Chapitre deux : jamais plus.
Legolas ne put s'empêcher de sourire. L'homme avait certes une étrange allure, mais il ne semblait pas animé de mauvaises intentions, et ses yeux noirs pétillants, ainsi que l'assurance qui émanait de lui, le rendaient irrésistiblement charmant. Avant que l'elfe n'eut le temps de répondre, l'étranger s'était avancé et lui avait tendu la main - geste typiquement humain. « Je m'appelle Aragorn, mais il est plus courant que l'on me nomme Grand- Pas. »
Le sourire de Legolas s'effaça, et il lâcha la main de l'homme. «Vous êtes Aragorn.fils d'Arathorn ? » balbutia-t-il. Grand-Pas sourit : «Vous en savez plus sur moi que je n'en sais sur vous. » « Je suis Legolas Vertefeuille, fils de Thranduil de la Forêt Noire » se présenta celui-ci, toujours sous le coup de la nouvelle. Il avait bien sûr entendu parler du fils d'Arathorn, descendant des rois de Numenor, qui avait été recueilli et adopté par le seigneur Elrond. Il savait que le Dunedain avait passé une grande partie de sa vie à Fondcombe, mais c'était après que Legolas lui-même y eut séjourné ; c'est pourquoi ils ne s'étaient jamais rencontrés.
« J'ai déjà entendu parler de vous. » murmura Aragorn. Il sembla réfléchir quelques instants, puis finalement se souvint : « N'est-ce pas votre peuple qui avait la garde de l'étrange bête nommée Gollum ? » « Avions-nous serait plus juste, rectifia l'elfe aux cheveux blonds, la créature en question s'est échappée. »
« Que voilà une fort méchante nouvelle, soupira Aragorn. Mais gardons cela pour le Conseil ; chaque chose en son temps. Je n'étais pas revenu dans cette Maison depuis trop longtemps, et j'avoue que la revoir me comble d'une joie immense. Je veux avoir l'esprit gai pour une soirée au moins, tant que cela est encore possible. M'accompagnerez-vous jusqu'à la Salle à Manger, Legolas ? »
Celui-ci, surpris - quoique flatté d'une certaine manière - de se voir appelé par son prénom par un homme qu'il connaissait à peine, fut encore plus étonné de s'entendre répondre : « Bien sûr, j'en serai honoré, ô grand Roi du Gondor». « Allons, pas de ça maintenant, fit Aragorn dun air sombre. Je ne suis pas plus Roi que ne le serait un simple valet ; vous êtes vous-même prince, si je ne m'abuse. Mais pour ce soir oublions nos titres et amusons à la manière des hobbits : franchement et simplement ! Venez donc, legolas, vous me raconterez les légendes de votre Forêt »
Empoignant le bras de l'elfe, il le conduisit au travers de nombreux couloirs, tout en lui racontant des histoires drôles, auxquelles le Prince de Mirkwood rît aux éclats.. Pourtant, Legolas ne put s'empêcher de songer à ce que Grand Pas lui avait dit : « s'amuser à la manière des hobbits ». Revoyant les deux petits hommes dans la Salle des Bains, l'elfe sourit intérieurement. « Franchement et simplement »...ce n'était pas si éloigné de la réalité. Charmé par cette nouvelle rencontre, l'elfe se sentait à nouveau de bonne humeur.
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La Salle des Banquets était remplie et animée. A un bout de la table trônait Elrond, sa fille à ses côtés. De l'autre côté du semi-elfe était assis un vieux magicien. Les deux hommes conversaient ensemble et Gandalf semblait visiblement contrarié. Tout autour de la table discutaient des convives de différentes races, et l'atmosphère qui régnait en ces lieux aurait presque réussi faire oublier la menace qui pesait sur la Terre du Milieu et ses habitants.
Lorsque Legolas fit irruption dans la pièce, en compagnie d'Aragorn, de nombreuses têtes se tournèrent vers eux. Arwen adressa un grand sourire au fils d'Arathorn, pour l'inviter à le rejoindre, car il y avait une place vacante à côté d'elle. Legolas aperçut Glorfindel, qui lui faisait signe et il se dirigea vers lui, quand une main douce, mais ferme, le retint par l'épaule.
« Vous me quittez déjà, jeune elfe ? » s'attrista Aragorn. L'homme aux cheveux blonds, hypnotisé par l'éclat sombre de ces yeux, ne sut que répondre. Il n'était pas sûr d'avoir envie de quitter le Rôdeur, ne serait-ce que pour un repas. « J'estimais pourtant que nous avions eu une conversation intéressante - brève, certes, mais plaisante » lui chuchota Aragorn. Il était tellement sûr de lui, tellement mature…Pas à la manière d'Elrond, jugea Legolas, car le Rôdeur avait un regard franc et chaleureux, alors que le Seigneur de Fondcombe, dans sa sagesse pouvait sembler hautain et inaccessible. Se rendant compte qu'il fixait intensément le regard d'Aragorn, qui attendait visiblement une réponse, l'elfe se réveilla et dit, reprenant contenance : « Oui, il serait dommage qu'elle cesse en si bon chemin. » « Voilà qui est mieux ! s'exclama Grand-Pas en riant. Venez donc vous asseoir près de moi. »
Il s'installa à un coin de la table, à côté de l'Etoile du Soir, et un nain doté d'une immense barbe rousse accepta de se déplacer vers la gauche, laissant Legolas s'asseoir à table. Lorsqu'il vit quel genre de personne s'était installée à sa place, le petit homme se mit à marmonner quelque chose d'inintelligible dans sa barbe. Le l'elfe l'ignora ; les nains étaient des créatures si peu civilisées !
Il aperçut alors Glorfindel qui lui lançait un regard interrogatif. Legolas haussa les épaules d'un air désolé, quand une voix à sa droite se fit entendre : « Vous connaissez déjà Arwen, je suppose ? » Le jeune elfe se retourna vers Aragorn. « Bien sûr, acquiesça-t-il. Cela faisait longtemps » dit-il en elfique à la « jeune » demoiselle, qui avait autrefois été son amie la plus proche. « De nombreux étés ont passé, approuva celle-ci en lui rendant son sourire. Legolas est venu vivre à Fondcombe durant un certain temps, afin de suivre des cours et de parfaire son apprentissage » expliqua-t-elle à Aragorn.
Celui-ci hocha la tête et s'empara d'un plat de pommes de terre rôties. Il servit d'abord sa voisine, avant d'en faire de même avec l'elfe de la Forêt Noire, et enfin de se servir lui-même. Legolas ne put s'empêcher de remarquer le regard tendre que l'Etoile du Soir avait posé sur le Rôdeur, et se demanda si elle avait des sentiments pour cet homme. Ce n'était pas impossible, il dégageait une telle puissance, une telle noblesse, en dépit de son aspect, que même une femme elfe n'aurait pu se sentir totalement indifférente face à lui.
Le jeune homme aux cheveux blonds observa discrètement les différents convives autour de la table. Il ne les connaissait pas tous, même ceux qui étaient de la race elfique, et certains semblaient venir de loin. A un moment, il aperçut les deux hobbits qu'il avait déjà rencontré plus tôt, ainsi que celui qui était venu annoncer le souper. Il avait l'air abattu, et même les farces de ses deux compagnons ne réussissaient à l'égayer. Legolas eut mal au coeur pour le petit homme - c'était des créatures si sympathiques ! Le hobbit dénommé Pippin lui fit signe, auquel l'elfe répondit, quoiqu' un peu gêné en songeant à la dernière fois où il avait vu les deux petits bonhommes ensemble.
Le souper se déroula gaiement, du moins pour Legolas, qui conversait avec Aragorn et Arwen. Ils rirent beaucoup, et le jeune elfe dut admettre qu'il se moquait -presque- totalement de la proximité d'Elrond, qui de toute façon était absorbé par sa discussion avec Gandalf.
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Plus tard dans la soirée, Legolas se dirigeait vers les écuries. Il avait passé un agréable souper, bien que celui-ci fut écourté par le départ prématuré d'Elrond ; par respect, les elfes ne mangeaient jamais après que leur hôte eut quitté la table. Sur le chemin, l'elfe de Mirkwood se surprit à imaginer ce que serait la vie ici si toutes les menaces qui pesaient sur la terre du Milieu n'étaient plus. Ce serait un endroit tellement calme, tellement harmonieux. Oui, Fondcombe était réellement la seconde maison de l'elfe, et ses chants, ses habitants lui avaient terriblement manqué durant ces années.
La fuite n'avait jamais rien arrangé ; au pire avait-elle ancré des regrets profonds dans son coeur ; l'elfe avait fui ses problèmes, il avait refusé d'affronter la réalité et de se comporter en adulte. Peut-être…parce qu'il n'était pas encore réellement mature à ce moment-là. Les elfes sont immortels ; ils vieillissent très lentement. Mais en contrepartie, ils restent jeunes plus longtemps ; leur maturité est bien plus lente que celle des hommes, pourtant peu réputés pour leur sagesse. Legolas avait plusieurs centaines d'années, mais au fond de lui il sortait à peine de l'adolescence.
L'euphorie du repas et l'effet du vin se dissipèrent peu à peu, et l'elfe aux cheveux blonds était plongé en pleine réflexion lorsqu'il entra dans l'écurie, éclairée malgré l'obscurité de la nuit. Un hennissement familier le sortit de sa méditation. « Quel undome, Mellon* » fit-il en souriant, apercevant son cheval qui avait sorti la tête de son box, le fixant de ses grands yeux noirs. « Toi aussi tu es heureux d'être revenu ici, Gauthiel, » constata-t-il en caressant son animal. Le cheval s'ébroua, ce que Legolas prit pour un oui ; de nombreux animaux comprenaient la langue elfique, sans toutefois en saisir les nuances.
L'elfe passa sa main le long de l'encolure de l'équidé et remarqua que des taches de poils noirs apparaissaient lentement sur celle-ci, ce qu'il n'avait pas vu auparavant. Il se souvint cependant que durant le voyage, sa monture et lui avait traversé tous les milieux ; l'un comme l'autre était passé par toutes les couleurs et teintes de saletés possibles.
« Même pour un membre de la race elfique, il est difficile de garder une pureté constante, » songea le Prince de Mirkwood, ce qui lui arracha un sourire désabusé. Mais ici, l'équidé avait été nettoyé, brossé par des palefreniers elfes, et l'homme aux cheveux blonds dut admettre que jamais le cheval n'avait été aussi resplendissant. « Lle naa vanima* » chuchota-t-il à l'animal en lui flattant le cou. « Je me suis personnellement occupé de lui » déclara une voix derrière lui.
Legolas n'eut pas à se retourner ; un elfe venait d'arriver à côté de lui et s'accouda au box. Son visage bienveillant reflétait une grande maturité, mais l'éclat dans ses yeux indiqua que l'elfe n'était pas aussi vieux qu'il pouvait le paraître. Sa figure ronde était encadrée par des cheveux noirs crollés qui lui arrivaient jusqu'au épaules ; la couleur légèrement ambrée de sa peau et ses traits indiquaient que l'elfe venait du Sud, bien qu'il n'ait pas une trace d'accent de là-bas.
«Il était vraiment dans un état lamentable lorsque tu nous l'as amené » continua-t-il, un sourire éclairant son visage harmonieux. « Gauthiel n'a nul besoin de brosse, la grâce et la force qui l'animent sont naturelles, le coupa froidement Legolas. Je suis fatigué, Fionas, je n'ai vraiment pas le temps de converser. Bonne nuit, Gauthiel. »
Le cheval souffla doucement, tandis que son maître sortait de l'écurie à grandes enjambées. Fionas fut vexé par le comportement de celui qu'il croyait être un ami. Vertefeuille et lui avaient pourtant suivi des cours ensemble, lorsque l'elfe de Mirkwood avait résidé à Fondcombe ; ils avaient d'ailleurs été bons camarades. Le palefrenier aux cheveux noirs ne comprenait pas sa réaction.
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Legolas sortit rapidement de l'écurie et traversa les jardins à toute vitesse. Il ne pensait plus qu'à une chose : retrouver de suite l'intimité de sa chambre et y rester. Alors qu'il arrivait à l'allée principale, il se rendit compte que quelqu'un s'était déjà engagé sur le petit sentier menant aux box. Ne pouvant se résigner à devoir encore passer par tout un protocole de salutation, le jeune elfe se tapit rapidement dans l'ombre d'un grand arbre généreusement fleuri malgré l'automne, et attendit.
Cependant, lorsque la personne passa devant lui, sans le voir, Legolas la reconnut. Son ventre se serra, et d'un seul coup il eut l'impression que ce n'était pas plus tard qu'hier qu'il avait fui Fondcombe. Il aurait voulu se retenir, mais la rancoeur était plus forte que lui ; sans qu'il se souvienne avoir ordonné ça à son corps, il se retrouva au milieu du sentier, poings serrés. « On en change pas les bonnes vieilles habitudes, à ce que je vois !? » s'écria-t-il.
Elrond Semi-elfe se retourna, imperturbable. « Messire Vertefeuille, constata-t-il en haussant les sourcils. Vous aussi appréciez les promenades nocturnes…à ce que je vois ? » « Promenades nocturnes ?! cracha Legolas. Je sais ce que vous alliez faire.»
Il se rapprocha d'Elrond et s'arrêta à un mètre de lui. Ses yeux se rétrécirent. « Vous alliez le rejoindre, n'est-ce pas ? » murmura-t-il, la mâchoire crispée. « J'ignore de quoi vous parlez » dit enfin le semi-elfe d'un air dubitatif, avant de se retourner.
C'en était trop pour le Prince de Mirkwood. Il attrapa le bras d'Elrond, le forçant à lui faire face. « Ne me mentez pas ! Qu'iriez-vous faire aux écuries à cette heure-ci ? Les années ne vous ont pas amélioré, apparemment. » Il bouillonnait de rage, mais le Seigneur de Fondcombe gardait un visage impassible. Finalement, il se pencha vers le jeune elfe et lui souffla, une lueur dans les yeux. « Je suis le seigneur de cette cité, s'il me plaît de me promener à cette heure je le fais ; je n'ai de comptes à rendre à personne, encore moins à un gamin effronté comme vous »
Legolas relâcha son étreinte. Il était en colère, mais le calme de son interlocuteur le perturbait et refroidissait ses ardeurs.
« Pourquoi m'avoir fait ça ? » parvint finalement à articuler le jeune elfe aux cheveux blonds. « Pourquoi ?? » s'exclama Elrond. Il approcha son visage de celui de l'elfe de la Forêt Noire et lui souffla : « Tu t'es moqué de moi, tu m'as rejeté - pour finalement me lancer les pires insultes à la figure. Mais à quoi t'attendais-tu, Legolas ? Tu ne peux pas te conduire en gosse, tout en exigeant que les autres te traitent en adulte ! »
Il se dégagea brusquement de l'étreinte du jeune elfe, trop faible, et lui lança un froid « Bonne nuit, Messire Vertefeuille » avant de disparaître dans la nuit noire.
Legolas resta planté, là, au milieu du chemin, assommé. Combien de temps il resta là, debout, poings serrés, il n'aurait su le dire. Soudain il entendit des voix se rapprocher. Une soudaine curiosité morbide s'empara de lui, et le jeune elfe se cacha derrière l'arbre qui lui avait déjà servi de bouclier tout à l'heure. Silencieux, retenant son souffle, il scruta l'allée. De la droite arrivèrent deux elfes, que Legolas reconnut tout de suite, car il se doutait qu'il les verrait ensemble- et le craignait.
Fionas parlait rapidement, tandis qu'Elrond marchait à ses côtés, sans mot dire. A peine se contentait-il de hocher la tête à certains moments. L'elfe tapi dans l'ombre ne put entendre leur conversation, car aussi bonne ses oreilles fussent-elles, le jeune palefrenier parlait à voix basse, comme s'il craignait d'être entendu - ou de déranger la quiétude de la nuit. Pourtant, lorsqu'ils passèrent devant l'arbre, Elrond sembla enfin s'animer. « Ne te tourmente pour ça, il n'en vaut pas la peine » dit-il d'une voix rassurante - désagréablement affectueuse - à celui qui marchait à ses côtés.
Legolas ne douta pas que c'était de lui dont ils parlaient. Lorsque le Seigneur de Fondcombe et le palefrenier eurent quitté le chemin, il s'élança à toute vitesse vers les écuries et ouvrit précipitamment le box de Gauthiel, qui recula, effrayé, avant de reconnaître son maître. Pourtant, celui-ci avait changé ; il ne l'aborda pas avec douceur, comme il avait l'habitude de la faire, mais lui colla brutalement un mord dans la bouche et lui sauta rudement sur le dos.
« Alors comme ça je n'en vaux pas la peine ! rugit Legolas, qui n'avait plus rien d'elfique en lui ce moment. Et bien, laissons-les seuls, le pervers hypocrite et le suceur de basques ! » Il s'enfonça ses talons dans les flancs de l'étalon, qui traversa l'écurie au triple galop. Gauthiel avait mal à la bouche, car son cavalier ne cessait de tirer sur les rênes pour le diriger. Ils arrivèrent finalement en dehors des jardins et le cheval sauta un mur de pierres, peu haut mais qu'il faillit pourtant manquer à cause de la pénombre, avant de se retrouver dans une forêt sombre.
Il voulait rentrer, mais son maître ne cessait de le pousser, enragé, ne se rendant pas compte que galoper à une telle vitesse dans l'obscurité était extrêmement dangereux, même pour un cheval elfique.
Legolas ne cessait de talonner son étalon ; il voulait partir, partir le plus loin possible - et rapidement. La rage, la colère, le sentiment d'avoir été humilié - la déception- lui ôtaient toute raison.
Soudain le pied de Gauthiel flancha. Le cavalier et sa monture roulèrent au sol, dans un nuage de poussière noire. Une longue minute passa, puis le cheval se releva lentement. Il s'étira et constata avec satisfaction - pour autant qu'un animal puisse éprouver cette émotion-là - qu'il n'avait rien de bien grave, si ce n'est un goût de sang dans la bouche, là où le mord l'avais blessé. Il regarda autour de lui ; une tache blonde sur la mousse, à peine éclairée par la lune, lui indiqua la présence de son propriétaire. Il s'approcha de lui et lui souffla sur le visage, mais l'elfe ne bougeait plus. Gauthiel continua son manège pendant quelques minutes, mais le jeune homme n'avait toujours pas de réaction.
Le cheval dut alors se résoudre à abandonner son maître et souffla une dernière fois dans la chevelure blonde, comme pour lui dire au revoir. Il repartit vers la cité au galop, boitant légèrement.
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L'elfe ouvrit les yeux, mais ne distingua rien, puis à peu ses yeux s'habituèrent à l'obscurité et il constata qu'il se trouvait dans une forêt sombre. Se redressant difficilement - son bras était en sang - il s'assit et essayer de se remémorer les conséquences de sa présence ici. Fionas...Elrond...sa rage de les voir ensemble... exactement la même folie qui s'était emparée de lui, comme autrefois, lorsqu'il les avait surpris tous les deux dans la chambre du Seigneur de Fondcombe. Une fois de plus, il avait fui...
L'elfe aux cheveux blonds avait un goût amer dans la bouche - le goût de la honte. Si seulement son père le voyait en ce moment...Quel piètre roi son fils ferait ! Incapable de se dominer, un comportement digne du plus bâtard des hommes.
Legolas avait envie de pleurer, ce qu'il n'avait plus fait depuis des années. Pourtant les elfes pleuraient souvent - s'ils étaient seuls - car si leur sagesse les aidait à comprendre et apprécier la vie sous toutes ses formes, leur grande sensibilité les y liait profondément. Il était fréquent que des membres de la race elfique se laissent mourir de chagrin....
Pourtant le Prince de Mirkwood se contint ; ce n'était ni le lieu ni le moment pour laisser place aux effusions. Les bois de Fondcombe étaient sûrs, mais l'elfe n'en était pas moins désemparé, et il avait légèrement froid. Pourtant, ceux de sa race supportaient habituellement des différences de températures assez importantes ; cela confirmait l'impression qu'il avait que ce froid et cette obscurité étaient dus à autre chose que la simple météo.
Il se releva lentement et vit qu'une pierre - ou une branche, qu'en savait- il - avait creusé une large entaille dans son bras gauche. Fort heureusement, la blessure semblait superficielle, et ne le faisait pas trop souffrir. Soudain son attention fut attirée par un léger mouvement dans les fourrés, à quelques mètres de lui. Legolas ne bougea pas, mais son regard rencontra deux yeux jaunes qui le fixaient. N'étant pas certain de vouloir connaître l'identité de leur propriétaire, le jeune elfe se retourna et chercha son cheval. Mais Gauthiel l'avait abandonné.
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Les filles de Molohr l'avaient averti qu'un homme à cheval traversait la forêt à toute allure, mais celui-ci n'avait rien dit, car selon ce que sa propre mère lui répétait, « les chevaux elfiques ont des ailes qui les rendent aussi insaisissables que l'eau entre tes crocs ». Pourtant, son premier-né revint peu après, l'informant que le cavalier et sa monture avaient chuté et qu'aucun des deux ne s'étaient relevés. Il n'avait osé s'approcher d'eux, préférant venir avertir sa famille.
Molohr se levait à peine que ses filles partaient déjà, babines retroussées. « Attendez ! » gronda-t-il. Le chef de meute passa devant, suivi par sa progéniture déjà adulte - sa compagne avait été dévorée par des Orcs il y a des années déjà. Lorsqu'il arriva à l'endroit que son fils lui avait indiqué, il se tapit dans l'ombre, intimant à ses enfants d'en faire de même, et observa.
Il n'y avait nul trace du cheval ; en revanche, un bipède - homme ou elfe, il ne pouvait le discerner - était étendu sur la mousse au bord du chemin. Il sentit son estomac gémir. Depuis leur arrivée dans cette forêt, il y a quelques semaines, sa famille et lui n'avaient eu que peu de gibier à se mettre sous la dent. Il semblait en effet que la forêt était vivante, et qu'elle empêchait les étrangers de s'y installer trop aisément à son goût. Pourtant ces bois avaient été si tentants, surtout depuis que la plupart des terres (celles où habitait autrefois Molohr, notamment) avaient commencé à pourrir, envahies par les Orcs et autres créatures immondes.
Il décida finalement que le moment était venu de bouger, puisque l'humain semblait inconscient - ou mort. Au même moment, celui-ci se releva - difficilement - et croisa son regard. Même dans la pénombre, Molohr perçut l'éclat bleu. Un elfe...
Ils se jaugèrent tous les deux pendant un long moment, sans que l'un ne fasse un geste, puis brusquement l'elfe se retourna, cherchant visiblement quelqu'un - ou quelque chose.
Molohr en profita et bondit.
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A peine Legolas se rendit-il compte que son cheval avait disparu, qu'un instinct elfique l'avertit de la présence du danger. Il eut juste le temps de faire un bond sur le côté et de voir un immense loup noir s'écraser au sol là où il se trouvait la seconde auparavant. Le jeune elfe tendit immédiatement sa main vers son arc - qui était resté à côté de son lit, bien à l'abri, dans la cité. Il fouilla alors le long de sa botte, priant pour que son poignard y soit, alors que le loup revenait vers lui en hérissant le poil.
Legolas réussit à l'esquiver mais sa lame maladroite ne fit qu'effleurer la bête. Celle-ci se retourna alors et se mit à grogner, sans pourtant bouger de place. Serrant fortement son couteau, l'elfe aux cheveux blonds s'étonna de voir le monstre ne plus rien tenter. Il comprit une seconde trop tard - lorsque des grondements se firent entendre dans son dos. Il se retourna vivement, pour découvrir que trois autres loups, de tailles moindres mais non négligeables, s'étaient placés autour de lui.
Tentant sa chance, Legolas plongea vers celui du milieu, qui sembla surpris par cette attaque rapide. La lame fendit l'air et l'elfe put sentir du sang chaud couler sur sa main. Il ne s'arrêta pourtant pas pour voir s'il avait tué la bête - il espérait l'avoir juste neutralisé - et courut à toute vitesse. Risquant un regard par dessus son épaule, il vit que deux des loups le suivaient ; le troisième était resté près de l'animal blessé.
Mais la nuit est trompeuse, tant pour les chevaux que pour les hommes ; le Prince se prit les pieds dans une racine qu'il n'avait pas vue et roula sur plusieurs mètres. Il croyait déjà sentir l'haleine du loup noir, lorsqu'un cri retentit au loin, qui lui redonna de la chaleur et de l'espoir. « Gauthiel... » murmura-t-il.
Les deux bêtes reculèrent et la plus jeune gémit, avant de finalement s'enfuir. Pourtant le vieux loup noir restait là, et Legolas put lire dans ses yeux une voracité telle que ni un hennissement lointain ni une lame - aussi effilée soit-elle - ne saurait l'arrêter.
En un bond le monstre fut sur lui ; le jeune elfe attrapa sa mâchoire, qu'il serra de toutes ses forces. Son poignard était tombé à 40 centimètres de sa tête - autant dire l'autre bout du monde.
Les grosses pattes du loup griffaient les habits de l'elfe, qui fut bientôt en sang, mais il tenait bon. Pourtant la bête, qui était d'une force rare, parvint à se dégager la tête d'un coup sec ; l'homme aux cheveux blonds vit ses crocs étincelants de bave. Il se prépara à mourir - pourvu que l'animal le tue rapidement. Durant 1 millième de seconde, le jeune homme se crut mort. Sa dernière vision aurait été pour le magnifique astre lunaire, à qui les nuages sombres laissèrent la place, éclairant le chemin et les bois.
Soudain, une ombre surgit devant lui, repoussant le vieux loup d'un coup d'épée. Celui-ci, hargneux, sauta sur ce nouvel adversaire, qui le frappa à nouveau en poussant un grand cri, ce qui arracha à la bête un gémissement de douleur.
Legolas fut ébloui par la puissance qui se dégageait de l'elfe aux cheveux sombres, lequel se dressait face au monstre. Le loup noir décida que cela devenait trop dangereux pour lui ; il s'en retourna, dans un dernier grognement, et disparut dans la nuit noire.
Quelque chose de doux frôla le visage de legolas, qui releva la tête. « Gauthiel...je suis désolé... » murmura-t-il, mais il souffrait trop. Un visage se pencha au-dessus de lui, rassurant. « Je vais m'occuper de toi, fils de Thranduil, tu n'as plus rien à craindre.»
Elrond se releva et rangea son épée dans son fourreau. « Glorfindel, ordonna-t-il à celui qui venait d'arriver au grand galop, aidez-moi, je vais le prendre devant moi sur Féol » L'elfe blessé se sentit soulevé et posé délicatement - quoique douloureusement - sur le garrot d'un grand cheval. Il eut conscience de bras qui l'entourèrent, l'empêchant de tomber, puis finalement du cheval qui partit au pas - ou était-ce du galop ? - puis il tomba dans les ténèbres.
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Aragorn attrapa une mèche et la laissa glisser entre ses doigts. A chaque fois, il s'émerveillait de la douceur de ses cheveux...L'elfe prit délicatement sa main et l'écarta doucement de sa chevelure, la posant sur son coeur. Elle sourit au fils d'Arathorn. Nul besoin de mots entre eux, ils s'aimaient, se faisaient l'amour lorsque leurs yeux se croisaient.
Aragorn senti son coeur déborder ; il aurait voulu dire des mots que même la langue elfique ne possédait pas. Il ouvrit la bouche, puis la referma et se recula légèrement. Le visage d'Arwen s'assombrit. « Vous êtes troublé. » s'inquiéta-t-elle.
Le Rôdeur secoua la tête puis finalement prit les mains de l'elfe dans les siennes. Oui, il était troublé - troublé par elle, mais c'était alors une trouble délicieux, qui se renforçait paradoxalement avec le temps. Pourtant, il y avait autre chose.
Il savait que l'Anneau ne resterait pas à Fondcombe, et au fond de lui-même l'homme aux cheveux bruns devinait qu'il ne resterait pas longtemps dans la cité de son enfance. Inconsciemment, il sentait qu'il devrait bientôt se séparer de la femme la plus importante à ses yeux. Sa place était auprès des hommes, il devait se battre contre l'Ombre. De nombreux elfes avaient commencé à migrer vers les Havres et Aragorn soupçonnait Elrond de vouloir partir lui aussi - avec sa fille.
Arwen posa sa main sur sa joue. Dans son regard se lisait toute la confiance qu'elle portait à l'homme. Celui-ci lui fut reconnaissant de ne pas le presser - la femme elfe comprenait ses indécisions et ne l'obligeait jamais à s'exprimer, elle le respectait bien trop pour cela.
Le Dunedain embrassa la main de son amante et se décida à lui faire part de ses craintes - sans savoir par où commencer. Il avait tant à dire... « Undomiel, mon étoile. Nous devons..... » Mais l'héritier du Gondor fut brusquement interrompu par un bruit de galopade effréné, suivi d'un hennissement bref.
Les deux amoureux se retournèrent, étonnés. Pourtant, plus rien dans la nuit noire ne leur indiquait d'où était venue cette agitation. Soudain une voix anxieuse se fit entendre quelques allées plus loin. Aragorn s'élança, suivi par Arwen - dont la longue robe argentée gênait la course.
« Estel ! » s'écria Glorfindel en les voyant, descendant de son cheval. Il s'approcha des deux arrivants. Legolas a été attaqué par des loups, son cheval est venu nous avertir. » Il semblait inquiet, ce qui laissa supposer au Rôdeur que l'elfe qu'il avait rencontré quelques heures plus tôt devait être gravement blessé. Il vit Elrond sauter en bas de son immense jument noire et attraper une petite forme inerte à l'avant de la selle.
«Fionas ! Rentre les chevaux et soigne le blanc, » ordonna le Seigneur de Fondcombe au palefrenier, qui se dépêcha de lui obéir. « Père, que s'est-il passé ? » demanda Arwen. Elrond s'arrêta, et une étrange expression passa sur son visage lorsqu'il se rendit compte que sa fille et Aragorn étaient ensemble juste avant qu'il n'arrive. Il sentit que l'elfe blessé glissait, il essaya de la rattraper tant bien que mal.
« Ce n'est pas important, tu ferais mieux de rentrer, lui conseilla-t-il. Estel, aidez-moi à le porter»
Aragorn retint de justesse Legolas et l'agrippa. « Ca va aller maintenant, appuyez-vous sur nous » l'encouragea-t-il, car un léger mouvement du blessé lui apprit que celui-ci avait repris connaissance.
Quelques elfes - préférant le calme d'une balade nocturne à l'inactivité d'un sommeil inutile - avaient accouru, formant un petit attroupement. « Allons, faites de la place ! ordonna Elrond. Estel, hâtons-nous. » Les deux hommes se dépêchèrent, en essayant de ne pas faire souffrir l'elfe blessé, d'aller jusqu'à la chambre de celui-ci. Une fois à l'intérieur, ils l'allongèrent délicatement sur le lit, puis Elrond se releva brusquement et ferma la porte devant laquelle s'agglutinaient des elfes, désireux de savoir ce qui s'était passé. Il n'eut pas un mot pour Aragorn et revint jusqu'au lit, où il commença à examiner les blessures de Legolas, soulevant ça et là des morceaux de vêtements, déjà déchirés..
« Bien, dit-il après un certain temps, ses plaies ne sont pas profondes, je pourrai aisément les soigner. En revanche celle-ci m'inquiète. »
L'elfe couché sur le lit avait en effet une large entaille au flanc, témoignant de la grosseur extraordinaire des griffes du Vieux Noir. Le Seigneur de Fondcombe se retourna et prit de l'eau dans une bassine située sur une commode, tandis qu'Aragorn vérifiait si le Prince de Mirkwood était toujours conscient - ses yeux étaient semi-ouverts, vitreux.
A ce moment, Legolas se réveilla totalement, et il put mieux discerner la réalité. Il sentait son corps douloureux à de maints endroits, mais une autre vision le fascina au point de lui faire oublier la douleur.
Au-dessus de lui se dressait le visage du noble descendant des rois du Numenor, tel un ange qui lui aurait donné une seconde chance de vivre. Il essaya de parler, mais ne réussi qu'à produire un son pitoyable.
« Vous pouvez dormir si vous le voulez, mon ami, le rassura le fils d'Arathorn, qui savait maintenant que la vie du jeune elfe n'était pas en danger. C'est le coeur rempli d'une émotion nouvelle, d'un sentiment ressuscité, que celui-ci repartit dans le pays du sommeil, l'âme noyée dans deux océans noirs.
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Le Semi-elfe se redressa. « Voilà, soupira-t-il, j'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir. Il doit se reposer à présent. Je vous remercie de m'avoir tenu compagnie, Estel. Vous devriez aller vous coucher, la nuit touche presque à sa fin. Je vais le veiller. » Il s'assit dans un fauteuil dans un coin de la chambre.
Aragorn hocha la tête et se dirigea vers la porte. Pourtant, arrivé à celle- ci, il se retourna. « Dites-moi, commença-t-il...Que s'est-il réellement passé ? J'ai du mal à croire que de simples loups aient réussi à s'en prendre à son cheval... ? » « Pour ma part, admit Elrond, j'ai du mal à croire que de telles bêtes aient pu franchir le Gué et pénétrer dans cette forêt. Nous vivons vraiment des temps sombres... »
Puis, se rendant compte que son fils adoptif attendait une réponse, il reprit : « D'après ce que j'ai compris, il avait décidé de faire une promenade nocturne. Il est descendu de son cheval, sans méfiance - je le comprends, j'avais moi-même toute confiance en ces bois - et les loups en ont profité pour lui sauter dessus. Le cheval a réussi à s'enfuir et revenir jusqu'ici, où il a trouvé Glorfindel. Celui-ci est immédiatement venu m'avertir que la monture de Legolas était revenue seule des bois, et nous sommes partis à sa recherche. »
Aragorn sentit que l'elfe aux cheveux bruns ne lui disait pas toute la vérité. Pourtant, il se contenta de saluer le Seigneur et sortit.
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Un rayon de soleil traversa la fenêtre de la chambre et vint chatouiller les paupières de l'elfe qui dormait sur un lit au centre de celle-ci. Ses yeux s'ouvrirent, puis il se retourna en grognant - et oui même les elfes - pour échapper à la clarté de l'astre.
« Un jour de plus et le Conseil devait se passer de votre délicieux babil » fit une voix à droite du lit.
Legolas se redressa et s'assit, adossé au coussin. Il était agréablement bien, à peine quelques petits étirements dans la hanche gauche, mais il se sentait vraiment reposé. Il enregistra soudain ce qu'il venait d'entendre. « Le Conseil ...? Quel jour sommes-nous !? » demanda-t-il précipitamment.
« Du calme, jeune convalescent, répondit Elrond. J'ai mis bien trop de temps à cicatriser ces vilaines blessures pour que vous ouvriez tout sur un coup de sang ! » Il sourit d'un air paternel. « Quant au Conseil, il ne se déroulera que demain matin ; nous sommes le 24. Vous avez dormi quelques jours, c'était essentiel pour que je puisse vous soigner. Je vous ai personnellement veillé. »
L'elfe blond le regarda, ne sachant trop quoi dire. « Merci » articula-t-il faiblement.
Le Semi-Elfe se leva. « C'était mon devoir », dit-il en parcourant lentement la pièce. Il s'immobilisa, et son visage prit une tout autre expression - son expression habituelle, un mélange de noblesse et de sévérité. « Maintenant que vous êtes rétabli, vous et moi devons parler de certaines choses. »
Legolas ferma les yeux ; il savait qu'il aurait fallu en arriver là de toute façon. Pourtant, il n'avait rien à dire, ou plutôt il estimait que tout avait été dit. Il inspira profondément, se préparant mentalement à ouvrir des portes qu'il eut préféré voir scellées à tout jamais, mais la conversation ne s'orienta pas dans cette direction.
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« En tant que futur roi, votre comportement était tout simplement puéril - et dangereux », déclara Elrond. Il se retourna, fixant le Prince dans les yeux. « Je veux que vous vous rendiez bien compte que si votre cheval n'était pas venu nous avertir, vous seriez dans le ventre d'une dizaine de loups à l'heure qu'il est, et le Conseil aurait du se passer de votre précieux témoignage. »
Legolas conserva un regard neutre. Pourtant, au fond de lui-même, il se sentit plus brisé encore que lors de sa chute et de son attaque. Il ne doutait plus que la froideur du Seigneur de Fondcombe envers lui n'était pas une façade, tel qu'il l'avait cru -espéré - au début, mais bel et bien un sentiment.
Une relation homme-enfant, rien n'avait changé ; l'aîné faisait la morale au jeune chiot inconscient, non pas par affection mais - son soigneur l'avait dit lui-même - par devoir.
L'elfe blond était, aux yeux des membres de sa race, un adulte, quoique jeune, mais pour le seigneur Elrond, il restait un enfant immature et timide qui se révoltait de temps à autres. Pourtant, Legolas dut bien admettre qu'en sa présence, il se comportait réellement comme un gamin et semblait perdre la maturité qu'il avait acquise durant des centaines années. Il s'en voulait pour cela, mais le père de l'Etoile du Soir possédait un tel charisme, une telle sagesse qu'il était impossible de lui tenir tête bien longtemps - sans être impressionné et se maudire de sa propre ignorance.
« Je me moque des causes de votre départ précipité, seulement vous devez comprendre qu'à ce stade il ne vous est plus permis de vous conduire de cette manière. »
Elrond se mit à arpenter la pièce d'un pas calme, et Legolas pria pour qu'il en ait fini avec les réprimandes - il se sentait soudain las. Mais l'elfe aux cheveux sombres n'en avait apparemment pas terminé.
« Je ne suis plus votre professeur, et je le regrette, car j'estime qu'il y a encore de nombreuses qualités qui mériteraient de vous être enseignées - la raison, ainsi que le contrôle de soi, pour commencer. Hélas, le temps manque, je dois donc espérer que vous les acquerrez vous-même. »
Il s'arrêta, au milieu de la pièce, et marqua une pause, tandis que l'elfe convalescent gardait la tête baissée, les yeux dans le vide.
« Nous nous verrons au Conseil ; prenez soin de vous jusque là » conclut-il d'un ton à peine plus chaleureux.
N'importe quel spectateur eut été impressionné par le discours et aurait vu là des recommandations et encouragements faits par un mentor à son élève, mais pour Legolas, les paroles Du Seigneur de Fondcombe étaient aussi froides que les plus hautes cimes du Caradhras. Il acquiesça misérablement et remonta les couvertures jusqu'à la poitrine, malgré le fait que la température matinale fut plus que convenable.
Cela sembla contenter l'elfe qui l'avait réprimandé - tel un gosse - quelques instants plus tôt il hocha la tête et se dirigea vers la porte.
« Vous me haïssez... » murmura le Prince de Mirkwood, plus pour lui-même, les yeux rivés sur sa couverture, qu'il serrait fortement contre lui, comme s'il craignait qu'une bourrasque ne lui souffle.
Ayant l'ouie fine de ceux de sa race, Elrond s'arrêta, mais ne se retourna pas.
« Oui je vous hais, Legolas. Je vous ai détesté dès le premier jour où je vous ai vu, je vous ai haï depuis que vous avez quitté cette cité, je vous ai haï lorsque vous êtes revenu, et plus encore après cette scène aux écuries l'autre soir. »
Tandis que son aîné parlait, une larme glissa le long de la joue de l'elfe assis sur le lit, toujours tête baissée. L'homme qui était debout se retourna, et à cette vision, son ton se radoucit. « Aujourd'hui encore, continua-t-il, baissant sa voix d'un octave et ralentissant délibérément son débit de paroles, ma haine à votre égard n'égale pas celle que je ressens contre moi-même...pour l'amour que je vous porte.... »
Legolas releva la tête, abasourdi. Le Seigneur de Fondcombe aurait voulu le plonger dans la complexité la plus totale et lui ôter toute capacité de raisonnement qu'il ne s'y serait pas mieux pris...il l'ignorait, avouait le détester et maintenant...prétendait l'aimer...
Le jeune elfe songea que cette confusion était peut-être voulue ; il se sentit misérable, si faible, si...facilement manipulable. Pourtant, malgré tout le mal qu'Il lui infligeait, il n'arrivait pas à détester Elrond.
Celui-ci, qui gardait son air imperturbable, haussa un sourcil, interrogatif, devant le convalescent qui s'essuyait rageusement les yeux, honteux de cet acte puéril. Le Seigneur sembla regretter ce qu'il venait de dire. Sans doute pensait-il s'être trompé quant à la véritable raison des larmes de Legolas. A nouveau, il fit demi-tour et se dirigea vers la porte d'un air raide.
« Non ! » s'écria l'elfe blessé, reprenant ses esprits et sortant précipitamment de son lit.
Le Semi-elfe se retourna, étonné.
« Vous ne pouvez prétendre me haïr, et ensuite m'aimer. De quel droit me traitez-vous d'enfant en me faisant la morale, alors que vous-même pouvez être plus cruel que le Seigneur des Ténèbres en personne ?! »
Legolas pleurait de rage à présent, et soudain il vacilla. Elrond le rattrapa juste à temps et le força à se recoucher.
« Jeune idiot ! le gronda-t-il. Vous êtes encore faible, ne vous agitez pas de la sorte. Et ne parlez plus de Lui en ces lieux. »
Le jeune homme de la forêt noire s'adossa au coussin et sembla soudain très intéressé par les arbres colorés que l'on apercevait par la fenêtre. Il ne pouvait lui faire face. C'était à l'autre de s'excuser, de s'expliquer pour tout le mal qu'il lui infligeait, pour les illusions et espoirs maudits qu'il lui donnait.
Elrond, accroupi à côté du lit, ne dit pas un mot. Il se contenta de regarder l'elfe, dont les cheveux habituellement dorés semblaient presque pâles à la lueur du soleil, levé depuis quelques heures déjà - il était déjà 10h30. Une longue minute passa, sans que ni l'un ni l'autre ne consente à ouvrir la bouche, Pourtant, lorsque le Semi-elfe se leva lentement et recula, Legolas craqua :
« D'accord, vous avez gagné ! Je l'admets, quoique vous me fassiez, je ne pourrais jamais vous faire de mal ou vous haïr réellement ; vous seul avez un droit sur ma vie. Maintenant que vous savez que vous avez une victime de plus à torturer par tous les moyens possibles, vous devez être heureux?! » Ses yeux lançaient à présent des éclairs, comme s'ils voulaient contredire ses propos.
« Ne me regardez pas comme ça...murmura le Seigneur de la Cité. S'il y a bien une victime ici, c'est moi. Vous êtes mon bourreau, Legolas ; vous seul pouvez abaisser la hache lorsque vous le désirez. » Il s'agenouilla à nouveau à côté du lit. Son regard noble, ses yeux sombres se plantèrent dans ceux de l'elfe de Mirkwood.
« Mais pourtant...Fionas et vous...l'autre soir... » balbutia celui-ci.
« Fionas est un ami, rien de plus, voire un ancien élève auquel il m'arrive encore de donner des conseils » fit le Semi-Elfe en secouant la tête.
Mais Legolas, dont les larmes avaient séché, s'anima : « Et avant? Lorsque je vous ai surpris, tous les deux, il y a de ça plusieurs décennies, dans votre propre chambre, c'était aussi de l'amitié ?Ou des conseils peut-être?! » « Doucement, le calma Elrond, tu n'as pas encore retrouvé tes forces ; repose-toi encore un peu si tu veux assister au Conseil, ou du moins cesse de
t'agiter. »
Il marqua un temps d'arrêt et baissa la tête, les yeux perdus dans le vague. « Quant à...la dernière fois...Souviens-toi, Legolas, tu m'avais rejeté assez clairement après que nous ayons pourtant vécu des moments merveilleux - pour moi en tout cas - alors que moi-même redécouvrais un sentiment qu'il ne m'avait plus été donné d'éprouver depuis des siècles....J'ai cru que tu étais tombé amoureux de quelqu'un d'autre....Je t'avoue que j'ai longtemps cru que Glorfindel et toi...enfin, peu importe. » Il releva la tête, et l'elfe assis l'admira mentalement pour le contrôle qu'il exerçait sur lui-même, car son visage était redevenu lisse.
« Fionas était juste une compensation - une bien piètre compensation, je l'avoue. Ce n'était pas lui que j'aurais aimé serrer dans mes bras....ce n'était pas à lui que je pensais lorsque nous faisions l'amour...ce n'était d'ailleurs pas de l'amour. Je n'aime qu'une seule personne...à ce point. »
Le Prince de la Forêt Noire ferma les yeux un instant. Lorsqu'ils les rouvrit, des larmes y perlaient - en une seule journée, il avait pleuré plus de fois qu'en 100 ans.
« Vous avez été si froid envers moi. Alors que je me faisais une telle joie de vous revoir - même si à l'époque je n'osais me l'avouer. Vous m'avez laissé creuser ma propre tombe avec mes années d'amour et de bonheur inassouvis, et m'y avez enterré par vos regards dégoûtés et votre attitude humiliante dès que j'ai remis le pied à Fondcombe. »
Il enfouit son visage dans ses mains, honteux, tandis que ses cheveux blonds tombaient en cascade sur ses épaules
Elrond se redressa, s'asseyant délicatement à côté de lui et l'enlaça, posa sa tête sur la sienne.
« Pleure Legolas, pleure si cela te fait du bien. J'ai déjà versé plus de larmes que je ne m'en croyais capable - tu es la première, et la dernière personne à qui je l'avoue. Pardonne-moi si j'ai pu te faire du mal, mon enfant, et sache que j'ai souffert bien plus encore que toi.»
Il embrassa le crâne de l'elfe blessé. Celui-si se rendit compte qu'il avait cessé de pleurer ; il se sentait si bien, tellement protégé dans les bras de l'elfe plus âgé. Il eut soudain la certitude que la vie était magnifique, et qu'au bout du compte, des attentes et de la souffrance, tout finissait toujours bien - du moins le crut-il durant ces quelques secondes de bonheur. Cette impression s'enfuit hélas bien vite.
Il se redressa, tandis que le Semi-Elfe desserrait son étreinte. « Je vous aime, chuchota le futur roi. Je vous aime tant.... »
Entendant ces mots, le Seigneur de Fondcombe attrapa le jeune elfe et le serra encore plus fort, respirant l'odeur de la chevelure claire - de légères senteurs d'humus s'y faisaient encore sentir, le jeune convalescent n'ayant après tout pas encore pu se laver depuis sa fuite dans la forêt. Il eut l'impression que plus de 100 ans venaient de s'effondrer tout-à- coup, et que c'était hier encore qu'il enseignait les planètes à son jeune élève, à moitié nus, allongés sur le balcon, heureux.
« Je vous aime, j'ai besoin de vous, psalmodia l'homme aux cheveux blonds, la vois légèrement étouffée dans la masse de cheveux sombres de son amant. Ne me lâchez plus jamais, je vous en prie, gardez-moi éternellement dans vos bras. »
« Je ne te laisserais plus jamais partir, Legolas » le rassura Elrond. Ils restèrent ainsi enlacés, sur le lit, durant un long moment.
« Non, je ne te laisserai plus t'enfuir, pas maintenant que tu es enfin de retour à Fondcombe » se jura mentalement le Seigneur de la cité du même nom, sachant au fond de lui-même que c'était impossible. Déjà leurs chemins devaient se séparer. Des millénaires de sagesse et d'expérience n'en diminuent pas moins les plaies de l'âme ; Elrond Le maudit une fois de plus. Le Seigneur du Mordor avait déjà pris sa femme il y a bien longtemps, et aujourd'hui encore, par sa faute il devrait se séparer d'une partie de son âme. Tandis que l'autre le quittait également ; elle lui préférait la voie des Hommes. Que resterait-il au plus sage des elfes de la Terre du Milieu, une fois que son coeur serait brisé ?
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* Bonsoir, mon ami.
* Tu es magnifique.
