*Chapitre premier*

Le soleil s'était couché depuis plusieurs heures sur l'Institut Xavier quand les prémices de l'orage, annoncé aux informations, se manifestèrent. Dans la nuit d'encre, devant le portail de l'imposante demeure, apparurent deux yeux violacés Des éclairs zébrèrent le ciel, projetant leurs lueurs blafardes sur une forme qui sauta avec peine par dessus le mur d'enceinte. La pluie commença à tomber, transformant peu à peu le sol en véritable marécage. L'ombre courrait difficilement. Elle atteignit finalement la porte de l'Institut et se jeta dessus les mains en avant. La porte d'entrée en double-vitrage se brisa à l'instant où ses doigts effleurèrent le verre si bien que son corps ne rencontra aucune résistance et s'effondra sur l'épaisse moquette pourpre du hall.

* * * * *

Elle se releva avec difficulté. Sa tête tournait et elle avait envie de vomir. Elle observa les dégâts : les rideaux pendaient tristement aux tringles, le sol était jonché d'éclats tranchants comme des lames de rasoir. La pluie qui tombait à l'intérieur de la pièce gorgeait le tapis d'eau. L'air semblait vibrer. Sa langue devint sèche et sembla augmenter de volume. Ses veines pulsait sur ses tempes. Toutes les fibres de son corps étaient tendues comme les cordes d'un violon.

Des réminiscences s'imposèrent à elle. Son père et sa mère gisant dans de multiples étreintes de métal. La lueur glacée des yeux de l'homme qui les avait tué. Cette façon de se déplacer comme s'il glissait plutôt qu'il marchait. Le bourdonnement augmenta soudain, la ramenant ainsi à la réalité. Un vent qui n'avait rien de naturel fit bouger ses cheveux.

Les chiffres écarlates du radio réveil lui indiquèrent qu'il était trois heures de matin le vingt août. Elle voulut fuir mais ses jambes étaient enracinées dans le plancher. Les carreaux du vaisselier, qui étaient restés immobiles jusqu'alors, se mirent à trembler. L'insupportable son augmenta encore et des gouttes de sueur perlèrent sur son visage, sa tête était comme un tambour sur lequel on aurait joué un rythme grave et continu. C'est alors qu'elle vit le pied d'une chaise se tordre ,aussi facilement que s'il avait été en fusion, puis, finalement, se détacher. Le morceau décolla du sol et lui enserra la nuque avec une telle rapidité qu'elle fut incapable de réagir. Le collier de métal malveillant se souleva encore et ses pieds quittèrent la terre ferme. La jeune fille fut transportée de l'autre côté de la pièce et se retrouva de dos à un mètre du mur. Le cerceau ferreux ne l'empêchait pas de respirer mais il lui était impossible de glisser ne serait-ce qu'un doigt entre celui-ci et la peau de son cou. Imperceptiblement, l'étreinte métallique se resserrait et elle vit à sa grande horreur un second pied s'animer. Il flotta au-dessus de la moquette pendant quelques instants puis son apparence commença à se modifier. Le corps s'aplatit et le bout s'effila jusqu'à ressembler à une lame de soixante centimètres. A cette vue, son souffle se fit plus court. Elle sentait le fer contre sa peau remuer comme si une main invisible l'avait rétrécit. L'agitation la gagna et elle se battit avec l'énergie du désespoir pour ôter le collier, ce qui eu pour seul résultat de faire apparaître de longues griffures sanglantes sur son cou. Le manque d'oxygène se faisait de plus en plus ressentir, bientôt il allait la faire délirer. Il fallait essayer de rester calme, sinon elle s'épuiserait et mourrait plus vite. Le sang lui montait à la tête. Sa vue se troubla, les choses prirent un contour aléatoire. A chaque battement de son coeur, les objets redevenaient normaux. Alors que la strangulation avait bientôt fini son travail, la lame se mobilisa, la traversa de part en part et alla finir sa course dans le mur. TCHAK ! La vibration s'arrêta net.

* * * * *

Elle était entendue sur quelque chose de mou, aucune sensation ne lui parvenait de ses membres ; ils étaient comme endormis. Elle avait l'impression d'être un esprit flottant au-dessus d'un corps qui n'aurait pas été le sien. Elle voulut ouvrir les yeux mais ses paupières semblaient faites de plomb. Où était-elle ? Elle souvenait d'une douleur atroce, aussi bien physique que psychologique. Son cou la brûlait et son ventre irradiait son corps de vagues de douleur successives. Etrangement, elle se rappela d'un bruit. TCHAK ! Ses paupières se soulevèrent d'un coup. Quelqu'un l'avait attaqué dans son appartement. Elle pris conscience qu'elle se trouvait dans une pièce blanche qui ressemblait à s'y méprendre à une sorte de laboratoire. Elle entendit la porte de la pièce s'ouvrir ; elle ferma les yeux et fit semblant d'être encore endormie. Sans qu'elle puisse expliquer ni pourquoi, ni comment, elle sentait que l'individu présent dans la pièce était un homme. Il examina ses blessures pendant plus de cinq minutes, puis il s'en alla enfin. Entre-temps, ses muscles étaient revenus à la vie. Elle se redressa laborieusement dans le lit et, après que la circulation sanguine se fût effectuée un nombre de fois satisfaisant, se dirigea vers la porte blindée du laboratoire. Elle s'imagina la clenche baissée et la porte ouverte. Un bruit sec retentit et la porte s'ouvrit. Elle regarda le verrou et vit ce qui avait provoqué ce bruit : la barre d'acier s'était brisée nette dans le chambranle. Le jeune fille sortit de l'étrange salle blanche, et regarda dans le couloir sur lequel elle débouchait, à la recherche d'une issue de secours. Tout au bout, elle aperçut un bouton poussoir qui aurait pu actionner un ascenseur. Elle appuya dessus et une porte à double-battants coulissa laissant apparaître l'intérieur d'un monte-charge. Une fois dedans, elle le fit aller au rez-de- chaussée. Mais au niveau -1, il s'arrêta et avec une impressionnante agilité, elle dut se plaquer contre le plafond à la force de ses bras, ses jambes et de ses abdominaux sans trop savoir pourquoi. L'homme qui venait d'entrer avait aux environs de trente-cinq ans et portait des lunettes de soleil à verres en quartz-rubis. Il paraissait en proie à une profonde réflexion. Un flash crépita, suivi d'une légère fumée bleue. Un curieux personnage venait d'apparaître. Sa peau était bleue et il était doté de canines proéminentes ainsi que d'une queue préhensile. Ses extrémités étaient divisées en trois doigts.

~ C'est un téléporteur. Mais je suis où là ? Qu'est-ce qu'ils me veulent ?~

- Tiens, bonjour Scott ! Je savais que je trouverais ici, dit-il d'un air amusé.

- ça n'a rien de drôle, Kurt, répliqua l'autre. La situation devient critique. Des clans de pro-mutants ou d'anti-mutants se créent en fonction de la position qu'ont les humains par rapport à nous. Les autorités font la chasse aux non-humains car certaines personnes nous discréditent à leurs yeux. Même au sein de leur famille, les nouveaux mutants ne sont plus en sécurité. Personne ne veut avoir de mutant chez soi, ils ont trop peur que cela se sache, trop peur de ce qu'ils ne comprennent pas. Et si tu rajoutes au tableau une guerre d'idées entre les mutants, tu obtiens ce que nous avons dans le laboratoire. Une mutante écorchée vive par la vie, dont les blessures continuerons à saigner sans jamais se refermer et qui aura du mal à recouvrir un semblant d'humanité envers elle-même et envers les autres.

Son ventre la brûlait. Elle ne pourrait plus tenir longtemps dans cette position. Si ils ne sortaient pas bientôt de l'ascenseur elle allait leur tomber dessus.

- Eh bien. on dirait que tu as réfléchi à la question. C'est vrai qu'elle était mal en point en arrivant ici le vingt août.

- ça fait déjà cinq jours qu'elle est dans le coma et le professeur s'accorde le droit de réserve quant à sa survie.

La cabine s'arrêta et la porte s'ouvrit. Les deux mutants en sortir. Elle se laissa tomber sur le plancher mais regretta aussitôt son manque de délicatesse car elle crut que ses entrailles venaient de se répandre au sol. Après vérification, il apparut que plusieurs fils qui suturaient sa plaie ventrale s'étaient rompus et avaient tiré sur la chair saine faisant couler son sang et laissant la blessure à l'air libre. Elle appuya avec force sur le trou béant de sa peau et sortit dans un couloir recouvert de moquette et aux murs lambrissés. Elle prit la direction opposée de celle des deux hommes et vit une grande porte vitrée donnant sur l'extérieur se dresser à dix mètres sur sa droite. Seul problème, trois adolescents étaient en pleine conversation entre la porte et elle. Une corbeille de fruits était posée en équilibre instable sur une table d'appoint à l'opposée de la pièce. Si elle arrivait à attirer les jeunes gens vers là- bas, elle pourrait sortir sans encombres. Les fruits décollèrent une vingtaine de centimètres au-dessus de la corbeille qui fut propulsée sur le mur. Poussés par la curiosité, ils allèrent jeter un coup d'?il où le bruit s'était produit, lui offrant ainsi la perspective de quitter le bâtiment.

Sitôt dehors elle se réfugia derrière les arbres de la forêt. Pendant cinq minutes, elle continua de s'enfoncer dans l'épaisse végétation. Mais alors qu'elle pensait être enfin hors de danger, elle entendit des bruits qui ne ressemblait en rien à ceux du vent dans les branchages. En regardant autour d'elle, ce qu'elle vit la fit paniquer. Elle n'avait pas prit garde à sa blessure, mais le sang, lui, avait continué de suinter, parsemant les feuilles de taches écarlates. L'homme du laboratoire n'aurait aucun mal à la retrouver si elle n'agissait pas rapidement. Tant bien que mal, elle se hissa sur une branche et commença à revenir vers la demeure en marchant deux mètres au-dessus du sol. Soudain, elle vit l'homme surgir et se tint immobile sur le solide rameau, respirant faiblement. L'homme, de belle stature, s'arrêta net. Depuis qu'elle état sortie de la bâtisse, elle avait perdu beaucoup de sang et la douleur qui la transperçait comme des lames ignées rendait plus difficile encore de contenir ses gémissements. Au moment où elle pensait qu'il allait continuer son chemin, son don d'empathie l'avertit qu'il allait lever les yeux sur elle et, dans un effort désespéré pour lui échapper, elle se jeta, avec le plus de discrétion et de délicatesse possible, dans les airs à trois mètres au- dessus du sol pour se rendre sur le grand chêne à sa droite. Mais alors qu'elle allait atteindre la couverture feuillue de l'arbre, son empathie passa la vitesse supérieure, comme toujours lorsqu'elle était fatiguée, et lui fit ressentir ce que l'homme ressentait. Des images du manoir passèrent fugacement devant ses yeux, immédiatement remplacées par d'autres plus sombres. Elle vit une table d'opération rudimentaire sur la quelle gisait un homme inconscient.

- NON ! cria-t-elle.

Elle ne voulait rien voir d'autre, elle savait déjà trop. Malheureusement son pouvoir était allé trop loin et, à ce stade, le seul moyen d'arrêter le transfert était de l'assommer.

Son corps était strié de traces noires comme pour délimiter quel morceau allait être découpé ; un pistolet, relié à un évier en pierre contenant du métal en fusion, se rapprocha d'un trait noir.

L'air lui siffla soudain aux cheveux, sa tête heurta une branche, la sonnant à moitié, et elle tomba à terre sur un tapis de fougères qui amortirent légèrement sa chute. Elle se mit debout et s'appuya contre le tronc du chêne. Son front était emperlé de sueur, sa bouche était sèche, son estomac se contractait étrangement . puis se retourna véritablement. Elle eu juste de le temps de s'agripper au tronc avant de rendre. L'expérience avait été plus que désagréable, personne ne devrait pouvoir tout connaître des autres. Il n'était pas question que cela recommence encore une fois, elle allait y veiller. Elle releva la tête et vit l'homme qui s'était approché. Les souvenirs remontèrent à la surface produisant un nouveau haut-le-corps. Cette fois-ci, elle rendit de la bile ce qui lui laissa une amertume épouvantable dans la bouche. Elle avait chaud et froid en même temps et se sentait fiévreuse comme si elle avait été malade. Sa figure était bouillante, ses mains et ses pieds aussi froids que ceux d'un cadavre. Ses muscles étaient raidis par la tension qui parcourait ses fibres. Elle aperçut fugitivement un air de dégoût dans les yeux de l'homme quand il la regarda. Ses yeux brillaient autant que ceux des camés à deux doigts de l'overdose et elle avait le même regard hagard. Elle voulu partir, car elle ne voulait imposer à personne une vision pareille, mais elle n'arrivait qu'à ramper sur le sol. Elle ne s'était jamais sentie aussi pitoyable et sans défense. Et lui qui la regardait comme si il n'avait jamais vu quelque chose d'aussi monstrueux alors qu'elle était le résultat des horreurs qu'il avait vécu. Il ne savait pas qu'elle était au courant de son passé. Comme tout le monde, il avait des secrets qu'il ne devait révéler qu'à quelques rares personnes. Elle respectait ça et, pour cette raison, elle garderai cela pour elle. Elle devrait apprendre à vivre avec car il n'y avait qu'en comprenant et en acceptant ces souvenirs qu'elle parviendrait à les supporter.

Il la prit par les épaules et la remit d'aplomb sur ses jambes. Progressivement, il la lâcha, et elle parvint à se tenir debout. Il lui intima d'avancer mais à peine avait elle essayé de bouger que ses jambes flageolèrent et se dérobèrent sous elle. Il se pencha vers elle, de ses bras elle enserra son cou, et la saisit au niveau de la taille. Il la souleva et la ramena au bâtiment où un homme en fauteuil roulant électrique d'une soixantaine d'années l'attendait et dit :

- Emmène-la dans sa chambre, Logan.

Logan transporta la jeune fille jusqu'à une chambre qui ressemblait plutôt à un petit appartement et l'allongea sur le lit. L'homme en fauteuil roulant pria l'autre de les laisser seuls puis s'adressa à elle en souriant :

- Bonjour Paige. On peut dire que tu nous à fait un belle peur. Heureusement que ton pouvoir de régénérescence a fait son travail.

~ Comment sait-il mon prénom ? Qui c'est « nous » ?~