Chapitre 11: Voici venir les temps

Harry se plongea dans ses couvertures, plus lamentable et plus torturé que jamais. Il acceuillit le sommeil avec bonheur, comme une fraction de délivrance, trop courte, mais délicieuse. Et il se releva aussitôt.

Ça n'était pas vraiment comme s'il était réveillé, étant donné qu'il dormait profondément. Ce n'était pas non plus comme s'il rêvait qu'il était éveillé, parce qu'il savait qu'il rêvait. C'était autre chose. Cette idée lui fit dresser les cheveux sur la tête. Curieusement, il ne les sentit même pas. Ou plutôt, il savait qu'il aurait dû les sentir, mais il ne retrouvait pas la sensation au milieu du fouillis de perception qui lui parvenaient. Son cerveau s'emballait et palpitait, car tout à coup ses sens se retrouvaient amplifiés et projetés dans toutes les directions; il percevait chaque parfum, chaque odeur aussi, le goût salé de la pierre et les pulsations qui l'animaient, il percevait et s'apercevait de la vie qui animait le château. Il sentait le relief du parquet lisse, le verre irrégulier de la fenêtre, le grain accidenté des rideaux de velours, il en voyait la couleur rouge sombre en pensée, il voyait les étoiles au-delà du plafond et il sentait leur odeur de métal brûlant et leur goût acide, palpitant. Il sentait que chaque étoile avait son odeur particulière, tellement différente des autres et pourtant tellement proche qu'elles ne ressemblaient à aucune autre odeur sur Terre et dans l'univers. Il voyait l'empreinte de la Terre, sa Terre aimée, la vie qui pulsait, il entendait le gigantesque cur de pierre bouillante solidifiée par la pression, qui craquelait et bougeait sans cesse. Il sentait, il voyait, il entendait, il sentaitentendaitvoyait

Cela se calma. Harry resta dans son lit en rêve, réfléchissant à cette intéressante expérience. Mais à peine avait-il eu le temps de réintégrer son état normal qu'un nouveau rêve enchaîna sur le premier.

Les murs de la chambre grisaillèrent, s'effritèrent et tombèrent en poussière. Harry se retrouva dans une lande désertique, balayée par des vents au goût de plomb qui soulevaient des nuages de poussière ocre. Tout était brun et beige, comme un tableau à l'encre sépia. Debout dans le vent, Harry écoutait ses cheveux crépiter et tirailler sur leur racine comme autant d'étendards dans la tempête. Il n'avait pas besoin de se retourner pour voir que chaque mèche laissait derrière elle une traînée de poussière de magie qui s'envolait et se fondait dans la poudre de fer de l'air. Il n'avait pas besoin de baisser les yeux sur ses doigts pour le voir, emplis d'une magie comme jamais il n'en avait senti. Il n'entendait rien, que le grondement du vent, et pourtant il savait que la magie gémissait et crépitait, prisonnière de ses filets. Il n'avait pas non plus besoin d'ouvrir les yeux pour savoir que Morgane Wakewage était debout face à lui, et que ses cheveux volaient comme les siens, et que ses mains étreignaient la même magie.

Ce fut elle qui parla la première:

- Sept soleils et sept lunes, sept planètes y compris la Poule. Sept éléments avec la farine de l'air.

Harry ouvrit les yeux.

Il croisa les bras d'un air de défi.

Morgane secoua la tête.

- Tu n'as pas encore compris, remarqua-t-elle.

- J'attends que tu m'expliques, fit patiemment Harry.

Il avait toute la nuit et même au-delà. Cette fois-ci, il ne perdrait pas son sang-froid. Ce n'était même pas une décision. Juste une certitude.

Morgane balaya toute la lande déserte d'un seul regard. Ses yeux souriaient.

- Six petits enfants de la cire, vivifiés par l'énergie de la lumière, récita-t-elle. Si tu l'ignores, je le sais. Six plantes médicinales dans le chaudron. Le nain mêle le breuvage, son petit doigt dans la bouche.

Harry ne répondit pas. Il ne répéta pas non plus sa question. Elle ne répondrait pas avant qu'il l'y oblige, il le savait, alors plutôt que de s'énerver, il l'attaqua.

C'était une attaque magique, bien sûr, et Harry mesurait parfaitement la moindre de ses actions. Pas de grosse boule de lumière, ni d'épées, de sceptres et de Chimères, pas d'Expelliarmus ni de Doloris, pas de coup de poin ni de parades compliquées. Pas d'armes, pas de contact, rien de tout ce qu'il était convenu d'appeler un Duel. Rien qu'une chose: La Magie.

Harry aurait été bien incapable de l'expliquer, mais il savait ce qu'il avait à faire: il étendit les doigts pour sentir les flux de magie, attrapa le plus proche et tira dessus.

Morgane fut comme frappée d'un magistral coup de pied à l'estomac. Elle leva les mains vers le ciel pour en aspirer la magie et compenser sa douleur. Et alors que Harry la croyait occupée à se remettre, elle fit onduler une vague de magie qui le frappa au visage.

Mais c'était comme dans un jeu. Il ressentait la puissance des coups porter, il sentait son corps protester, mais il n'avait pas mal, pas vraiment; s'il avait déjà été saoul, il aurait pu comparer avec cet état: Il avait toute sa conscience, mais les sensations de son corps ne passaient pas bien jusqu'au cerveau. Toute son attention était concentrée sur les manipulations dans la magie.

Quant à Morgane, elle souriait plus ouvertement depuis qu'il l'avait attaquée. Elle semblait heureuse. Elle attendait ses coups, prête à répliquer plus violement encore.

Harry n'allait pas se gêner.

Il attrapa de nouveau des ondes de magie brute, les assembla, les modela à sa convenance et en fit un charme qu'il projeta sur son adversaire. Elle le reçut en pleine poitrine et éclata d'un rire cristallin, tandis que ses vêtements se consumaient. Bientôt elle se retrouva entièrement nue, et Harry frissona car son corps n'avait rien d'humain: il n'était qu'ombres et fumées.

- Cinq zones terrestres, déclama-t-elle. Cinq âges dans la durée du temps; cinq roches sur notre Sur.

Et en même temps elle envoya un sort qui enveloppa Harry dans un cristal de lumière. Il se débattit pour en sortir, libéra toute sa tension de magie d'un bloc et fit éclater le cristal en minuscules parcelles qui grésillèrent en fendant les airs. Lorsque les éclats touchèrent le sol, ils ne rebondirent pas mais s'y enfonçèrent au ralenti. Et bientôt, sur un grand cercle autour des deux combattants, chaque minuscule cristal germa et produisit une pousse qui bourgeonna et grandit dans un petit claquement. En quelques secondes, ils se tenaient au centre d'une grande forêt d'arbres larges et solides. Le vent agita les milliers de feuillages et les feuilles commencèrent à tomber, en pluie fine et régulière.

- Quatre pierres à aiguiser, murmura Morgane en caressant l'écorce du géant le plus proche. Pierres à aiguiser de Merlin, qui aiguisent les épées des braves.

- Que vient faire Merlin là-dedans? s'enquit Harry, en pure perte.

Elle sourit mystérieusement et aussitôt lui envoya un nouveau charme comme un boulet de canon. Tandis qu'il encaissait, elle poursuivait:

- Trois parties dans le monde; trois commencements et trois fins, pour l'homme comme pour le chêne. Trois royaumes de Merlin, pleins de fruits d'or, de fleurs brillantes, de petits enfants qui rient.

Le sortilège de Harry la coupa, et elle se vit privée d'une grande partie de son corps, car la magie passa à travers elle en emportant les ombres qui le composaient.

Mais Morgane éclata de rire et se changea en animal. Elle n'était plus elle, mais une panthère noire, souple et puissante.

- Tu ne sais même pas encore maîtriser les règles de ce rêve, murmura sa voix dans l'oreille de Harry. Ce qui compte ici ce n'est pas d'être le plus intelligent ou le plus fort. Il s'agit de frapper sans y penser. La magie sait très bien s'assembler toute seule; Elle a juste besoin que tu lui fournisse un but.

La voix s'envola dans le vent avec un dernier éclat de rire, et Harry se retrouva seul parmi les arbres.

- D'accord, dit-il.

Et il s'imagina en panthère, lui aussi. Il se sentit grimper aux arbres à la suite de Morgane, la rattraper et l'imobiliser par la magie. Il entendit le vent dans ses oreilles de félin et le goût de l'air sur sa langue sensible.

Quand il rouvrit les yeux, il était un lion.

Il sauta dans l'arbre le plus proche. Sa nouvelle enveloppe corporelle n'était pas faite pour cela, mais il ne se posa pas la question et il jaillit à la cime des arbres, en haut des branches les plus fines qui n'auraient jamais dû supporter son poids.

Morgane la panthère était là, en train de se lécher le flanc. Il bondit crocs sortis, mais la magie le précéda dans son intention et envoya bouler le félin noir. Celui-ci perdit pied et bascula à travers les branches. Morgane chuta ainsi sur toute la hauteur des arbres géants et s'écrasa au sol, où elle rebondit avec violence.

Harry se laissa descendre à ses côtés. La panthère avait creusé un cratère dans le sol de la forêt. Elle murmurait:

- Deux bufs attelés à une coque; ils tirent, ils vont expirer; voyez la merveille!

Puis elle périt. Morgane jaillit de son enveloppe détruite à la vitesse du vent et percuta Harry de toute sa magie. Il roula droit dans un tronc et resta là, figé par le sort de son adversaire. Celle-ci, qui avait repris forme humaine, récitait:

- Pas de série pour le nombre un: la Nécessité Unique, le

Elle ne put terminer, coupée par un magistral coup de la patte griffue du lion Harry. Elle tomba à terre et il lui sauta dessus, prenant soin à appliquer tout son poids. Le combat tournait au corps-à-corps, mais il n'avait que faire des règles. Il se transforma en aigle, puis en loup, puis en ours, en tigre, en lion à nouveau, en boa, en chien, faucon, cerf, léopard, renard, blaireau, oiseauserpentocelotkangouroutigre et le reste. Puis il se calma.

Il se contenta d'immobiliser Morgane de toutes ses forces, de toute sa magie, de tout son poids de garçon, redevenu humain.

- Trépas, père de la Douleur. Rien avant, rien de plus, termina Morgane.

Il avait gagné.

Elle se releva et il la laissa faire. Elle marcha, sortit de la forêt.

Ils avaient sous les yeux le parc de Poudlard.

- Pourquoi sommes-nous revenus ici? questionna Harry.

- C'est toi qui l'a voulu, dit simplement la fille.

- Parce que ce n'est pas toi, peut-être?

- C'est toi qui rêves, fut sa réponse.

La lumière brillait dans la cabane de Hagrid. Le parc était plus silencieux qu'un tombeau.

- Ça n'est pas Poudlard, dit Harry. Il n'y a pas un bruit, pas un signe de vie.

- Il y a de la lumière chez le garde-chasse. C'est toujours là que vont tes pas las.

- C'est vrai, reconnut-il.

Les brins d'herbe ne s'agitaient pas, pas plus que la lune ne pulsait. Le château n'était pas animé comme à son habitude.

Harry était touché dans son troisième cur, le plus profond. Il ne supportait pas de voir son foyer comme mort. Malgré lui, la magie répondit à son souhait et s'agita pour redonner vie à chaque parcelle du lieu.

- Arrête! avertit Morgane.

Il se retourna, fâché malgré lui.

- Il ne faut jamais chatouiller un dragon qui dort, murmura-t-elle.

- Il ne dort pas, il est mort, répliqua le garçon. Je peux lui rendre vie.

- Surtout pas!

Pour la première fois depuis qu'il était entré dans ce rêve, Harry se sentit devenir léger. Pour un peu, il aurait souri.

- Tu as paniqué? demanda-t-il tout doucement à Morgane. Je pensais que rien de ce qui se passait dans ce rêve n'était important.

- Tout est important, répondit-elle. Tu crois pouvoir manipuler de la magie brute comme ça sans que ça ait une influence sur le monde réel?

- Ce n'est qu'un rêve.

- Ça change quoi?

- J'attends que tu me le dises.

- Rien.

- D'accord.

Tous deux se turent longtemps, et ils restèrent à se toiser. La magie palpitait entre eux deux, agitée de turbulences. Finalement, Morgane détourna le regard la première et s'avança vers le château.

Les deux jeunes Sorciers gravirent les marches de Poudlard, dans le silence plombé et l'atmosphère irréelle. Morgane, qui était en tête, poussa les deux battants de toutes ses forces magiques. La porte pivota et les laissa entrer.

Ils étaient à un endroit que Harry avait déjà vu, mais ça n'était pas Poudlard. Il reconnut finalement la grande porte d'ébène, les têtes de loups en argent, les deux trolls aux hallebardes.

Morgane marcha vers eux et dit:

- Laissez-moi passer. J'amène un précieux présent au Maître.

Et comme pour mieux appuyer ses paroles, elle se tourna à moitié pour désigner Harry.

Dès qu'il pénétra dans l'antre de Voldemort, ils fut saisi par la terreur sans nom qu'inspirait la seule présence du Mage Noir. Il était au bout d'une salle sombre et immense, assis sur un trône d'ébène en forme de serre d'aigle. Son corps disparaissait au milieu de multiples couches de velours noir et ses yeux rouges brillaient d'une lueur maléfique. À ses pieds était lové le serpent Nagini.

Harry fut poussé sans ménagement et jeté au bas du trône. Il connaissait la scène. Mais cette fois-ci, il la découvrait sous l'angle de la magie, et c'était bien plus intéressant.

À droite, à gauche, des dizaines de Mangemorts: en apparence forts et fiers d'être admis auprès de leur Maître, mais Harry voyait à présent la peur qui flambait en eux, colorant tout de violet sombre. Il voyait leurs auras: de grandes roues de lumières, parcourues de flux ondulants et de signes cabalistiques en lente rotation. Chaque aura avait sa couleur particulière, parfois même deux ou trois, et sa forme. Mais toutes se teintaient actuellement du violet de la peur et du rouge orangé de l'excitation, à la vue de l'ennemi de Voldemort enfin capturé. Et Harry vit même une chose, si étrange qu'il crut que la magie l'abusait: la plupart des Mangemorts coloraient les flux magiques du brun de l'angoisse en voyant le garçon captif. Pourquoi? Voldemort était-il entouré de traîtres? Cela paraissait impossible. Et pourtant

- Eh bien, ricanait Voldemort. On dirait que voici notre jeune fugueuse! Et que m'apporte-t-elle? Ça alors! Harry Potter en personne. Voilà bien une surprise!

Harry suffoquait de haine. Il ne savait plus qui il brûlait le plus d'assassiner, Voldemort pour tous ses crimes, Morgane Wakewage pour son innomable traîtrise, ou lui, pour son aveuglement. Comment avait-il pu être aussi stupide? Existait-il une seule personne au monde, Sorciers et Moldus confondus, qui ait été plus habile à se jeter dans la gueule du loup?

Etc, etc pendant que le Harry qui revivait la scène retrouvait ses émotions d'alors, le Harry qui rêvait continuait à observer sous l'angle de la magie. Il avait à présent le trône en serre d'aigle sous les yeux, et il ne pouvait plus l'ignorer: Il voyait l'aura de Voldemort.

Et il n'en avait pas.

Pas d'aura. Rien. Pas le moindre petit flux magique ne voletait parmi des signes cabalistiques. Rien. Voldemort était aussi froid et irréel qu'un fantôme.

- Je suis née pour vous servir, mon Maître, déclarait Morgane. C'est mon unique but et mon unique souhait. Ordonnez, et j'obéirai.

- Stop! hurla Harry. Morgane, parle-moi!

Le rêve se figea et la jeune fille se retourna, une intense expression d'exaltation sur le visage:

- Je t'écoute.

- Pourquoi on revit ça?

- Tu l'as voulu.

- Non, jamais. Je hais ce souvenir.

- Il t'encombre. Tu as besoin de le revivre, encore et encore, pour en trouver l'expliquation.

- C'est toi qui le dis, marmonna Harry.

Mais il sentait que c'était vrai. Alors il posa la question:

- Pourquoi Voldemort n'a-t-il pas d'aura?

- Il n'est plus humain. Mais ce n'est pas la bonne question.

- Et alors? fit Harry en ignorant la remarque. Toutes les choses ont une aura, même les cailloux. Même s'il n'est plus humain, il devrait avoir quelque chose qui ressemble à une aura. Il est en vie, après tout.

Pris d'un doute, il demanda:

- Il est en vie, n'est-ce pas?

- Bien sûr, acquiesça Morgane. Ou il ne te donnerait pas tant de mal. Les fantômes n'ont aucun pouvoir.

- Alors?

Pour toute réponse, elle lui prit la main. Tout le corps du garçon se contracta à ce contact détesté. Mais il fut surpris, car en regardant les choses en face, il réalisa que cette main sur la sienne ne le dérangeait quasiment plus. Il réfléchit et se rendit compte d'une chose étrange: il ne détestait plus Morgane Wakewage.

- Tu ne dois pas te contenter de regarder, disait celle-ci. Même avec la magie. Les humains ont trop tendance à s'occuper uniquement de voir, parce que c'est ce qu'ils savent faire le mieux. Mais on voit bien mieux les choses avec les autres sens. Une aura a sa couleur, son odeur, sa musique, son goût et son relief. Maintenant, tu dois étendre tes tentacules jusqu'à lui.

Lui, c'était évidemment Voldemort, figé par le charme de Harry comme un insecte dans un morceau d'ambre. Le garçon obéit à Morgane, sans même savoir pourquoi, et il s'étendit jusqu'au Mage. Ses bras de magie, ou ses tentacules, tâtèrent, reniflèrent, goûtèrent la magie autour de l'homme. Et il la vit, l'aura. Il la vit avec les cinq sens, y compris la vue, même si elle vint en dernier. Il sentit son acidité mêlée d'amertume sans fin. Son odeur de pourriture, mélange de toutes, absolument toutes les odeurs existantes, et même quelques une qui n'avaient pas d'équivalent réel. Sa musique, infâme cacophonie faite de chaque son, de chaque note, de chaque bruit. Sa texture, dure, souple, fluide, creuse, lisse, veloutée, piquante, brûlante, rugueuse, irrégulière, rêche, douce, raide, fragile, malléable, cassante, si froide, si froide et si brûlante à la fois. Et sa couleur, sa couleur de marron brun sale, mélange de chaque couleur de l'arc-en-ciel, plus l'octaline qui était la couleur de la magie même. Parmi tous ces traits, ces millions de traits qui étaient ceux de toutes les auras existantes, Harry reconnut celle de Ron, ocre et orange, dont Voldemort avait volée une partie pendant qu'il s'abreuvait de ses forces, au cours du Duel contre Harry. Il y avait aussi un morceau de l'aura de Sirius, bleu nuit, celle d'Hermione, bleue pâle, vert et or. Et plein d'autres que Harry connaissait ou pas. Il tenta de retrouver celle de Morgane, car il ne la connaissait pas encore, mais il fut distrait, car il venait d'apercevoir la sienne propre: un brin de magie rouge et dorée qui dérivait lentement, influant sur tout ce qu'elle touchait. Il vit que la magie brune et sale devait lutter en permanence pour empêcher l'influence de la magie rouge et or de tout faire basculer.

- Hey! s'écria-t-il. Pourquoi mon aura se comporte-t-elle de cette manière?

Mais avant même d'entendre la réponse, il avait la réponse: ce coup mortel que Voldemort avait lancé sur un bébé et qui lui était revenu. L'être du Mage Noir avait été profondément marqué par la personnalité de Harry, tout comme ce dernier par celle de Voldemort. Il avait même sans doute été amputé d'une partie de son aura. Alors, pour remplacer, il volait celles de chaque chose. Ce qui donnait cette cacophonie de sons, d'odeurs et de textures.

Morgane lui parlait. Il écouta:

- Tu croyais être le seul à avoir reçu une partie de la personnalité de Voldemort? Détrompe-toi. Il doit lutter à chaque instant pour refouler l'influence de la magie qu'il t'a volé. Et regarde.

Elle désignait cette fois le corps du Mage, plus son aura. En fermant les yeux à moitié, Harry vit ce qu'il y avait à voir: Le sang qui coulait dans ses veines n'était pas le sien. C'était le sang de Harry.

Le Sang de l'Ennemi. La Chair du Serviteur. Les Os du Père. Tout s'accordait. Voldemort vivait dans un corps qui ressemblait à celui qu'il avait possédé, mais ça n'était pas le sien. Rien dans Voldemort n'était à Voldemort. Ni le sang, ni la chaire, ni les Os, ni l'Aura. Et il déployait une puissance colossale pour maintenir chaque élément avec son voisin, en permanence. Voilà quelle était sa faiblesse.

- Compris? fit Morgane. C'est ça que tu dois découvrir comment combattre.

- Et toi? s'enquit Harry. Pourquoi tu me montres ça? Quel est ton intêret là-dedans?

Elle haussa les épaules et tira sur le charme du garçon. Celui-ci céda et le temps recommença à s'écouler.

- Bien, bien, jubilait le Mage Noir. On dirait donc que les leçons de ton père ont porté plus qu'il ne le croyait... Voilà qui le surprendra. Mais dis-moi, Morgane, pourquoi donc as-tu agis si secrètement? Pourquoi as-tu donné une image si fausse de toi-même à tous les Mangemorts qui t'ont rencontré? Es-tu vraiment ce que tu prétends être ou bien n'est-ce qu'un autre de tes visages?

Un instant, elle sembla déstabilisée. Mais la seconde d'après, elle reprenait:

- Pourquoi vous aurais-je apporté ces deux-là si j'agissais en traître?

- C'est bien ce qu'on se demande, marmonna Harry.

Et il immobilisa à nouveau le temps. Morgane se tourna vers lui, apparement fâchée.

- Tu ne veux pas arrêter de perdre du temps, s'il-te-plaît?

- Non, je veux me réveiller. Mais avant, je veux que tu me répondes.

- Il n'y a rien à dire.

- Oh si, il y a beaucoup à dire. Sur plein de choses. Mais par-dessus tout, je veux savoir ce qui te pousse à faire ce que tu fais.

Elle éclata de rire.

- Tu n'admets toujours pas que les gens puissent faire des actions gratuites! Tu es incroyable! Il n'y a pas que l'ambition, dans la vie.

- C'est pourtant toi qui m'a enseigné que l'Amour ne signifiait ien face à la Douleur et à la Terreur.

- Oh, oui, j'ai dit ça, fit-elle d'un ton léger.

- Donc?

- Donc quoi?

- J'attends la suite du raisonnement. À ce que tu dis, l'Amour n'est rien, mais on peut agir uniquement en son nom. Ça ne tient pas debout.

- Je n'ai jamais dit que j'agissais au nom de l'Amour. Il n'est d'aucune utilité quand il s'agit de combattre.

- Alors? l'ambition?

Elle secoua la tête, mais n'ajouta rien.

- La Paix? Tu es une gentille héroïne qui veut sauver les innocents, c'est ça?

Elle éclata de rire:

- Ridicule, dit-elle.

- Serpentarde, souffla méchamment Harry.

- Et fière de l'être, répondit-elle du tac au tac. Et ne me fais pas croire que tu agis pour sauver des vies innocentes, toi.

- Peut-être, mais moi je ne sacrifie pas des vies pour servir mes objectifs.

Le décor autour d'eux avait fondu à mesure que la colère de Harry avait monté. Ils étaient à présent dans une plaine aride et dévastée, parmi les ruines d'une ville et les reliques d'une guerre sans merci: tranchées creusées dans la boue, trous d'obus, squelettes blanchis.

- Moi non plus, affirma Morgane dans le vent.

- Ah non? hurla Harry. Et Ron et moi? Et Sirius? ET HERMIONE, QUI A PERDU SA MAIN? Ose prétendre que ce n'est pas toi qui l'a vendue aux Mangemorts!

Elle avait baissé la tête et serré les dents. Touché.

Mais Harry ne décolérait pas pour autant. Il voulait l'entendre avouer. Il voualit qu'elle pleure, qu'elle demande le pardon. Et il voulait refuser.

- Alors? fit-il durement.

- Tout ce qui est or ne brille pas, dit-elle, si bas qu'il crût avoir mal entendu.

- Quoi?

- Tout ce qui est or ne brille pas, répondit-elle en le regardant dans les yeux, cette fois.

Puis elle tourna les talons et s'en fut en courant dans le terrain de bataille fumant.

Harry la laissa partir, encore perplexe. Cette fille était si bizarre.

Mais qu'est-ce qu'elle faisait dans son rêve?

Et lui, qu'est-ce qu'il faisait dans son rêve? Il était largement temps de se réveiller.

- On y va, ordonna-t-il.

Il se releva dans son lit, trempé de sueur et emmêlé dans les draps.

Cette obscure clarté qui tombait des étoiles il secoua la tête. Tout était emmêlé.

Une immense fatigue pesait sur ses épaules, palpable. Et le mal de crâne était de retour, toujours aussi virulent. Harry aurait bien eu besoin de sommeil, car son rêve ne l'avait en rien reposé, au contraire. Mais il avait si peur de replonger dedans qu'il se força à s'animer et sortit du lit.

Une fois à l'air libre, le froid le fit grelotter. Pour éviter de geler sur pied, il prit une couverture dans laquelle il s'enveloppa et il sortit silencieusement de la chambre.

La couverture qui traînait par terre faissait "frott frott" dans son sillage. Les marches grinçaient.

Dans la Salle Commune, une horloge tic-taquait.

Harry entendait la musique intime du château, lointaine et si douce

Tic, tac. Tic, tac. Dors, abandonne-toi.

Tic, tac. Tic, tac. Nul ne t'éveillera.

Sauf elle

Les sakura, les pétales de cerisier, pleuvaient comme de la neige. Les grands arbres centenaires, aux troncs noueux, étaient penchés sur la clairière comme pour l'abriter du reste du monde. Au centre dormait une enfant nue.

Harry s'approcha, faisant bruisser les herbes dans le silence profond. Le corps de l'enafnt rayonnait, comme s'il était éclairé par une source de lumière qui n'atteignait qu'elle. Elle était étnedue dans les fleurs des champs qui lui faisaient un berceau aux couleurs fraîches. Ses longs cheveux faisaient comme une tache de sang dans la prairie, car ils étaient aussi roux que les coquelicots. C'était Ginny.

Harry s'agenouilla auprès d'elle, dans la pluie de pétales roses. Elle était si douce, si fragile sa nudité, loin d'être impudique, était d'une beauté émouvante, car ça n'était pas la Ginny de quatorze ans mais une toute petite fille, à la peau blanche et au corps d'enfant. Et les fleurs, bleuet, marguerites et coquelicots, lui faisaient une robe plus douce que la soie.

Harry caressa doucement ses cheveux de feu, contempla ce visage endormi à ce moment, il avait très envie de la prendre dans ses bras, de la protéger elle était si fragile, ainsi exposée à tous les dangers même dans cette forêt de cerisiers millénaires, où rien ne venait troubler la tranquilité du sommeil de l'enfant, elle semblait en danger tant elle était vulnérable figurine de cristal prête à s'éparpiller au premier minuscule souffle de vent.

Mais il la laissa là, où elle était si bien. Il la laissa dormir dans cette petite clairière qui moussait de rayons d'argent.

Il s'aventura parmi les arbres millénaires aux troncs noueux. Il ignorait où il allait, mais il avait conscience que la Magie, elle, le savait. Alors il se laissa guider.

Il surgit dans une nouvelle clairière, dans la pluie de sakura. Là, assise en tailleur sur une souche d'arbre mort, au centre d'une prairie d'herbe bleue et tendre, était Hermione. Et elle avait ses deux mains. Paumes ouvertes sur les genoux, levées vers le ciel, tout comme la tête, yeux fermées. Elle méditait, ou un exercice similaire. Le soleil tombait dans ses cheveux d'or où étaient restés accrochés quelques pétales de cerisier.

- Hermione! s'écria Harry en courant vers elle. Tu as tes deux mains!

Elle ouvrit les yeux. À l'incompréhension qui y brillait, il se sentit très malheureux. Il était dans un rêve, bien sûr. Rien ne permettait d'affirmer que cette scène se produirait dans le futur. Rien ne présageait qu'Hermione retrouverait sa main droite un jour.

- Oui, pourquoi? Je devrai n'en avoir qu'une?

- Laisse tomber, dit-il. Je suis heureux de te voir.

Elle sourit. Cela lui fit plus plaisir que quoi que ce soit d'autre dans ce fichu rêve.

- Tu es épuisé, on dirait, murmura la jeune fille. Viens, repose-toi.

Et elle lui fit une place sur sa souche. Il s'y hissa, s'assit avec délice, détendit ses membres fourbus. C'était bon d'être là, au soleil, dans les pétales rose tendre qui recouvraient tout.

- Ils tombent toujours ou ça a une fin?

- Ça dépend, répondit Hermione.

- Ça dépend de quoi?

- De toi, principalement. De ce que tu imagines.

L'explication lui parut suffisante. Depuis le début de la nuit, il avait cessé de s'étonner du fait que tout semblait régis par son imagination dans cet univers de fantasmes.

- Et toi? Que fais-tu ici?

- Je regarde. On ne prends jamais le temps de le faire, tu ne trouves pas?

- Tu es bien ici?

- Mieux que partout ailleurs. Mais ce n'est pas à nous de décider.

Elle réfléchit un moment, reprit:

- Tu veux savoir autre chose? La Vengeance. C'est elle qui la guide.

- J'ai quelque chose à faire

- Oh oui. La route est encore longue.

Hermione sourit, et ce sourire remplit Harry de joie et de désespoir, car il savait que la vraie Hermione ne sourirait plus comme ça. Et comme il ne pouvait pas s'excuser à la vraie, et qu'il ne savait pas comment s'y prendre, c'est à ce fantasme d'Hermione qu'il murmura:

- Si tu savais comme je regrette

- Quoi? fit-elle. Ma main? Ça n'a pas fait mal, tu sais. Pas plus que le reste.

- Ils ne vont jamais réparer ça, pas vrai?

- Et toi?

Harry se toucha le front. Sa cicatrice dormait.

- Ça disparaîtra. Tout disparaît.

Elle ferma à demi les yeux, heureuse. Harry se laissa aller.

Le vent portait les pétales de cerisier.

- Réveille-toi, chuchota Hermione en le secouant.

Il émergea. Le ciel s'était couvert. Les branches des arbres bruissaient.

- Il faut continuer, dit son amie. Tu dois trouver le courage.

- Quand est-ce que je te reverrai? demanda-t-il en sautant de la souche, encore mal éveillé.

- Tu dois marcher jusqu'au soleil levant. Une guerre approche. Ne perds plus de temps.

- Hermione! cria-t-il à la clairière qui disparaissait. Je t'aime!

Mais son amie n'était plus en vue.

C'est ce moment que choisit l'orage pour se mettre à gronder. Un éclair vrilla les cieux. Le tonnerre le talonna.

Harry se mit à courir, courir sous la pluie battante. Ses pas soulevaient des gerbes de boue. Il courait vers la clairière suivante, la dernière.

Il y pénétra sans même s'en rendre compte. C'est la soudaine abscence de racines à enjamber qui lui fit lever les yeux.

Cho était là, bien sûr. Debout sous la pluie. Elle portait une jupe courte et un t-shirt ample, que l'eau lui collait à la peau, dessinant tous les contours de sa silhouette. Elle riait, bouche ouverte, bras écartés, tournant sur elle-même en essayant de gober les gouttes. Le rire de Cho.

Harry s'approcha, sans plus aucune réserve cette fois. il savait qu'il n'avait rien à perdre dans ce rêve et que c'était peut-être la seule occasion de se déclarer à elle.

- Cho dit-il dans l'orage.

Seul l'orage lui répondit.

- Cho, cria-t-il à la pluie battante.

La pluie battante lui arracha sa dulcinée et posa un rideau de fer entre eux deux. Cho s'éloignait sous l'orage, riant et dansant. Pieds nus dans la boue, jolie goutte d'eau.

- Attends! hurla Harry pour couvrir le tonnerre. Écoute-moi au moins!

Seuls ses rires résonnaient. Elle entonna une chanson, dont il ne saisit pas le moindre mot.

Très bien. Il en avait assez d'hésiter. Il ne voulait plus courir après son amour sans cesse. Il devait le lui dire, ou renoncer.

Il bondit à travers le rideau de pluie, envoyant voler des gouttes aussi grosses que des grêlons. Il parvint derière Cho, attrapa ses épaules et la retourna vers lui. Elle le toisa, sans se départir de son sourire. Alors il l'embrassa.

C'était si bon. Oubliée la pluie, oubliées les souffrances, sa cicatrice, Voldemort, ses parents oublié Cédric

Non!

Il se recula, choqué. Il ne pouvait pas. Pas oublier Cédric. Il ne pouvait pas le trahir en embrassant sa petite amie, maintenant qu'il l'avait fait tuer. Il était criminel.

Cho rit. Le rire de Cho.

Et elle parla:

- Tu hésite encore? Moi qui croyais que tu aurais compris.

Incapable de bouger, de dire un mot. Tétanisé.

- Harry, expliqua patiemment Cho. Tu n'es pas responsable. Il est mort par accident. Tu ne pouvais pas savoir.

Bouger les lèvres. Lentement. Remuer.

- Tu ne le pleure pas?

- Si, dit Cho. Je le pleure chaque jour, un peu. Mais à l'intérieur. C'est une blessure qui restera longtemps. Mais il est possible de rebâtir dessus; et il le faut. Il faut repartir.

- On va nous critiquer

- Je m'en fiche. C'est toi que j'aime maintenant.

Et elle l'embrassa. C'était plus beau, plus merveilleux que tout ce qu'il avait vécu jusque là. C'était

Et Cho disparut dans un éclaboussement.

- Où es-tu? s'inquiéta Harry.

- Je suis le mystère! dit la voix de la jeune fille quelque part. Nul ne m'attrape, nul ne me tiens! Cherche encore!

- STOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOP! hurla Harry.

L'orage se tut.

La pluie se retint de tomber.

Les nuages s'enfuirent ventre à terre.

La clairière s'évanouit.

Le vent se figea.

Les sakura se raccrochèrent aux branches des cerisiers.

Tout s'immobilisa.

Qu'est-ce qu'il en avait marre.

Harry marchait dans la forêt, dos courbé, énervé. Les glands qui avaient le malheur de se trouver sur son chemin battaient des records de vols planés. La terre volait à chaque coup de pied.

Il s'arrêta soudainement. Rien ne bougeait parmi les arbres. Le silence régnait.

Il dit:

- Je me disais bien que ça faisait longtemps. Tu dormais?

Et comme la forêt restait muette, Harry leva la tête et s'adressa directement à la branche en question.

- Tout ça commence à m'agacer sérieusement. Morgane Wakewage.

Il y eût un grognement sourd et quelque chose agita la cime de l'arbre. Une seconde plus tard, Morgane se laissait tomber aux pieds de Harry, dans un nuage de poussière verte et de brindilles.

- Ravie de voir que tu commences à voir au-delà des apparences, dit-elle, l'air tout sauf ravie.

- Tu m'en vois enchanté. Et maintenant, si tu voulais bien sortir de mon rêve

- Oh, il n'est guère possible de m'éviter. À tout destin il me faut présider.

Il se figea, incrédule.

- Attends j'ai rêvé ou tu as fait une rime?

- N'est-ce pas aux vers qu'on reconnaît le mort? Six pieds sous terre, je te mène à ton sort.

- Râh! s'énerva Harry. Si tu n'as rien de plus intéressant à me dire, je me réveille!

- Ok, j'arrête, fit Morgane. Inutile de faire la tête. Oups!

Elle mit la main sur la bouche, désolée. Le garçon grogna mais n'ajouta rien.

- Tu as vu ce qu'il y avait à voir, déclara-t-elle.

- C'est toi qui le dit, grogna-t-il derechef.

- Quel est ton choix?

- Hein? s'étonna-t-il.

Il ne se rappelait pas qu'on ait parlé de choix. Mais il détestait ce mot.

- Bah oui, fit-elle ingénuement. C'est la règle. À un moment ou à un autre, le héros doit faire un choix dont dépend le sort du monde.

C'était bien ce qu'il craignait. Grrr.

- Alors? fit Morgane, d'un air si faussement naïf qu'il eût une fois de plus envie de la frapper.

- Entre quoi et quoi je dois choi

Aïe. Compris.

- Oh, non, dit-il. Non, non et non.

- Tu as compris, approuva Morgane. Maintenant, choisis.

- NON! cria Harry. Pas question! Je ne choisirai jamais entre elles!

- Alors tu condamnes notre monde.

- Non, c'est non! re-cria-t-il, sentant la panique affluer.

Il ne pouvait pas. Pas choisir. Pas entre elles trois.

La fille fit un large geste de la main. Trois images se formèrent, trois ponts entre deux endroits de ce fichu monde.

Dans le premier, Ginny dormait profondément parmi les fleurs des champs. Dans le second, Hermione méditait sur sa souche, le soleil auréolant ses cheveux d'or. Dans le dernier, enfin, Cho dansait dans l'herbe trempée, ses pieds nus soulevant des gerbes d'eau et ses vêtements encore collés à sa peau soulignant ses formes si rondes, si belles.

Ginny. Hermione. Cho.

La petite sur. L'amie. L'amoureuse.

Mais c'était bien au-delà, il s'en rendait compte. Ces trois filles symbolisaient des liens complexes qui l'unissaient à la vie.

Ginny, c'était la vulnérabilité. Il devait la protéger, coûte que coûte.

Hermione, elle, représentait l'amitié et la sécurité. Avec elle, il était plein d'assurance parce qu'il savait qu'elle était là pour le soutenir. Une grande complicité les liait, qu'il ne voulait perdre pour rien au monde.

Et Cho, Cho la joyeuse, Cho la belle Attrapeuse, Cho endeuillée après la Troisième Tâche, Cho qu'il aimait depuis son premier petit sourire craquant, avant même qu'il réalise qu'il pouvait aimer quelqu'un. Cho, le mystère, l'inconnu. Il aimait ça, il aimait cette tâche qu'il avait de la conquérir, il aimait cette quête dont il s'était chargé. Il aimait Cho.

Mais il aimait Hermione et Ginny ausi, différemment. Son amour pour Cho avait-il plus de valeur que sa complicité avec sa meilleure amie, que son affection pour la petite sur de Ron?

Il se tourna vers Morgane, en désespoir de cause.

- Pourquoi? supplia-t-il.

- Qu'est-ce qui te pose problème? répliqua-t-elle.

- Je ne peux pas choisir! Je les aime toutes les trois. Ce serait une trahison d'en choisir une.

- Je n'ai jamais dit que celles que tu laisseras seraient tuées, ou quoi que ce soit.

- Elles seront tuées, ou quoi que ce soit?

- Oui.

- Je le savais, cracha Harry, glacial. Je te hais, Wakewage. Tu as bien de la chance de ne pas faire partie du choix. Je t'aurais laissé crever sans remords.

- Je ne suis pas là pour te faire plaisir, fut sa réponse. Tu dois affronter ton destin.

La goutte d'eau qui fit déborder le vase. Harry explosa.

- MON DESTIN? TU SAIS CE QU'IL TE DIT, MON DESTIN? TU SAIS CE QUE ÇA FAIT DE S'APPELER HARRY POTTER? TOUT CE POIDS SUR TA VIE, RIEN QUE PARCE QU'UN MAGE POURRI A TUÉ TES PARENTS QUAND TU AVAIS UN AN? JE VAIS TE DIRE, J'AURAI PRÉFÉRÉ QUE VOLDEMORT ME TUE! ÇA M'AURAIT ÉVITÉ TOUTE CETTE VIE DE MERDE, ET COMME ÇA JE N'AURAI JAMAIS CONNU TA SALE FACE DE VERACRASSE! JE TE HAIS, MORGANE WAKEWAGE! JE TE HAIS!

- Tu n'as pas le droit de souhaiter ça! s'énerva Morgane à son tour. C'est injuste de ta part! Tu ne peux pas souhaiter que des centaines de Sorciers et de Moldus soient morts, uniquement parce que tu as eu une vie malheureuse! C'est égoïste et malpoli, vis-à-vis de tous les Sorciers qui croient en toi! Et maintenant que Tu-Sais-Qui est revenu par ta faute, eh bien tu as deux solutions: soit tu pleures et tu regrettes le passé, et dans ce cas-là tu peux mourir, tout le monde s'en fichera; soit tu affrontes ton destin, et tu te bats glorieusement jusqu'à la mort de Tu-Sais-Qui, ou la tienne! Décide!

- Destin! Destin! Mais vous n'avez tous que ce mot-là à la bouche! C'est quoi, ça, le destin? Je n'ai pas de destin! Je fais mes propres choix! J'avance tout seul, je n'ai pas besoin de tes sales injures et de tes conseils foireux pour savoir ce que j'ai à faire! Sors de mon rêve! Sors de ma vie! Arrête de vouloir manipuler tout le monde dans l'ombre, tu t'y prends vraiment trop mal!

Morgane brillait d'un feu magique, rouge brique de colère. Mais Harry en était enveloppé lui aussi, et ses cheveux voletaient tant la magie qui l'animait était agitée.

Puis, sans transition, ils se retrouvèrent sur le même champ de ruines que dans le premier rêve, à l'endroit où Harry avait réussi à blesser Morgane en l'accusant d'avoir sacrifié Hermione à ses desseins. Et le garçon frissona, car il venait seulement de comprendre quelles étaient ces ruines.

C'étaient les ruines de Poudlard.

Poudlard le château était en ruines. Quelques fumerolles s'élevaient dans le ciel couleur de sang, témoins d'un incendie qui avait tout ravagé.

Dans le parc dévasté, des corps gisaient à l'état de squelettes, proprement nettoyés.

- Oh non, fit Harry.

Sa colère était retombée comme un soufflé sorti du four.

Il courut vers le premier squelette. Inidentifiable. Cette personne était morte depuis des semaines. pourtant, personne nétait venu pour l'enterrer, et l'incendie qui avait rasé le château et la forêt venait tout juste de s'éteindre, à en juger par les derniers foyers fumants. Harry se releva, courut de droite et de gauche, à la recherche d'autres corps.

Ce n'est qu'au pied des marches défoncées qu'il en trouva un reconnaissable.

Sa gorge se serra.

C'était Dumbledore.

Il gisait, dans la position où il était tombé. Sa main gauche étreignait son cur, tandis que la droite se cramponnait à sa baguette.

Harry tomba à genoux, et sa tête bascula en avant. Il sentit des larmes couler sur ses joues, mais il n'avait plus conscience de rien, en dehors de ce qu'on venait de l'amputer de toute une partie de lui-même. Il ferma les yeux. Ses mains tremblaient, il sanglotait. Combien de temps il resta ainsi, prostré, il n'aurait su le dire.

Une douce voix qui résonnait quelque part lui fit relever la tête, malgré lui:

- Le clair de lune brillant de l'esprit,

pur, sans souillure, sans tache,

brise les vagues

qui se ruent sur le rivage

et l'inondent de lumière.

Puis la voix se mit à chanter. Elle chanta dans une langue inconnue, douce et triste, et dont Harry ne comprenait pas le moindre mot, mais parfois il entendait "Albus Dumbledore" ou "Myrdhin" et il savait que la voix était une complainte à la mémoire du plus grand mage de ce siècle et des précédents.

Quand elle se tut, Harry voulut féliciter la belle voix, car elle avait atténué sa peine, mais elle s'était envolée, et sur les marches ne restait plus que Morgane, l'expression plus insondable que jamais.

- Un grand Sorcier s'en est allé, dit-elle de sa voix grave, peu harmonieuse. Harry sentit aussitôt sa haine s'enflammer. Mais avant de la laisser jaillir, il voulait honorer la mémoire de Dumbledore, aussi il se mit en quête de quoi faire une tombe.

- Harry Potter, fit une petite voix aiguë, du côté de ses pieds.

Il baissa les yeux. C'était Winky.

- Oui? fit-il, surpris de la trouver vivante dans ce carnage.

- Oh, Monsieur, Winky est si contente de trouver Harry Potter! Winky est perdue, Monsieur, elle a peur! très peur.

- Mais qu'est-ce que tu fais ici, Winky?

- Le Seigneur des Ténèbres cherche Winky, murmura-t-elle en se collant aux jambes de Harry. Il la cherche Il a incendié Poudlard pour trouver l'os, et maintenant c'est Winky qu'il veut! Pauvre Winky!

Et tandis qu'elle sanglotait en s'aggripant à son pantalon, Harry s'attela à creuser une tombe à l'aide de sa baguettes magique.

Mais il devait commencer à avoir un réel lien avec la Magie, ou bien peut-être ne fut-ce qu'un incroyable pressentiment, toujours est-il qu'il releva la tête.

Morgane était accroupie au-dessus du corps de Dumbledore, et celui-ci brûlait.

Enfin, il ne brûlait pas vraiment: c'était plutôt comme si de la lumière le rongeait de l'intérieur. Elle le dévorait, jaillissait par les trous, et en quelques secondes il ne resta plus qu'un petit tas de cendres à lendroit où était tombé son cher professeur.

- Qu'est-ce que tu as fait? hurla-t-il à Morgane dès qu'il fut remis de son choc.

Celle-ci leva des yeux innocents.

- Mais rien! Ça s'est fait tout seul.

- Je ne te crois pas, beugla Harry, agressif. Il ne peut pas avoir disparu comme ça. Pas avec ce que j'allais faire pour lui

En disant cette dernière phrase, il sentit la boule remonter dans sa gorge et dût s'assoir pour se calmer.

- De toute façon, qu'ets-ce que ça fait? fit Morgane. Ce n'était pas le vrai.

- Hein? sursauta le garçon.

- Évidemment! Tu croyais que Dumbledore était vraiment mort?

Il ne répondit pas, choqué.

-Youhou, réveille-toi! se moqua-t-elle. Nous ne sommes pas dans la réalité! C'est juste un rêve. Un des avenirs possibles.

- Comment ça? fit-il, soupçonneux.

- Tu es en train de rêver du futur, du moins, un des futurs.

- Oui, j'ai bien entendu. C'est la notion de "avenir possible" que je ne saisis pas très bien.

Il sentait le coup fourré à plein nez. Ça ne loupa pas:

- Tu te souviens qu'on a parlé d'un choix? fit Morgane avec une fausse légèreté. Vas-y, à toi!

- Je dois choisir entre ce futur et un autre, plus joyeux? demanda Harry, repoussant au plus loin l'évidence.

- Tu dois choisir entre Hermione, Ginny et Cho.

- Quel choix mènera à ça?

- À toi de deviner.

- NON! cria-t-il une fois de plus.

La Sorcière haussa les épaules.

- Fais comme tu le sens. Tôt ou tard, tu seras obligé.

Et elle transplana dans un petit tourbillon de fumée mauve.

- Plutôt mourir, dit Harry.

– fin du chapitre 11–

Je vais être beaucoup moins bavarde que la dernière fois. Tout ce que j'ai à vous dire, c'est que j'ai écrit ce chapitre en quatre jours (aux dépends des devoirs, évidemment, mais tant pis) et que je l'aime beaucoup, pour une raison très simple: c'est lui qui a relancé l'histoire. Avant de l'écrire, j'étais bloquée au chapitre 10, à me demander comment j'allais seulement arriver à Halloween (ne parlons pas de la fin de l'année) autrement qu'en disant "Les mois passèrent, monotones." Ce qui n'aurait certainement pas occupé un chapitre. Et puis en plein milieu de mon chap 10, j'ai eu une illumination (enfin, c'est très imagé), j'ai cliqué sur "nouveau", je me suis retrouvée devant une page blanche et pendant trois jours, quand je n'étais ni au lycée ni à table ni dans mon lit, je remplissais la page blanche, sans interruption. Alors j'espère vraiment que ce chapitre vous a plu, parce que je l'aime beaucoup. Il est plein de citations et d'allusions, lui aussi!

Ona

PS: En écrivant ce chapitre, j'écoutais en boucle Dido ("No Angel"), ce qui explique l'humeur planante dans laquelle je me trouvais. Marrant comme les musiques qu'on écoute influent sur l'état d'esprit quand on écrit.

PPS: Je ne sais pas s'il y en a à qui ça évoque quelque chose, mais la scène dans les arbres est largement inspirée de l'animatrix n°2 (dont je ne sais plus le titre), la scène du combat dans les bambous. Pour tous ceux qui osent ne pas connaître, elle est à télécharger d'urgence sur www.theanimatrix.com. Voilà!