Chapitre 28: Si tout a changé...
Harry avait l'impression d'être une bête bizarre.
Tout ce qui lui tenait autrefois à cœur lui semblait à présent sec et effrité à la manière des feuilles mortes de l'automne. Que voulait-il à présent? Impossible à savoir. Il y avait une masse froide et dure dans sa poitrine. Il mit des jours à comprendre qu'il s'agissait de son cœur.
Et il ne pouvait même pas désigner une cause, un coupable. Ce n'était pas la mort de Sirius qui l'avait affecté. Ce n'était pas son voyage éprouvant dans le monde où vont échouer toutes choses. Ce n'était pas non plus la terreur froide et détachée qu'il avait éprouvée en voyant Voldemort tuer Ginny, Hermione et Cho. Ce n'était pas l'incommensurable aberration qui s'obstinait à lui dire qu'il avait tué Voldemort, que Voldemort était parti pour toujours, ce que son esprit n'avait toujours accepté en aucune façon. Ce n'était même pas la découverte du lien incroyable entre Morgane et lui.
Mais qu'est-ce que c'était, alors? Ce sentiment d'être allé plus loin que quiconque et d'en être revenu, mais d'avoir pourtant laissé derrière soi tout ce qui fait de soi un humain?
Une semaine après la bataille finale, il se réveillait encore en hurlant dans son lit. C'étaient les seules et uniques minuscules secondes au cours desquelles il goûtait à un sentiment délicieusement humain, et que ce sentiment fut la terreur ne le dérangeait pas. Parce que sitôt qu'il prenait conscience de son éveil, ses cauchemars s'effritaient et son cynisme habituel s'emparait de lui.
Dans les journées, il fuyait la foule. Il errait dans des zones désertes du parc, au-delà du lac, ou bien dans les étages supérieurs du château où personne ne montait jamais. Ces déambulations sans but n'étaient pas sans lui rappeler ses promenades amoureuses avec Cho, et une fois de plus il s'interrogeait sur le pourquoi d'une transformation aussi brutale de ses sentiments. Alors qu'il s'était senti trahi et désespéré quelques jours avant l'attaque, il n'éprouvait à présent plus aucune haine ni rancœur ni pitié ni souffrance. Il avait du mal à le dire, mais le mot qui désignait le mieux son sentiment était: indifférence.
Il ne pouvait bien sûr ignorer que tout le monde s'inquiétait de son état. Alors qu'ils étaient tous très occupés à reconstruire le château à l'identique de ce qu'il avait été, Harry, lui, rêvait de terminer le travail des Mangemorts, de le renvoyer à l'état de poussière. Trop de souvenirs s'attachaient à ces vieilles pierres, et il s'apercevait avec effarement qu'il ne se rappelait que des mauvais.
Et que dire de Dumbledore? Sa réapparition avait jeté un trouble dans la caverne des sentiments de Harry qui n'était finalement peut-être pas sans lien avec son renfermement. Bien sûr, c'était là l'homme qui avait suscité son admiration, qui avait été l'objet de toute sa confiance, et sans doute d'une certaine affection aussi, comme s'il était un très vieux et très sage oncle en qui Harry pouvait aller chercher du secours en toute occasion. Un oncle ou peut-être bien un grand-père.
Jamais, au grand jamais il n'aurait pu imaginer, avant son excursion dans la Pensine, qu'il se sentirait un jour trahi à ce niveau. Même la folie alimentée de pulsions sexuelles de Cho n'était rien en comparaison de la découverte que Dumbledore aurait pu empêcher ses deux parents de mourir — et qu'il n'avait rien fait.
Et pourtant, même ce sentiment de trahison ne représentait plus grand chose à présent. Ce qu'il restait, c'était une méfiance et un ressentiment. Après de nombreux jours d'introspection, Harry finit par comprendre quelque chose: par sa puissance magique, par les actes qu'il avait accomplis, par la quantité d'épreuves physiques et morales qu'il avait traversées surtout, désormais il se sentait l'égal de Dumbledore. La découverte de son acte méprisable n'avait finalement fait que détruire la barrière d'admiration et de respect qui se dressait encore entre eux. À présent, malgré les dizaines d'années qui les séparaient, Harry se savait de taille à affronter Dumbledore — et quelque part, il ne se sentait pas tellement moins sage ou raisonnable ou n'importe quoi d'autre que le directeur lui-même.
Et voilà que cette haute estime de lui-même ne le rendait pas narcissique ni orgueilleux: au contraire, c'était comme une camisole en acier trempé qui retenait ses gestes et ses propos et le transformait tout à coup en quelqu'un de très réfléchi. De très... mature.
Quel sentiment agaçant. Il n'avait même pas la barbe blanche et les kilos de rides flasques pour aller avec. Et par conséquent, il n'avait pas non plus le respect que l'on réserve aux vieux sages. Pourtant, il se sentait plus proches d'eux que quiconque.
Et puis il y avait son pouvoir.
Après son combat contre Voldemort, après tout ce qui avait suivi, il avait bien fallu dormir. Il avait repoussé au maximum l'échéance, avait tenté de tirer sur ses réserves et avait fait la désagréable découverte qu'il n'en avait plus: il avait tout, absolument tout utilisé pour son coup fatal à Voldemort, celui qui avait fait exploser son aura par overdose de celle de Harry. Il avait donc dû finir par s'abandonner à ses rêves, malgré toutes ses appréhensions.
Et il s'était réveillé trente-deux heures plus tard, l'esprit clair et sans avoir fait aucun cauchemar. Il avait immédiatement senti que ses réserves de magie s'étaient tranquillement rechargées. Et il avait décidé dans l'instant qu'il n'utiliserait plus jamais son pouvoir.
Certainement un autre effet de cette désagréable maturité nouvelle. Un petit lutin pénible lui avait soufflé que cette profonde particularité ne risquait que d'aggraver le fossé entre lui et le reste de l'humanité moins une personne. Et en cet instant, il n'avait vraiment pas envie de se retrouver encore une fois avec personne d'autre que Morgane de son côté de la barricade. Donc il avait conclu que le mieux était de renoncer à tout Don de toute sorte. Après tout, il avait vécu quinze bonnes années sans tentacules de magie ni acuité surdéveloppée, et même onze sans magie du tout.
C'était compter sans la magie elle-même. Elle lui avait mis le grappin dessus. Il le comprit pour de vrai lorsqu'il se retrouva, au milieu du petit déjeuner, en train de laisser sa tartine se beurrer toute seule sans même en avoir conscience.
Par chance, il était six heures du matin lors de l'incident et la Grande Salle était vide. Personne n'avait remarqué son trouble. D'une manière générale, il s'arrangeait pour ne voir personne.
Et cela ne pouvait pas durer éternellement, et il le savait. Et comme pour tout le reste, il s'en fichait. La vie se poursuivrait comme elle l'entendrait. Il anticiperait juste ce qu'il fallait pour ne plus jamais avoir de surprise désagréable, comme par exemple se laisser piéger aux paroles paternelles de Dumbledore sans saisir les arrières-pensées.
Pendant quatre jours entiers, il mena une guerre silencieuse et sans merci contre son sixième sens, qui s'était développé grâce aux bons efforts de Morgane et se faisait très encombrant ces temps-ci. À l'aube du cinquième jour, il se réveilla plus tranquille qu'à l'habitude et comme apaisé. Il était parvenu à un compromis: sa magie ne s'exprimerait pas sans lui demander son avis, et en échange il accepterait de s'en remettre à elle. De toute façon, il dut admettre qu'il lui aurait été très dur de vivre sans elle après lui avoir entièrement remis sa vie. Qu'il veuille l'admettre ou non, il avait ouvert toutes les portes de ses sens à son Don. Et puis, il aurait quand même été triste de devoir s'en priver.
Et tout ça avait occupé la première semaine après la Chute. Et au bout de cette semaine, il se sentait prêt à affronter le monstre. Les monstres.
Ron sentit son cœur exploser de joie en revoyant Ana. Il n'avait jamais voulut se convaincre qu'elle avait échoué. Et voilà qu'elle revenait avec Dumbledore lui-même, que tout le monde tenait pour mort, et même si tout était fini à présent il était heureux de les voir tous deux de retour.
Albus Dumbledore salua les soixante élèves qui formaient un cercle autour de lui.
- Me voilà de retour, dit-il d'une voix douce. Et pourtant mon retour est teinté d'amertume, car je vois comme vous avez souffert, et j'ai failli à ma tâche en étant absent au moment où Poudlard et vous tous aviez le plus besoin d'un directeur...
Les élèves murmurèrent. Ils ne s'étaient pas attendus à un tel aveu, pas dès le premier abord. Ils s'étaient attendus à la voir aussi fort que toujours, solide comme un roc.
- Est-ce là tout ce qu'il reste des élèves de Poudlard? demanda Dumbledore d'une voix à peine plus forte qu'un murmure. Que sont-ils tous devenus, tous ceux qui peuplaient jadis les salles et les couloirs, jeunes et insouciants? Je vois une dureté nouvelle sur tous ces visages, une dureté qui ne convient pas à votre jeunesse. Pour tout ça, pour ceux qui nous ont quitté et pour ceux qui ont perdu une partie d'eux-même, je me sens coupable en ce jour.
Ron sentit ses entrailles frémir à cette évocation. C'était mieux dit que tout ce qu'il aurait pu dire lui-même, mais c'était vraiment ce qu'il ressentait. Avoir laissé quelque chose derrière soi. Il s'en rendait mieux compte maintenant que Dumbledore l'avait exprimé par des mots.
Il serra le corps chaud d'Ana contre lui. Elle lui sourit. Entre eux deux, il n'y avait apparemment rien de changé: toujours cette même confiance, cette même insouciance. Ça lui avait manqué. Cette certitude inaltérable qu'il existait quelqu'un dans le monde qui lui faisait entièrement confiance, ça lui avait manqué dans la bataille. Il la retrouvait à présent avec une joie indicible.
- Que sont devenus vos professeurs? demanda Dumbledore d'une voix atone.
- Personne n'en sait rien, professeur, répondit Angelina Johnson. Ils sont partis se battre, mais on ne les a jamais revus.
- Si, moi je les ai revus, lança Ana.
Tout le monde se tourna vers elle. Elle était partie le lendemain de l'attaque avec neuf autre personnes, par le passage secret qui menait à Pré-au-Lard, dans l'espoir de rassembler des Sorciers à sa suite pour venir défendre Poudlard. Depuis, personne ne savait ce qui leur était arrivé.
- Qu'est-ce qui s'est passé? demandèrent les élèves. Et où ils sont, ceux qui étaient avec toi?
Le regard d'Ana se voila légèrement. Elle commença à raconter.
Dès leur arrivée à Pré-au-Lard, ils s'étaient attendus à trouver des Sorciers à qui demander du secours, un représentant du Ministère, des autorités responsables. Au lieu de cela, ils avaient émergé dans un village désert, totalement abandonné. C'était une vision de mauvais rêve. Aucun trace de combat, pas de corps ni de sang. Simplement des portes battant au vent et pas âme qui vive, ni dans les caves ni dans les greniers.
Pré-au-Lard s'étendant juste au pied du grand portail de Poudlard, quelqu'un avait émis l'hypothèse que les Mangemorts étaient déjà passés par là. En l'absence d'élément décisif, ils se rabattirent sur la Poste où ils espéraient trouver un moyen de transport pour gagner Londres ou au moins des hiboux pour écrire au Ministère. En vain. Toutes les fenêtres des volières étaient grandes ouvertes, et il ne restait pas un seul volatile dans tout le bâtiment. Ils en étaient là, à ne pas savoir que faire, quand ils entendirent du bruit dans la rue. Quelques coups d'œil prudents leur firent apercevoir un groupe de Mangemorts, solidement encadrés de créatures à leur service, qui escortaient une quinzaine de prisonniers. Ana reconnut avec certitude les professeurs de Poudlard. Ils avaient l'air d'être tous là, même si elle n'eut pas le temps de bien voir. Les Mangemorts et leurs prisonniers disparurent au coin de la rue, et ce fut la dernière fois qu'elle les vit.
Peu après, le groupe d'élèves trouva des restes de Poudre de Cheminette et décida donc de partir pour Londres. Ils avaient demandé à arriver au Ministère de la Magie. Malheureusement, celui-ci protégeait visiblement ses entrées, et ils se retrouvèrent donc projetés au Chemin de Traverse. Soulagés de trouver enfin des Sorciers, ils avaient demandé de l'aide.
En vain. Car le monde des Sorciers tout entier était attaqué.
Et c'est ainsi qu'au lendemain de leur départ, ils se retrouvèrent pris entre deux feux sur le Chemin de Traverse. Sorciers, Mangemorts.
Ana fut la seule survivante.
Après cet épisode terrible, elle crut perdre la tête. Elle erra pendant quatre jours dans le Londres moldu, sans repères, sans savoir où aller ni à qui se fier. Elle était mortifiée à l'idée que des attaques se produisaient dans toute l'Europe, et elle voulait de toutes ses forces retourner en Espagne, retrouver sa famille et ses amis, les protéger. Mais il n'y avait aucun moyen de s'y rendre, sauf les modes de transport moldus, et elle n'avait pas d'argent. Désespérée, désemparée, elle finit par se souvenir de la seule personne au monde qui aurait pu arrêter Lord Voldemort. Et elle se mit en route pour Sainte-Mangouste.
Lorsqu'elle arriva, l'hopîtal était surchargé de blessés critiques et en état d'alerte rouge depuis trois jours. Elle se fraya un chemin sans aucune peine et finit par découvrir la chambre individuelle, dans un pavillon isolé, d'Albus Dumbledore.
Le vieux Sorcier était froid comme la mort. La blessure causée par l'épée invisible avait depuis longtemps cicatrisé, et il aurait dû sortir du coma où elle l'avait projeté depuis des semaines. La vision du plus grand Sorcier de la planète dans un tel état de vulnérabilité confirma chez Ana des soupçons qu'elle avait déjà conçus longtemps auparavant.
Elle attendit.
Elle attendit plusieurs jours. Elle se dissimulait dans le couloir, passait d'une chambre à l'autre, sortait et revenait. Tous les jours, elle s'arrangea pour être présente, cachée, à l'heure où le Médicomage venait ausculter son patient. Elle constata deux choses: tout d'abord, il venait avec une ponctualité super-précise. Et ensuite, il ne venait voir que Dumbledore. La situation de guerre requérait tout le temps des Médicomages disponibles. Tout l'hôpital était surchargé de travail. Ils n'avaient pas le temps de s'occuper des vieux malades à l'état totalement stationnaire de ce petit pavillon. Mais de Dumbledore, si.
Le plan d'Ana était simple: un matin, elle jeta un sortilège de confusion au Médicomage au moment où il pénétrait dans la chambre de Dumbledore. Cela marcha à merveille. Il repartit sans avoir touché aux médicaments.
Ana les jeta dans le lavabo et attendit.
Le lendemain, cachée derrière la porte comme la première fois, elle renouvela l'action. Tout se passait sans anicroche. C'était presque trop beau.
Elle fit de même pendant quatre jours. Le cinquième, le Médicomage oublié carrément de venir. Le septième jour, Albus Dumbledore donna des signes de vie.
Le onzième jour, à l'exact moment où Harry se jetait dans un ultime élan sur Lord Voldemort, Dumbledore se réveilla complètement.
Elle avait guetté ce moment, mais elle fut surprise par sa soudaineté. D'un coup, il avait bougé et ouvert les yeux. La seconde précédente, il était encore froid et blanc comme un cadavre.
Au même instant, la lumière de l'aube fut chassée par une pluie torrentielle de grenouilles, que suivit de près le scintillement d'une aurore boréale dont la beauté amena les larmes aux yeux d'Ana. Peu après, les flacons de médicaments sur la table de nuit explosèrent d'eux-même et se vaporisèrent. Ana aurait juré voir une petite tête de mort s'envoler dans le nuage de fumée noire. Avec un serpent qui sortait de la bouche.
Harry passa doucement la main devant le nez grimaçant de la gargouille. "Pet de citron", apprit-il. Il songea avec détachement que Dumbledore avait des goûts affreux en matière de pâtisserie.
- Pet de citron, dit-il à la gargouille.
Il eut la nette impression qu'elle mit plus de temps qu'elle n'aurait dû à pivoter, comme si elle lui en voulait d'avoir trouvé le mot de passe.
Il posa le pied tranquillement sur l'escalier pivotant et attendit que celui-ci l'amène en haut. Il faisait tout très tranquillement, ces derniers temps.
Il frappa à la lourde porte de bois et Dumbledore lui dit:
- Entre, Harry.
Il ne demanda pas comment le directeur savait que c'était lui, pas plus que Dumbeldore ne demanda comment il avait trouvé le mot de passe. Il entra, traversa la pièce à grands pas, et c'est seulement à hauteur du bureau de Dumbledore qu'il regarda Morgane qui, elle, regardait fixement le directeur. Quant à celui-ci, il faisait aller ses yeux de l'un à l'autre, l'air légèrement amusé.
- Miss Wakewage allait justement m'expliquer la raison de sa visite, Harry, déclara-t-il après un moment. Joins-toi à nous.
- Potter, corrigea Harry. Miss Potter, pas Wakewage.
- C'est comme ça que je me proposais de l'appeler, mais elle m'a fait clairement comprendre qu'il n'en était pas question, dit tranquillement Dumbledore.
Et Harry comprenait pourquoi. Morgane venait de lui décocher le regard le plus meurtrier de tout son répertoire.
- Alors? dit-il d'un ton qu'il espérait amical. Qu'est-ce que tu venais faire là?
- La même chose que toi, répondit-elle en haussant les épaules.
- Très bien. Qu'est-ce que je venais faire là?
Elle le fusilla du regard mais ne dit rien.
- Je peux peut-être vous dépanner, dit Dumbledore d'un ton neutre. Vous venez me demander la vérité sur les origines de Miss Wakewage. Et vous venez me demander si Lord Voldemort est bien définitivement mort. Et vous venez enfin pour savoir pourquoi moi, le seul Sorcier qu'Il ait jamais craint, je n'ai jamais rien fait pour l'arrêter.
- Je la connais! protesta Morgane. La vérité. Les raisons. Je le sais!
- Moi je ne sais pas, intervint Harry. Allez-y, professeur.
- Que voulez-vous entendre d'abord? Les raisons de mon énorme traîtrise? Ou bien les véritables circonstances de la mort de vos parents?
Harry observait attentivement l'expression de la jeune fille — sa sœur! Pour la première fois depuis une semaine, il avait l'occasion de l'étudier en détails. Il cherchait la ressemblance, il la cherchait de toutes ses forces... après tout, il avait bien réussi à la voir, à comprendre par lui-même... Mais il n'y arrivait plus. Tout était là, il y avait le nez droit, un peu trop grand, le front rond noyé sous les mèches rebelles qui refusaient de s'aligner sagement, le menton fin, la ligne de la mâchoire, l'arc de cercle bien tracé des sourcils... et les yeux, si verts, si évidents... Mais il ne se reconnaissait pas, il ne reconnaissait pas Lily. Morgane était de la famille et en même temps elle était totalement à part.
Mais il trouva la réponse tout seul. Elle portait un masque. Elle s'était forgé un masque, avec la colère et la soif de vengeance, et à l'aide de la magie aussi, et personne n'avait pu remarquer la ressemblance des traits parce que la seule chose qu'on voyait en la regardant, c'était ce masque de dureté et de colère froide.
Et il s'était doucement fissuré, ce masque. À mesure qu'ils devenaient plus proches, tout au long de l'année, des écailles s'en étaient détachées. Sur la fin, elle s'était présentée à lui à visage ouvert, et il l'avait reconnue. Il ferma les yeux sur toute une foule de souvenirs, des rêves qui n'en étaient pas vraiment où ils avaient fait connaissance... Qu'avait-elle dit ce jour où elle l'avait embrassé, au bord d'un lac où tournaient les voiles blanches? "C'était la dernière occasion de le faire"? À l'époque, il avait pris ça comme un signe qu'ils allaient être séparés, morts... À présent, il se demandait le sens réel de cette phrase.
Il repensa alors à une autre révélation qu'elle lui avait faite. Elle avait dit que Voldemort lui avait donné la vie. Et elle lui disait qu'elle était sa sœur, la fille de ses parents. Et maintenant, Dumbeldore se proposait d'éclaircir ce mystère. C'était tant mieux, parce que Harry, lui, séchait complètement.
- Allez-y au début, professeur, dit-il d'une voix égale. Racontez tout ce qu'il y a à savoir, depuis le début.
- Tout a commencé, dit Dumbledore, avec la Prophétie.
- Prophétie? fit Harry. Quelle prophétie?
- La prophétie qu'une sorcière a fait avant ta naissance, dit tranquillement le vieux Sorcier. Tu as lu le livre rouge. Tu as compris quel était ce Don dont il était question tout au long de la généalogie des Potter. Il avait disparu depuis plus de deux cent ans. La prophétie disait qu'il réapparaîtrait chez les enfants nés de l'union de James et Lily Potter. Voilà pourquoi Voldemort devait les tuer tous les deux, et toi par-dessus tout. Il avait peur de toi. Peur de ta puissance. Toute Sa vie, depuis qu'Il est revenu, Il était terrorisé par toi. Ce qu'Il craignait le plus, c'est que j'aie entrepris de t'enseigner comment utiliser tes pouvoirs. Voilà pourquoi Il m'a fait éliminer dès qu'Il a pu.
- C'était Lui qui vous faisait maintenir endormi? demanda Harry. Le Médicomage qu'Ana a éliminé, il était à Son service?
Dumbledore prit le temps de réfléchir avant de répondre:
- Je ne crois pas. Pour te dire la vérité, je pense que les ordres venaient du Ministère. Mais d'une manière ou d'une autre, Lord Voldemort s'assurait que je reste bien hors d'état de nuire. Si les ordres du Ministère s'étaient modifiés, Il m'aurait fait aussitôt éliminer.
Harry fronça les sourcils. Morgane regardait fixement le mur opposé.
- Mais pourquoi Fudge aurait-il fait ça? s'étonna le garçon. Il ne pensait tout de même pas...
- Cornélius Fudge avait peur de moi, c'est une évidence. Il pensait que la seule manière de conserver de l'autorité sur les Sorciers de Grande-Bretagne, c'était de les empêcher de se tourner vers moi. Je doute que les évènements lui aient donné raison.
Il y avait de la colère dans les yeux du vieux Sorcier. Il poursuivit:
- Pour en revenir à notre histoire, Lord Voldemort a eu vent de cette prophétie, et voilà pourquoi tes... vos parents ont dû se cacher après ta naissance, Harry. Ils avaient pris Sirius comme Gardien du Secret, et c'était une bonne idée parce que jamais Sirius ne les aurait trahis, mais en même temps c'était stupide parce que Voldemort aurait du être idiot pour ne pas s'y attendre. Voilà pourquoi Sirius s'est senti menacé et les a convaincus de changer de Gardien... Malheureusement pour nous tous.
- Je vous ai vu... dit Harry, sentant sa colère revenir à mesure que Dumbledore évoquait son parrain et ses parents. Dans votre Pensine, je vous ai vu. Vous étiez là le soir d'Halloween, et vous avez tout vu.
Il fut surpris d'entendre Morgane éclater de rire. Agacé, il se tourna vers elle:
- Tu as fait ça? lança-t-elle. Le gentil petit Harry qui va fouiller dans la Pensine du grand Albus Dumbledore! Oh, excusez-moi, c'est trop drôle!
Et elle repartit dans un éclat de rire un rien hystérique. Harry sentit sa colère s'enflammer, mais il se concentra sur Dumbledore. Il voulait savoir ce que le directeur avait à lui apprendre, quoi qu'il lui en coûte.
- Alors? fit-il. Pourquoi êtes-vous resté caché? C'est encore en rapport avec la prophétie?
- En effet, acquiesça Dumbledore. Je suis désolé de la dire, mais j'ai énormément combattu Lord Voldemort. Plus que n'importe qui d'autre. À chaque fois, nous en sommes sortis vivants tous deux, mais de justesse. J'en avais fini par comprendre qu'aucun de nous deux ne pouvait tuer l'autre. Je connaissais Tom Jedusor depuis son adolescence. Je savais mieux que personne quel genre d'être il était. Voilà pourquoi j'aurais dû être le seul à pouvoir Le battre, et pourtant je n'étais pas assez puissant pour ça.
"Et puis voilà que quelqu'un a fait cette prophétie. Autant vous le dire: le monde des Sorciers tout entier a fait le fête en apprenant son contenu. Ils pensaient tous que le digne héritier du Don des Potter serait tout à fait capable de tuer Voldemort. Ils pensaient même qu'il serait envoyé pour ça. Une sorte de messie, de sauveur. Autant vous dire que je n'ai pas voulu ça. C'est une des raisons pour lesquelles je t'ai maintenu à l'écart du monde des Sorciers pendant ton enfance, Harry.
"Mais pour revenir à ta naissance, j'étais à vrai dire le premier à croire que tu serais celui qui nous débarasserait de Lord Voldemort. Et d'après mes excursions dans le domaine de la Vieille Magie, j'avais fini par déterminer que ça se passerait au moment où Il essayerait de te tuer.
"À ma décharge, je dois dire qu'il n'y avait pas grand chose que je pouvais faire. Bien sûr, je pouvais procurer à James et à Lily une protection encore plus grande que celle dont ils disposaient, qui les mettrait à l'abri pour des années ou des siècles, pendant que des dizaines de personnes étaient tuées chaque semaine. Ou alors je pouvais laisser faire les choses. Vous reconnaîtrez que je n'avais pas vraiment le choix.
"Mais ce fut extrêmement dur. James et Lily étaient enfermés dans cette maison de Godric's Hollow depuis huit mois. Tout le monde savait que tu étais né, Harry — ils t'avaient présenté à leurs amis et à tout le monde, avant d'être obligés de se cacher. Mais personne, mis à part Sirius et moi-même, personne ne savait que Lily était de nouveau enceinte.
Une image passa devant les paupière de Harry — sa mère, Lily, enceinte jusqu'aux yeux et courant pour échapper à l'ombre du Mage Noir...
- Voldemort a tué James, continua Dumbledore sombrement. Il a tué James dans l'entrée, juste derrière la porte. Et puis il a couru derrière Lily, qui te portait dans ses bras. Elle est tombée et elle a supplié. Pas pour sa vie, mais pour la tienne, qu'elle tenait serrée contre elle. Elle a supplié mais Voldemort ne pensait qu'à une chose, se débarasser de toi au plus vite. Comme Il n'arrivait pas à la faire lâcher prise, Il l'a tué. À ce moment, le bébé aurait dû mourir aussi. Mais il a continué à vivre, pourtant, encore quelques minutes. Suffisament longtemps pour que Voldemort découvre son état et imagine un plan diabolique... La puissance du Don des Potter, mis à Son service. Un bébé qui n'aurait pas été sali par les apprentissages de ses parents, comme toi, mais qui soit encore pur de toute magie. Il était tellement excité qu'Il t'a laissé de côté, tout hurlant, et s'est occupé de découper le ventre de ta mère. Il en a sorti une petite fille déjà presque morte, à qui Il a insufflé un souffle de vie.
Harry se tourna tout de suite vers Morgane, frappé de stupeur. À la tête qu'elle faisait, il devina aussitôt qu'elle savait déjà toute cette histoire — mais ça ne la lui rendait pas plus agréable. Un rictus d'horreur lui déformait le visage et elle faisait visiblement un gros effort sur elle-même pour ne pas sangloter. "Je lui dois la vie", se souvint-il. Il comprenait avec horreur ce qu'elle avait voulu dire.
- J'aurais dû intervenir, continua implacablement Dumbledore. Jamais je n'aurais dû laisser faire un tel crime sous mes yeux. Je ne cherche pas à m'en excuser. C'est à vous deux de juger de mon attitude. Mais je vous en ai expliqué les raisons, et elles tenaient encore: Lord Voldemort était à deux doigts d'accomplir le geste salvateur. Encore quelques instants, et Il allait tenter de tuer Harry.
Pourtant, avant de le faire, Il prit le temps de contacter l'un de Ses Mangemorts, un dénommé Shrakow qui vivait loin, en Bulgarie, et dont la femme ne pouvait pas avoir d'enfants. Il lui remit le bébé avec pour consigne de s'en occuper comme de sa propre fille, mais surtout de l'élever dans les bonnes traditions des Sang-Purs et de lui inculquer le respect de son Maître. Lorsque j'y repense, tous les actes de Lord Voldemort laissaient à croire qu'Il se doutait de ce qui allait arriver... Et pourtant c'est impossible, sinon Il ne se serait jamais sacrifié de cette manière. La seule explication que j'y vois est qu'Il avait entendu la prophétie et qu'Il avait de sérieux doutes, mais qu'Il espérait pouvoir se débarasser de la menace que tu constituais, Harry, tant que tu n'étais qu'un bébé. L'histoire a prouvé qu'Il avait eu tort.
"Qu'ai-je fait, ensuite? Ai-je volé au secours de la petite Morgane pour l'arracher aux mains du couple Shrakow et l'expédier chez les Dursley, sa seule famille survivante? Ai-je ramassé le petit enfant qui hurlait sur le sol, tout à côté du corps de sa mère, pour l'emmener avec moi? Non. J'ai transplané à l'autre bout du pays, j'ai contacté Hagrid et j'ai fait comme si je n'avais jamais assisté à quoi que ce soit. Personne n'en a jamais rien su.
Dumbledore se tut enfin sur un silence vaguement coupable. Harry fixait la surface du bureau de bois. Il avait un goût amer dans la bouche. Il avait souvent imaginé cet entretien, et souvent imaginé comment il obligerait le directeur de Poudlard à cracher le morceau, à coups de cris et, éventuellement, de magie. L'entendre tout confesser de cette manière avait de quoi troubler.
Il s'aperçut que Morgane s'essuyait les yeux d'un air farouche. Il sentit que lui aussi aurait dû se sentir bouleversé, mais au lieu de cela il n'y avait que du vide. Son cœur avait épuisé ses réserves de bouleversement.
Et voilà que Dumbledore regardait ses mains, absorbé dans de sombres pensées. Harry chercha à retrouver ce regard malicieux, ces petites rides au coin des yeux... En vain. Le vieux Sorcier était épuisé et amaigri. Pour ce qui lui paraissait la toute première fois, il avait vraiment l'air mortel. Bien sûr, tout le monde l'avait cru mort pendant deux mois. Mais ce n'était pas pareil. Une sorte d'aura de magie l'avait entouré même dans cette semi-mort. À présent, il n'avait plus du tout l'air puissant, seulement terriblement, effroyablement vieux. Et puis, avec ce même effroi qui s'emparait parfois de lui quand il réfléchissait à ce qu'il était devenu, Harry découvrit qu'il n'en avait rien à faire. Dumbledore était peut-être le Sorcier le plus puissant du moment — après lui, et sûrement après Morgane aussi — mais ce n'était qu'un vieil abruti sénile et épuisé, aussi bien moralement que physiquement. Il comprit aussi que Dumbledore n'avait jamais envisagé survivre à son vieil ennemi... et que maintenant il était prêt à le suivre dans la mort. Harry se demanda s'il trouvait cela admirablement héroïque... ou effroyablement con.
- Pourquoi ne pas être revenu me chercher après cela? demanda Morgane en rompant la première le silence. Vous avez eu des années pour ça. Vous n'étiez pas obligé de venir tout de suite. Laisser les choses se tasser quelques mois, et puis venir me récupérer. Vous auriez pu me confier à une famille quelconque, et personne n'aurait jamais su qui j'étais, moi la première...
Elle avait prononcé cette dernière phrase avec un détachement feint, mais sa voix la trahissait. Dumbledore n'en fut pas dupe.
- As-tu été malheureuse pendant les années de ton enfance? demanda-t-il très sérieusement.
Morgane lui balança un regard à congeler l'Océan Indien.
- Vous voulez réellement la réponse à cette question? fit-elle avec un mépris non dissimulé.
- Non, je suppose que non, admit l'homme. Tu n'as pas été malheureuse, mais tu n'as pas été heureuse non plus. Tu as été mise dès ton plus jeune âge au courant de ton identité, et tu t'es mise à dévorer des livres sur l'ascension et la chute de Voldemort. Tu as grandi avec cette fissure dans le cœur, de savoir que le nom de Harry Potter était gravé en lettres d'or sur les tablettes de l'Histoire, alors que celui de Morgane Potter était sorti par la porte de derrière. Alors tu t'es forgé un nom: Celle Qui Éveille et Qui Mène à la Guerre. En raccourci: Wakewage. Dans les traités d'histoire de la magie, tu as découvert la véritable essence de l'atavisme qui avait fait resurgir le Don chez Harry et chez toi. Dans les manuels de magie noire, tu as appris à contrôler ce pouvoir. Et puis tu as attendu...
- Comment savez-vous tout ça? hurla Morgane.
Elle haletait, le visage très pâle. Dumbledore la contemplait avec un amusement non dépourvu d'arrières-pensées, et Harry songea qu'il serait stupide de sous-estimer cet homme.
- Dois-je continuer? demanda-t-il paisiblement.
- NON! rugit Morgane.Vous n'avez pas le droit de savoir ça! C'est... ce sont mes mots!
Le sourire agaçant s'accentua. Morgane fit un geste de la main. Ce qui se passa ensuite était incompréhensible pour toute personne autre qu'eux trois. Cela pourrait s'exprimer comme un duel de magie qui aurait duré trois centièmes de secondes et au cours duquel aucun des deux combattants n'aurait bougé le petit doigt. Il y eut un crépitement, et Dumbledore se recula légèrement sur son siège, vaincu, sans se départir de son sourire qui toutefois n'avait plus rien de l'amusement. Quant à Morgane, elle se redressa et posa le poing sur la table:
- Oui, j'ai attendu, dit-elle, continuant elle-même l'histoire. J'ai attendu pendant des années. Quand mon "père" a été libéré de prison, nous sommes revenues nous installer en Bulgarie, ma "mère" et moi. C'est la justice bulgare qui a décidé de mettre fin à sa peine, pourtant à perpétuité. Tout le système de ce pays était rongé par les organisations mangemortes. Nous sommes revenues vivre avec ce serviteur de Voldemort. J'avais dix ans. Depuis, ma conviction n'a fait que s'accroître: je devais me faire une place dans les pages de l'Histoire. Elle a trouvé son apogée à la renaissance de Voldemort. Quelle joie! Je ne m'étais pas trompée, le monde avait besoin de moi pour démolir définitivement ce bâtard.
"Le 18 juillet, j'ai raconté à mon "père" ce que je savais sur Hermione, l'invitée des Krum. La machine infernale était enclenchée. je savais où trouver la Pierre d'Orian, je savais ce que Shrakow allait faire, je savais comment Voldemort allait réagir. Je ne m'étais jamais sentie aussi grisée.
"Mais ce que je n'avais pas prévu, c'est ma réaction en voyant Harry pour la première fois. J'ai eu du mal à tenir le choc.
Elle baissa les yeux, ajouta dans une voix dure comme l'acier:
- Pour compenser, il a bien fallu que je le déteste.
C'était le jour de toutes les grandes révélations. Ainsi, Morgane avait bien été à l'origine de tous les évènements de juillet? Elle avait tiré toutes les ficelles depuis le début? Mais aurait-elle pu prévoir ce qui s'était passé entre Harry et Voldemort, au cours du duel? Et pourtant, toute l'issue en dépendait, puisque sans ce transfert de magie accidentel il n'aurait jamais eu l'idée qui lui avait permis de venir à bout du Mage Noir. Mais alors, comment?
Harry hocha la tête. On pouvait appeler ça du hasard, ou on pouvait appeler ça les manipulations machiavéliques de la Vieille Magie. Alors tant qu'à faire, il préférait n'en rien savoir. S'il commençait à se poser cette question, autant mettre fin à ses jours tout de suite. Parce que, qu'il le veuille ou non, il était lié à la Vieille Magie pour le restant de ses jours.
- Au fait, lança-t-il à Dumbledore. Vous saviez pour Morgane, depuis le début? Pourquoi ne m'avoir rien dit? Et pourquoi ne pas être intervenu dans ses magouilles?
- Elle m'avait demandé de me taire, déclara Dumbledore en regardant la jeune fille dans les yeux. Elle m'avait simplement dit qu'elle avait un plan, et que je risquais de tout gâcher si je m'en mêlais.
Morgane hocha la tête avec un sourire sans joie. Harry insista:
- Donc les mini-mondes dans les couloirs, les élèves blessés, le chaos total dans le château, et... (l'évidence le frappa comme un coup de fouet) l'attentat du terrain de Quidditch, qui a fait des morts parmi les élèves... Tout ça, vous l'avez laissé faire sans sourciller, c'est bien ça?
Cette fois, Morgane et Dumbledore le fixaient tous deux en haussant les sourcils, l'air sincèrement surpris. Harry aurait pu rire de leurs expressions, en d'autres circonstances.
- Tu croyais sincèrement que c'était moi? fit Morgane avec une mimique comique. Les apparitions dans les couloirs? Pourquoi j'aurais perdu mon temps à ça?
Harry se sentit stupide tout à coup. Il s'énerva:
- Tu passais tout ton temps enfermée dans ton sanctuaire! Pour quoi était-ce, sinon pour créer ces choses?
- Je travaillais à mes enchantements pour la nuit, expliqua-t-elle comme si c'était l'évidence même. Diriger les rêves de quelqu'un demande du travail. Même avec mon pouvoir et la Pierre d'Orian, ça me prenait du temps.
- Et les mini-mondes, alors? répéta Harry. Qui d'autre, si ce n'est pas toi?
Elle haussa les épaules et se tourna vers Dumbledore.
- À vous de raconter, dit-elle d'un air inintéressé.
- Très bien. (Dumbledore se rassit sur son siège et se pencha en avant, les mains jointes sur le bureau) Il faut que tu saches, Harry, qu'un certain nombre de personnes avaient les yeux fixés sur toi tout au long de l'année. Tu en connais deux: les mêmes qui sont présents dans cette pièce.
Harry vit clairement Morgane lever les yeux au ciel.
- Miss Wakewage faisait ses propres affaires, avec ses propres moyens. Il me paraît clair qu'elle est celle qui a le mieux réussi. Pour ma part, je te surveillais, je veillais à ce que tu te diriges dans la bonne direction, mais sans trop intervenir. Plutôt que de faire reposer tous nos espoirs sur tes épaules, j'ai toujours préféré réunir nos forces. Ainsi, j'ai engagé un groupe d'Amazone pour la défense du château, et j'ai le regret de dire qu'elles sont toutes mortes au combat. Contrairement à ce dont m'avaient menacé mes détracteurs, elles n'ont pas trahi, même lorsque Lord Voldemort leur a proposé de louer leurs services à un prix supérieur. Leurs noms seront gravés sur le mur de l'école, car elles ont rendu de grands services alors qu'elles n'étaient que des mercenaires.
"J'ai aussi envoyé Hagrid chercher les géants. À ce sujet, j'ai quelques informations dont ne disposent pas les élèves de l'école: les géants ne sont jamais parvenus jusqu'ici, mais ils ont bien répondu à l'appel comme ils avaient promis de le faire. Ils sont tombés sur une bataille en route et ont fait un massacre parmi les créatures de Voldemort, mais ils avaient ainsi honoré leur serment et sont donc rentrés chez eux.
Harry hocha la tête, déçu. Il avait espéré voir un de ces géants, dont Hagrid lui avait fait une impressionante description.
- Quant au troisième groupe, poursuivit Dumbledore, tu serais étonné de savoir à quel point des gens que tu connais... Enfin, bref. Ils s'appellent entre eux le Cercle d'Or. C'est une organisation qui s'est en un temps opposée aux Mangemorts, même si elle restait beaucoup plus secrète.
- Sans blague! fit Morgane. Vous voulez dire que c'est pour ce vieux cercle qu'il travaillait?
Le directeur acquiesça; Harry était intrigué à présent. Quelque chose que Morgane ignorait?
- Qui ça, il? fit-il avec intérêt.
- Bill Weasley, répondit le vieux Sorcier.
Le garçon sentit ses sourcils se hausser:
- Bill Weasley m'observait?
- Oui.
- Il m'espionnait?
- Oui.
- Il transmettait des informations sur moi?
- Oui.
- Qui est dans ce Cercle d'Or?
- Voyons voir, fit Dumbledore en comptant sur ses doigts. Arthur et Molly Weasley. Suzan et Jonas Plauget. Joseph et Martha Weasley. Simone Londubat. Patrice et Niobé Johnson. Pour ne citer que ceux dont les noms te diront quelque chose.
- La grand-mère de Neville? fit Harry? Les parents de Ron et ses oncles et tantes? Les parents d'Angelina?
- Évidemment, je doute que tes camarades soient au courant de quelque chose.
- Et... fit Harry. Qu'est-ce que Bill devait me faire faire?
- Rien de plus que t'amener à combattre Voldemort. Pour ça, il a employé plusieurs techniques: l'une d'elles était de réveiller ta haine, jusqu'à ce que tu n'aie de cesse de L'avoir tué. L'autre était de t'entraîner à combattre, en s'arrangeant pour que tu te retrouves dans des situations dangereuses, au sein des mini-mondes. Je m'étonne qu'il soit allé aussi loin que l'attentat du terrain de Quidditch, cepandant. Le Cercle d'Or montrait plus de respect des vies innocentes, autrefois.
Harry fronça les sourcils. Il avait envie de réfléchir à tout ça au calme.
- Professeur, demanda-t-il en se rappelant une fois de plus l'ancien respect qu'il avait éprouvé pour cet homme, où sont les professeurs? Qu'est-ce que Voldemort en a fait? Et les élèves qui s'étaient rangés à ses côtés, qu'allez-vous leur faire?
- Les Passemorts, qui comme tu le sais ont été épargnés par ton armée, seront libres de poursuivre leurs études à Poudlard s'ils le souhaitent. Je doute que beaucoup d'entre eux en aient l'envie. Je les laisserai libres de passer leurs examens de fin d'année, puis de s'inscrire dans une autre école s'ils le veulent, ou bien de faire autre chose. Quant aux professeurs, comme tu l'as pensé toi-même, Lord Voldemort avait d'autres projets pour eux que de les massacrer. Comme Miss Ana Casona et les autres l'avaient découvert, Il les a tous capturés au début de la bataille, s'attendant à voir Poudlard tomber sous sa coupe. Ça ne s'est pas produit, et voilà l'origine de ce massacre qu'il a été amené à faire parmi les élèves.
- Où sont-ils, alors?
- Ils sont sur le chemin du retour. Ils devraient bientôt arriver. Lorsqu'ils seront là...
Dumbledore avait vraiment l'air d'un vieillard à présent...
- Je partirai, dit-il sans regarder Harry ni Morgane.
- Pourquoi? fit le garçon.
- Parce que j'ai failli à ma mission, et que je ne suis plus digne de diriger cette école. Je n'ai fait que la maintenir, en attendant le retour du professeur MacGonagall. Je lui remettrai alors mes fonctions, et vous ne me verrez plus jamais.
Quelques mois plus tôt, Harry aurait eu le cœur fendu. Maintenant, cela ne lui faisait plus rien.
- Vous devriez vous en aller, à présent, dit le vieil homme. Ne vous en faites pas, vous reverrez bientôt vos professeur. Les cours reprendront alors tant bien que mal.
Harry marcha vers la porte sans se préoccuper de Morgane. Il souriait à l'idée de revoir Hagrid. Ce serait agréable de parler avec une grande personne qui ne soit ni morte, ni complètement tombé dans son estime. À ce qu'il en savait, Hagrid était peut-être la seule personne qui ne l'ait jamais trahi.
Il se sentit vaguement coupable en refermant la porte: Dumbledore avait le visage enfoui dans ses mains. Il n'était plus que l'ombre de lui-même: il avait perdu tout son prestige d'antant.
Mais il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même.
C'est du moins ce dont Harry voulait se convaincre.
**********
Voilà. C'était la fin.
En pénétrant dans l'ancienne Salle Commune de Gryffondor, Harry vit les regards se tourner vers lui. Il salua tout le monde.
Il étaient nombreux à être là. Des Gryffondors, mais aussi des représentants des trois autres maisons. Travaillant de concert à la reconstruction du château. Pour l'heure, ils repeignaient les murs de la salle en une teinte chaude qui s'approchait du doré.
- Salut Harry! fit Ginny comme si son retour était tout à fait naturel.
Elle portait une salopette tachée de peinture et ses cheveux étaient tirés en queue de cheval. Elle était resplendissante.
- Qu'est-ce que tu penses de la couleur? fit-elle. On a hésité à trancher complètement avec le rouge et l'or, on avait pensé à du violet ou du turquoise, mais on s'est dit que c'était bien de garder un souvenir de Gryffondor. Après tout, ça a été la Salle Commune des Gryffondors pendant près de mille ans!
Elle l'entraîna vers un coin où Hermione, vêtue d'un jean troué et d'une vieille chemise, bricolait un grand cadre. L'occupant de la toile avait déserté son domaine, apparemment dérangé par les manipulations dont il était l'objet.
- Ha va Hahhy? fit-elle, des clous dans la bouche.
Le garçon la regarda un moment manipuler avec adresse son marteau et ses clous d'une seule main. Ses mèches d'un blond sombre étaient traversées par un rayon de soleil qui les changeait en fils d'or pur.
- Ron et Ana sont là-bas, dit-elle une fois qu'elle eut planté son dernier clou. Je crois que Ron supervise l'installation du mémorial.
Harry jeta un coup d'œil. Deux ou trois élèves faisaient léviter une plaque sur laquelle étaient gravés les noms des morts. Les noms étaient en tout petit, et la plaque était très grande.
- Pourquoi cette pièce-ci? demanda-t-il d'une voix douce.
- Parce que c'est la plus haute de tout le château, répondit Hermione joyeusement. Parce qu'elle est bien exposée, agréable, et qu'on avait envie d'en faire quelque chose de beau. Je crois savoir que Flora Cagouar et plusieurs autres de troisième année préparent de grands vitraux colorés pour remplacer les fenêtres. Elles ont dit que quand le soleil taperait ça ferait des jeux de lumière magnifiques.
Harry hocha la tête:
- C'est bien. Mais tu ne m'as pas vraiment dit pourquoi ici. Je croyais qu'on devait graver les noms sur le mur extérieur.
Elle remit une mèche derrière son oreille, le regarda. Il était debout et elle assise en tailleur. Elle était belle.
- En fait, le vrai projet, c'était de dédier chaque pièce aux personnes qui sont mortes dedans. La Salle Commune de Serdaigle aurait été le mémorial de la Résistance, la Salle de la Bataille celui de tous les morts au combat... Et puis quelqu'un a proposé de consacrer une seule pièce. Tout le monde a été soulagé. Même si personne n'osait le dire, on ne s'imaginait pas vivre avec des cadavres dans chaque pièce, tout le temps. Déjà qu'il faut vivre avec des morts dans la tête.
- D'où la Salle de Gryffondor?
Hermione acquiesça:
- Tu vois, il n'y aura plus de maisons maintenant. Avec tous les morts qu'il y a eu... on n'a même plus de quoi remplir une classe de chaque niveau. Alors à quoi bon s'obstiner dans cette stupide séparation qui créait de la rivalité? On s'est tous battus ensemble. Tout le monde a été d'accord sur ce point, même les Serpentards.
Elle se leva, sortit sa baguette de sa poche:
- Bon, fit-elle, maintenant il s'agit de raccrocher ce vieux pépère!
Harry la regarda faire léviter le lourd cadre, haut, plus haut... jusqu'à ce qu'elle relâche et qu'il retombe en s'encastrant parfaitement sur l'accroche prévue à son effet.
- Tu sais, dit-il lentement. Tu n'avais jamais réussi à utilise ta baguette avec ta main gauche, avant.
- C'est vrai, dit-elle.
- Maintenant tu y arrives.
- Oui.
- Ça ne peut vouloir dire qu'une chose, fit encore Harry.
- Je le pense aussi.
- Ça veut dire que... le maléfice qui était fixé sur ton bras, l'autre, a disparu.
Elle ne répondit rien.
- Donc, poursuivit le garçon, logiquement, tu dois pouvoir regagner ta main manquante.
Cett fois, elle le regarda dans les yeux. Son expression était indéchiffrable.
- Est-ce que... fit Harry. Est-ce que tu voudrais que je te la refasse?
- J'attendais que tu me le proposes, chuchota Hermione.
Une grande émotion le submergea. Il la serra dans ses bras, et elle s'y blottit avec tendresse. En même temps, il sentit les petits tentacules de magie qui s'étendaient... qui fourmillaient...
Hermione se recula et leva devant ses yeux ses mains... ses deux mains. Elle inspira profondément, et ferma les eyux sous le coup de l'émotion.
Puis elle les rouvrit, et ils étaient pleins de bonheur.
- Merci, chuchota-t-elle simplement.
Oui, cette fois c'était bien la fin.
Il n'avait pas voulu venir là seul, mais il n'avait pas non plus le courage de leur demander de l'accompagner. Heureusement, ils se joignirent à lui sans qu'il ait à demander, tout naturellement.
Il y avait Hermione, Ginny. Il y avait Ron et Ana.
La tombe se dressait, solitaire, dans un endroit reculé du parc, à mi-chemin entre la forêt et le lac. C'était une simple pierre sans rien d'écrit dessus, mais eux cinq savaient pour qui elle était là.
Harry s'assit en tailleur sur la terre meuble et déposa son bouquet de chrysanthèmes. Il avait lu quelque part que c'étaient les fleurs de l'immortalité. Maintenant qu'il savait que, sous une forme ou une autre, l'esprit de Sirius subsistait quelque part, il se sentait disposé à croire à ce genre de symboles.
Le chaud soleil de printemps faisait fleurir la nature. Un parfum de pollen flottait dans les airs, porteur de souvenirs et de mélancolie d'une autre époque, d'un autre temps. Harry aimait bien.
Ils s'assirent à quelques mètres de la tombe et sortirent d'un panier une grande nappe et tout un pique-nique. Les Elfes de maison, qui s'étaient terrés pendant un mois, avaient été si heureux de recevoir à nouveau des ordres de quelqu'un que la moitié d'entre eux avait fondu en larmes.
Ils se régalèrent de toutes sortes de plats ingénieusement emballés et, lorsqu'ils eurent fini, ils avaient tous un poids plutôt conséquent sur l'estomac. Ils se laissèrent alors tomber dans l'herbe et profitèrent de la douceur du temps.
- Et voilà, dit Hermione en regardant passer un nuage, les mains sous la nuque. Dans un mois, on passe nos BUSEs, et après c'est les vacances...
Ron se redressa sur un coude, l'air étonné:
- C'est toi qui parle comme ça, Hermione! Il y a peu de temps, tu aurais dit ça d'un air complètement paniqué. Et le mot "vacances" n'aurait pas fait partie de ta phrase.
- Oui, c'est amusant, hein? fit-elle d'un ton léger. Comme on change...
- Vous croyez qu'il faudrait se soucier de nos BUSEs? demanda Ana d'un ton pas vraiment inquiet.
- Non, répondit Ron, catégorique. Si ils veulent nous faire tous redoubler, qu'ils le fassent, ça leur fera quelques élèves en plus. Et puis de toute façon, on est tous capables d'avoir vingt sur vingt en Duel, Invocation, et je ne parle même pas de la Défense Contre les Forces du Mal! Et zut si on a pas travaillé les Potions, on expliquera à la mère Géranium qu'on a eu d'autres occupations. Elle devrait comprendre, non?
- Ron, tu parles trop, dit Ginny d'une voix endormie.
Ils rirent de l'air penaud du garçon, puis un long moment passa pendant lequel chacun se prélassait. Le soleil était chaud, ils avaient tous enlevé leurs chaussures et les petits insectes escaladaient les orteils de Harry.
À un moment, Ana demanda:
- À votre avis, ils sont passés où Malefoy et les autres? On les a pas revus depuis tout ce temps.
- Soit morts, soit trop occupés à refaire leur vie loin d'ici, au soleil, fit Ron d'un ton dédaigneux. Et c'est bien dommage. J'aurais voulu briser la tête de ce poseur de Malefoy comme une coquille d'œuf.
- Et tu n'aurais pas réussi, dit Harry. Il avait le crâne plus solide qu'une écaille de dragon.
- C'est vrai, opina Ron. Qu'il soit maudit.
- Il l'est déjà, dit Hermione. Je ne lui promets pas beaucoup d'avenir, où qu'il soit allé. Il a son passé de Passemort imprimé au fer blanc dans sa vie.
- À propos d'avenir, dit Ginny, vous avez su que Trelawney était redescendue de sa tour? Elle a réussi à s'y planquer pendant tout ce temps! Incroyable, non?
- Comment elle a fait pour se nourrir? s'étonna Ana.
- À la fin, elle ne devait plus avoir que des vieilles feuilles de thé et le cuir de ses livres, rigola la jeune fille. Mais le plus fou, c'est ce qu'elle a déclaré en réapparaissant: elle a dit qu'elle avait simplement décidé de passer un mois à méditer loin de tout contact, pour sensibiliser encore plus son troisième œil, et elle a feint d'être estomaquée en apprenant que le château avait été occupé un mois par toutes sortes de créatures maléfiques.
- Cette vieille chouette, fit Harry. On a du mal à croire qu'elle soit la seule à être sortie indemne de tout ça.
- Indemne mais amaigrie, fit Ginny. Déjà qu'avant elle n'avait pas grand chose entre la peau et les os...
Ils se perdirent de nouveau en rêverie. Un papillon aux jolies couleurs zigzaguait pas loin. Les nuages blancs dans le ciel avaient des formes comiques.
- Vous pensez faire quoi l'année prochaine? lança Ana après un temps. Je veux dire... moi, je ne me sens pas de reprendre une vie normale après tout ça.
- J'aimerais bien passer quand même mon ASPIC, dit Hermione. Mais... je ne sais pas. Je n'aime pas trop penser à l'avenir. Je préfère savoir que là, en ce moment, je suis bien, et espérer que ça dure.
- Moi c'est pareil, fit Ginny dans un baîllement. Une semaine, c'est la limite de mon imagination. Au-delà... bah, j'imagine qu'un jour il faudra reprendre une vie normale, mais je sais pas si j'en serai capable.
Elle se redressa sur un coude:
- Et toi, Harry?
Le garçon inclina la tête pour regarder les autres. Ils attendaient sa réponse.
- J'ai pas envie de penser à l'avenir, dit-il. Le passé c'est trop douloureux, mais l'avenir, c'est trop inquiétant. Alors là, maintenant, je suis bien, et le reste je m'en fiche. Je souhaite ne plus jamais y penser, à l'avenir.
Et même si ces paroles sonnaient gravement, elles étaient dites sur un ton léger, et c'était juste une constatation. Mais Harry songea qu'un jour, lointain peut-être, mais un jour tout de même, il lui faudrait faire des choix, et avancer.
En attendant, la vie était plus douce que jamais, et malgré toutes ses blessures, Harry Potter, pour une fois, avait une envie irrésistible de sourire.
Mais oui, plus de doute, c'était bel et bien la fin.
Une jolie fin. Pas un happy-end — il y avait eu trop de morts pour ça — mais pas le scénario-catastrophe non plus. Ils avaient des cicatrices, des marques indélébiles de la folie dans leurs corps et leurs esprits, ils en avaient bien trop vu pour leur âge, mais une seule chose comptait vraiment: cette fois, oui, c'était la fin. The End. Stop. Coupez. Rideau.
Le sourire finit par éclore sur ses lèvres. Puis il gagna ses joues, ses yeux et tout son visage, et bientôt, il riait à pleine dents.
********
Et... vous vous demandez peut-être où en sont nos amies les araignées.
Leur vie suit son cours. Un de ces jours, la petite rebelle à la carapace mordorée va piétiner sa couronne et partir à l'aventure. Ses conseillers s'en mordent déjà les mandibules. Leur nouvelle reine n'a pas fini de leur en faire voir de toutes les couleurs.
Oui, sans doute, un jour ou l'autre, elle va jeter le sac sur l'épaule, fourrer un morceau de pain dans sa besace, claquer la porte de son château chèrement acquis et lancer son fil vers l'inconnu. On ne sait pas ce que l'avenir lui réserve, ou nous réserve. Ce qu'on sait, c'est qu'elle ne supporte pas de vivre enfermée, et qu'elle a beaucoup, mais alors beaucoup de nouveaux paysages à découvrir. À explorer.
On lui souhaite bien des aventures, des émotions à flots, un fil éternellement soyeux et résistant et des mandibules toujours acérées. Elle et ses congénères vivent en paix — pour quelques temps. Depuis toujours, des remous ont agité l'histoire des peuples arachnesques de ce château, et ce n'est pas fini. Tant que le soleil se lèvera et se couchera, tant que les vieilles pierres se maintiendront, il en sera toujours ainsi.
Jusqu'à la fin des temps.
— Fin —
Voilà, je l'ai écrit. Ça a pas été facile — tout ce boulot pour trois pauvres petites lettres! Mais il faut bien poser la dernière pierre un jour, en priant pour que l'édifice ne soit pas trop bancal, que tout ne s'effondre pas dans un grondement de fin du monde avec en fond sonore les chœurs de "Collapse of Laputa" — téléchargeable sur www .pathéa. com— pour retourner à la poussière dont chaque chose est issue... Bref.
Aaaah, il y a trop de choses à dire... Alors pour faire bonne mesure, je vais arrêter de polluer cette page qui était supposée se terminer dans l'émotion et je vais laisser parler l'histoire...
Puisque c'est l'occasion ou jamais de le faire, j'en profite quand même pour remercier:
Merci à Harry, Hermione, Ron, Ginny, Morgane et tous les autres de s'être prêtés à mon écriture... j'espère ne pas vous avoir trop malmenés!
Merci à vous tous, lecteurs, reviewers, internautes et autres pottermaniaques qui avez tenu jusqu'ici (petite note spéciale à ceux qui lisent ces lignes uniquement parce qu'ils sont venus voir d'après la chute si ça valait le coup de lire l'histoire en entier: c'est dommage, vous risquez de vous gâcher quelques belles surprises). À tous, je dédie cette fanfiction. Puissiez-vous avoir eu quelques moments de plaisir en la lisant, et en avoir beaucoup d'autres en lisant ou en écrivant vous-même.
Merci beaucoup à Epayss, à Amarante, à ma Julia, à Allulivia (le nom est de moi!!!!) qui ont lu cette fic tout du long et m'ont soutenue et encouragée. Merci à Tex, Laly et à cet idiot de Kojda, qui ne l'ont pas lu et ne sauront jamais qu'ils sont cités ici (si ça arrivait, je retire ce que j'ai dit).
Merci à mon brave Macintosh SE 1/40, vieux comme les montagnes et robuste comme l'australopithèque du même nom. Merci à ma connexion internet (hem hem) et à ma bonne vieille disquette sans qui tout ça ne serait pas vraiment possible.
Merci à Terry Pratchett, JRR Tolkien, Dan Simmons, John Varley, Roger Zelazny, Isaac Asimov, Philip Pullman, René Barjavel, Primo Levi, Charles Baudelaire, sans ordre précis. Merci aux Cranberries, à Lhassa, à System of a Down et à toutes les autres musiques qui m'ont inspiré. Mille excuses aux frères Wachowski, à Peter Jackson, aux Animatrix et à Buffy contre les Vampires (saison 4) pour le pompage éhonté dont ils ont été victimes ^_^.
Merci à Joanne Kate Rowling. Grâce à vous, Mrs Rowling, j'ai pour la première fois de ma vie écrit le mot "fin" à une histoire. J'espère qu'il y en aura beaucoup d'autres.
Pour la première et la dernière fois, Harry Potter et tout son univers ne m'appartiennent pas. Je les ai piqués frauduleusement pour imprimer mon petit bout de rêve à moi sur la vaste voûte étoilée de son monde. Je ne regrette rien du tout.
Adieu et bonjour, comme toujours.
Ona
Harry avait l'impression d'être une bête bizarre.
Tout ce qui lui tenait autrefois à cœur lui semblait à présent sec et effrité à la manière des feuilles mortes de l'automne. Que voulait-il à présent? Impossible à savoir. Il y avait une masse froide et dure dans sa poitrine. Il mit des jours à comprendre qu'il s'agissait de son cœur.
Et il ne pouvait même pas désigner une cause, un coupable. Ce n'était pas la mort de Sirius qui l'avait affecté. Ce n'était pas son voyage éprouvant dans le monde où vont échouer toutes choses. Ce n'était pas non plus la terreur froide et détachée qu'il avait éprouvée en voyant Voldemort tuer Ginny, Hermione et Cho. Ce n'était pas l'incommensurable aberration qui s'obstinait à lui dire qu'il avait tué Voldemort, que Voldemort était parti pour toujours, ce que son esprit n'avait toujours accepté en aucune façon. Ce n'était même pas la découverte du lien incroyable entre Morgane et lui.
Mais qu'est-ce que c'était, alors? Ce sentiment d'être allé plus loin que quiconque et d'en être revenu, mais d'avoir pourtant laissé derrière soi tout ce qui fait de soi un humain?
Une semaine après la bataille finale, il se réveillait encore en hurlant dans son lit. C'étaient les seules et uniques minuscules secondes au cours desquelles il goûtait à un sentiment délicieusement humain, et que ce sentiment fut la terreur ne le dérangeait pas. Parce que sitôt qu'il prenait conscience de son éveil, ses cauchemars s'effritaient et son cynisme habituel s'emparait de lui.
Dans les journées, il fuyait la foule. Il errait dans des zones désertes du parc, au-delà du lac, ou bien dans les étages supérieurs du château où personne ne montait jamais. Ces déambulations sans but n'étaient pas sans lui rappeler ses promenades amoureuses avec Cho, et une fois de plus il s'interrogeait sur le pourquoi d'une transformation aussi brutale de ses sentiments. Alors qu'il s'était senti trahi et désespéré quelques jours avant l'attaque, il n'éprouvait à présent plus aucune haine ni rancœur ni pitié ni souffrance. Il avait du mal à le dire, mais le mot qui désignait le mieux son sentiment était: indifférence.
Il ne pouvait bien sûr ignorer que tout le monde s'inquiétait de son état. Alors qu'ils étaient tous très occupés à reconstruire le château à l'identique de ce qu'il avait été, Harry, lui, rêvait de terminer le travail des Mangemorts, de le renvoyer à l'état de poussière. Trop de souvenirs s'attachaient à ces vieilles pierres, et il s'apercevait avec effarement qu'il ne se rappelait que des mauvais.
Et que dire de Dumbledore? Sa réapparition avait jeté un trouble dans la caverne des sentiments de Harry qui n'était finalement peut-être pas sans lien avec son renfermement. Bien sûr, c'était là l'homme qui avait suscité son admiration, qui avait été l'objet de toute sa confiance, et sans doute d'une certaine affection aussi, comme s'il était un très vieux et très sage oncle en qui Harry pouvait aller chercher du secours en toute occasion. Un oncle ou peut-être bien un grand-père.
Jamais, au grand jamais il n'aurait pu imaginer, avant son excursion dans la Pensine, qu'il se sentirait un jour trahi à ce niveau. Même la folie alimentée de pulsions sexuelles de Cho n'était rien en comparaison de la découverte que Dumbledore aurait pu empêcher ses deux parents de mourir — et qu'il n'avait rien fait.
Et pourtant, même ce sentiment de trahison ne représentait plus grand chose à présent. Ce qu'il restait, c'était une méfiance et un ressentiment. Après de nombreux jours d'introspection, Harry finit par comprendre quelque chose: par sa puissance magique, par les actes qu'il avait accomplis, par la quantité d'épreuves physiques et morales qu'il avait traversées surtout, désormais il se sentait l'égal de Dumbledore. La découverte de son acte méprisable n'avait finalement fait que détruire la barrière d'admiration et de respect qui se dressait encore entre eux. À présent, malgré les dizaines d'années qui les séparaient, Harry se savait de taille à affronter Dumbledore — et quelque part, il ne se sentait pas tellement moins sage ou raisonnable ou n'importe quoi d'autre que le directeur lui-même.
Et voilà que cette haute estime de lui-même ne le rendait pas narcissique ni orgueilleux: au contraire, c'était comme une camisole en acier trempé qui retenait ses gestes et ses propos et le transformait tout à coup en quelqu'un de très réfléchi. De très... mature.
Quel sentiment agaçant. Il n'avait même pas la barbe blanche et les kilos de rides flasques pour aller avec. Et par conséquent, il n'avait pas non plus le respect que l'on réserve aux vieux sages. Pourtant, il se sentait plus proches d'eux que quiconque.
Et puis il y avait son pouvoir.
Après son combat contre Voldemort, après tout ce qui avait suivi, il avait bien fallu dormir. Il avait repoussé au maximum l'échéance, avait tenté de tirer sur ses réserves et avait fait la désagréable découverte qu'il n'en avait plus: il avait tout, absolument tout utilisé pour son coup fatal à Voldemort, celui qui avait fait exploser son aura par overdose de celle de Harry. Il avait donc dû finir par s'abandonner à ses rêves, malgré toutes ses appréhensions.
Et il s'était réveillé trente-deux heures plus tard, l'esprit clair et sans avoir fait aucun cauchemar. Il avait immédiatement senti que ses réserves de magie s'étaient tranquillement rechargées. Et il avait décidé dans l'instant qu'il n'utiliserait plus jamais son pouvoir.
Certainement un autre effet de cette désagréable maturité nouvelle. Un petit lutin pénible lui avait soufflé que cette profonde particularité ne risquait que d'aggraver le fossé entre lui et le reste de l'humanité moins une personne. Et en cet instant, il n'avait vraiment pas envie de se retrouver encore une fois avec personne d'autre que Morgane de son côté de la barricade. Donc il avait conclu que le mieux était de renoncer à tout Don de toute sorte. Après tout, il avait vécu quinze bonnes années sans tentacules de magie ni acuité surdéveloppée, et même onze sans magie du tout.
C'était compter sans la magie elle-même. Elle lui avait mis le grappin dessus. Il le comprit pour de vrai lorsqu'il se retrouva, au milieu du petit déjeuner, en train de laisser sa tartine se beurrer toute seule sans même en avoir conscience.
Par chance, il était six heures du matin lors de l'incident et la Grande Salle était vide. Personne n'avait remarqué son trouble. D'une manière générale, il s'arrangeait pour ne voir personne.
Et cela ne pouvait pas durer éternellement, et il le savait. Et comme pour tout le reste, il s'en fichait. La vie se poursuivrait comme elle l'entendrait. Il anticiperait juste ce qu'il fallait pour ne plus jamais avoir de surprise désagréable, comme par exemple se laisser piéger aux paroles paternelles de Dumbledore sans saisir les arrières-pensées.
Pendant quatre jours entiers, il mena une guerre silencieuse et sans merci contre son sixième sens, qui s'était développé grâce aux bons efforts de Morgane et se faisait très encombrant ces temps-ci. À l'aube du cinquième jour, il se réveilla plus tranquille qu'à l'habitude et comme apaisé. Il était parvenu à un compromis: sa magie ne s'exprimerait pas sans lui demander son avis, et en échange il accepterait de s'en remettre à elle. De toute façon, il dut admettre qu'il lui aurait été très dur de vivre sans elle après lui avoir entièrement remis sa vie. Qu'il veuille l'admettre ou non, il avait ouvert toutes les portes de ses sens à son Don. Et puis, il aurait quand même été triste de devoir s'en priver.
Et tout ça avait occupé la première semaine après la Chute. Et au bout de cette semaine, il se sentait prêt à affronter le monstre. Les monstres.
Ron sentit son cœur exploser de joie en revoyant Ana. Il n'avait jamais voulut se convaincre qu'elle avait échoué. Et voilà qu'elle revenait avec Dumbledore lui-même, que tout le monde tenait pour mort, et même si tout était fini à présent il était heureux de les voir tous deux de retour.
Albus Dumbledore salua les soixante élèves qui formaient un cercle autour de lui.
- Me voilà de retour, dit-il d'une voix douce. Et pourtant mon retour est teinté d'amertume, car je vois comme vous avez souffert, et j'ai failli à ma tâche en étant absent au moment où Poudlard et vous tous aviez le plus besoin d'un directeur...
Les élèves murmurèrent. Ils ne s'étaient pas attendus à un tel aveu, pas dès le premier abord. Ils s'étaient attendus à la voir aussi fort que toujours, solide comme un roc.
- Est-ce là tout ce qu'il reste des élèves de Poudlard? demanda Dumbledore d'une voix à peine plus forte qu'un murmure. Que sont-ils tous devenus, tous ceux qui peuplaient jadis les salles et les couloirs, jeunes et insouciants? Je vois une dureté nouvelle sur tous ces visages, une dureté qui ne convient pas à votre jeunesse. Pour tout ça, pour ceux qui nous ont quitté et pour ceux qui ont perdu une partie d'eux-même, je me sens coupable en ce jour.
Ron sentit ses entrailles frémir à cette évocation. C'était mieux dit que tout ce qu'il aurait pu dire lui-même, mais c'était vraiment ce qu'il ressentait. Avoir laissé quelque chose derrière soi. Il s'en rendait mieux compte maintenant que Dumbledore l'avait exprimé par des mots.
Il serra le corps chaud d'Ana contre lui. Elle lui sourit. Entre eux deux, il n'y avait apparemment rien de changé: toujours cette même confiance, cette même insouciance. Ça lui avait manqué. Cette certitude inaltérable qu'il existait quelqu'un dans le monde qui lui faisait entièrement confiance, ça lui avait manqué dans la bataille. Il la retrouvait à présent avec une joie indicible.
- Que sont devenus vos professeurs? demanda Dumbledore d'une voix atone.
- Personne n'en sait rien, professeur, répondit Angelina Johnson. Ils sont partis se battre, mais on ne les a jamais revus.
- Si, moi je les ai revus, lança Ana.
Tout le monde se tourna vers elle. Elle était partie le lendemain de l'attaque avec neuf autre personnes, par le passage secret qui menait à Pré-au-Lard, dans l'espoir de rassembler des Sorciers à sa suite pour venir défendre Poudlard. Depuis, personne ne savait ce qui leur était arrivé.
- Qu'est-ce qui s'est passé? demandèrent les élèves. Et où ils sont, ceux qui étaient avec toi?
Le regard d'Ana se voila légèrement. Elle commença à raconter.
Dès leur arrivée à Pré-au-Lard, ils s'étaient attendus à trouver des Sorciers à qui demander du secours, un représentant du Ministère, des autorités responsables. Au lieu de cela, ils avaient émergé dans un village désert, totalement abandonné. C'était une vision de mauvais rêve. Aucun trace de combat, pas de corps ni de sang. Simplement des portes battant au vent et pas âme qui vive, ni dans les caves ni dans les greniers.
Pré-au-Lard s'étendant juste au pied du grand portail de Poudlard, quelqu'un avait émis l'hypothèse que les Mangemorts étaient déjà passés par là. En l'absence d'élément décisif, ils se rabattirent sur la Poste où ils espéraient trouver un moyen de transport pour gagner Londres ou au moins des hiboux pour écrire au Ministère. En vain. Toutes les fenêtres des volières étaient grandes ouvertes, et il ne restait pas un seul volatile dans tout le bâtiment. Ils en étaient là, à ne pas savoir que faire, quand ils entendirent du bruit dans la rue. Quelques coups d'œil prudents leur firent apercevoir un groupe de Mangemorts, solidement encadrés de créatures à leur service, qui escortaient une quinzaine de prisonniers. Ana reconnut avec certitude les professeurs de Poudlard. Ils avaient l'air d'être tous là, même si elle n'eut pas le temps de bien voir. Les Mangemorts et leurs prisonniers disparurent au coin de la rue, et ce fut la dernière fois qu'elle les vit.
Peu après, le groupe d'élèves trouva des restes de Poudre de Cheminette et décida donc de partir pour Londres. Ils avaient demandé à arriver au Ministère de la Magie. Malheureusement, celui-ci protégeait visiblement ses entrées, et ils se retrouvèrent donc projetés au Chemin de Traverse. Soulagés de trouver enfin des Sorciers, ils avaient demandé de l'aide.
En vain. Car le monde des Sorciers tout entier était attaqué.
Et c'est ainsi qu'au lendemain de leur départ, ils se retrouvèrent pris entre deux feux sur le Chemin de Traverse. Sorciers, Mangemorts.
Ana fut la seule survivante.
Après cet épisode terrible, elle crut perdre la tête. Elle erra pendant quatre jours dans le Londres moldu, sans repères, sans savoir où aller ni à qui se fier. Elle était mortifiée à l'idée que des attaques se produisaient dans toute l'Europe, et elle voulait de toutes ses forces retourner en Espagne, retrouver sa famille et ses amis, les protéger. Mais il n'y avait aucun moyen de s'y rendre, sauf les modes de transport moldus, et elle n'avait pas d'argent. Désespérée, désemparée, elle finit par se souvenir de la seule personne au monde qui aurait pu arrêter Lord Voldemort. Et elle se mit en route pour Sainte-Mangouste.
Lorsqu'elle arriva, l'hopîtal était surchargé de blessés critiques et en état d'alerte rouge depuis trois jours. Elle se fraya un chemin sans aucune peine et finit par découvrir la chambre individuelle, dans un pavillon isolé, d'Albus Dumbledore.
Le vieux Sorcier était froid comme la mort. La blessure causée par l'épée invisible avait depuis longtemps cicatrisé, et il aurait dû sortir du coma où elle l'avait projeté depuis des semaines. La vision du plus grand Sorcier de la planète dans un tel état de vulnérabilité confirma chez Ana des soupçons qu'elle avait déjà conçus longtemps auparavant.
Elle attendit.
Elle attendit plusieurs jours. Elle se dissimulait dans le couloir, passait d'une chambre à l'autre, sortait et revenait. Tous les jours, elle s'arrangea pour être présente, cachée, à l'heure où le Médicomage venait ausculter son patient. Elle constata deux choses: tout d'abord, il venait avec une ponctualité super-précise. Et ensuite, il ne venait voir que Dumbledore. La situation de guerre requérait tout le temps des Médicomages disponibles. Tout l'hôpital était surchargé de travail. Ils n'avaient pas le temps de s'occuper des vieux malades à l'état totalement stationnaire de ce petit pavillon. Mais de Dumbledore, si.
Le plan d'Ana était simple: un matin, elle jeta un sortilège de confusion au Médicomage au moment où il pénétrait dans la chambre de Dumbledore. Cela marcha à merveille. Il repartit sans avoir touché aux médicaments.
Ana les jeta dans le lavabo et attendit.
Le lendemain, cachée derrière la porte comme la première fois, elle renouvela l'action. Tout se passait sans anicroche. C'était presque trop beau.
Elle fit de même pendant quatre jours. Le cinquième, le Médicomage oublié carrément de venir. Le septième jour, Albus Dumbledore donna des signes de vie.
Le onzième jour, à l'exact moment où Harry se jetait dans un ultime élan sur Lord Voldemort, Dumbledore se réveilla complètement.
Elle avait guetté ce moment, mais elle fut surprise par sa soudaineté. D'un coup, il avait bougé et ouvert les yeux. La seconde précédente, il était encore froid et blanc comme un cadavre.
Au même instant, la lumière de l'aube fut chassée par une pluie torrentielle de grenouilles, que suivit de près le scintillement d'une aurore boréale dont la beauté amena les larmes aux yeux d'Ana. Peu après, les flacons de médicaments sur la table de nuit explosèrent d'eux-même et se vaporisèrent. Ana aurait juré voir une petite tête de mort s'envoler dans le nuage de fumée noire. Avec un serpent qui sortait de la bouche.
Harry passa doucement la main devant le nez grimaçant de la gargouille. "Pet de citron", apprit-il. Il songea avec détachement que Dumbledore avait des goûts affreux en matière de pâtisserie.
- Pet de citron, dit-il à la gargouille.
Il eut la nette impression qu'elle mit plus de temps qu'elle n'aurait dû à pivoter, comme si elle lui en voulait d'avoir trouvé le mot de passe.
Il posa le pied tranquillement sur l'escalier pivotant et attendit que celui-ci l'amène en haut. Il faisait tout très tranquillement, ces derniers temps.
Il frappa à la lourde porte de bois et Dumbledore lui dit:
- Entre, Harry.
Il ne demanda pas comment le directeur savait que c'était lui, pas plus que Dumbeldore ne demanda comment il avait trouvé le mot de passe. Il entra, traversa la pièce à grands pas, et c'est seulement à hauteur du bureau de Dumbledore qu'il regarda Morgane qui, elle, regardait fixement le directeur. Quant à celui-ci, il faisait aller ses yeux de l'un à l'autre, l'air légèrement amusé.
- Miss Wakewage allait justement m'expliquer la raison de sa visite, Harry, déclara-t-il après un moment. Joins-toi à nous.
- Potter, corrigea Harry. Miss Potter, pas Wakewage.
- C'est comme ça que je me proposais de l'appeler, mais elle m'a fait clairement comprendre qu'il n'en était pas question, dit tranquillement Dumbledore.
Et Harry comprenait pourquoi. Morgane venait de lui décocher le regard le plus meurtrier de tout son répertoire.
- Alors? dit-il d'un ton qu'il espérait amical. Qu'est-ce que tu venais faire là?
- La même chose que toi, répondit-elle en haussant les épaules.
- Très bien. Qu'est-ce que je venais faire là?
Elle le fusilla du regard mais ne dit rien.
- Je peux peut-être vous dépanner, dit Dumbledore d'un ton neutre. Vous venez me demander la vérité sur les origines de Miss Wakewage. Et vous venez me demander si Lord Voldemort est bien définitivement mort. Et vous venez enfin pour savoir pourquoi moi, le seul Sorcier qu'Il ait jamais craint, je n'ai jamais rien fait pour l'arrêter.
- Je la connais! protesta Morgane. La vérité. Les raisons. Je le sais!
- Moi je ne sais pas, intervint Harry. Allez-y, professeur.
- Que voulez-vous entendre d'abord? Les raisons de mon énorme traîtrise? Ou bien les véritables circonstances de la mort de vos parents?
Harry observait attentivement l'expression de la jeune fille — sa sœur! Pour la première fois depuis une semaine, il avait l'occasion de l'étudier en détails. Il cherchait la ressemblance, il la cherchait de toutes ses forces... après tout, il avait bien réussi à la voir, à comprendre par lui-même... Mais il n'y arrivait plus. Tout était là, il y avait le nez droit, un peu trop grand, le front rond noyé sous les mèches rebelles qui refusaient de s'aligner sagement, le menton fin, la ligne de la mâchoire, l'arc de cercle bien tracé des sourcils... et les yeux, si verts, si évidents... Mais il ne se reconnaissait pas, il ne reconnaissait pas Lily. Morgane était de la famille et en même temps elle était totalement à part.
Mais il trouva la réponse tout seul. Elle portait un masque. Elle s'était forgé un masque, avec la colère et la soif de vengeance, et à l'aide de la magie aussi, et personne n'avait pu remarquer la ressemblance des traits parce que la seule chose qu'on voyait en la regardant, c'était ce masque de dureté et de colère froide.
Et il s'était doucement fissuré, ce masque. À mesure qu'ils devenaient plus proches, tout au long de l'année, des écailles s'en étaient détachées. Sur la fin, elle s'était présentée à lui à visage ouvert, et il l'avait reconnue. Il ferma les yeux sur toute une foule de souvenirs, des rêves qui n'en étaient pas vraiment où ils avaient fait connaissance... Qu'avait-elle dit ce jour où elle l'avait embrassé, au bord d'un lac où tournaient les voiles blanches? "C'était la dernière occasion de le faire"? À l'époque, il avait pris ça comme un signe qu'ils allaient être séparés, morts... À présent, il se demandait le sens réel de cette phrase.
Il repensa alors à une autre révélation qu'elle lui avait faite. Elle avait dit que Voldemort lui avait donné la vie. Et elle lui disait qu'elle était sa sœur, la fille de ses parents. Et maintenant, Dumbeldore se proposait d'éclaircir ce mystère. C'était tant mieux, parce que Harry, lui, séchait complètement.
- Allez-y au début, professeur, dit-il d'une voix égale. Racontez tout ce qu'il y a à savoir, depuis le début.
- Tout a commencé, dit Dumbledore, avec la Prophétie.
- Prophétie? fit Harry. Quelle prophétie?
- La prophétie qu'une sorcière a fait avant ta naissance, dit tranquillement le vieux Sorcier. Tu as lu le livre rouge. Tu as compris quel était ce Don dont il était question tout au long de la généalogie des Potter. Il avait disparu depuis plus de deux cent ans. La prophétie disait qu'il réapparaîtrait chez les enfants nés de l'union de James et Lily Potter. Voilà pourquoi Voldemort devait les tuer tous les deux, et toi par-dessus tout. Il avait peur de toi. Peur de ta puissance. Toute Sa vie, depuis qu'Il est revenu, Il était terrorisé par toi. Ce qu'Il craignait le plus, c'est que j'aie entrepris de t'enseigner comment utiliser tes pouvoirs. Voilà pourquoi Il m'a fait éliminer dès qu'Il a pu.
- C'était Lui qui vous faisait maintenir endormi? demanda Harry. Le Médicomage qu'Ana a éliminé, il était à Son service?
Dumbledore prit le temps de réfléchir avant de répondre:
- Je ne crois pas. Pour te dire la vérité, je pense que les ordres venaient du Ministère. Mais d'une manière ou d'une autre, Lord Voldemort s'assurait que je reste bien hors d'état de nuire. Si les ordres du Ministère s'étaient modifiés, Il m'aurait fait aussitôt éliminer.
Harry fronça les sourcils. Morgane regardait fixement le mur opposé.
- Mais pourquoi Fudge aurait-il fait ça? s'étonna le garçon. Il ne pensait tout de même pas...
- Cornélius Fudge avait peur de moi, c'est une évidence. Il pensait que la seule manière de conserver de l'autorité sur les Sorciers de Grande-Bretagne, c'était de les empêcher de se tourner vers moi. Je doute que les évènements lui aient donné raison.
Il y avait de la colère dans les yeux du vieux Sorcier. Il poursuivit:
- Pour en revenir à notre histoire, Lord Voldemort a eu vent de cette prophétie, et voilà pourquoi tes... vos parents ont dû se cacher après ta naissance, Harry. Ils avaient pris Sirius comme Gardien du Secret, et c'était une bonne idée parce que jamais Sirius ne les aurait trahis, mais en même temps c'était stupide parce que Voldemort aurait du être idiot pour ne pas s'y attendre. Voilà pourquoi Sirius s'est senti menacé et les a convaincus de changer de Gardien... Malheureusement pour nous tous.
- Je vous ai vu... dit Harry, sentant sa colère revenir à mesure que Dumbledore évoquait son parrain et ses parents. Dans votre Pensine, je vous ai vu. Vous étiez là le soir d'Halloween, et vous avez tout vu.
Il fut surpris d'entendre Morgane éclater de rire. Agacé, il se tourna vers elle:
- Tu as fait ça? lança-t-elle. Le gentil petit Harry qui va fouiller dans la Pensine du grand Albus Dumbledore! Oh, excusez-moi, c'est trop drôle!
Et elle repartit dans un éclat de rire un rien hystérique. Harry sentit sa colère s'enflammer, mais il se concentra sur Dumbledore. Il voulait savoir ce que le directeur avait à lui apprendre, quoi qu'il lui en coûte.
- Alors? fit-il. Pourquoi êtes-vous resté caché? C'est encore en rapport avec la prophétie?
- En effet, acquiesça Dumbledore. Je suis désolé de la dire, mais j'ai énormément combattu Lord Voldemort. Plus que n'importe qui d'autre. À chaque fois, nous en sommes sortis vivants tous deux, mais de justesse. J'en avais fini par comprendre qu'aucun de nous deux ne pouvait tuer l'autre. Je connaissais Tom Jedusor depuis son adolescence. Je savais mieux que personne quel genre d'être il était. Voilà pourquoi j'aurais dû être le seul à pouvoir Le battre, et pourtant je n'étais pas assez puissant pour ça.
"Et puis voilà que quelqu'un a fait cette prophétie. Autant vous le dire: le monde des Sorciers tout entier a fait le fête en apprenant son contenu. Ils pensaient tous que le digne héritier du Don des Potter serait tout à fait capable de tuer Voldemort. Ils pensaient même qu'il serait envoyé pour ça. Une sorte de messie, de sauveur. Autant vous dire que je n'ai pas voulu ça. C'est une des raisons pour lesquelles je t'ai maintenu à l'écart du monde des Sorciers pendant ton enfance, Harry.
"Mais pour revenir à ta naissance, j'étais à vrai dire le premier à croire que tu serais celui qui nous débarasserait de Lord Voldemort. Et d'après mes excursions dans le domaine de la Vieille Magie, j'avais fini par déterminer que ça se passerait au moment où Il essayerait de te tuer.
"À ma décharge, je dois dire qu'il n'y avait pas grand chose que je pouvais faire. Bien sûr, je pouvais procurer à James et à Lily une protection encore plus grande que celle dont ils disposaient, qui les mettrait à l'abri pour des années ou des siècles, pendant que des dizaines de personnes étaient tuées chaque semaine. Ou alors je pouvais laisser faire les choses. Vous reconnaîtrez que je n'avais pas vraiment le choix.
"Mais ce fut extrêmement dur. James et Lily étaient enfermés dans cette maison de Godric's Hollow depuis huit mois. Tout le monde savait que tu étais né, Harry — ils t'avaient présenté à leurs amis et à tout le monde, avant d'être obligés de se cacher. Mais personne, mis à part Sirius et moi-même, personne ne savait que Lily était de nouveau enceinte.
Une image passa devant les paupière de Harry — sa mère, Lily, enceinte jusqu'aux yeux et courant pour échapper à l'ombre du Mage Noir...
- Voldemort a tué James, continua Dumbledore sombrement. Il a tué James dans l'entrée, juste derrière la porte. Et puis il a couru derrière Lily, qui te portait dans ses bras. Elle est tombée et elle a supplié. Pas pour sa vie, mais pour la tienne, qu'elle tenait serrée contre elle. Elle a supplié mais Voldemort ne pensait qu'à une chose, se débarasser de toi au plus vite. Comme Il n'arrivait pas à la faire lâcher prise, Il l'a tué. À ce moment, le bébé aurait dû mourir aussi. Mais il a continué à vivre, pourtant, encore quelques minutes. Suffisament longtemps pour que Voldemort découvre son état et imagine un plan diabolique... La puissance du Don des Potter, mis à Son service. Un bébé qui n'aurait pas été sali par les apprentissages de ses parents, comme toi, mais qui soit encore pur de toute magie. Il était tellement excité qu'Il t'a laissé de côté, tout hurlant, et s'est occupé de découper le ventre de ta mère. Il en a sorti une petite fille déjà presque morte, à qui Il a insufflé un souffle de vie.
Harry se tourna tout de suite vers Morgane, frappé de stupeur. À la tête qu'elle faisait, il devina aussitôt qu'elle savait déjà toute cette histoire — mais ça ne la lui rendait pas plus agréable. Un rictus d'horreur lui déformait le visage et elle faisait visiblement un gros effort sur elle-même pour ne pas sangloter. "Je lui dois la vie", se souvint-il. Il comprenait avec horreur ce qu'elle avait voulu dire.
- J'aurais dû intervenir, continua implacablement Dumbledore. Jamais je n'aurais dû laisser faire un tel crime sous mes yeux. Je ne cherche pas à m'en excuser. C'est à vous deux de juger de mon attitude. Mais je vous en ai expliqué les raisons, et elles tenaient encore: Lord Voldemort était à deux doigts d'accomplir le geste salvateur. Encore quelques instants, et Il allait tenter de tuer Harry.
Pourtant, avant de le faire, Il prit le temps de contacter l'un de Ses Mangemorts, un dénommé Shrakow qui vivait loin, en Bulgarie, et dont la femme ne pouvait pas avoir d'enfants. Il lui remit le bébé avec pour consigne de s'en occuper comme de sa propre fille, mais surtout de l'élever dans les bonnes traditions des Sang-Purs et de lui inculquer le respect de son Maître. Lorsque j'y repense, tous les actes de Lord Voldemort laissaient à croire qu'Il se doutait de ce qui allait arriver... Et pourtant c'est impossible, sinon Il ne se serait jamais sacrifié de cette manière. La seule explication que j'y vois est qu'Il avait entendu la prophétie et qu'Il avait de sérieux doutes, mais qu'Il espérait pouvoir se débarasser de la menace que tu constituais, Harry, tant que tu n'étais qu'un bébé. L'histoire a prouvé qu'Il avait eu tort.
"Qu'ai-je fait, ensuite? Ai-je volé au secours de la petite Morgane pour l'arracher aux mains du couple Shrakow et l'expédier chez les Dursley, sa seule famille survivante? Ai-je ramassé le petit enfant qui hurlait sur le sol, tout à côté du corps de sa mère, pour l'emmener avec moi? Non. J'ai transplané à l'autre bout du pays, j'ai contacté Hagrid et j'ai fait comme si je n'avais jamais assisté à quoi que ce soit. Personne n'en a jamais rien su.
Dumbledore se tut enfin sur un silence vaguement coupable. Harry fixait la surface du bureau de bois. Il avait un goût amer dans la bouche. Il avait souvent imaginé cet entretien, et souvent imaginé comment il obligerait le directeur de Poudlard à cracher le morceau, à coups de cris et, éventuellement, de magie. L'entendre tout confesser de cette manière avait de quoi troubler.
Il s'aperçut que Morgane s'essuyait les yeux d'un air farouche. Il sentit que lui aussi aurait dû se sentir bouleversé, mais au lieu de cela il n'y avait que du vide. Son cœur avait épuisé ses réserves de bouleversement.
Et voilà que Dumbledore regardait ses mains, absorbé dans de sombres pensées. Harry chercha à retrouver ce regard malicieux, ces petites rides au coin des yeux... En vain. Le vieux Sorcier était épuisé et amaigri. Pour ce qui lui paraissait la toute première fois, il avait vraiment l'air mortel. Bien sûr, tout le monde l'avait cru mort pendant deux mois. Mais ce n'était pas pareil. Une sorte d'aura de magie l'avait entouré même dans cette semi-mort. À présent, il n'avait plus du tout l'air puissant, seulement terriblement, effroyablement vieux. Et puis, avec ce même effroi qui s'emparait parfois de lui quand il réfléchissait à ce qu'il était devenu, Harry découvrit qu'il n'en avait rien à faire. Dumbledore était peut-être le Sorcier le plus puissant du moment — après lui, et sûrement après Morgane aussi — mais ce n'était qu'un vieil abruti sénile et épuisé, aussi bien moralement que physiquement. Il comprit aussi que Dumbledore n'avait jamais envisagé survivre à son vieil ennemi... et que maintenant il était prêt à le suivre dans la mort. Harry se demanda s'il trouvait cela admirablement héroïque... ou effroyablement con.
- Pourquoi ne pas être revenu me chercher après cela? demanda Morgane en rompant la première le silence. Vous avez eu des années pour ça. Vous n'étiez pas obligé de venir tout de suite. Laisser les choses se tasser quelques mois, et puis venir me récupérer. Vous auriez pu me confier à une famille quelconque, et personne n'aurait jamais su qui j'étais, moi la première...
Elle avait prononcé cette dernière phrase avec un détachement feint, mais sa voix la trahissait. Dumbledore n'en fut pas dupe.
- As-tu été malheureuse pendant les années de ton enfance? demanda-t-il très sérieusement.
Morgane lui balança un regard à congeler l'Océan Indien.
- Vous voulez réellement la réponse à cette question? fit-elle avec un mépris non dissimulé.
- Non, je suppose que non, admit l'homme. Tu n'as pas été malheureuse, mais tu n'as pas été heureuse non plus. Tu as été mise dès ton plus jeune âge au courant de ton identité, et tu t'es mise à dévorer des livres sur l'ascension et la chute de Voldemort. Tu as grandi avec cette fissure dans le cœur, de savoir que le nom de Harry Potter était gravé en lettres d'or sur les tablettes de l'Histoire, alors que celui de Morgane Potter était sorti par la porte de derrière. Alors tu t'es forgé un nom: Celle Qui Éveille et Qui Mène à la Guerre. En raccourci: Wakewage. Dans les traités d'histoire de la magie, tu as découvert la véritable essence de l'atavisme qui avait fait resurgir le Don chez Harry et chez toi. Dans les manuels de magie noire, tu as appris à contrôler ce pouvoir. Et puis tu as attendu...
- Comment savez-vous tout ça? hurla Morgane.
Elle haletait, le visage très pâle. Dumbledore la contemplait avec un amusement non dépourvu d'arrières-pensées, et Harry songea qu'il serait stupide de sous-estimer cet homme.
- Dois-je continuer? demanda-t-il paisiblement.
- NON! rugit Morgane.Vous n'avez pas le droit de savoir ça! C'est... ce sont mes mots!
Le sourire agaçant s'accentua. Morgane fit un geste de la main. Ce qui se passa ensuite était incompréhensible pour toute personne autre qu'eux trois. Cela pourrait s'exprimer comme un duel de magie qui aurait duré trois centièmes de secondes et au cours duquel aucun des deux combattants n'aurait bougé le petit doigt. Il y eut un crépitement, et Dumbledore se recula légèrement sur son siège, vaincu, sans se départir de son sourire qui toutefois n'avait plus rien de l'amusement. Quant à Morgane, elle se redressa et posa le poing sur la table:
- Oui, j'ai attendu, dit-elle, continuant elle-même l'histoire. J'ai attendu pendant des années. Quand mon "père" a été libéré de prison, nous sommes revenues nous installer en Bulgarie, ma "mère" et moi. C'est la justice bulgare qui a décidé de mettre fin à sa peine, pourtant à perpétuité. Tout le système de ce pays était rongé par les organisations mangemortes. Nous sommes revenues vivre avec ce serviteur de Voldemort. J'avais dix ans. Depuis, ma conviction n'a fait que s'accroître: je devais me faire une place dans les pages de l'Histoire. Elle a trouvé son apogée à la renaissance de Voldemort. Quelle joie! Je ne m'étais pas trompée, le monde avait besoin de moi pour démolir définitivement ce bâtard.
"Le 18 juillet, j'ai raconté à mon "père" ce que je savais sur Hermione, l'invitée des Krum. La machine infernale était enclenchée. je savais où trouver la Pierre d'Orian, je savais ce que Shrakow allait faire, je savais comment Voldemort allait réagir. Je ne m'étais jamais sentie aussi grisée.
"Mais ce que je n'avais pas prévu, c'est ma réaction en voyant Harry pour la première fois. J'ai eu du mal à tenir le choc.
Elle baissa les yeux, ajouta dans une voix dure comme l'acier:
- Pour compenser, il a bien fallu que je le déteste.
C'était le jour de toutes les grandes révélations. Ainsi, Morgane avait bien été à l'origine de tous les évènements de juillet? Elle avait tiré toutes les ficelles depuis le début? Mais aurait-elle pu prévoir ce qui s'était passé entre Harry et Voldemort, au cours du duel? Et pourtant, toute l'issue en dépendait, puisque sans ce transfert de magie accidentel il n'aurait jamais eu l'idée qui lui avait permis de venir à bout du Mage Noir. Mais alors, comment?
Harry hocha la tête. On pouvait appeler ça du hasard, ou on pouvait appeler ça les manipulations machiavéliques de la Vieille Magie. Alors tant qu'à faire, il préférait n'en rien savoir. S'il commençait à se poser cette question, autant mettre fin à ses jours tout de suite. Parce que, qu'il le veuille ou non, il était lié à la Vieille Magie pour le restant de ses jours.
- Au fait, lança-t-il à Dumbledore. Vous saviez pour Morgane, depuis le début? Pourquoi ne m'avoir rien dit? Et pourquoi ne pas être intervenu dans ses magouilles?
- Elle m'avait demandé de me taire, déclara Dumbledore en regardant la jeune fille dans les yeux. Elle m'avait simplement dit qu'elle avait un plan, et que je risquais de tout gâcher si je m'en mêlais.
Morgane hocha la tête avec un sourire sans joie. Harry insista:
- Donc les mini-mondes dans les couloirs, les élèves blessés, le chaos total dans le château, et... (l'évidence le frappa comme un coup de fouet) l'attentat du terrain de Quidditch, qui a fait des morts parmi les élèves... Tout ça, vous l'avez laissé faire sans sourciller, c'est bien ça?
Cette fois, Morgane et Dumbledore le fixaient tous deux en haussant les sourcils, l'air sincèrement surpris. Harry aurait pu rire de leurs expressions, en d'autres circonstances.
- Tu croyais sincèrement que c'était moi? fit Morgane avec une mimique comique. Les apparitions dans les couloirs? Pourquoi j'aurais perdu mon temps à ça?
Harry se sentit stupide tout à coup. Il s'énerva:
- Tu passais tout ton temps enfermée dans ton sanctuaire! Pour quoi était-ce, sinon pour créer ces choses?
- Je travaillais à mes enchantements pour la nuit, expliqua-t-elle comme si c'était l'évidence même. Diriger les rêves de quelqu'un demande du travail. Même avec mon pouvoir et la Pierre d'Orian, ça me prenait du temps.
- Et les mini-mondes, alors? répéta Harry. Qui d'autre, si ce n'est pas toi?
Elle haussa les épaules et se tourna vers Dumbledore.
- À vous de raconter, dit-elle d'un air inintéressé.
- Très bien. (Dumbledore se rassit sur son siège et se pencha en avant, les mains jointes sur le bureau) Il faut que tu saches, Harry, qu'un certain nombre de personnes avaient les yeux fixés sur toi tout au long de l'année. Tu en connais deux: les mêmes qui sont présents dans cette pièce.
Harry vit clairement Morgane lever les yeux au ciel.
- Miss Wakewage faisait ses propres affaires, avec ses propres moyens. Il me paraît clair qu'elle est celle qui a le mieux réussi. Pour ma part, je te surveillais, je veillais à ce que tu te diriges dans la bonne direction, mais sans trop intervenir. Plutôt que de faire reposer tous nos espoirs sur tes épaules, j'ai toujours préféré réunir nos forces. Ainsi, j'ai engagé un groupe d'Amazone pour la défense du château, et j'ai le regret de dire qu'elles sont toutes mortes au combat. Contrairement à ce dont m'avaient menacé mes détracteurs, elles n'ont pas trahi, même lorsque Lord Voldemort leur a proposé de louer leurs services à un prix supérieur. Leurs noms seront gravés sur le mur de l'école, car elles ont rendu de grands services alors qu'elles n'étaient que des mercenaires.
"J'ai aussi envoyé Hagrid chercher les géants. À ce sujet, j'ai quelques informations dont ne disposent pas les élèves de l'école: les géants ne sont jamais parvenus jusqu'ici, mais ils ont bien répondu à l'appel comme ils avaient promis de le faire. Ils sont tombés sur une bataille en route et ont fait un massacre parmi les créatures de Voldemort, mais ils avaient ainsi honoré leur serment et sont donc rentrés chez eux.
Harry hocha la tête, déçu. Il avait espéré voir un de ces géants, dont Hagrid lui avait fait une impressionante description.
- Quant au troisième groupe, poursuivit Dumbledore, tu serais étonné de savoir à quel point des gens que tu connais... Enfin, bref. Ils s'appellent entre eux le Cercle d'Or. C'est une organisation qui s'est en un temps opposée aux Mangemorts, même si elle restait beaucoup plus secrète.
- Sans blague! fit Morgane. Vous voulez dire que c'est pour ce vieux cercle qu'il travaillait?
Le directeur acquiesça; Harry était intrigué à présent. Quelque chose que Morgane ignorait?
- Qui ça, il? fit-il avec intérêt.
- Bill Weasley, répondit le vieux Sorcier.
Le garçon sentit ses sourcils se hausser:
- Bill Weasley m'observait?
- Oui.
- Il m'espionnait?
- Oui.
- Il transmettait des informations sur moi?
- Oui.
- Qui est dans ce Cercle d'Or?
- Voyons voir, fit Dumbledore en comptant sur ses doigts. Arthur et Molly Weasley. Suzan et Jonas Plauget. Joseph et Martha Weasley. Simone Londubat. Patrice et Niobé Johnson. Pour ne citer que ceux dont les noms te diront quelque chose.
- La grand-mère de Neville? fit Harry? Les parents de Ron et ses oncles et tantes? Les parents d'Angelina?
- Évidemment, je doute que tes camarades soient au courant de quelque chose.
- Et... fit Harry. Qu'est-ce que Bill devait me faire faire?
- Rien de plus que t'amener à combattre Voldemort. Pour ça, il a employé plusieurs techniques: l'une d'elles était de réveiller ta haine, jusqu'à ce que tu n'aie de cesse de L'avoir tué. L'autre était de t'entraîner à combattre, en s'arrangeant pour que tu te retrouves dans des situations dangereuses, au sein des mini-mondes. Je m'étonne qu'il soit allé aussi loin que l'attentat du terrain de Quidditch, cepandant. Le Cercle d'Or montrait plus de respect des vies innocentes, autrefois.
Harry fronça les sourcils. Il avait envie de réfléchir à tout ça au calme.
- Professeur, demanda-t-il en se rappelant une fois de plus l'ancien respect qu'il avait éprouvé pour cet homme, où sont les professeurs? Qu'est-ce que Voldemort en a fait? Et les élèves qui s'étaient rangés à ses côtés, qu'allez-vous leur faire?
- Les Passemorts, qui comme tu le sais ont été épargnés par ton armée, seront libres de poursuivre leurs études à Poudlard s'ils le souhaitent. Je doute que beaucoup d'entre eux en aient l'envie. Je les laisserai libres de passer leurs examens de fin d'année, puis de s'inscrire dans une autre école s'ils le veulent, ou bien de faire autre chose. Quant aux professeurs, comme tu l'as pensé toi-même, Lord Voldemort avait d'autres projets pour eux que de les massacrer. Comme Miss Ana Casona et les autres l'avaient découvert, Il les a tous capturés au début de la bataille, s'attendant à voir Poudlard tomber sous sa coupe. Ça ne s'est pas produit, et voilà l'origine de ce massacre qu'il a été amené à faire parmi les élèves.
- Où sont-ils, alors?
- Ils sont sur le chemin du retour. Ils devraient bientôt arriver. Lorsqu'ils seront là...
Dumbledore avait vraiment l'air d'un vieillard à présent...
- Je partirai, dit-il sans regarder Harry ni Morgane.
- Pourquoi? fit le garçon.
- Parce que j'ai failli à ma mission, et que je ne suis plus digne de diriger cette école. Je n'ai fait que la maintenir, en attendant le retour du professeur MacGonagall. Je lui remettrai alors mes fonctions, et vous ne me verrez plus jamais.
Quelques mois plus tôt, Harry aurait eu le cœur fendu. Maintenant, cela ne lui faisait plus rien.
- Vous devriez vous en aller, à présent, dit le vieil homme. Ne vous en faites pas, vous reverrez bientôt vos professeur. Les cours reprendront alors tant bien que mal.
Harry marcha vers la porte sans se préoccuper de Morgane. Il souriait à l'idée de revoir Hagrid. Ce serait agréable de parler avec une grande personne qui ne soit ni morte, ni complètement tombé dans son estime. À ce qu'il en savait, Hagrid était peut-être la seule personne qui ne l'ait jamais trahi.
Il se sentit vaguement coupable en refermant la porte: Dumbledore avait le visage enfoui dans ses mains. Il n'était plus que l'ombre de lui-même: il avait perdu tout son prestige d'antant.
Mais il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même.
C'est du moins ce dont Harry voulait se convaincre.
**********
Voilà. C'était la fin.
En pénétrant dans l'ancienne Salle Commune de Gryffondor, Harry vit les regards se tourner vers lui. Il salua tout le monde.
Il étaient nombreux à être là. Des Gryffondors, mais aussi des représentants des trois autres maisons. Travaillant de concert à la reconstruction du château. Pour l'heure, ils repeignaient les murs de la salle en une teinte chaude qui s'approchait du doré.
- Salut Harry! fit Ginny comme si son retour était tout à fait naturel.
Elle portait une salopette tachée de peinture et ses cheveux étaient tirés en queue de cheval. Elle était resplendissante.
- Qu'est-ce que tu penses de la couleur? fit-elle. On a hésité à trancher complètement avec le rouge et l'or, on avait pensé à du violet ou du turquoise, mais on s'est dit que c'était bien de garder un souvenir de Gryffondor. Après tout, ça a été la Salle Commune des Gryffondors pendant près de mille ans!
Elle l'entraîna vers un coin où Hermione, vêtue d'un jean troué et d'une vieille chemise, bricolait un grand cadre. L'occupant de la toile avait déserté son domaine, apparemment dérangé par les manipulations dont il était l'objet.
- Ha va Hahhy? fit-elle, des clous dans la bouche.
Le garçon la regarda un moment manipuler avec adresse son marteau et ses clous d'une seule main. Ses mèches d'un blond sombre étaient traversées par un rayon de soleil qui les changeait en fils d'or pur.
- Ron et Ana sont là-bas, dit-elle une fois qu'elle eut planté son dernier clou. Je crois que Ron supervise l'installation du mémorial.
Harry jeta un coup d'œil. Deux ou trois élèves faisaient léviter une plaque sur laquelle étaient gravés les noms des morts. Les noms étaient en tout petit, et la plaque était très grande.
- Pourquoi cette pièce-ci? demanda-t-il d'une voix douce.
- Parce que c'est la plus haute de tout le château, répondit Hermione joyeusement. Parce qu'elle est bien exposée, agréable, et qu'on avait envie d'en faire quelque chose de beau. Je crois savoir que Flora Cagouar et plusieurs autres de troisième année préparent de grands vitraux colorés pour remplacer les fenêtres. Elles ont dit que quand le soleil taperait ça ferait des jeux de lumière magnifiques.
Harry hocha la tête:
- C'est bien. Mais tu ne m'as pas vraiment dit pourquoi ici. Je croyais qu'on devait graver les noms sur le mur extérieur.
Elle remit une mèche derrière son oreille, le regarda. Il était debout et elle assise en tailleur. Elle était belle.
- En fait, le vrai projet, c'était de dédier chaque pièce aux personnes qui sont mortes dedans. La Salle Commune de Serdaigle aurait été le mémorial de la Résistance, la Salle de la Bataille celui de tous les morts au combat... Et puis quelqu'un a proposé de consacrer une seule pièce. Tout le monde a été soulagé. Même si personne n'osait le dire, on ne s'imaginait pas vivre avec des cadavres dans chaque pièce, tout le temps. Déjà qu'il faut vivre avec des morts dans la tête.
- D'où la Salle de Gryffondor?
Hermione acquiesça:
- Tu vois, il n'y aura plus de maisons maintenant. Avec tous les morts qu'il y a eu... on n'a même plus de quoi remplir une classe de chaque niveau. Alors à quoi bon s'obstiner dans cette stupide séparation qui créait de la rivalité? On s'est tous battus ensemble. Tout le monde a été d'accord sur ce point, même les Serpentards.
Elle se leva, sortit sa baguette de sa poche:
- Bon, fit-elle, maintenant il s'agit de raccrocher ce vieux pépère!
Harry la regarda faire léviter le lourd cadre, haut, plus haut... jusqu'à ce qu'elle relâche et qu'il retombe en s'encastrant parfaitement sur l'accroche prévue à son effet.
- Tu sais, dit-il lentement. Tu n'avais jamais réussi à utilise ta baguette avec ta main gauche, avant.
- C'est vrai, dit-elle.
- Maintenant tu y arrives.
- Oui.
- Ça ne peut vouloir dire qu'une chose, fit encore Harry.
- Je le pense aussi.
- Ça veut dire que... le maléfice qui était fixé sur ton bras, l'autre, a disparu.
Elle ne répondit rien.
- Donc, poursuivit le garçon, logiquement, tu dois pouvoir regagner ta main manquante.
Cett fois, elle le regarda dans les yeux. Son expression était indéchiffrable.
- Est-ce que... fit Harry. Est-ce que tu voudrais que je te la refasse?
- J'attendais que tu me le proposes, chuchota Hermione.
Une grande émotion le submergea. Il la serra dans ses bras, et elle s'y blottit avec tendresse. En même temps, il sentit les petits tentacules de magie qui s'étendaient... qui fourmillaient...
Hermione se recula et leva devant ses yeux ses mains... ses deux mains. Elle inspira profondément, et ferma les eyux sous le coup de l'émotion.
Puis elle les rouvrit, et ils étaient pleins de bonheur.
- Merci, chuchota-t-elle simplement.
Oui, cette fois c'était bien la fin.
Il n'avait pas voulu venir là seul, mais il n'avait pas non plus le courage de leur demander de l'accompagner. Heureusement, ils se joignirent à lui sans qu'il ait à demander, tout naturellement.
Il y avait Hermione, Ginny. Il y avait Ron et Ana.
La tombe se dressait, solitaire, dans un endroit reculé du parc, à mi-chemin entre la forêt et le lac. C'était une simple pierre sans rien d'écrit dessus, mais eux cinq savaient pour qui elle était là.
Harry s'assit en tailleur sur la terre meuble et déposa son bouquet de chrysanthèmes. Il avait lu quelque part que c'étaient les fleurs de l'immortalité. Maintenant qu'il savait que, sous une forme ou une autre, l'esprit de Sirius subsistait quelque part, il se sentait disposé à croire à ce genre de symboles.
Le chaud soleil de printemps faisait fleurir la nature. Un parfum de pollen flottait dans les airs, porteur de souvenirs et de mélancolie d'une autre époque, d'un autre temps. Harry aimait bien.
Ils s'assirent à quelques mètres de la tombe et sortirent d'un panier une grande nappe et tout un pique-nique. Les Elfes de maison, qui s'étaient terrés pendant un mois, avaient été si heureux de recevoir à nouveau des ordres de quelqu'un que la moitié d'entre eux avait fondu en larmes.
Ils se régalèrent de toutes sortes de plats ingénieusement emballés et, lorsqu'ils eurent fini, ils avaient tous un poids plutôt conséquent sur l'estomac. Ils se laissèrent alors tomber dans l'herbe et profitèrent de la douceur du temps.
- Et voilà, dit Hermione en regardant passer un nuage, les mains sous la nuque. Dans un mois, on passe nos BUSEs, et après c'est les vacances...
Ron se redressa sur un coude, l'air étonné:
- C'est toi qui parle comme ça, Hermione! Il y a peu de temps, tu aurais dit ça d'un air complètement paniqué. Et le mot "vacances" n'aurait pas fait partie de ta phrase.
- Oui, c'est amusant, hein? fit-elle d'un ton léger. Comme on change...
- Vous croyez qu'il faudrait se soucier de nos BUSEs? demanda Ana d'un ton pas vraiment inquiet.
- Non, répondit Ron, catégorique. Si ils veulent nous faire tous redoubler, qu'ils le fassent, ça leur fera quelques élèves en plus. Et puis de toute façon, on est tous capables d'avoir vingt sur vingt en Duel, Invocation, et je ne parle même pas de la Défense Contre les Forces du Mal! Et zut si on a pas travaillé les Potions, on expliquera à la mère Géranium qu'on a eu d'autres occupations. Elle devrait comprendre, non?
- Ron, tu parles trop, dit Ginny d'une voix endormie.
Ils rirent de l'air penaud du garçon, puis un long moment passa pendant lequel chacun se prélassait. Le soleil était chaud, ils avaient tous enlevé leurs chaussures et les petits insectes escaladaient les orteils de Harry.
À un moment, Ana demanda:
- À votre avis, ils sont passés où Malefoy et les autres? On les a pas revus depuis tout ce temps.
- Soit morts, soit trop occupés à refaire leur vie loin d'ici, au soleil, fit Ron d'un ton dédaigneux. Et c'est bien dommage. J'aurais voulu briser la tête de ce poseur de Malefoy comme une coquille d'œuf.
- Et tu n'aurais pas réussi, dit Harry. Il avait le crâne plus solide qu'une écaille de dragon.
- C'est vrai, opina Ron. Qu'il soit maudit.
- Il l'est déjà, dit Hermione. Je ne lui promets pas beaucoup d'avenir, où qu'il soit allé. Il a son passé de Passemort imprimé au fer blanc dans sa vie.
- À propos d'avenir, dit Ginny, vous avez su que Trelawney était redescendue de sa tour? Elle a réussi à s'y planquer pendant tout ce temps! Incroyable, non?
- Comment elle a fait pour se nourrir? s'étonna Ana.
- À la fin, elle ne devait plus avoir que des vieilles feuilles de thé et le cuir de ses livres, rigola la jeune fille. Mais le plus fou, c'est ce qu'elle a déclaré en réapparaissant: elle a dit qu'elle avait simplement décidé de passer un mois à méditer loin de tout contact, pour sensibiliser encore plus son troisième œil, et elle a feint d'être estomaquée en apprenant que le château avait été occupé un mois par toutes sortes de créatures maléfiques.
- Cette vieille chouette, fit Harry. On a du mal à croire qu'elle soit la seule à être sortie indemne de tout ça.
- Indemne mais amaigrie, fit Ginny. Déjà qu'avant elle n'avait pas grand chose entre la peau et les os...
Ils se perdirent de nouveau en rêverie. Un papillon aux jolies couleurs zigzaguait pas loin. Les nuages blancs dans le ciel avaient des formes comiques.
- Vous pensez faire quoi l'année prochaine? lança Ana après un temps. Je veux dire... moi, je ne me sens pas de reprendre une vie normale après tout ça.
- J'aimerais bien passer quand même mon ASPIC, dit Hermione. Mais... je ne sais pas. Je n'aime pas trop penser à l'avenir. Je préfère savoir que là, en ce moment, je suis bien, et espérer que ça dure.
- Moi c'est pareil, fit Ginny dans un baîllement. Une semaine, c'est la limite de mon imagination. Au-delà... bah, j'imagine qu'un jour il faudra reprendre une vie normale, mais je sais pas si j'en serai capable.
Elle se redressa sur un coude:
- Et toi, Harry?
Le garçon inclina la tête pour regarder les autres. Ils attendaient sa réponse.
- J'ai pas envie de penser à l'avenir, dit-il. Le passé c'est trop douloureux, mais l'avenir, c'est trop inquiétant. Alors là, maintenant, je suis bien, et le reste je m'en fiche. Je souhaite ne plus jamais y penser, à l'avenir.
Et même si ces paroles sonnaient gravement, elles étaient dites sur un ton léger, et c'était juste une constatation. Mais Harry songea qu'un jour, lointain peut-être, mais un jour tout de même, il lui faudrait faire des choix, et avancer.
En attendant, la vie était plus douce que jamais, et malgré toutes ses blessures, Harry Potter, pour une fois, avait une envie irrésistible de sourire.
Mais oui, plus de doute, c'était bel et bien la fin.
Une jolie fin. Pas un happy-end — il y avait eu trop de morts pour ça — mais pas le scénario-catastrophe non plus. Ils avaient des cicatrices, des marques indélébiles de la folie dans leurs corps et leurs esprits, ils en avaient bien trop vu pour leur âge, mais une seule chose comptait vraiment: cette fois, oui, c'était la fin. The End. Stop. Coupez. Rideau.
Le sourire finit par éclore sur ses lèvres. Puis il gagna ses joues, ses yeux et tout son visage, et bientôt, il riait à pleine dents.
********
Et... vous vous demandez peut-être où en sont nos amies les araignées.
Leur vie suit son cours. Un de ces jours, la petite rebelle à la carapace mordorée va piétiner sa couronne et partir à l'aventure. Ses conseillers s'en mordent déjà les mandibules. Leur nouvelle reine n'a pas fini de leur en faire voir de toutes les couleurs.
Oui, sans doute, un jour ou l'autre, elle va jeter le sac sur l'épaule, fourrer un morceau de pain dans sa besace, claquer la porte de son château chèrement acquis et lancer son fil vers l'inconnu. On ne sait pas ce que l'avenir lui réserve, ou nous réserve. Ce qu'on sait, c'est qu'elle ne supporte pas de vivre enfermée, et qu'elle a beaucoup, mais alors beaucoup de nouveaux paysages à découvrir. À explorer.
On lui souhaite bien des aventures, des émotions à flots, un fil éternellement soyeux et résistant et des mandibules toujours acérées. Elle et ses congénères vivent en paix — pour quelques temps. Depuis toujours, des remous ont agité l'histoire des peuples arachnesques de ce château, et ce n'est pas fini. Tant que le soleil se lèvera et se couchera, tant que les vieilles pierres se maintiendront, il en sera toujours ainsi.
Jusqu'à la fin des temps.
— Fin —
Voilà, je l'ai écrit. Ça a pas été facile — tout ce boulot pour trois pauvres petites lettres! Mais il faut bien poser la dernière pierre un jour, en priant pour que l'édifice ne soit pas trop bancal, que tout ne s'effondre pas dans un grondement de fin du monde avec en fond sonore les chœurs de "Collapse of Laputa" — téléchargeable sur www .pathéa. com— pour retourner à la poussière dont chaque chose est issue... Bref.
Aaaah, il y a trop de choses à dire... Alors pour faire bonne mesure, je vais arrêter de polluer cette page qui était supposée se terminer dans l'émotion et je vais laisser parler l'histoire...
Puisque c'est l'occasion ou jamais de le faire, j'en profite quand même pour remercier:
Merci à Harry, Hermione, Ron, Ginny, Morgane et tous les autres de s'être prêtés à mon écriture... j'espère ne pas vous avoir trop malmenés!
Merci à vous tous, lecteurs, reviewers, internautes et autres pottermaniaques qui avez tenu jusqu'ici (petite note spéciale à ceux qui lisent ces lignes uniquement parce qu'ils sont venus voir d'après la chute si ça valait le coup de lire l'histoire en entier: c'est dommage, vous risquez de vous gâcher quelques belles surprises). À tous, je dédie cette fanfiction. Puissiez-vous avoir eu quelques moments de plaisir en la lisant, et en avoir beaucoup d'autres en lisant ou en écrivant vous-même.
Merci beaucoup à Epayss, à Amarante, à ma Julia, à Allulivia (le nom est de moi!!!!) qui ont lu cette fic tout du long et m'ont soutenue et encouragée. Merci à Tex, Laly et à cet idiot de Kojda, qui ne l'ont pas lu et ne sauront jamais qu'ils sont cités ici (si ça arrivait, je retire ce que j'ai dit).
Merci à mon brave Macintosh SE 1/40, vieux comme les montagnes et robuste comme l'australopithèque du même nom. Merci à ma connexion internet (hem hem) et à ma bonne vieille disquette sans qui tout ça ne serait pas vraiment possible.
Merci à Terry Pratchett, JRR Tolkien, Dan Simmons, John Varley, Roger Zelazny, Isaac Asimov, Philip Pullman, René Barjavel, Primo Levi, Charles Baudelaire, sans ordre précis. Merci aux Cranberries, à Lhassa, à System of a Down et à toutes les autres musiques qui m'ont inspiré. Mille excuses aux frères Wachowski, à Peter Jackson, aux Animatrix et à Buffy contre les Vampires (saison 4) pour le pompage éhonté dont ils ont été victimes ^_^.
Merci à Joanne Kate Rowling. Grâce à vous, Mrs Rowling, j'ai pour la première fois de ma vie écrit le mot "fin" à une histoire. J'espère qu'il y en aura beaucoup d'autres.
Pour la première et la dernière fois, Harry Potter et tout son univers ne m'appartiennent pas. Je les ai piqués frauduleusement pour imprimer mon petit bout de rêve à moi sur la vaste voûte étoilée de son monde. Je ne regrette rien du tout.
Adieu et bonjour, comme toujours.
Ona
