Chapitre 2: Durmstrang

Il n'avait jamais rien ressenti de comparable: un genre de secousse dans tout le corps, et soudain, les murs autour de lui qui se changeaient en ombres. Il lâcha la main de Wakewage et Ron en fit autant. Ils avancèrent tous les deux de quelques pas. Le sol sous eux était pavé de carrelage multicolore. Lorsque leurs yeux se furent habitués à l'obscurité, les deux amis découvrirent qu'il représentait des scènes paillardes remplies de satyres et de diablotins. Aux murs de la pièce, immense, ils distinguaient des tableaux sombres garnis de sacrifices sanglants. Quatre cheminées agrémentaient les quatre murs et elles étaient encerclées de profonds fauteuils, mais seules quelques braises rougeoyaient dans les âtres. Lorsque Harry leva la tête, il ne vit qu'un lustre de cristal qui pendait depuis un plafond perdu dans les ombres. Il chercha une source de lumière et comprit pourquoi la salle était obscure quand il vit les larges fenêtres occultées par de lourds rideaux de velours.

- Alors, ironisa Wakewage, ça a pris trois jours?

- C'est Durmstrang?

- Ouais. C'est ici que j'ai appris la magie.

- Comment… où as-tu appris à transplaner?

- Ici même. Nous passons le permis à treize ans, en Bulgarie.

Harry fit volte-face.

- Où se terre Voldemort?

- Par là, indiqua-t-elle.

Elle désignait une porte dans le dos de Harry.

- Il a ses appartements là-bas, à dix minutes de marche.

- Hé! s'écria Ron. Est-ce que vous croyez que Vous-Savez-Qui peut être tué dans son lit? pendant son sommeil?

- Hmm, réfléchit Harry, je ne sais pas… il a l'air tellement puissant… je parie qu'il se réveillerait.

- Je peux vous répondre, intervint Wakewage. Vous-Savez-Qui ne dort jamais. Il ne récupère pas ses forces en se reposant comme nous: il puise dans la magie des autres. C'est un vampire. Il aspire la force de ses victimes.

- Comme un Détraqueur, dit pensivement Harry.

- Oui, un peu comme un Détraqueur. Vous-Savez-Qui aime tuer et faire souffrir. Il en est venu à se nourrir de la souffrance des autres. Voyez-vous, la peur et la souffrance sont les plus grandes puissances. Bien plus que l'amour.

- D'où sais-tu tant de choses? s'enquit Ron.

- De mes cours de magie noire, et des conversations de mon père que j'ai épiées.

- Bien, coupa Harry. C'est intéressant, mais dans l'immédiat, que faisons-nous? On a deux vies à sauver, aujourd'hui.

- Je propose qu'on libère d'abord Hermione, dit Ron. On ne sera pas trop de quatre pour tirer Si… Oliver des griffes de Tu-Sais-Qui.

- D'accord, si on peut la trouver rapidement. Wakewage, à ton avis?

- Je vous ai déjà dit qu'on ne pouvait rien pour "Si-Oliver", soupira-t-elle. Il est trop tard. Mais pour Hermione, on doit pouvoir la trouver en vingt minutes. Sans compter les imprévus, bien sûr.

Harry et Ron se consultèrent du regard:

- On y va, déclarèrent-t-ils à l'unisson.

- Tu es sûre que c'est par là? demanda Ron avec inquiétude quand ils eurent repris leur route, après que Wakewage ait hésité de longues minutes à un croisement.

- Oui, chut. Nous ne sommes pas seuls, murmura-t-elle.

Ils avançaient en file indienne, à quatre pattes dans un étroit conduit d'aération. Harry n'y voyait goutte, et il se demandait comment Wakewage arrivait à trouver son orientation. Sous ses doigts et ses genoux, la pierre était glacée et pleine d'irrégularités qui s'enfonçaient douloureusement dans sa chaire.

Wakewage s'immobilisa de nouveau à un carrefour. À droite et à gauche, la lumière perçait au bout du tunnel. Elle poursuivit tout droit.

- Hé, râla Ron. Il y a des sorties sur les côtés. Pourquoi on va tout droit?

Wakewage se retourna brusquement. Dans l'étroit boyau, son visage était à présent tout près de celui de Ron. Elle lui mit la main sur la bouche et chuchota:

- Écoute-moi attentivement. De l'autre côté de ces parois, il y a des choses affreuses. Si terrifiantes que Tu-Sais-Qui lui-même n'aimerait pas les avoir contre lui. Alors si tu tiens vraiment à leur être présenté, continue comme ça, tu es sur la bonne pente.

Elle relâcha la pression de sa main.

- Mais attends que je sois ailleurs.

Elle fit demi-tour et reprit sa progression. Ron et Harry en firent autant, non sans avoir échangé un regard inquiet.

Après cinq minutes de reptation, le boyau se termina abruptement sur un mur de pierre. Levant la tête, Harry comprit que la voie d'aération poursuivait son chemin vers le haut. Le tunnel se perdait dans les ombres au-dessus d'eux.

- Et voilà, on est coincés! grogna Ron.

Harry savait que son ami supportait mal les espaces sombres et étriqués. Or ils étaient typiquement dans un espace sombre et étriqué.

- Silence! intima Wakewage.

L'oreille collée contre la pierre, elle écoutait attentivement.

Elle releva finalement la tête, s'écarta de la paroi. De sa baguette magique, elle tapota cinq pierres selon un schéma précis.

Au cinquième tapotement du bois contre la pierre, elle dit:

- Reculez!

Ils firent de leur mieux pour s'écarter au maximum. Un léger frisson ébranla le mur, puis une fente apparut entre deux pierres. La lumière éblouit Harry qui se protégea les yeux de sa manche. Les pierres pivotèrent sur elles-même en grinçant légèrement, et ils se retrouvèrent finalement face à une ouverture de un mètre de côté.

Wakewage passa la tête par le trou et regarda autour d'elle. Puis elle se laissa tomber souplement au sol. Ron la suivit, puis Harry, après quoi elle referma le mur magique.

- Où sommes-nous? chuchota Harry.

- Dans les cachots. Hermione est tout près.

Les murs de pierre nue étaient carrés, sinistres. La lumière qui les avait éblouis dans un premier temps n'était pas naturelle: elle provenait de torches de bois fixées au mur à intervalles réguliers par des mains de métal aux doigts griffus. Elles éclairaient faiblement et coloraient le décor dans la palette des jaunes et des bruns. Les colonnes qui soutenaient le plafond étaient sculptées à l'effigie de monstres hideux, mi-hommes mi-crapauds, armés comme des guerriers du Moyen-Age.

Les trois Sorciers suivirent le couloir vers la droite. Ils marchaient en file indienne, Wakewage en tête, Ron fermant la colonne. Le couloir semblait se prolonger infiniment, parfaitement droit et rectiligne. Le mur de droite était nu, mis à part les torches, mais le mur de gauche comportait un intervalle régulier de portes verrouillées et d'arches de pierre ouvrant sur des escaliers obscurs. En passant devant l'une des portes, Harry crut entendre des gémissements. Mais peut-être n'était-ce que le fruit de son imagination.

Parvenus devant un escalier qui s'enfonçait plus avant dans les profondeurs de l'école, Wakewage s'immobilisa.

- Qu'est-ce qu'il y a? demanda Ron.

- Je ne suis pas sûre de la direction, expliqua-t-elle.

- Quoi! je croyais que tu pouvais trouver Hermione en un quart d'heure!

- Et à ton avis, comment saurais-je dans quel cachot elle est? Je ne suis pas voyante!

- Mais tu es une Sorcière, alors trouve quelque chose! s'impatienta Harry. Mieux vaut ne pas s'éterniser ici.

-Oui, oui! s'empressa-t-elle.

Elle sortit sa baguette et une plume de sa poche.

- Pensez très fort à Hermione, tous les deux.

Intrigués, Harry et Ron obéirent. La jeune Sorcière posa la plume sur sa main gauche, leva sa baguette et dit:

- Hermione Valycos Itinerem.

Aussitôt, la plume se souleva et se mit à avancer. Elle lévita jusqu'à l'escalier, qu'elle descendit, flottant dans les airs. Les trois Sorciers s'engagèrent à sa suite.

Ils suivirent un couloir obscur, obliquèrent à gauche, puis descendirent deux nouvelles volées d'escaliers en colimaçon. La pièce dans laquelle ils parvinrent était très grande et son plafond se perdait dans des volutes de fumée bleuâtre. Au centre d'un carrelage aux motifs géométriques brûlait un anneau de flammes bleues. Et au centre des flammes, il y avait…

- Hermione!

La plume eut un sursaut, se dressa verticalement, puis partit à toute allure pour venir se stabiliser au-dessus de la tête d'Hermione. Celle-ci était étendue sur le ventre, inconsciente, les cheveux en bataille.

Harry voulut se précipiter vers elle, mais un cri le retint:

- Non!

C'était Wakewage.

- Tu seras mort avant d'avoir fait la moitié du parcours!

- Quoi! qu'est-ce qui va m'attaquer?

- J'ai déjà lu des choses sur ce genre de salles. Le carrelage a un sens. Il faut déchiffrer ces motifs pour trouver le seul chemin sécurisé.

- Et sinon? demanda Ron.

- Eh bien… on est foudroyé sur place… ou des trucs dans le genre. Pas très joyeux.

- Ça peut prendre combien de temps? demanda Harry, qui avait de plus en plus de mal à garder son sang-froid.

- Une heure? Trois jours? qui sait? grimaça Morgane.

- Oh, non…

Excédé, il se mit à faire les cent pas.

- J'en ai marre! Je voudrais la sauver rapidement et qu'on puisse partir d'ici, tu comprends? Tu n'as rien de plus rapide?

- Harry, souffla Ron. Fais gaffe au carrelage.

- Je sais pas, moi! continua le garçon sans lui prêter attention. Un balai, un sort… quelque chose!

- Un Accio? proposa Ron.

- Surtout pas! cria Wakewage. C'est vraiment pas une bonne idée.

- Pourquoi pas? fit Harry, agressif.

Pour toute réponse, elle empoigna sa baguette et s'avança d'un pas.

- Accio gilet! dit- elle, baguette levée.

Aussitôt, le gilet d'Hermione se libéra de sa propriétaire. Il tenta de traverser les flammes bleues, n'y parvint pas, les contourna par le haut. Mais les flammes bondirent et enveloppèrent le gilet. Celui-ci poursuivit son vol, rongé par les dernières flammèches qui s'accrochaient à lui. Soudain, il y eut un cliquètement et une volée de fléchettes surgirent de nulle part, qui transpercèrent le gilet grillé. Une herse surgit du sol devant lui, mais il la traversa comme du beurre. En ressortant, il était découpé en quatre morceaux égaux. Ceux-ci se séparaient quand des stalactites de glace tombées de nulle part vinrent se planter sur leur route. Les quatre lambeaux poursuivirent leur route chacun de son côté. À grande vitesse, ils slalomèrent entre les cônes de glace géants plantés dans leur route. Mais la manche droite fut embrochée par une lance surgie d'un motif du carrelage en forme de fleur. Elle tenta désespérément de se libérer, finit par se déchirer et tomba piteusement à terre où elle fut engloutie. Le quart gauche du gilet fut grillé vif par une langue de feu rose, jaillie du plafond, le quart droit fut réduit en purée par des lames de métal volantes.

Seule la manche gauche parvint jusqu'aux trois Sorciers médusés. Percée de trous, carbonisée, déchiquetée, elle vint se poser doucement aux pieds de Wakewage où elle se décomposa en un petit tas de poussière.

Celle-ci se tourna vers ses deux compagnons:

- Convaincus?

- Ok, Wakewage. On te suit, dit Harry. Qu'est-ce qu'on fait?

L'interpellée réfléchit quelques secondes. Elle marchait le long du carrelage piégé, prenant bien soin de poser ses pieds sur la pierre nue.

- Il faut observer ces motifs, trouver le mode d'emploi, dit-elle pensivement.

- À quoi il ressemble? questionna Ron.

- Hmm… des dessins, des signes… je n'en ai aucune idée, soupira-t-elle.

Tous trois se mirent à arpenter la pièce. Ce fut Ron qui trouva le premier.

- Ici! cria-t-il depuis le côté opposé à la porte par laquelle ils étaient entrés.

Les deux autre le rejoignirent.

Sur toute la surface de la salle, la zone carrelée formait un carré parfait. Mais là où se tenait Ron, le bord était coupé par un demi-cercle, qui s'encastrait dans le carré, comme une invitation à pénétrer sur le terrain de jeu.

Wakewage vint se placer au centre du demi-cercle. Elle concentra son attention sur l'ensemble du carrelage. Elle cherchait quelque chose, un indice qui l'aiderait à appréhender la solution de l'énigme.

- Ça me fait penser à l'échiquier géant de Mac Gonagall, en première année, dit pensivement Ron. Sauf qu'à l'époque, les règles étaient claires.

- Et qu'on ne risquait pas notre peau au moindre faux pas, ajouta Harry.

- Oh, pas si sûr. J'ai gardé une sacrée bosse pendant une semaine après que la reine m'ait assommé.

- Chut, dit Wakewage.

Harry reporta son attention sur le carrelage, mais aucune idée ne lui vint à l'esprit. Contrairement aux scènes paillardes dans la salle où ils avaient transplané, les motifs de celui-ci étaient très simples. Dans un style assez moderne, ils représentaient de grosses fleurs, des mains, des angelots et des soleils aux couleurs plutôt psychédéliques. Plus il l'observait et plus Harry se disait que ce sol avait une connotation babacool, et qu'il n'avait rien à faire dans une école comme Durmstrang.

Il en était à ce stade de ses réflexions quand Wakewage remua. Se frappant le front de la main, elle s'écria:

- Mais bien sûr! Regardez, dit-elle en montrant un motif. On a le mode d'emploi.

- Je ne vois rien, dit Ron. Eh! peut-être qu'on a le droit d'y aller que en rampant, ou à cloche-pied, ou à reculons…

- Ou en ne marchant que sur les carreaux blancs, ou rouges… renchérit Harry. Mais si on se trompe de règle du jeu, on se fait découper en rondelles et servir à point pour le dîner.

- C'est dégoûtant! râla Ron. Regarde au lieu de te décourager…

- Hé! je ne me décourage pas!

- … les motifs sont tous géométriques, poursuivit Ron. Mais quelques carreaux de couleur ne sont pas là où ils devraient être.

- Hein? fit Harry bêtement.

- Par exemple, ici, montra Ron. tu vois cette fleur? Les pétales sont faits de carreaux en alternance bleu-vert. Mais à la pointe du troisième pétale, le carreau est bleu alors qu'il devrait être vert. Et c'est un bleu plus foncé que les autres.

Harry concentra son attention sur les motifs du carrelage géant. Effectivement, à l'image de ce pétale, plusieurs dalles de couleur n'étaient pas à leur place dans le dessin d'ensemble.

- Tu as raison! s'écria-t-il.

- Bon, si vous voulez bien m'écouter, intervint Wakewage qui était restée accroupie devant son "mode d'emploi". Je peux dire ce que j'ai à dire ou vous préférez mourir dans d'atroces souffrances?

Harry et Ron échangèrent un regard exaspéré.

- Ouais, on t'écoute, dit le jeune Sorcier brun.

- Merci, dit sèchement la fille. Alors voilà, j'ai déchiffré ces symboles. C'est un langage que les mages noirs utilisent souvent pour coder des choses qu'ils ne veulent pas voir des Sorciers blancs déchiffrer…

- … et comme par hasard, tu le connaissais, railla Ron.

- … et le texte explique que nous sommes devant un labyrinthe, et il en donne la clé.

Wakewage le fixa longuement, prenant apparemment plaisir à instaurer un suspense qui agaçait les nerfs de Harry. Mais elle reprit la parole avant qu'il ne perde encore patience.

- La personne qui veut traverser ce labyrinthe ne doit marcher que sur des dalles dont la couleur diffère du dessin général, et seulement une de ces cases par motif. Et chacune doit être d'une couleur différente de la précédente.

- Ah, fanfaronna Ron, j'avais raison!

Mais l'air grave de Harry le fit taire. Celui-ci le prit par la manche et l'entraîna hors de portée de voix de Wakewage.

- Quoi, râla Ron.

- Qu'est-ce qu'on fait? dit Harry tout bas.

- Quoi, qu'est-ce qu'on fait! On fait ce qu'elle a dit! L'un de nous va chercher Hermione, en ne marchant que sur les…

- Oui, je sais, coupa Harry. Mais est-ce qu'on lui fait confiance?

- À quoi? Ah! à elle! pourquoi pas?

Son ami le regarda avec effarement.

- Ron, on ne la connaît que depuis quelques heures! Si ça se trouve, elle nous mène en bateau.

Le garçon roux réfléchit un instant.

- Moi, je la crois, dit-il. Elle paraissait tellement sincère, tellement fragile, chez toi… je ne pense pas qu'elle jouait la comédie.

- Au point que tu as failli la prendre dans tes bras? fit pernicieusement Harry.

- Oh… fit Ron, gêné. Je ne sais pas très bien ce qui m'a pris. Et si on parlait d'autre chose? Si tu as peur qu'elle nous mente, je peux aller chercher Hermione seul.

- Je ne sais pas. Chez moi elle semblait faible, c'est vrai, mais depuis qu'on a transplané ici elle est beaucoup plus sûre d'elle. On dirait qu'elle connaît par avance ce qu'on va trouver.

- Parce que c'est son école, Harry! Toi aussi tu serais sûr de toi si tu devais la guider dans Poudlard.

- Hmm, tu as peut-être raison.

Néanmoins quelque chose continuait à troubler Harry. Était-ce la facilité avec laquelle Morgane Wakewage avait gagné la confiance de Ron?

Wakewage les attendait, une expression indéchiffrable sur le visage. Apparemment, elle brûlait de savoir ce qu'avaient décidé les garçons.

- C'est bon, dit Harry. J'irais chercher Hermione.

- Hein? s'étrangla Ron. On n'a jamais dit ça! On va y aller tous les deux!

- Je pense qu'il ne vaut mieux pas, articula Harry, agacé d'avoir à débattre sa décision.

Ron semblait prêt à s'emporter, mais heureusement Wakewage coupa court.

- J'ai peur qu'une seule personne ne puisse marcher sur ce labyrinthe à la fois.

- Pourquoi ça? s'étonna Ron.

- Aucune idée, répliqua-t-elle en haussant les épaules. Mais j'ai déjà lu des trucs comme ça dans un livre.

Le regard que Ron lança à Harry était éloquent : Il répugnait à être mis à l'écart une fois de plus. Mais Harry n'y pouvait rien. Alors sans se laisser le temps de culpabiliser, il posa le pied sur la première case du labyrinthe.

La sensation était étrange : Son pied droit lui semblait soudé au sol, comme si quelqu'un y avait appliqué de la superglu. Il tenta d'avancer le pied gauche. Au contraire de l'autre, celui-ci réagit comme un aimant dont on aurait présenté le mauvais pôle à la porte du réfrigérateur : Le sol ne cessait de le repousser. Harry voulut le poser sur la dalle suivante. Il dut exercer une grande concentration pour empêcher son pied de glisser et de se poser sur un carreau interdit. La moindre erreur signifiait la mort instantanée.

Il réussit à faire un nouveau pas. Les suivants furent moins difficiles : Il avait saisi le truc et déjouait sans peine l'attirance magnétique qu'exerçaient les cases piégées. À présent, il entendait ses deux compagnons lui crier des directives depuis l'extérieur du labyrinthe. Il les entendait de très loin, comme si un mur s'était dressé entre eux et lui. Ce phénomène ne fut pas sans lui rappeler l'isolement dans lequel il s'était retrouvé, à peine pénétré dans le labyrinthe de la troisième Tâche. Mais ici, c'était une autre sorte de labyrinthe, sans murs, et sans la question de l'orientation. La seule difficulté consistait à reconnaître les bonnes cases des mauvaises.

Chaque dalle était de couleur différente de ses voisines directes. C'étaient des carrés d'environ quarante centimètres de côté, si bien que les pieds de Harry y entraient sans difficulté, sans risque de déborder. De sa hauteur qui, bien que courte pour un garçon de son âge, s'était nettement améliorée au cours de l'année passée, Harry avait une vue d'ensemble suffisante pour repérer les bonnes dalles. De toute façon, les cris de Ron et de Wakewage derrière lui l'auraient averti s'il s'était apprêté à commettre un erreur.

Après un temps tout compte fait pas si long, Harry parvint au cercle de flammes. Au milieu, il apercevait Hermione, endormie ou stupéfixée. Elle était allongée sur le ventre, la tête tournée vers lui, les yeux clos. Une de ses jambes était repliée, l'autre étendue, et ses cheveux en bataille formaient une auréole autour de sa tête. Harry eut le cœur serré à la vision de son amie. Elle paraissait si fragile, elle qui d'ordinaire était pleine de force, de vie…

- Harry! cria Ron loin, très loin de lui. Il faut que tu traverse les flammes! Elles ne te feront rien.

Il se demanda comment son ami pouvait en être si sûr, mais le moment n'était plus à l'hésitation. Il n'avait que trop traîné. Il prit une grande inspiration et traversa le rideau bleu. Cela lui fit l'impression d'être plongé tout nu dans un bain de neige. La traversée ne dura qu'un instant, mais le malaise mit plusieurs secondes à se dissiper. Harry s'agenouilla auprès de son amie. Elle respirait, ses yeux remuaient sous ses paupières closes: Elle était en train de rêver.

- Hermione! appela Harry sans grand espoir.

Aucune réaction. Il prit sa baguette, se demandant quel sort pouvait éveiller quelqu'un de magiquement plongé dans le sommeil.

- Non!

Le cri l'arrêta à temps. Il tourna un regard interrogatif vers Wakewage, au-delà des flammes.

- N'utilise pas ta magie tant que tu es sur le carrelage magique, sous aucun prétexte.

- Porte-la, conseilla Ron.

Voilà qui allait nettement compliquer le voyage. Harry hissa Hermione sur son dos, tenant un de ses poignets entre chaque main. Courbé en avant, il fit un pas, donna une secousse pour affermir sa prise. Hermione gémit doucement, toujours endormie. La pointe de ses orteils touchait presque terre. C'est à ce moment que Harry remarqua qu'elle était pieds nus.

Il se lança, traversa l'anneau de feu en sens inverse. La même sensation désagréable le parcourut, mais il n'y prêta pas attention. Tous ses sens étaient concentrés sur le chemin. Il n'avait pas le droit de ployer sous le poids d'Hermione, ni de se tromper de chemin.

Les dalles sur lesquelles il pouvait marcher étaient en nombre minoritaire, et souvent écartées d'un mètre, voire plus. Si le trajet avait été facile à l'aller, il devint un calvaire au retour. Le poids d'Hermione sur son dos réduisait sa capacité de mouvement et nuisait à son équilibre. Plus d'une fois, il manqua se laisser déconcentrer par le magnétisme qu'exerçaient les dalles traîtresses. La sueur ruisselait de son front et sa vue commençait à se troubler. Il se trouvait à moins de deux mètres du bord, et il commençait tout juste à souffler, quand surgit une douleur fulgurante qui le cogna de plein fouet. Comme chaque fois, il crut que sa tête allait exploser, qu'une lame de fer lui transperçait le crâne, que sa cicatrice avait pris feu. Il poussa un cri, vacilla, se reprit de justesse. C'est alors qu'apparurent des images dans sa tête. Mais ça n'étaient pas les cauchemars récurrents qu'il faisait depuis la nuit funeste. Comme cela lui était déjà arrivé auparavant, il vit ce qu'était en train de faire Voldemort. Et ça ne lui fit pas du tout plaisir…

"- Dis-moi, Black, comment peut-on être assez stupide pour se jeter dans la gueule du loup?

- …

- Tu ne réponds pas?

- Disons plutôt que je ne m'abaisse pas à adresser la parole à un être, ou plutôt une chose telle que vous, même pas humaine…

Le rire glacial de Voldemort. Des bruits sourds, comme des coups qu'on abat sur un corps sans défense.

- Calme, mes fidèles Mangemorts. Je vous livrerai Mr Black dès que j'en aurai fini avec lui. Alors Sirius, tu n'as toujours pas perdu ton courage à ce que je vois… Douze années à Azkaban ne t'ont peut-être pas suffi?

- …

- Il est vrai que ton exil n'a pas eu l'honneur d'être aussi long que le mien. Mais, ne t'en fais pas, je prendrai soin de te faire partager les souffrances que j'ai enduré.

- …

- Tu ne réponds plus? Mes Mangemorts t'auraient-ils coupé la langue?

- …

- Comme c'est ennuyeux… Voyons comment y remédier. Oh! je sais. Endoloris…"

- Sirius! Noooooooooon!

- Harry, att…

Mais l'avertissement survint trop tard. Harry avait vacillé, et le pied d'Hermione effleura le sol. En dehors de la case.

À peine la zone interdite violée, une pluie de lames de rasoirs s'abattit sur les deux Sorciers. Paniqué, terrassé de douleur et de fatigue, Harry força ses jambes flageolantes à repartir et saute sur la case suivante, la dernière case… Un rideau de feu se dressa devant lui. Alors il se plia en avant, projetant le corps inerte d'Hermione par-dessus son dos, et sans prendre le temps de réfléchir il plongea à sa suite. Il atterrit violemment sur le menton et se hâta de replier ses jambes, à l'instant où un hachoir cauchemardesque s'abattait sur tout le pourtour du carrelage ensorcelé, dans un grand bruit de guillotine.

Harry se releva, comptant mentalement les bleus, les bosses et les blessures. Il possédait encore l'intégralité de ses membres, ce qui était l'essentiel. Il souffrait d'une méchante coupure sur le haut du bras, son menton était tout engourdi et ses habits sentaient le brûlé. Mais dans l'ensemble, il s'en tirait à bon compte.

- Tout va bien? s'inquiéta Wakewage, terrorisée par ce qui venait de se produire.

- Je crois que ça va. On a sauvé Hermione, c'est déjà une chance inouïe.

- Mais quelque chose ne va pas, n'est-ce pas? insista Ron, et ses yeux indiquaient que c'était plus qu'une question de politesse. Tu as crié.

- Harry prit une inspiration, tenta de calmer les battements fous de son cœur.

- C'est Sirius, dit-il à voix basse. Voldemort le torturait.

- Oh non! s'alarma Ron. Il n'a pas… est-ce que tu as vu si…

- Je crois qu'il est en vie. Pour l'instant, Voldemort a l'air de bien s'amuser à ses dépends.

Il eut tout le mal du monde à contenir un sanglot.

- Sirius? Vous parlez d'Oliver Knight, n'est-ce pas? fit Wakewage. On peut peut-être encore le sauver. Je sais où aller.

Une lueur perça dans le désespoir de Harry. Ça n'était pas encore de l'espoir, tout au plus un regain de courage.

- C'est vrai? demanda-t-il. Tu peux nous mener à Voldemort?

- Harry… gémit Ron.

- Non! se défendit aussitôt celui-ci. Je sais que c'est de la folie, mais rien ne m'empêchera de la commettre.

- Harry, supplia Ron, pâle comme un fantôme.

- C'est décidé, Ron! Tu me suis ou tu rentres en Angleterre, mais je n'abandonnerai jamais Sirius!

- Mais c'est pas ça! gémit le garçon roux, sur le point de défaillir. Hermione!

Alors Harry tourna le regard vers Hermione, étendue à terre dans la position où elle avait atterri, les membres en bataille, et le bras…

… qui n'était pas retombé à l'abri quand Harry l'avait lancée, et qui gisait à l'intérieur du carrelage ensorcelé…

… et que des lames et des langues de feu étaient occupées à réduire en purée, aussi méthodiquement qu'un gourmet découpant sa tranche d'escalope de dinde premier choix. La partie du bras d'Hermione encore rattachée à son bras s'arrêtait juste en dessous du coude, tranchée net par les terribles hachoirs.

À cette vue, Harry se sentit défaillir à son tour. Tandis que Wakewage se laissait tomber à genoux, les mains sur le ventre, et que Ron leur tournait le dos pour vomir, Harry se jeta sur Hermione et la tira au plus loin du sinistre carrelage. Sur toute la distance où il la traîna, elle répandit une grande trace rouge, et il réalisa qu'elle avait perdu beaucoup de sang.

Il ne savait que faire et était sur le point de céder à la panique. Il tenta d'arrêter le sang avec sa main, mais le contact du moignon le fit gémir de dégoût. Alors il ôta rapidement son pull et l'enroula autour du bras en serrant le plus possible.

Wakewage était revenue à elle et l'aidait de son mieux. Elle souleva le bras à la verticale pour tenter de calmer l'afflux sanguin, mais ce ne fut pas très concluant. Harry, lui, se torturait les méninges pour tenter de se souvenir d'un sort qui pût lui être utile.

Finalement, contre toute attente, ce fut Ron qui retrouva suffisamment de courage pour donner la réponse:

Je connais un enchantement, Sanabilis. Ça arrête les petites hémorragies. Mais ça… je ne sais 7200 pas.

- Essayons à trois, proposa Harry, ça aura peut-être plus de force.

Ils exhibèrent leurs baguettes, se consultèrent du regard. À l'unisson, ils dirent:

- Sanabilis.

Ce ne fut pas parfait, mais le sang cessa de se répandre à flots. Il continuait néanmoins de couler doucement, comme un torrent furieux contenu derrière un barrage mais qui menace de se libérer à tout instant.

- Et maintenant, dit sombrement Harry pendant que les battements de son cœur se calmaient, qu'est-ce qu'on fait?

Il chercha le regard de Ron, mais celui-ci observait Wakewage.

- Morgane? demanda-t-il. C'est ton école ici. Tu n'as pas une idée?

L'interpellée réfléchit un moment.

- Je peux vous emmener vers une aile plus sûre du château, vers les dortoirs, les endroits qui sont déserts en été. Mais ça ne changera rien… à moins que vous ayez le courage de cambrioler l'infirmerie pour trouver de quoi la soigner.

- Je ne peux pas perdre plus de temps, trancha Harry. Je dois aller sauver Sirius. Peut-être que si vous vous occupiez d'Hermione, tous les deux…

- Ah, non! coupa Ron. Tu ne vas pas te débarrasser de moi comme ça. Tu auras besoin d'aide, contre tous les Mangemorts. Même à deux, c'est du suicide, de toute façon. Et puis, où tu iras si Morgane n'est pas là pour te guider?

- J'ai peut-être une solution, intervint Wakewage. Je transplane avec Hermione dans un hôpital…

- Pas n'importe quel hôpital, dit Harry, buté. Un hôpital en Angleterre.

- Sainte-Mangouste, proposa Ron.

- D'accord, fit Wakewage, peu ravie. Donc, je transplane à Sainte-Mangouste avec Hermione, je la laisse et je reviens vous aider.

- Ça me va, dit Harry. À la différence qu'on y va tous les quatre.

Wakewage lui lança un regard contrarié, mais elle acquiesça.

                                                 – fin du chapitre 2 —

Et voilà ! Bon, je vous épargne le spitch, j'en ai déjà tapé un sacré long (et pas si intéressant que ça, je m'en rends compte) au chapitre 3. Bonne lecture de la suite !

Ona