Chapitre 2

Le matin, la jeune femme s'éveilla avec la sensation horrible qu'elle n'avait plus de jambe. Le T-Rex avait dû l'avoir finalement. Mais elle ouvrit les yeux, s'assit et constata par elle-même qu'elle avait encore sa jambe. Elle était pansée et elle soupira de soulagement.

Elle regarda autour d'elle, perdue. Elle était dans une maison en bois carrée qui devait faire 6 mètres par 6 mètres et d'une construction vraiment étrange. Il y avait deux hamacs et la maison était partiellement ouverte. Debout, les murs devaient lui arrêter à la taille et le toit était soutenu par quatre poteaux de bois aux coins, la porte de grandeur normale et un poteau en plein centre de la maison.

Des peaux d'animaux pouvaient couvrir les espaces entre le mur et le toit, mais ils étaient tirés sur le côté comme des rideaux pour le moment.

- Bonjour, fit une voix d'homme qui la fit sursauter.

- Où suis-je ? demanda-t-elle immédiatement en regardant l'homme

- Vous êtes chez les Brijikés. Un peuple du plateau. Ils vous ont trouvé et je vous ai soignée.

- Merci, dit-elle en regardant l'homme

L'homme sembla surpris et il se mit à la hauteur de la jeune femme, assise dans le hamac.

- Marguerite ? Me reconnaissez-vous ?

- Comment m'avez-vous appelé ?

- Marguerite… fit l'homme qui semblait inquiet

- C'est mon nom ?

L'homme ouvrit de grands yeux et se releva, suivit de la jeune femme qui grimaça de douleur en sentant sa jambe.

- Vous ne vous souvenez pas de votre nom !?

- Non, avoua-t-elle, je me suis éveillée il y a une semaine sans aucun souvenir. J'étais dans la jungle, au pied d'une rivière.

Malone observa la tête de Marguerite, espérant trouver une bosse ou quelque chose et ce fut le cas. Celui-ci soupira.

- Vous êtes Marguerite Krux et je suis Edward Malone… vous ne vous souvenez vraiment de rien ?

- Marguerite Krux ? Vraiment ? Je trouve que ça ne fait pas très amazonien.  Edward Malone non plus.

- Nous ne sommes pas Amazoniens.

- Nous ? Nous sommes venus ensembles ?

- Oui, dans une expédition.

- Vraiment ?

Malone fronça les sourcils et observa Marguerite. Quelque chose était différent chez elle. Elle semblait plus douce, moins agressive. Son air malicieux avait été troqué contre un air légèrement perdu.

Elle soupira et s'assit. Sa jambe était dans un piteux état, mais pas autant que sa mémoire. Elle ne se souvenait absolument de rien, rien de rien. Qui avait été cet Edward pour elle ? Avait-elle de la famille ? Était-elle mariée ? Des enfants ? Au moins, elle était rassurée de savoir que quelqu'un la connaissait dans ce monde étrange.

Malone s'assit à côté d'elle, un peu perdu.

- Il y a-t-il un détail qui vous revient en tête ?

- Je n'ai pas de famille biologique mais… en même tant… non je ne sais vraiment pas.

- Il n'y a vraiment rien ?

- Je ne sais même pas qui vous étiez pour moi ! Vous me connaissez bien ? Que faites-vous avec des Indiens ici, si nous étions en expédition ?

- Oh seigneur Marguerite, c'est une très longue histoire que vous me demandez de raconter…

- Alors, nous nous connaissions bien ?

- Oui.

Elle avait vraiment changé. Son air pétillant manquait, ses airs menaçants, l'éclat dans ses yeux. Elle donnait l'impression d'être d'une enfant.

- Est-ce qu'il y a quelque chose que je devrais savoir ?

- Sûrement, fit Malone en éclatant de rire, mais pas sur nous deux.

- D'accord, répondit Marguerite en souriant.

À ce moment, Teròn entra dans la Tye et les regarda. Il prononça quelques mots que Malone ne saisit pas.

- Il vous demande si je vais bien, traduit Marguerite

- Vous… vous vous rappelez de toutes les langues ?

- Quoi ? Ce n'est pas normal ?

- Enfin, pour vous si, ce l'est. Dites-lui comment vous allez alors, dit Malone en souriant

Marguerite acquiesça et répliqua au jeune garçon qui fut abasourdi.

- Soleil ! Soleil ! s'exclama le jeune amazonien

- Il vient de vous dire que vous êtes un ange, fit Malone en riant

- Oui… je…

Les autres membres de la tribu s'approchèrent de la Tye, intrigués et regardèrent Marguerite. Teròn, surexcité, regarda Malone et s'exclama en anglais.

- Légende ! Vous rappelez ? Bellajiwé qui connaît les langues ! Les yeux de notre pierre ! Elle est Soleil !

- Calme-toi Teròn, essaya Malone, Je la connais.

Mais trop tard, les autres Brijikés la regardait avec fascination. Malone comprenait quelques mots de leur charabia impressionn : « un ange ne devrait pas porter des vêtements si sales ! », « Il faut la soigner ! » et etc.

L'Américain ne fut pas surpris. Quand il était arrivé, sale et mal en point après avoir été poursuivis par des hommes-singes, les femmes s'étaient occupé de lui pendant des heures. Et le lendemain, il avait accouché l'une d'entre elle… les Brijikés avaient tout de suite pris pour un chaman.

Ils avaient des coutumes étranges, mais étaient le peuple le plus accueillant que Malone n'avait jamais rencontré. Et quand il vit Marguerite accepter de suivre un groupe de personne, il esquissa un sourire, se rappelant son premier jour.

*-*-*

Roxton s'appuya sur le rebord du balcon, légèrement désespéré. Cela faisait plus d'une semaine que Marguerite avait disparu et les explorateurs s'étaient donnés un jour de congé avant de reprendre les recherches.

Finn n'était pas très touchée, même si elle était attristée. Mais sa tristesse provenait plus du fait que Vee était vraiment très mal en point.

La disparition de Marguerite rappelait douloureusement à la princesse du plateau celle de sa mère et de Malone. Elle prenait vraiment très mal le fait qu'elle avait, une fois de plus, perdu quelqu'un qui lui était cher.

Challenger était attristé, se sentant échouer dans sa mission de protéger ses explorateurs. Et il avait appris à beaucoup apprécier Marguerite avec le temps et il avait peur que quelque chose de grave n'ait vraiment eu lieu.

Roxton tentait de ne pas perdre espoir, de se dire qu'elle allait bien… mais la savoir seule, loin de lui et probablement en danger le rendait fou. Il avait peur pour elle et essayait d'être fort, mais quand il ne cherchait pas la jungle frénétiquement pour la retrouver, il avait l'impression de la perdre. Chaque seconde les éloignait et il pleurait silencieusement.

Il avait besoin de sa présence et semblait la rechercher inconsciemment dans la maison de Véronica. Mais chaque fois que sa conscience lui rappelait qu'elle était loin, vulnérable, il se blâmait de ne pas avoir été plus proche lorsqu'elle était tombée dans la rivière Sumerlee…

*-*-*

Le soir, Marguerite alla vers Malone. Celui-ci ne l'avait plus revu de la journée, mais il ne s'inquiétait pas vraiment, sachant que les natifs du plateau étaient doux comme des agneaux… enfin, les Brijikés l'étaient.

Quand il l'aperçut, il fut surpris. Ses vêtements sales et déchirés avaient été troqués par les habits habituels des Brijikés, faits en peau de dinosaures. Ils traitaient la peau pour qu'elle devienne de la couleur désirée, mais gardait toujours la consistance caoutchouteuse. Marguerite portait une jupe longue, comme celle qu'elle avait en arrivant et de couleur brune, mais au niveau de la ceinture, on retrouvait beaucoup de coquillages colorés. Puis elle avait un haut qui ressemblait fort à celui de Véronica…

C'était assez étrange de voir Marguerite Krux, Lady expédiée directement de Londres, habillée comme une Indienne.

- Bonjour, dit celle-ci, J'avais une question à vous poser.

- Allez-y.

- Cela fait combien de temps que vous êtes ici ?

- Deux mois. Je comptais retourner chez nous à la fin de ce mois-ci.

- Nous ? Et quelle date sommes-nous ?

- Venez, je vais vous expliquer…

Ils allèrent s'asseoir dans la Tye de Malone, Marguerite marchant plus lentement à cause de la blessure à sa jambe.

Quand ils furent installés, Malone inspira profondément.

- Nous sommes sur le plateau depuis un peu plus de trois ans. Comme je l'ai dit, nous faisions partit d'une expédition, venue d'Angleterre, un pays lointain et très différent de la jungle.

- Oui, j'ai un vague souvenir des autres pays.

- Avec nous, il y avait trois autres personnes : George Challenger, Arthur Summerlee et Lord John Roxton…

Et il commença à raconter le tout, sans trop de détails. Marguerite l'écoutait, très intéressée. Comment ils avaient perdus leurs compagnons de voyages, comment Véronica les avaient accueillis… il raconta plusieurs de leurs aventures, ses journaux étant au Tree House.

Marguerite portait l'attention d'une enfant qui entend pour la première fois un conte de prince et de princesse. Mais Malone omis volontairement de lui parler des relations de tous. Lui avec Véronica, elle avec Roxton. Il ne voulait pas la troubler plus qu'elle ne l'était déjà.

- Et comment j'étais ? demanda-t-elle souriante

- Comment vous étiez ? Je dois avouer… au début, très mystérieuse. J'avais l'impression que vous auriez pu nous trahir à la première occasion. Mais plus le temps a avancé et plus j'ai commencé à vous connaître, je me suis rendu compte, même si je ne vous connaissais pas au complet que vous étiez une femme courageuse, dévouée, intelligente, espiègle, rusée, un peu grincheuse parfois et…

Marguerite éclata de rire.

- J'étais grincheuse ?

- Oh oui ! Vous n'aimiez pas faire trop d'efforts, ni faire la cuisine…

Les rires de Marguerite redoublèrent et Malone ne put s'empêcher de l'imiter. Elle était totalement différente. Il ne savait pas s'il avait devant lui la femme qu'elle aurait dû si elle n'avait pas passé par tant d'épreuves, mais en tout cas, elle n'était plus Marguerite Krux.

- Pourquoi riez-vous ? demanda-t-il en cessant lui-même

- C'est que, je n'aurais jamais imaginé être ce genre de personne… Mais dites-moi, vous semblez avoir beaucoup apprécié vivre au Tree House… Pourquoi l'avez-vous quitté ?

- Je l'ai quitté temporairement. Et c'est une longue histoire, toute notée dans mon carnet.

- J'aurai l'honneur de le lire ?

- Un autre jour, peut-être.

Extrait du journal de Ned Malone

Marguerite a changé. Elle est comme neuve. Son passé effacé, je ne vois plus en elle la femme espiègle, mystérieuse, effrayant qu'elle avait l'habitude d'être. Je la vois sans ce masque tissé de malheurs et d'horreurs.

Elle est comme une jeune fille qui découvre le monde. Wow, c'est étrange de dire cela. Si l'étincelle de malice s'est éteinte dans ses yeux, celle de bonheur semble briller de mille feux.

Les Brijikés sont tellement différents de tous les autres humains existants ! Jamais je n'aurais pu croire l'histoire d'un tel peuple : Pas de viols, de vols, de meurtres ou autres, tous bons vivants et généreux.

Je crois que je commence à saisir maintenant la différence entre vivre et survivre. Survivre, c'est continuer à avancer dans le temps en combattant les douleurs morales et physiques. Vivre c'est… comme les Brijikés finalement. Ils semblent n'avoir aucun problème. Leur vie se résume à se lever, travailler pour leurs propres besoins et s'amuser quand ils en ont assez. C'est le premier peuple que je connaisse qui vive, décidément.