme différente d'appréciation, masculine d'une manière assez inquiétante, mais ce qu'il pouvait bien penser de moi, je l'ignorais, et fit mine de n'en avoir cure.
Je n'arrivais à supporter qu'il m'observât pendant que je me mettais à l'oeuvre, et je trouvais je ne sais où le courage de le lui dire. La crispation infime qui incurva le coin de ses lèvres ne fit rien pour soulager ma tension, et je poussai un soupir de soulagement quand il ferma enfin les yeux. Mais il fronçait encore les sourcils, affirmant qu'il ne goûtait pas cela, et qu'il aurait mieux aimé me voir. Cet Elfe n'était pas de ceux qui laisse sans heurt le contrôle à d'autres. Ma main tremblait lorsque je me penchai sur lui pour toucher son front, sentant la chaleur de sa peau sous le bout de mes doigts. Les moments s'écoulèrent où je ne percevait rien, aussi j'ouvris la main et, fermant les yeux, la posai à plat sur son front. Je trouvai le pouls, son battement lent et régulier me permettant d'établir avec lui un lien nécessaire.
Pendant un moment, rien ne se passa. Puis les portes s'ouvrirent en un seul coup et je ne pus que frémir sous l'intensité de la souffrance qui déferala sur moi. Je le sentis se raidir, mais j'ignorais si c'était en réponse à mon sursaut ou sous le coup de la douleur. Essayant de faire preuve d'autorité, je le repoussai à sur le lit de ma main libre, mon autre main toujours plaquée contre son front comme je manquai m'étaler sur lui dans ma chute. J'eus vaguement conscience que ses frères avaient bondi sur leurs pieds, mais Galadriel devait les avoir rassurés, car ils ne tentèrent rien, ni ne protestèrent.
Haldir gisait sous moi tandis que je frissonnais violemment. Sa force de volonté et sa capacité à endurer la douleur m'avaient prise de court, et je dus lutter pour garder intacte la mienne propre en dépit des assauts de cette sensation atroce. La somme complète de mois de souffrance, à la fois physique et morale, me traversait, et je laissai échapper un cri, tout en me demandant comment il avait bien pu réussir à survivre. Confusément, je sentis qu'il avait passé un bras autour de moi, comme pour m'offrir un réconfort ou son soutien.
Les parois d'une obscurité immense et hurlante m'entourèrent comme je recevais encore et encore davantage de sa souffrance en moi, en une agression presque intolérable pour mon corps simplement humain. Je compris obscurément que c'était ce contre quoi Aragorn m'avait mise en garde, et qu'il me serait impossible de pratiquer la guérison en un seul jour. Je devais dans l'instant me séparer d'Haldir ou être perdue.
Je m'efforçai à reprendre conscience et fis un pas hors des ténèbres, ouvrant les yeux sur la pièce embrumée de couleurs dansantes. Au-dessous de moi, il gisait immobile, et je sus qu'il avait perdu conscience de ma présence ou de quoi que ce fût d'autre. J'ôtai la main de son front et tentai de me relever, mais ne parvint qu'à m'effondrer sur le tapis, au moment où tout basculait dans le noir total.
***
Lorsque je repris connaissance, la douleur épouvantable me soumit au supplice. C'était pire que tout ce que j'avais jamais pu connaître ou même osé imaginer. Je perçus un concert de chuchotements animés et furieux non loin de moi, et je tournai la tête, battant des cils pour dissiper la brume tourbillonnante qui brouillait ma vision. Je vis Aragorn, parlant aux deux frères d'Haldir sous le regard attentif de Galadriel qui se écoutait monter leurs voix. Je n'étais pas en mesure de saisir leurs paroles, mais je fus certaine qu'ils se querellaient à mon propos. Lorsque je luttai pour me rasseoir, ils se tournèrent vers moi, le regard fixe.
Comme Aragorn se précipitait pour m'assister, je réalisai que nous n'étions plus dans la tente d'Haldir, mais dans un endroit qui m'était inconnu. Cependant, cela représentait le dernier de mes soucis : la douleur de l'Elfe avait investi chacun de mes os, pris chacun de mes muscles et s'était insinuée dans la moindre de mes articulations. Je fus sciée par la douleur, le souffle coupé sous l'effet de la torture tandis que le Roi se penchait sur moi pour me saisir par les coudes.
« Nous devons partir, à présent, » souffla-t-il à voix basse.
Je secouai la tête, incapable de comprendre, mais il refusa de lâcher prise. Luttant pour retrouver ma respiration, je le contemplai d'un air absent jusqu'à ce que ses mots finissent par prendre le chemin de mon esprit.
« Il voudra vous voir, » dit Aragorn, sur un ton chargé d'avertissement.
Je sus soudain qu'Haldir n'avait nullement été informé de la manière dont je soignais, et qu'il serait furieux du moment où il réaliserait la pleine étendue de ce que j'avais souffert par sa faute. Aragorn souhaitait me protéger de la colère de l'Elfe, et d'un inévitable face-à-face. Et je le soupçonnais fortement de vouloir protéger Haldir d'une vérité qui lui serait un lourd fardeau.
J'examinai le visage inquiet d'Aragorn et vit que j'avais raison. Je clignai à nouveau des yeux, essayant d'éclaircir ma vision, et fut étonnée de voir les deux frères se raidir soudain, puis quitter la tente. Le soupir de frustration d'Aragorn me prévint de ce qui allait venir.
Je repoussai Aragorn, chassant les ténèbres de ma vue au seul prix d'un effort considérable de volonté. Aussi tremblante comme une feuille un jour de grand vent, je me redressai et m'arc-boutai comme Haldir s'engouffrait dans la tente. Avec une grâce que je ne lui connaissais pas, il marcha d'un pas digne droit sur moi, et je levai les yeux pour le regarder, espérant que la douleur qui me tordait ne lui serait pas trop évidente.
Ses durs yeux gris fouillèrent mon visage, et il étendit le bras pour agripper mon menton. Bien que ses doigts ne fissent montre d'aucune rudesse, son regard étréci et ses lèvres serrées me dirent que je n'étais parvenue à cacher absolument rien, et qu'il était, en effet, fort en colère. Il comprenait bien mieux qu'Aragorn ce par quoi j'étais passée, et les ravages que cela m'avait causé.
« Pouquoi ? » demanda-t-il brutalement. « Pouquoi avez-vous fait cela ? »
Profitant de ce qu'il avait lâché mon menton, je le relevai dans un air de défi et tentai de sourire, essayant de faire paraître tout à fait ordinaire ce que j'avais fait. « Parce que c'est ce que je fais, » répliquai-je. « Et je n'en ai pas encore fini avec vous. »
Il émit un reniflement plein de dérision, puis se précipita en avant, me rattrapant de justesse comme je perdai l'équilibre précaire que j'avais eu tant de mal à acquérir. Je ne pouvais plus respirer, j'avais besoin d'air, et tout me faisait si mal ! Toujours luttant pour m'en cacher, je poussais futilement contre sa poitrine, mais il me serra davantage et je ne pus l'en empêcher. Les larmes me montèrent aux yeux, larmes dont je savais qu'il les avait vues et pour lesquelles il ne manquait pas de se blâmer.
« Vous ne poserez plus jamais la main sur moi, » déclara-t-il d'un ton péremptoire. « Il n'est pas question que vous passiez à nouveau par cela, tout comme je m'y serais opposé en premier lieu si seulement j'avais été averti de manière convenable. »
Je secouai la tête. « Non, vous ne pouvez pas refuser ! Il faut que vous m'écoutiez. »
Je trouvai d'une manière ou d'une autre la force de m'expliquer, de lui dire que je n'avais pas seulement pris sur moi sa douleur, mais deviné ce qui la causait. Les Elfes l'avaient bien guéri, mais pas complètement. Les nerfs rompus n'étaient pas réparés, et comme il me soutenait - mes genoux ne répondaient plus à mes commandes - je lui confiai ce que j'avais découvert. Jamais plus il le pourrait lever son arc, si je ne terminais pas ce que j'avais entrepris. La force dont il avair besoin pour ce faire ne lui serait jamais rendue.
Quand bien même son visage prît une couleur livide, il resserra sa prise sur moi, tentant s'exercer sa dominance ; mais je le repoussai une nouvelle fois et, à mon intense soulagement, il finit par céder. Nauséeuse, en proie au vertige, je chancelai et titubai en arrière, et ce fut Aragorn qui vomla à mon secours juste comme les ténèbres m'absorbaient. Je le suppliai de me ramener à la maison, et ce furent les derniers mots que j'allais prononcer avant longtemps.
***
Je quittai mon lit avec prudence, testant chaque articulation, chaque os et chaque muscle avant de me lever. Quelques minutes passèrent avant que je remarque la robe étendue sur le dossier de ma chaise. Fronçant les sourcils, je la contemplai, puis me précipitai à ma porte pour scruter le palier. J'y trouvai Legolas, assis en travers du seuil. La surprise me fit reculer, et je lui demandai depuis combien de temps il était ici.
Il se releva avec une grâce infinie, ses yeux bleus assombris par l'inquiétude. Quatre jours, me répondit-il. Les quatre jours où j'avais gît sans connaissance. Il était entrée dans ma chambre, de temps à autre, afin d'être sûr que je n'avais besoin de rien. Aragorn en avait envoyé d'autres, mais Legolas m'affirma qu'ils leur avait à tous barré le passage. Il me dit que je m'étais réveillée plusieurs fois, et qu'il m'avait nourrie de soupe, mais je n'en avais gardé aucun souvenir.
Choquée que cela eût été si long, je remerciai l'Elfe de sa prévenance, et retournai dans ma chambre, laissant la porte ouverte afin qu'il puisse rentrer s'il le souhaitait. Il me suivit, me jetant des regards attentifs tandis que me laissai tomber sur mon lit, frappée de consternation devant la robe lie-de-vin.
« Qui a envoyé cela ? » lui demandai-je.
Legolas sourit. « C'est un cadeau de Galadriel. »
« Je n'accepte rien en paiement de mes services, » Je savais que ma voix établissait de manière très claire que je ne voulais pas du vêtement. Je fus stupéfaite devant son expression choquée.
« Vous ne pouvez refuser un cadeau de la Dame ! »
Je réfléchis à cela, et réalisai que dans un tel cas il ne m'était guère possible de choisir autre chose qu'accepter.
Puis il me dit qu'Haldir était venu pendant que j'étais inconsciente, que c'était lui qui avait livré la robe. Legolas ne l'avait pas laissé entrer dans ma chambre - ce dont je lui sus gré - mais Haldir lui avait fait promettre de lui donner des nouvelles régulières de mon état, et c'est une charge dont Legolas s'était acquitté chaque jour jusqu'à présent. Le Gardien des Frontières de Galadriel s'était montré des plus insistants, ajouta Legolas avec l'ombre d'un sourire.
Il partit et je pus m'habiller, et en passant le vêtement si peu familier je fus stupéfaite par l'exactitude de la coupe, qui soulignait ma silhouette d'une manière singulièrement différente de ma vieille robe grise. Puis le vertige m'assaillit et j'oubliai la robe. Je me sentais mal. La douleur avait disparu, mais mon corps n'était pas complètement remis. Je savais, cependant, que je ne pouvais m'offrir d'attendre plus longtemps pour finir ce que j'avais commencé.
Je parcourus la cité aux côtés de Legolas, dont les arguments raisonnables ne servirent qu'à renforcer ma décision de procéder. Mes pas se faisaient lents, mais je m'obligeai à poursuivre, ignorant la faiblesse grandissante qui menaçait de me terrasser. Nous passâmes la porte, et je fis halte, plusieurs Elfes non loin se retournant pour me dévisager. Legolas me saisit le bras avec réticence, car il répugnait à ce que je continue. Mais je me dégageai de son étreinte et, le pas traînant, je persistai. Je savais que mon ami avait peur pour moi, mais moi, à mon tour, craignait pour cet autre Elfe qui devrait passer l'éternité sans force si je n'achevais pas de le guérir.
Je les entendis bien avant de les voir, cachés par des tentes aux brillantes couleurs ; leurs voix paraissaient joyeuses bien que je ne comprisse pas la signification de leurs paroles. Je m'étais arrêtée devant la tente de Galadriel lorsque les trois Elfes apparurent. Les frères d'Haldir s'immobilisèrent brusquement en me voyant, mais Haldir son chemin, ses mouvements gracieux et mesurés. Son regard glissa sur moi avec prudence avant de se tourner vers Legolas, qui le lui rendit calmement, avant de s'approcher pour serrer l'épaule du Gardien des Frontières. Legolas parla avec courtoisie, mais la tension entre les deux Elfes étaient perceptible.
J'étudiai les trois frères Elfes. Haldir soutint mon regard, mais il me fut impossible de déchiffrer son expression ; ses deux frères paraissaient inquiets. Je fis un pas en avant, plus près de Haldir, ignorant les palpitations erratiques de mon coeur quand je croisai ses yeux d'un gris scintillant.
« Pourquoi êtes-vous venue ? » demanda-t-il.
« Vous savez pourquoi je suis venue, » rétorquai-je, avec un aplomb que j'étais loin de posséder. « Pour achever ce que nous avons commencé. »
La désapprobation joignit ses sourcils sombres. « C'est encore trop tôt pour vous, Keara. »
« Et pour vous, cela pourrait bien être trop tard, » répliquai-je avec obstination. « La guérison doit être terminée bientôt si l'on veut qu'elle réussisse. Mais le choix vous appartient. Vous pouvez vivre pour toujours comme vous êtes, ou me permettre de vous aider à recouvrer vos forces. Je le puis. »
Ses yeux s'écarquillèrent, et je tremblai intérieurement dans l'attente de sa réponse. Ce qui pourrait bien advenir de moi je n'aurais su le dire, mais je n'allais pas lui en faire part. Je savais seulement que mon désir de le soigner était inépuisable, et que pour lui était déjà perdue en son nom, mais j'aurais refusé d'admettre cela, y compris à moi-même.
Je pouvais le voir soupeser cette décision, et un poids énorme me fut ôté des épaules lorsqu'enfin, il donna son accord. Il me prit par le coude, et m'escorta ainsi assez gentiment vers sa tente. La sensation de sa main sur mon bras m'était délicieuse, et je repoussai mes terreurs, la crainte de ce qui allait venir.
Comme auparavant, il prit place sur le lit de camp, et je notai avec plaisir à quel point ses déplacements se paraient d'une grâce extraordinaire, avec quelle élégance il se mouvait à présent. Ses frères nous accompagnaient, leurs inquiétudes s'exprimant en doux murmures imperceptibles à mon oreille.
Il ne pouvait pas savoir ce que cela me coûtait de poser la main encore une fois sur son front, d'y trouver à nouveau la chaleur de sa peau, de chercher son pouls et de lui permettre de battre au rythme du mien. A ma surprise, il me regarda dans les yeux et agrippa ma taille comme je m'approchai, et cela brisa ma concentration pendant un moment. Puis il soupira et baissa les paupières, m'abandonnant le contrôle.
Peut-être valait-il mieux que je ne fusse pas préparée à la jonction lorsqu'elle me frappa. Son corps tressaillit, ses frères le rattrapant comme il tombait en arrière, et que je m'écroulais à genoux, à moitié sur lui. Il trouva à nouveau, je ne sais trop où, la force de passer un bras autour de ma taille avant que de perdre connaissance ; et peut-être est-ce en partie ce qui me sauva.
Il m'avait semblé connaître les profondeurs de sa souffrance, mais de la même manière que je lui avais caché beaucoup, ainsi s'était-il caché de moi. Une cavité douloureuse et secrète demeurait toujours en lui, et j'eus le souffle coupé par les frissons comme elle me ravageait, cherchant refuge assez illogiquement en me blottissant contre lui. L'obstination m'enracina à mon but, et je me frayai un chemin à travers les ombres, à la recherche de ce que j'avais besoin de trouver. Mon esprit était de plus en plus confus, mais par la grâce des Valar, je fus capable de remplir ma tâche avant de le relâcher.
Pour moi, c'était un instant trop tard ; je me débattis désespérément, mais me sentis emportée dans les confins d'un néant vaste et noir. Je ne savais plus rien. L'obscurité m'entourait, me faisant trembler de froid. Aucune lumière, aucune lueur grisâtre ne me guidait. Je me démenais sous la peur, sur le point de voir les ténèbres m'engloutir. J'étais perdue et terrifiée.
Comment pourrais-je trouver le chemin du retour ? Je sanglotai comme le poids du vide m'écrasait, agitée de spasmes sous les coups de la panique que je tentais de contrôler. La pensée m'effleura que je ne verrais plus jamais la lumière, et j'en fus horrifiée. Je m'enveloppait de mes bras, cherchant quelque chose de réel à quoi m'accrocher, quelque chose qui éclairerait le chemin pour moi.
Une pensée naquit dans mon esprit, et comme quelqu'un qui est en train de se noyer, je m'y accrochai. La pensée grandit, acquit une forme visible et, peu à peu, gagna en substance, assez réelle pour être touchée et portée. Elle possédairt souffle et vie, profondeur et solidité. Elle me m'adressait des mots que je ne connaissais pas, m'appelant, m'attirant de nouveau vers la lumière.
La vision à laquelle je m'étais cramponnée si fermement, la vision qui m'avait empêchée de sombrer dans l'abîme qui ne m'aurait jamais laissé partir, était celle d'un Elfe de haute taille, aux cheveux couleur d'argent et aux yeux gris.
Lui.
