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N/T : Je sais que l'attente a été fort longue depuis le dernier chapitre. Je vous prie de bien vouloir m'excuser, je n'avais oublié personne - au contraire, vos messages m'ont beaucoup touchée. En revanche, mon propre co- auteur m'a lâchement abandonnée il y a trois jours et j'ai dû prendre des mesures expéditives pour sauver mes fictions. J'espère de tout coeur que vous continuerez à me lire et m'apprécier ! Merci encore. N/A : A tous ceux qui ont reviewé cette histoire jusqu'ici, un grand merci du fond du coeur ! Les auteurs (et la traductrice avec eux...) apprécient énormément votre soutien. Le récit sera constitué en tout et pour tout de sept chapitres, et d'un épilogue. Voici pour l'instant le chapitre trois...
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Chapitre Troisième : Choix
Je n'étais pas dans ma propre chambre. La lumière effleurait les paupières, la chaleur des rayons du soleil oscillant dans les ombres mouvantes. Je pouvais sentir la brise tiède caresser ma joue, faisant voltiger une mèche de mes cheveux qui vint chatouiller la peau si sensible. J'ouvris d'abord un oeil, puis l'autre, observant à travers mes cils comme je me mettais en quête de mes sens pour explorer les environs.
J'étais allongée sous une tente, dont les panneaux avaient été roulés de manière à ce que seul un pan d'étoffe, épaisse mais transparente, flottât dans la brise. Quelque chose me dit qu'on était encore dans la matinée, car l'air était pur et frais. Je tournai les yeux et vis Haldir, assis près de moi, me scrutant de ses yeux gris, comme toujours insondables. Scrutant, et contrôlant. Montant la garde.
J'étais si faible que je ne fus même pas capable d'articuler le moindre son. Je me contentai de lui rendre son regard, notant au passage sa posture immobile, la façon dont il était assis, un coude appuyé sur le dossier de la chaise, le menton calé au creux de l'index incurvé contre son poing. Nos prunelles s'enlacèrent un court instant, puis je fermai de nouveau les yeux et sombrai aussitôt dans un sommeil des plus profonds.
Lorsque je m'éveillai la fois suivante, il faisait nuit. De petites lanternes éclairaient la tente, et je l'aperçu non loin, debout, qui échangeait d'inaudibles paroles avec un autre Elfe. J'avais dû faire un mouvement quelconque car il se tourna immédiatement, joignant de nouveau son regard au mien. Je mourais d'envie de lui parler et m'efforçai d'ouvrir la bouche, mais mon épuisement était si que je retombai une fois encore dans un sommeil sans rêves.
Quelque temps plus tard, j'entendis des voix, douces et mélodieuses, d'une musicalité admirable. Je m'éveillai complètement, à l'écoute et songeant à lui, et je les entendis appeler son nom. Sa réponse m'apprit qu'il était assis, immobile, à mes côtés.
« N'avez-vous rien de mieux à faire que de me regarder dormir ? » m'enquis- je, d'une voix rauque et fragile.
Je l'entendis glousser doucement, et lorsque j'ouvris les yeux je pus voir qu'il avait porté une coupe à mes lèvres. « Buvez, » ordonna-t-il, me glissant une main sous la nuque, « mais allez-y doucement. »
Je ne m'avisai pas de le contredire, car j'étais assoiffée. Lorsque j'en eus terminé, il reposa la coupe, et je me pris à admirer son économie de mouvement, la façon dont il bougeait le bras, la tête, les yeux. Puis je remarquai enfin la tente sous laquelle nous trouvions, et cela me déconcerta de m'apercevoir qu'il ne s'agissait de nulle autre que la sienne. Il m'avait gardée ici, sous sa tente, dans son propre lit. D'une manière ou d'une autre, cela s'apparentait à une forme d'intimité certaine, pour laquelle je me sentais fort mal préparée.
Il se pencha en avant pour me dévisager, et ses cheveux magnifiques, qui ruisselèrent par-dessus son épaule, attirèrent inexorablement mon regard. Il ne dit pas un mot, et je me demandai s'il ne s'attendait pas à ce que je parlasse la première.
« Depuis combien de temps suis-je ici ? » voulus-je savoir.
Il tendit le bras pour m'effleurer la joue. « Une semaine. »
« Une semaine ! » J'avalai ma salive et luttai pour me mettre assise, puis je portai la main à mon visage comme de petites points de lumière brillante dansaient devant mes yeux. Je gémis. « Comment cela a-t-il pu être aussi long ? »
Il ne me répondit pas, et me repoussa en arrière au creux des oreillers. « Vous allez rester ici, Keara. Vous ne pouvez bouger. »
Son attitude impérieuse m'horripila. « Vous n'êtes pas mon gardien, » l'informai-je avec froideur.
L'inclinaison de sa tête changea de manière subtile, et bien qu'il continuât de sourire, quelque chose dans son regard - profond et indescriptible - fit déferler des vagues d'excitation à travers tout mon corps. Des pensées étranges, violentes et spontanées firent irruption dans mon esprit, des images d'une intimité frappante que je n'osais même imaginer. Le coeur battant, je levai la main jusqu'à mes yeux pour barrer le passage à ses regards. Je sus que j'avais intérêt à m'échapper aussitôt que possible, bien que cela me fût irréalisable tant qu'il monterait la garde à mes côtés. A ce moment précis, je fus saisie de la sensation étrange qu'il pouvait lire mes pensées, chacune d'entre elles ; mais comment cela aurait-il pu être ? Je chassai l'idée, m'exhortant au calme, car cela n'était que folie.
Il resta posté là la plus grande partie de la journée, m'entretenant à l'occasion de ce qui se passait à l'extérieur de la tente, et dans la cité- même. Je finis par être fatiguée et dormis par intermittence, rêvant de lui, de sa guérison qui avait été de mon fait, de sa main qui m'avait tirée du gouffre, de ses lèvres, pressées sur les miennes.
Vint enfin un temps où je m'éveillai et vis qu'il n'était pas là. Je me levai, tremblante, et rougis en réalisant pour la première fois que je n'étais vêtue que de ma chemise, si fine et usée jusqu'à la corde. Eprouvant un sentiment intense de vulnérabilité, je me hâtai d'enfiler ma robe, mis la main sur mes chaussures et quittai la tente. Je jetai des coups d'oeil furtifs alentours, ignorant s'il n'avait pas donné des ordres pour me retenir ici contre ma volonté. Je passai saine et sauve devant plusieurs tentes, le pas chancelant et malaisé comme je me mettais en chemin vers la cité.
Avais-je été sotte de penser qu'il n'en serait pas averti ! En un moment son bras encercla ma taille, et je laissai échapper ce qui sonna - à mes oreilles du moins - comme un couinement d'indignation. Ses yeux étincelaient d'une lueur que je leur connaissais pas, et il me souleva sans effort aucun dans ses bras, pour me rapatrier sous sa tente. J'étais furieuse contre lui de m'humilier de la sorte, et furieuse contre moi pour prendre un plaisir aussi immodéré à sentir ses mains sur mon corps. J'étais trop faible pour me débattre, mais je ne me privai pas de lui faire connaître quelques-unes de mes pensées bien senties, dès qu'il m'eût reposée sur la terre ferme.
Faisant mine d'ignorer superbement mes protestations, il me repoussa jusqu'au lit, et je frissonnai en percevant la force de son contact, ainsi que ma propre réaction. Il agrippa mon poignet et baissa le regard sur moi, dardant des yeux effrontés sur tout mon corps, prenant note de la façon dont la robe au sombre écarlate épousait ma silhouette. Je sentis la rougeur me monter aux joues, et je tentai à nouveau de me dégager, m'efforçant avec peine de faire passer quelque fermeté dans ma voix, afin de lui faire savoir qu'il n'avait certes pas le droit de me retenir contre mon gré.
« Êtes-vous sûre que ce soit contre votre gré ? » susurra-t-il.
Il eut un sourire, et je fus tout en même temps prise de colère et d'excitation, tandis que m'assaillaient d'absurdes et érotiques pensées qui emplirent impitoyablement mon esprit. Peu importe comment, mais il devait en avoir perçu une grande partie, car son sourire s'élargit de manière considérable. Il m'attira à lui encore davantage, le bras toujours sur ma taille, supportant presque à lui semble mon poids entier tandis que mes forces m'abandonnaient. Il m'était impossible de respirer alors qu'il se tenait si près de moi, et lorsque je me débattis pour tenter de me libérer, il se contenta de rire doucement et inclina la tête vers mon visage. Son souffle était doux, lorsque ses lèvres effleurèrent le coin de ma bouche, puis remontèrent jusqu'à la joue. Je ne pus me défendre de trembler comme il me tint plus serrée encore contre lui. Je prenais la pleine mesure de sa force et de son ardeur quand nos corps entrèrent en contact, la puissance palpable de ce Elfe m'excitant davantage que tout ce que j'avais pu connaître au cours des années précédentes, ou même que j'avais jamais connu.
Il ne m'embrassa pas complètement, mais me tint simplement contre lui, mes bras immobilisés contre sa poitrine, tandis qu'il chuchotait à mon oreille des mots que je ne comprenais pas et que j'étais effrayée de connaître. Mes cheveux se hérissèrent sur ma nuque quand il glissa la main de mon dos à mes hanches, m'écrasant contre lui et me prouvant, de cette manière, qu'il me désirait tout autant que j'avais envie de lui. Je l'avais touché comme personne n'avait osé le faire, murmura-t-il. Il souhaitait me récompenser pour ce que j'avais fait. De quoi avais-je envie ? demanda-t-il, et sa main caressa de manière engageante le long de mon échine. Je baissai les yeux, mais pas avant de saisir la lueur d'entendement au fond de ses yeux. Il posa les lèvres sur le point sensitif derrière mon oreille, puis les remplaça par sa langue, et je fus parcourue de frissons incontrôlables, luttant contre la montée brûlante du désir auquel s'abandonnait ma raison.
Ce qui aurait pu arriver par la suite, je ne peux le dire ; mais il se raidit soudain, car les voix que nous perçûmes de l'extérieur nous prévinrent de l'arrivée de ses frères. Il me lâcha brusquement avec ce qui me parut être un juron en Elfique, et je retombai avec soulagement au creux des oreillers tandis qu'il se détournait face au seuil de la tente. Le pan qui maintenait le pavillon clos joua et les deux Elfes firent leur entrée, puis se figèrent dans une même attitude de stupéfaction lorsqu'ils s'aperçurent de ma rougeur éclatante et du regard de Haldir, fort peu amène. Ils nous épièrent l'un et l'autre les yeux pleins d'une interrogation muette. Ils échangèrent quelques mots, puis ils partirent tous trois, et je me recroquevillai sous les couvertures, désespérant de pouvoir m'échapper. Je n'avais fait que ce que je m'étais sentie obligée d'accomplir ; à présent je me trouvai en amont d'une rivière impétueuse, allant à vau-l'eau et laissée complètement sans défense et sans forces.
Lorsque Haldir me revint - peu de temps après - il m'apportait de quoi manger, et ne fit aucune allusion à ce qui était arrivé entre nous, mais se contenta de me donner la becquée en morceaux de pain minuscules et en cuillerées de soupe. Je réalisai, et cela me divertit au plus haut point, que son agressivité première avait disparu, et il me semblait presque tendre, un aspect de sa personnalité qui m'était encore inconnu, et qui ébranla mon calme de manière bien plus efficace que son attitude passée.
La nuit se faisait longue, et je m'assoupis, pour m'éveiller quelques heures avant l'aube, et me retrouver seule. Cela avait représenté de nombreux jours, avant que je n'aperçusse le lever du soleil, et je me glissai hors de la tente pour l'admirer, bien que je n'osasse point m'aventurer trop loin. Mais en lieu et place du soleil, je me pris à me tourner vers la cité, et contemplai ses murs immaculés irradier davantage à chaque minute qui passait. Je frissonnai, et serrai les bras autour de moi, l'herbe inondée de rosée glaçant mes pieds nus en dépit de la chaleur douce du soleil sur ma nuque.
Je me détournai enfin, et le vis qui se tenait derrière moi. Je ne l'avais bien sûr pas entendu s'approcher, et j'eus la bouche sèche en voyant la façon dont le soleil dessinait un halo autour de sa tête, la lumière intense qui les frôlait allumant de flammes étincelantes la blondeur argentée de ses cheveux. Je restai immobile, paralysée, transpercée par sa beauté, qui me fit venir des larmes aux yeux lorsqu'il vînt à moi, et je secouai la tête.
« Non, vous ne devez pas, » protestai-je d'une toute petite voix.
« Je ne dois pas quoi, Keara ? » Bien que j'eusse le soleil dans les yeux et ne visse point son visage, je pouvais le voir sourire rien qu'au son de sa voix. Il me taquinait, et mon coeur battit du même désir impuissant que j'avais ressenti la nuit précédente. Sans prêter attention à ma réticence, il m'enfouit dans ses bras et je me retrouvai de nouveau coincée, les mains appuyées contre sa large poitrine.
« Vous ne devez pas me toucher, » dis-je, m'efforçant de paraître résolue.
Il eut un petit rire. « Mais pourquoi ? Cela vous plaît, tout comme à moi. »
En proie à un certain agacement, je sentis le rouge, vif et brûlant, me monter aux joues. Je tentai de me dégager, mais la tente était juste derrière moi, m'interdisant toute retraite. Avec l'air de s'amuser beaucoup, il me fit pivoter de manière à ce que je visse plus nettement son visage, mais j'évitai son regard, submergée par sa simple vision ainsi que par l'intensité de mes propres sentiments. Pendant quelques instants nous demeurâmes parfaitement immobiles, ni l'un ni l'autre ne parlant, puis il glissa le doigt sous mon menton et le redressa, me repoussant légèrement afin de plonger dans les profondeurs de mon regard. Son sourire s'était évanoui, remplacé par une inquiétude légère mais déconcertée. Peut-être comprit-il à quel point j'étais emplie de crainte et si confuse, car il me relâcha et fit un pas en arrière.
Il s'inclina profondément devant moi, et je fus soudain aux prises avec une crainte de bien différente sorte. « Mon peuple s'apprête à partir bientôt. Nous rentrons en Lothlórien. »
Un poids immense tomba sur mon coeur. « Je vois, » répondis-je sombrement.
« Venez avec moi, » dit-il. Ce n'était pas une question, mais un ordre.
Je me détournai, la gorge serrée - au bord de l'hystérie. « Non, je ne puis. »
Il resta silencieux un long moment. « C'était une décision un peu rapide. Vous avez le temps d'y repenser. Mais pas beaucoup. »
J'enfouis mon visage dans mes mains. Mon coeur me criait d'accepter, et pourtant cela m'était impossible. La logique me l'affirmait. Il était une étoile ; lumineux, brillant, distant. Et inaccessible.
« Je ne peux aller avec vous, Haldir. Je vous en prie, ne me posez plus de questions. »
Je sentis qu'il était sur le point de répliquer, et s'il en avait été ainsi, il eût été possible que j'en vinsse à être persuadée. Cependant, il ne fit que me dire : « Venez à moi si jamais vous changez d'avis. » Puis il me quitta, ses longues jambes le menant trop vite hors de ma vue.
***
Je quittai le campement des Elfes, et pris le chemin du retour vers le havre sécurisant et familier de mon refuge en ville. Je ne pouvais supporter de les regarder démonter leurs tentes, rassemblant les chevaux, pliant armes et bagages pour se préparer à la longue route qui les attendait, pour le voyage de retour vers leurs cités. Je ne pouvais plus quitter ma chambre comme autrefois, pour admirer le soleil de l'aurore inonder la plaine. Jour et nuit, je les passai seule à pleurer sur mon lit, à proie à une douleur infinie et un chagrin inconsolable.
Réaliser mon refus m'avait soumise aux affres de la torture, mais en moi- même je savais très bien que l'accompagner aurait été bien pire. Ce que je désirais m'était impossible ; j'étais une simple mortelle, il était un Elfe, et cela nous interdisait tout espoir d'une durable union. Et je ne pensais pas qu'il m'eusse été possible de supporter une liaison trop courte ; mais s'il me désirait aujourd'hui, et peut-être demain, qu'en serait-il de la semaine suivante, du mois d'ensuite, de l'an prochain ? Tôt ou tard, il en viendrait à être fatigué de moi, et j'avais déjà tant souffert... La disparition de mon enfant bien-aimée hantait encore mes rêves, et bien que je n'eusse point éprouvé d'amour pour mon époux, il avait été un homme bon et je l'avais perdu de même.
Et qu'en serait-il, si la possibilité se révélait vraie que Haldir m'aimât en retour ? Non, même ce chemin-là conduisait au chagrin et à la douleur, car je ne ferais que dépérir et le laisser. Pour quelle raison aurais-je souhaité lui infliger tant de souffrance ? Ou peut-être allais-je n'être à ses yeux qu'une parmi tant d'autres, et cette pensée également me causait beaucoup de peine. Peut-être aussi n'étais-je que couarde et lâche, mais j'avais déjà éprouvé une somme par trop grande de douleur en son nom, et la pensée d'en subir davantage m'apparaissait intolérable.
Le matin suivant j'entendis que l'on frappait à ma porte, et je me levai, ayant deviné qui devait se trouver de l'autre côté. Frottant mon visage à la hâte pour en essuyer les larmes, j'ouvris le battant pour trouver Legolas, une nouvelle fois debout sur le seuil. Je savais que son regard perçant avait saisi très vite toute l'étendue de mon désarroi, mais il possédait assez de tact pour ne faire aucun commentaire. Au lieu de cela, il me prit par surprise en se saisissant de ma main, et en m'invitant à le suivre. Je devais venir voir ce que j'avais fait, m'enjoignit-il, et il me tira hors de ma chambre, me traînant à toute vitesse à travers les rues jusqu'à la porte inférieure. Regardez, fit-il, m'indiquant la direction depuis le mur. Il me sourit, me caressa la joue, et partit.
Plus loin au-dessous, je pus constater que les Elfes avaient démonté la plupart de leurs tentes, et qu'une petite foule d'entre eux s'était rassemblée pour former un groupe gaiement agité. J'écarquillai les yeux en apercevant Aragorn, qui parlait avec animation avec Haldir et ses deux frères ; un moment plus tard, ils étaient rejoints par Legolas qui s'immisça dans leur conversation, et ils continuèrent de parler tout en faisant de grands signes vers un point large et dégagé du champ. Je n'avais pas la moindre idée de ce qui se tramait, mais il m'était facile de voir l'excitation que leur conversation créait au sein de la foule qui faisait cercle autour d'eux. Moi-même, je commençai d'éprouver une curiosité certaine ; cependant mon attention tout entière se focalisait sur Haldir.
Je fis un bond lorsqu'une main se posa sur mon épaule, et en me tournant je me trouvai nez à nez avec l'une des dames de compagnie d'Arwen Etoile-du- soir qui se tenait derrière moi. Elle m'indiqua de la suivre, et je rencontrai Arwen qui m'attendait près de la porte. A ma grande surprise, elle me sourit avec chaleur et prit ma main. Il semblait qu'un tournoi d'archerie était mis en place, et que son mari, ainsi que quelques Elfes très en vue, allait y participer. Déjà, les murs de la cité étaient cernés par les curieux. Arwen m'entraîna le long d'eux, me disant qu'il me fallait m'asseoir près d'elle, qu'on avait fait préparer une place pour moi, et que nous verrions ensemble ce que mes dons avaient permis. Je ne compris pas grand chose à ses propos, mais j'étais trop faible et malheureuse pour questionner ou démentir.
Nous traversâmes la pelouse pour prendre place juste au bas des murs, bien au-dessus de la plaine inclinée où tant d'autres étaient amassés. Peu de temps après la foule s'écarta et parurent alors Dame Galadriel et le Seigneur Celeborn, qui se frayèrent un chemin jusqu'à nous, leur aura luminescente pleinement visible même en plein jour. On fit apporter des chaises supplémentaires, et ils s'assirent non loin, parlant doucement avec Arwen en langue elfique. Le Seigneur Elrond fit bientôt son apparition, s'avançant avec une profonde grâce à travers la foule pour venir embrasser sa fille sur la joue, avant de prendre place sur la dernière des chaises. D'être assise au milieu d'une si belle et noble compagnie me plongea dans un certain malaise, et je me tortillai sur ma chaise ; mais comme il semblait que je n'avais pas mon mot à dire dans l'histoire, je ne fis rien.
Après quelques courtes minutes Arwen se tourna vers moi, ses yeux sublimes étincelant de plaisir. Avec un petit rire, elle m'expliqua qu'Aragorn participerait au concours, même en sachant qu'il serait le premier à échouer. Je fronçai les sourcils, assez confuse, tandis qu'elle pointait le doigt vers son époux. Aragorn se tenait au côté de quatre Elfes, dont Haldir, et je serrai les dents pour cacher ma réaction à sa vue. J'observai qu'une large cible d'archerie était apportée, et les Elfes faisaient de grands gestes à l'intention des hommes qui la transportaient, indiquant qu'elle devait être placée beaucoup plus loin. Aragorn leva la main en signe d'objection, mais les autres se contentèrent de sourire malicieusement. Arwen m'expliqua qu'Aragorn ne pouvait pas voir aussi loin qu'eux, et il savait qu'il concourrait avec un sérieux désavantage.
« Mais alors, pourquoi tient-il tant à concourir ? » demandai-je, pleine de curiosité.
Les yeux d'Arwen pétillèrent. « Parce qu'il ne peut pas résister à un défi. La plupart des hommes ne le peuvent pas, d'ailleurs. »
Je soupesai cette affirmation. Etais-je un simple défi aux yeux de Haldir ? Mon regard se posa sur lui, et je me demandai ce qu'il avait eu à l'esprit en me faisant cette demande. S'était-il attendu à ce que je la joie me fît trépigner ? Que je me jetasse à ses pieds ? Comme je n'avais rien fait de tout cela, avais-je été oublié désormais ? Ou essaierait-il à nouveau ?
Un instant plus tard je repoussai toutes ces pensées brusquement, car je venais de comprendre qu'il avait rien moins que l'intention de concourir. Consternée, je me mis à l'étudier des pieds à la tête, l'estomac noué d'une tension renouvelée. Mes soins avaient-ils été efficaces ? Il me semblait que oui, mais en vérité je n'avais aucun moyen d'en être certaine. Avait-il eu suffisamment de temps pour recouvrer ses forces ? Je ne le savais pas non plus, mais j'étais sur le point d'en connaître la réponse. Comme lui.
Mon coeur battait la chamade. Mes yeux ne quittèrent pas Haldir lorsqu'Aragorn lui tendit son arc. Je les vis échanger un regard complice de communication silencieuse, et Aragorn fit n petit signe de la tête comme s'il offrait ses encouragements. Haldir était-il inquiet ? Que pensait-il ? Je me tournai car Arwen chuchotait dans ma direction, me racontant que Legolas lui aussi possédait un arc des Galadhrim, un don qui lui avait été fait par Galadriel en personne. Ce fait parlait pour les talents de mon ami, et cela m'arracha un sourire, car j'étais heureuse qu'il en fût ainsi.
Les autres Elfes à concourir étaient les frères d'Haldir, et je fus saisie de leur voir des expressions si joyeuses. Je sentis une main sur mon épaule, c'était Galadriel qui se tenait derrière moi. Elle se pencha en avant, la voix basse et douce quand elle m'expliqua que je n'avais pas soigné Haldir seul, mais aussi ses frères. Leur chagrin les avait changés, avait volé leur rire, leur avait dérobé tout ce qui en eux était gai et plein de candeur. Ils avaient été autrefois ainsi, me dit-elle, et elle posa de nouveau la main sur mon épaule, avant de s'en retourner s'asseoir auprès de son seigneur.
Comme je retournai mon regard aux concurrents, je vis que Legolas s'était approché pour prendre son tour. Il se tint face à la cible, et j'admirai les traits réguliers et élégants de sa silhouette, sa grâce et sa souplesse ; il banda son arc, et le bois émit un craquement sonore dans l'air calme et atone. Il libéra la flèche, et l'on annonça bientôt qu'elle avait percuté de plein fouet le centre de la cible. Une explosion de joie accueillit la nouvelle, qui se répercuta tout le long du mur d'enceinte. Legolas s'inclina, et je souris.
L'un des frères d'Haldir vint ensuite, dont Arwen de nouveau penchée vers moi me dit qu'il s'agissait de Rúmil ; il était le plus jeune des frères, et son humour était très connu. Je reconnus pour ma part immédiatement celui que j'avais rencontré en premier, celui dont les yeux bleus glacés m'avaient dévisagé avec suspicion, le plus fluet des trois. J'observai avec attention comme il bandait son arc et décochait sa flèche, qui vint se planter presque sans un bruit au centre de la cible. Les juges hochèrent une fois encore leur assentiment, et de nouveaux encouragements se firent entendre depuis les murs, encore plus assourdissants. Rúmil eut un grand sourire espiègle et s'inclina très bas devant la foule, qui l'acclama de plus belle.
Aragorn s'avança à grands pas, et ceux du mur hélèrent leur Roi, qui sourit en retour puis les enjoignit au silence. Il se tourna alors, tenant un arc plus léger et petit que les autres, et fixa attentivement la cible. La foule observa en silence comme il tirait la corde en arrière de ses doigts élégants puis relâchait la flèche. Elle frappa la cible avec un petit bruit sourd et un autre hochement de tête occasionna de nouvelles ovations. Trois flèches à présent occupaient la cible, toutes fichées près du centre.
Arwen, qui s'était penchée de nouveau, m'aida à identifier le suivant comme Orophin, le frère cadet, dont elle avait toujours admiré la poésie. Il était aussi connu pour ses talents d'archer. Je le vis jeter un coup d'oeil vers Haldir, les yeux brillant d'un muet défi. Puis il leva son arc et l'arma, ne prenant guère qu'un seul instant pour tirer. La foule tout entière applaudit le résultat égal aux précédents. Orophin à son tour salua la foule, le sourire aussi immense que celui de Rúmil l'avait été.
Je serrai inconsciemment les mains sur me genoux, tandis que tout le monde se tournait vers Haldir ; il s'était avancé, glissant en avant avec une grâce féline, l'arc tenu lâche dans sa main. La foule fit silence ; pas un seul murmure ne pouvait être entendu lorsqu'il prit place et encocha sa flèche. Il leva son arc, et je ne pus me retenir de lui envoyer un silencieux message de réconfort, l'assurant de ma foi totale en sa force et son adresse. Avant même que j'eusse eu le temps de me sentir stupide, il tourna le visage dans ma direction et regarda droit vers moi. Nos yeux entrèrent en contact et mon coeur se souleva dans ma gorge, et j'arrêtais ma main à mi-chemin de mes lèvres.
Puis il détourna le regard, l'offrant de nouveau à la cible. Il inclina très légèrement la tête, tirant à lui la corde avec une lenteur infinie, ses longs doigts caressant sa joue au passage. Il garda la pose ainsi pendant plusieurs longues secondes, et je commençai à trembler. Qu'attendait-il ? Quelque chose n'allait pas ! Ces questions fusèrent dans mon esprit pris de panique, et soudain sa flèche fendit l'air et traversa le champ.
Que pouvait-il arriver, de toute manière ? Hélas, le centre de la cible était déjà encombré de quatre flèches... Je me mis sur pied d'un bond lorsqu'une explosion de joie folle et assourdissante jaillit et parcourut toute la longueur du champ : la flèche de Haldir s'était logée au centre, brisant toutes les autres avant cela.
A ce moment je ne pus que m'enfuir. J'avais vu tout ce qu'il me fallait voir, tout ce que je pouvais supporter. Il était bel et bien guéri, et à présent, il n'avait plus besoin de moi. Je courus à perdre haleine à travers les rues jusqu'à ce que je sois incapable de poursuivre, et me laisse tomber, haletante, contre un mur. Les yeux clos, je tremblais et mon coeur cognait à ma poitrine. C'était fini. Fini.
Il allait partir, et je ne le verrai plus jamais.
J'avais tort.
Oui, les Elfes partirent ce jour-là. Ils plièrent leurs tentes, firent leurs adieux, et moi comme une idiote je retournai les voir depuis le mur, attirée par quelque invisible et irrésistible force. Aragorn lui aussi les regarda partir, le visage triste car il connaissait bien la détresse dans le coeur du Seigneur Elrond abandonnant sa fille. Depuis le mur, je vis les Elfes partir, je les entendis qui commençaient à chanter, leurs voix envoûtantes portées par l'air du soir. Et bien sûr, je regardais Haldir, le voyant conduire son peuple, sa chevelure d'argent flottant dans la brise, sa cape se drapant autour de ses longues jambes.
Il ne m'avait pas approchée, pas plus que je n'étais allée vers lui. Je ne pouvais lui dire adieu, je ne savais pas s'il eût désiré que je le fisse. Je ne pouvais que le regarder partir, scintillant à travers mes larmes, le coeur enserré dans une chape de plomb comme je luttai contre l'impulsion étouffante de courir après lui. Et je le vis alors s'arrêter, et regarder en arrière.
Khila amin.
Je ne connaissais pas le sens de ces mots, mais ils envahirent alors mon esprit. Peut-être à la manière elfique, ou à l'aide de quelque magie, m'envoyait-il un message, chargé de plus d'émotion que je ne lui en avais jamais pu voir.
Que voulait-il dire ? Qu'avait-il voulu de moi ?
Il me regardait toujours, silencieux et immobile, et je tremblais, ne sachant que faire, ce qu'il attendait de moi. Je savais qu'il pouvait me voir beaucoup mieux que je le pouvais moi-même ; pouvait-il voir la douleur dans mon regard ? Connaissait-il mon désir pour lui ? Si tel était le cas, quelle importance pouvait-ce avoir pour lui ? Le désir de le suivre me saisit alors de nouveau, si puissant que je manquai me jeter au bas du mur dans l'urgence de le rejoindre.
Dévastée au-delà de toute mesure, je me détournai brusquement et me précipitai depuis le mur jusqu'à ma chambre. Plus tard, je découvrirais la signification de ces mots de la bouche de Legolas.
Suis-moi.
~*~
à suivre . . .
N/T : Je sais que l'attente a été fort longue depuis le dernier chapitre. Je vous prie de bien vouloir m'excuser, je n'avais oublié personne - au contraire, vos messages m'ont beaucoup touchée. En revanche, mon propre co- auteur m'a lâchement abandonnée il y a trois jours et j'ai dû prendre des mesures expéditives pour sauver mes fictions. J'espère de tout coeur que vous continuerez à me lire et m'apprécier ! Merci encore. N/A : A tous ceux qui ont reviewé cette histoire jusqu'ici, un grand merci du fond du coeur ! Les auteurs (et la traductrice avec eux...) apprécient énormément votre soutien. Le récit sera constitué en tout et pour tout de sept chapitres, et d'un épilogue. Voici pour l'instant le chapitre trois...
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Chapitre Troisième : Choix
Je n'étais pas dans ma propre chambre. La lumière effleurait les paupières, la chaleur des rayons du soleil oscillant dans les ombres mouvantes. Je pouvais sentir la brise tiède caresser ma joue, faisant voltiger une mèche de mes cheveux qui vint chatouiller la peau si sensible. J'ouvris d'abord un oeil, puis l'autre, observant à travers mes cils comme je me mettais en quête de mes sens pour explorer les environs.
J'étais allongée sous une tente, dont les panneaux avaient été roulés de manière à ce que seul un pan d'étoffe, épaisse mais transparente, flottât dans la brise. Quelque chose me dit qu'on était encore dans la matinée, car l'air était pur et frais. Je tournai les yeux et vis Haldir, assis près de moi, me scrutant de ses yeux gris, comme toujours insondables. Scrutant, et contrôlant. Montant la garde.
J'étais si faible que je ne fus même pas capable d'articuler le moindre son. Je me contentai de lui rendre son regard, notant au passage sa posture immobile, la façon dont il était assis, un coude appuyé sur le dossier de la chaise, le menton calé au creux de l'index incurvé contre son poing. Nos prunelles s'enlacèrent un court instant, puis je fermai de nouveau les yeux et sombrai aussitôt dans un sommeil des plus profonds.
Lorsque je m'éveillai la fois suivante, il faisait nuit. De petites lanternes éclairaient la tente, et je l'aperçu non loin, debout, qui échangeait d'inaudibles paroles avec un autre Elfe. J'avais dû faire un mouvement quelconque car il se tourna immédiatement, joignant de nouveau son regard au mien. Je mourais d'envie de lui parler et m'efforçai d'ouvrir la bouche, mais mon épuisement était si que je retombai une fois encore dans un sommeil sans rêves.
Quelque temps plus tard, j'entendis des voix, douces et mélodieuses, d'une musicalité admirable. Je m'éveillai complètement, à l'écoute et songeant à lui, et je les entendis appeler son nom. Sa réponse m'apprit qu'il était assis, immobile, à mes côtés.
« N'avez-vous rien de mieux à faire que de me regarder dormir ? » m'enquis- je, d'une voix rauque et fragile.
Je l'entendis glousser doucement, et lorsque j'ouvris les yeux je pus voir qu'il avait porté une coupe à mes lèvres. « Buvez, » ordonna-t-il, me glissant une main sous la nuque, « mais allez-y doucement. »
Je ne m'avisai pas de le contredire, car j'étais assoiffée. Lorsque j'en eus terminé, il reposa la coupe, et je me pris à admirer son économie de mouvement, la façon dont il bougeait le bras, la tête, les yeux. Puis je remarquai enfin la tente sous laquelle nous trouvions, et cela me déconcerta de m'apercevoir qu'il ne s'agissait de nulle autre que la sienne. Il m'avait gardée ici, sous sa tente, dans son propre lit. D'une manière ou d'une autre, cela s'apparentait à une forme d'intimité certaine, pour laquelle je me sentais fort mal préparée.
Il se pencha en avant pour me dévisager, et ses cheveux magnifiques, qui ruisselèrent par-dessus son épaule, attirèrent inexorablement mon regard. Il ne dit pas un mot, et je me demandai s'il ne s'attendait pas à ce que je parlasse la première.
« Depuis combien de temps suis-je ici ? » voulus-je savoir.
Il tendit le bras pour m'effleurer la joue. « Une semaine. »
« Une semaine ! » J'avalai ma salive et luttai pour me mettre assise, puis je portai la main à mon visage comme de petites points de lumière brillante dansaient devant mes yeux. Je gémis. « Comment cela a-t-il pu être aussi long ? »
Il ne me répondit pas, et me repoussa en arrière au creux des oreillers. « Vous allez rester ici, Keara. Vous ne pouvez bouger. »
Son attitude impérieuse m'horripila. « Vous n'êtes pas mon gardien, » l'informai-je avec froideur.
L'inclinaison de sa tête changea de manière subtile, et bien qu'il continuât de sourire, quelque chose dans son regard - profond et indescriptible - fit déferler des vagues d'excitation à travers tout mon corps. Des pensées étranges, violentes et spontanées firent irruption dans mon esprit, des images d'une intimité frappante que je n'osais même imaginer. Le coeur battant, je levai la main jusqu'à mes yeux pour barrer le passage à ses regards. Je sus que j'avais intérêt à m'échapper aussitôt que possible, bien que cela me fût irréalisable tant qu'il monterait la garde à mes côtés. A ce moment précis, je fus saisie de la sensation étrange qu'il pouvait lire mes pensées, chacune d'entre elles ; mais comment cela aurait-il pu être ? Je chassai l'idée, m'exhortant au calme, car cela n'était que folie.
Il resta posté là la plus grande partie de la journée, m'entretenant à l'occasion de ce qui se passait à l'extérieur de la tente, et dans la cité- même. Je finis par être fatiguée et dormis par intermittence, rêvant de lui, de sa guérison qui avait été de mon fait, de sa main qui m'avait tirée du gouffre, de ses lèvres, pressées sur les miennes.
Vint enfin un temps où je m'éveillai et vis qu'il n'était pas là. Je me levai, tremblante, et rougis en réalisant pour la première fois que je n'étais vêtue que de ma chemise, si fine et usée jusqu'à la corde. Eprouvant un sentiment intense de vulnérabilité, je me hâtai d'enfiler ma robe, mis la main sur mes chaussures et quittai la tente. Je jetai des coups d'oeil furtifs alentours, ignorant s'il n'avait pas donné des ordres pour me retenir ici contre ma volonté. Je passai saine et sauve devant plusieurs tentes, le pas chancelant et malaisé comme je me mettais en chemin vers la cité.
Avais-je été sotte de penser qu'il n'en serait pas averti ! En un moment son bras encercla ma taille, et je laissai échapper ce qui sonna - à mes oreilles du moins - comme un couinement d'indignation. Ses yeux étincelaient d'une lueur que je leur connaissais pas, et il me souleva sans effort aucun dans ses bras, pour me rapatrier sous sa tente. J'étais furieuse contre lui de m'humilier de la sorte, et furieuse contre moi pour prendre un plaisir aussi immodéré à sentir ses mains sur mon corps. J'étais trop faible pour me débattre, mais je ne me privai pas de lui faire connaître quelques-unes de mes pensées bien senties, dès qu'il m'eût reposée sur la terre ferme.
Faisant mine d'ignorer superbement mes protestations, il me repoussa jusqu'au lit, et je frissonnai en percevant la force de son contact, ainsi que ma propre réaction. Il agrippa mon poignet et baissa le regard sur moi, dardant des yeux effrontés sur tout mon corps, prenant note de la façon dont la robe au sombre écarlate épousait ma silhouette. Je sentis la rougeur me monter aux joues, et je tentai à nouveau de me dégager, m'efforçant avec peine de faire passer quelque fermeté dans ma voix, afin de lui faire savoir qu'il n'avait certes pas le droit de me retenir contre mon gré.
« Êtes-vous sûre que ce soit contre votre gré ? » susurra-t-il.
Il eut un sourire, et je fus tout en même temps prise de colère et d'excitation, tandis que m'assaillaient d'absurdes et érotiques pensées qui emplirent impitoyablement mon esprit. Peu importe comment, mais il devait en avoir perçu une grande partie, car son sourire s'élargit de manière considérable. Il m'attira à lui encore davantage, le bras toujours sur ma taille, supportant presque à lui semble mon poids entier tandis que mes forces m'abandonnaient. Il m'était impossible de respirer alors qu'il se tenait si près de moi, et lorsque je me débattis pour tenter de me libérer, il se contenta de rire doucement et inclina la tête vers mon visage. Son souffle était doux, lorsque ses lèvres effleurèrent le coin de ma bouche, puis remontèrent jusqu'à la joue. Je ne pus me défendre de trembler comme il me tint plus serrée encore contre lui. Je prenais la pleine mesure de sa force et de son ardeur quand nos corps entrèrent en contact, la puissance palpable de ce Elfe m'excitant davantage que tout ce que j'avais pu connaître au cours des années précédentes, ou même que j'avais jamais connu.
Il ne m'embrassa pas complètement, mais me tint simplement contre lui, mes bras immobilisés contre sa poitrine, tandis qu'il chuchotait à mon oreille des mots que je ne comprenais pas et que j'étais effrayée de connaître. Mes cheveux se hérissèrent sur ma nuque quand il glissa la main de mon dos à mes hanches, m'écrasant contre lui et me prouvant, de cette manière, qu'il me désirait tout autant que j'avais envie de lui. Je l'avais touché comme personne n'avait osé le faire, murmura-t-il. Il souhaitait me récompenser pour ce que j'avais fait. De quoi avais-je envie ? demanda-t-il, et sa main caressa de manière engageante le long de mon échine. Je baissai les yeux, mais pas avant de saisir la lueur d'entendement au fond de ses yeux. Il posa les lèvres sur le point sensitif derrière mon oreille, puis les remplaça par sa langue, et je fus parcourue de frissons incontrôlables, luttant contre la montée brûlante du désir auquel s'abandonnait ma raison.
Ce qui aurait pu arriver par la suite, je ne peux le dire ; mais il se raidit soudain, car les voix que nous perçûmes de l'extérieur nous prévinrent de l'arrivée de ses frères. Il me lâcha brusquement avec ce qui me parut être un juron en Elfique, et je retombai avec soulagement au creux des oreillers tandis qu'il se détournait face au seuil de la tente. Le pan qui maintenait le pavillon clos joua et les deux Elfes firent leur entrée, puis se figèrent dans une même attitude de stupéfaction lorsqu'ils s'aperçurent de ma rougeur éclatante et du regard de Haldir, fort peu amène. Ils nous épièrent l'un et l'autre les yeux pleins d'une interrogation muette. Ils échangèrent quelques mots, puis ils partirent tous trois, et je me recroquevillai sous les couvertures, désespérant de pouvoir m'échapper. Je n'avais fait que ce que je m'étais sentie obligée d'accomplir ; à présent je me trouvai en amont d'une rivière impétueuse, allant à vau-l'eau et laissée complètement sans défense et sans forces.
Lorsque Haldir me revint - peu de temps après - il m'apportait de quoi manger, et ne fit aucune allusion à ce qui était arrivé entre nous, mais se contenta de me donner la becquée en morceaux de pain minuscules et en cuillerées de soupe. Je réalisai, et cela me divertit au plus haut point, que son agressivité première avait disparu, et il me semblait presque tendre, un aspect de sa personnalité qui m'était encore inconnu, et qui ébranla mon calme de manière bien plus efficace que son attitude passée.
La nuit se faisait longue, et je m'assoupis, pour m'éveiller quelques heures avant l'aube, et me retrouver seule. Cela avait représenté de nombreux jours, avant que je n'aperçusse le lever du soleil, et je me glissai hors de la tente pour l'admirer, bien que je n'osasse point m'aventurer trop loin. Mais en lieu et place du soleil, je me pris à me tourner vers la cité, et contemplai ses murs immaculés irradier davantage à chaque minute qui passait. Je frissonnai, et serrai les bras autour de moi, l'herbe inondée de rosée glaçant mes pieds nus en dépit de la chaleur douce du soleil sur ma nuque.
Je me détournai enfin, et le vis qui se tenait derrière moi. Je ne l'avais bien sûr pas entendu s'approcher, et j'eus la bouche sèche en voyant la façon dont le soleil dessinait un halo autour de sa tête, la lumière intense qui les frôlait allumant de flammes étincelantes la blondeur argentée de ses cheveux. Je restai immobile, paralysée, transpercée par sa beauté, qui me fit venir des larmes aux yeux lorsqu'il vînt à moi, et je secouai la tête.
« Non, vous ne devez pas, » protestai-je d'une toute petite voix.
« Je ne dois pas quoi, Keara ? » Bien que j'eusse le soleil dans les yeux et ne visse point son visage, je pouvais le voir sourire rien qu'au son de sa voix. Il me taquinait, et mon coeur battit du même désir impuissant que j'avais ressenti la nuit précédente. Sans prêter attention à ma réticence, il m'enfouit dans ses bras et je me retrouvai de nouveau coincée, les mains appuyées contre sa large poitrine.
« Vous ne devez pas me toucher, » dis-je, m'efforçant de paraître résolue.
Il eut un petit rire. « Mais pourquoi ? Cela vous plaît, tout comme à moi. »
En proie à un certain agacement, je sentis le rouge, vif et brûlant, me monter aux joues. Je tentai de me dégager, mais la tente était juste derrière moi, m'interdisant toute retraite. Avec l'air de s'amuser beaucoup, il me fit pivoter de manière à ce que je visse plus nettement son visage, mais j'évitai son regard, submergée par sa simple vision ainsi que par l'intensité de mes propres sentiments. Pendant quelques instants nous demeurâmes parfaitement immobiles, ni l'un ni l'autre ne parlant, puis il glissa le doigt sous mon menton et le redressa, me repoussant légèrement afin de plonger dans les profondeurs de mon regard. Son sourire s'était évanoui, remplacé par une inquiétude légère mais déconcertée. Peut-être comprit-il à quel point j'étais emplie de crainte et si confuse, car il me relâcha et fit un pas en arrière.
Il s'inclina profondément devant moi, et je fus soudain aux prises avec une crainte de bien différente sorte. « Mon peuple s'apprête à partir bientôt. Nous rentrons en Lothlórien. »
Un poids immense tomba sur mon coeur. « Je vois, » répondis-je sombrement.
« Venez avec moi, » dit-il. Ce n'était pas une question, mais un ordre.
Je me détournai, la gorge serrée - au bord de l'hystérie. « Non, je ne puis. »
Il resta silencieux un long moment. « C'était une décision un peu rapide. Vous avez le temps d'y repenser. Mais pas beaucoup. »
J'enfouis mon visage dans mes mains. Mon coeur me criait d'accepter, et pourtant cela m'était impossible. La logique me l'affirmait. Il était une étoile ; lumineux, brillant, distant. Et inaccessible.
« Je ne peux aller avec vous, Haldir. Je vous en prie, ne me posez plus de questions. »
Je sentis qu'il était sur le point de répliquer, et s'il en avait été ainsi, il eût été possible que j'en vinsse à être persuadée. Cependant, il ne fit que me dire : « Venez à moi si jamais vous changez d'avis. » Puis il me quitta, ses longues jambes le menant trop vite hors de ma vue.
***
Je quittai le campement des Elfes, et pris le chemin du retour vers le havre sécurisant et familier de mon refuge en ville. Je ne pouvais supporter de les regarder démonter leurs tentes, rassemblant les chevaux, pliant armes et bagages pour se préparer à la longue route qui les attendait, pour le voyage de retour vers leurs cités. Je ne pouvais plus quitter ma chambre comme autrefois, pour admirer le soleil de l'aurore inonder la plaine. Jour et nuit, je les passai seule à pleurer sur mon lit, à proie à une douleur infinie et un chagrin inconsolable.
Réaliser mon refus m'avait soumise aux affres de la torture, mais en moi- même je savais très bien que l'accompagner aurait été bien pire. Ce que je désirais m'était impossible ; j'étais une simple mortelle, il était un Elfe, et cela nous interdisait tout espoir d'une durable union. Et je ne pensais pas qu'il m'eusse été possible de supporter une liaison trop courte ; mais s'il me désirait aujourd'hui, et peut-être demain, qu'en serait-il de la semaine suivante, du mois d'ensuite, de l'an prochain ? Tôt ou tard, il en viendrait à être fatigué de moi, et j'avais déjà tant souffert... La disparition de mon enfant bien-aimée hantait encore mes rêves, et bien que je n'eusse point éprouvé d'amour pour mon époux, il avait été un homme bon et je l'avais perdu de même.
Et qu'en serait-il, si la possibilité se révélait vraie que Haldir m'aimât en retour ? Non, même ce chemin-là conduisait au chagrin et à la douleur, car je ne ferais que dépérir et le laisser. Pour quelle raison aurais-je souhaité lui infliger tant de souffrance ? Ou peut-être allais-je n'être à ses yeux qu'une parmi tant d'autres, et cette pensée également me causait beaucoup de peine. Peut-être aussi n'étais-je que couarde et lâche, mais j'avais déjà éprouvé une somme par trop grande de douleur en son nom, et la pensée d'en subir davantage m'apparaissait intolérable.
Le matin suivant j'entendis que l'on frappait à ma porte, et je me levai, ayant deviné qui devait se trouver de l'autre côté. Frottant mon visage à la hâte pour en essuyer les larmes, j'ouvris le battant pour trouver Legolas, une nouvelle fois debout sur le seuil. Je savais que son regard perçant avait saisi très vite toute l'étendue de mon désarroi, mais il possédait assez de tact pour ne faire aucun commentaire. Au lieu de cela, il me prit par surprise en se saisissant de ma main, et en m'invitant à le suivre. Je devais venir voir ce que j'avais fait, m'enjoignit-il, et il me tira hors de ma chambre, me traînant à toute vitesse à travers les rues jusqu'à la porte inférieure. Regardez, fit-il, m'indiquant la direction depuis le mur. Il me sourit, me caressa la joue, et partit.
Plus loin au-dessous, je pus constater que les Elfes avaient démonté la plupart de leurs tentes, et qu'une petite foule d'entre eux s'était rassemblée pour former un groupe gaiement agité. J'écarquillai les yeux en apercevant Aragorn, qui parlait avec animation avec Haldir et ses deux frères ; un moment plus tard, ils étaient rejoints par Legolas qui s'immisça dans leur conversation, et ils continuèrent de parler tout en faisant de grands signes vers un point large et dégagé du champ. Je n'avais pas la moindre idée de ce qui se tramait, mais il m'était facile de voir l'excitation que leur conversation créait au sein de la foule qui faisait cercle autour d'eux. Moi-même, je commençai d'éprouver une curiosité certaine ; cependant mon attention tout entière se focalisait sur Haldir.
Je fis un bond lorsqu'une main se posa sur mon épaule, et en me tournant je me trouvai nez à nez avec l'une des dames de compagnie d'Arwen Etoile-du- soir qui se tenait derrière moi. Elle m'indiqua de la suivre, et je rencontrai Arwen qui m'attendait près de la porte. A ma grande surprise, elle me sourit avec chaleur et prit ma main. Il semblait qu'un tournoi d'archerie était mis en place, et que son mari, ainsi que quelques Elfes très en vue, allait y participer. Déjà, les murs de la cité étaient cernés par les curieux. Arwen m'entraîna le long d'eux, me disant qu'il me fallait m'asseoir près d'elle, qu'on avait fait préparer une place pour moi, et que nous verrions ensemble ce que mes dons avaient permis. Je ne compris pas grand chose à ses propos, mais j'étais trop faible et malheureuse pour questionner ou démentir.
Nous traversâmes la pelouse pour prendre place juste au bas des murs, bien au-dessus de la plaine inclinée où tant d'autres étaient amassés. Peu de temps après la foule s'écarta et parurent alors Dame Galadriel et le Seigneur Celeborn, qui se frayèrent un chemin jusqu'à nous, leur aura luminescente pleinement visible même en plein jour. On fit apporter des chaises supplémentaires, et ils s'assirent non loin, parlant doucement avec Arwen en langue elfique. Le Seigneur Elrond fit bientôt son apparition, s'avançant avec une profonde grâce à travers la foule pour venir embrasser sa fille sur la joue, avant de prendre place sur la dernière des chaises. D'être assise au milieu d'une si belle et noble compagnie me plongea dans un certain malaise, et je me tortillai sur ma chaise ; mais comme il semblait que je n'avais pas mon mot à dire dans l'histoire, je ne fis rien.
Après quelques courtes minutes Arwen se tourna vers moi, ses yeux sublimes étincelant de plaisir. Avec un petit rire, elle m'expliqua qu'Aragorn participerait au concours, même en sachant qu'il serait le premier à échouer. Je fronçai les sourcils, assez confuse, tandis qu'elle pointait le doigt vers son époux. Aragorn se tenait au côté de quatre Elfes, dont Haldir, et je serrai les dents pour cacher ma réaction à sa vue. J'observai qu'une large cible d'archerie était apportée, et les Elfes faisaient de grands gestes à l'intention des hommes qui la transportaient, indiquant qu'elle devait être placée beaucoup plus loin. Aragorn leva la main en signe d'objection, mais les autres se contentèrent de sourire malicieusement. Arwen m'expliqua qu'Aragorn ne pouvait pas voir aussi loin qu'eux, et il savait qu'il concourrait avec un sérieux désavantage.
« Mais alors, pourquoi tient-il tant à concourir ? » demandai-je, pleine de curiosité.
Les yeux d'Arwen pétillèrent. « Parce qu'il ne peut pas résister à un défi. La plupart des hommes ne le peuvent pas, d'ailleurs. »
Je soupesai cette affirmation. Etais-je un simple défi aux yeux de Haldir ? Mon regard se posa sur lui, et je me demandai ce qu'il avait eu à l'esprit en me faisant cette demande. S'était-il attendu à ce que je la joie me fît trépigner ? Que je me jetasse à ses pieds ? Comme je n'avais rien fait de tout cela, avais-je été oublié désormais ? Ou essaierait-il à nouveau ?
Un instant plus tard je repoussai toutes ces pensées brusquement, car je venais de comprendre qu'il avait rien moins que l'intention de concourir. Consternée, je me mis à l'étudier des pieds à la tête, l'estomac noué d'une tension renouvelée. Mes soins avaient-ils été efficaces ? Il me semblait que oui, mais en vérité je n'avais aucun moyen d'en être certaine. Avait-il eu suffisamment de temps pour recouvrer ses forces ? Je ne le savais pas non plus, mais j'étais sur le point d'en connaître la réponse. Comme lui.
Mon coeur battait la chamade. Mes yeux ne quittèrent pas Haldir lorsqu'Aragorn lui tendit son arc. Je les vis échanger un regard complice de communication silencieuse, et Aragorn fit n petit signe de la tête comme s'il offrait ses encouragements. Haldir était-il inquiet ? Que pensait-il ? Je me tournai car Arwen chuchotait dans ma direction, me racontant que Legolas lui aussi possédait un arc des Galadhrim, un don qui lui avait été fait par Galadriel en personne. Ce fait parlait pour les talents de mon ami, et cela m'arracha un sourire, car j'étais heureuse qu'il en fût ainsi.
Les autres Elfes à concourir étaient les frères d'Haldir, et je fus saisie de leur voir des expressions si joyeuses. Je sentis une main sur mon épaule, c'était Galadriel qui se tenait derrière moi. Elle se pencha en avant, la voix basse et douce quand elle m'expliqua que je n'avais pas soigné Haldir seul, mais aussi ses frères. Leur chagrin les avait changés, avait volé leur rire, leur avait dérobé tout ce qui en eux était gai et plein de candeur. Ils avaient été autrefois ainsi, me dit-elle, et elle posa de nouveau la main sur mon épaule, avant de s'en retourner s'asseoir auprès de son seigneur.
Comme je retournai mon regard aux concurrents, je vis que Legolas s'était approché pour prendre son tour. Il se tint face à la cible, et j'admirai les traits réguliers et élégants de sa silhouette, sa grâce et sa souplesse ; il banda son arc, et le bois émit un craquement sonore dans l'air calme et atone. Il libéra la flèche, et l'on annonça bientôt qu'elle avait percuté de plein fouet le centre de la cible. Une explosion de joie accueillit la nouvelle, qui se répercuta tout le long du mur d'enceinte. Legolas s'inclina, et je souris.
L'un des frères d'Haldir vint ensuite, dont Arwen de nouveau penchée vers moi me dit qu'il s'agissait de Rúmil ; il était le plus jeune des frères, et son humour était très connu. Je reconnus pour ma part immédiatement celui que j'avais rencontré en premier, celui dont les yeux bleus glacés m'avaient dévisagé avec suspicion, le plus fluet des trois. J'observai avec attention comme il bandait son arc et décochait sa flèche, qui vint se planter presque sans un bruit au centre de la cible. Les juges hochèrent une fois encore leur assentiment, et de nouveaux encouragements se firent entendre depuis les murs, encore plus assourdissants. Rúmil eut un grand sourire espiègle et s'inclina très bas devant la foule, qui l'acclama de plus belle.
Aragorn s'avança à grands pas, et ceux du mur hélèrent leur Roi, qui sourit en retour puis les enjoignit au silence. Il se tourna alors, tenant un arc plus léger et petit que les autres, et fixa attentivement la cible. La foule observa en silence comme il tirait la corde en arrière de ses doigts élégants puis relâchait la flèche. Elle frappa la cible avec un petit bruit sourd et un autre hochement de tête occasionna de nouvelles ovations. Trois flèches à présent occupaient la cible, toutes fichées près du centre.
Arwen, qui s'était penchée de nouveau, m'aida à identifier le suivant comme Orophin, le frère cadet, dont elle avait toujours admiré la poésie. Il était aussi connu pour ses talents d'archer. Je le vis jeter un coup d'oeil vers Haldir, les yeux brillant d'un muet défi. Puis il leva son arc et l'arma, ne prenant guère qu'un seul instant pour tirer. La foule tout entière applaudit le résultat égal aux précédents. Orophin à son tour salua la foule, le sourire aussi immense que celui de Rúmil l'avait été.
Je serrai inconsciemment les mains sur me genoux, tandis que tout le monde se tournait vers Haldir ; il s'était avancé, glissant en avant avec une grâce féline, l'arc tenu lâche dans sa main. La foule fit silence ; pas un seul murmure ne pouvait être entendu lorsqu'il prit place et encocha sa flèche. Il leva son arc, et je ne pus me retenir de lui envoyer un silencieux message de réconfort, l'assurant de ma foi totale en sa force et son adresse. Avant même que j'eusse eu le temps de me sentir stupide, il tourna le visage dans ma direction et regarda droit vers moi. Nos yeux entrèrent en contact et mon coeur se souleva dans ma gorge, et j'arrêtais ma main à mi-chemin de mes lèvres.
Puis il détourna le regard, l'offrant de nouveau à la cible. Il inclina très légèrement la tête, tirant à lui la corde avec une lenteur infinie, ses longs doigts caressant sa joue au passage. Il garda la pose ainsi pendant plusieurs longues secondes, et je commençai à trembler. Qu'attendait-il ? Quelque chose n'allait pas ! Ces questions fusèrent dans mon esprit pris de panique, et soudain sa flèche fendit l'air et traversa le champ.
Que pouvait-il arriver, de toute manière ? Hélas, le centre de la cible était déjà encombré de quatre flèches... Je me mis sur pied d'un bond lorsqu'une explosion de joie folle et assourdissante jaillit et parcourut toute la longueur du champ : la flèche de Haldir s'était logée au centre, brisant toutes les autres avant cela.
A ce moment je ne pus que m'enfuir. J'avais vu tout ce qu'il me fallait voir, tout ce que je pouvais supporter. Il était bel et bien guéri, et à présent, il n'avait plus besoin de moi. Je courus à perdre haleine à travers les rues jusqu'à ce que je sois incapable de poursuivre, et me laisse tomber, haletante, contre un mur. Les yeux clos, je tremblais et mon coeur cognait à ma poitrine. C'était fini. Fini.
Il allait partir, et je ne le verrai plus jamais.
J'avais tort.
Oui, les Elfes partirent ce jour-là. Ils plièrent leurs tentes, firent leurs adieux, et moi comme une idiote je retournai les voir depuis le mur, attirée par quelque invisible et irrésistible force. Aragorn lui aussi les regarda partir, le visage triste car il connaissait bien la détresse dans le coeur du Seigneur Elrond abandonnant sa fille. Depuis le mur, je vis les Elfes partir, je les entendis qui commençaient à chanter, leurs voix envoûtantes portées par l'air du soir. Et bien sûr, je regardais Haldir, le voyant conduire son peuple, sa chevelure d'argent flottant dans la brise, sa cape se drapant autour de ses longues jambes.
Il ne m'avait pas approchée, pas plus que je n'étais allée vers lui. Je ne pouvais lui dire adieu, je ne savais pas s'il eût désiré que je le fisse. Je ne pouvais que le regarder partir, scintillant à travers mes larmes, le coeur enserré dans une chape de plomb comme je luttai contre l'impulsion étouffante de courir après lui. Et je le vis alors s'arrêter, et regarder en arrière.
Khila amin.
Je ne connaissais pas le sens de ces mots, mais ils envahirent alors mon esprit. Peut-être à la manière elfique, ou à l'aide de quelque magie, m'envoyait-il un message, chargé de plus d'émotion que je ne lui en avais jamais pu voir.
Que voulait-il dire ? Qu'avait-il voulu de moi ?
Il me regardait toujours, silencieux et immobile, et je tremblais, ne sachant que faire, ce qu'il attendait de moi. Je savais qu'il pouvait me voir beaucoup mieux que je le pouvais moi-même ; pouvait-il voir la douleur dans mon regard ? Connaissait-il mon désir pour lui ? Si tel était le cas, quelle importance pouvait-ce avoir pour lui ? Le désir de le suivre me saisit alors de nouveau, si puissant que je manquai me jeter au bas du mur dans l'urgence de le rejoindre.
Dévastée au-delà de toute mesure, je me détournai brusquement et me précipitai depuis le mur jusqu'à ma chambre. Plus tard, je découvrirais la signification de ces mots de la bouche de Legolas.
Suis-moi.
~*~
à suivre . . .
