Le favori

Par Maria Ferrari

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Les personnages et l'univers de Harry Potter appartiennent à J.K. Rowling.

Base : Tomes 1 à 4 de Harry Potter

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—Chapitre 8—

Lucius regardait ses doigts de pied, allongé sur son lit ; les derniers évènements étaient pour le moins déroutants et il ressentait le besoin d'y réfléchir posément. En premier lieu, il se devait de s'attarder sur le coup de théâtre que constituait la venue de Lord Voldemort à Poudlard ; il avait vaincu sa crainte de Dumbledore pour venir le chercher dans l'école même. Il était venu pour lui, il avait pris le risque de se faire prendre juste pour le récupérer. Jusqu'ici, Lucius n'avait pas réalisé jusqu'où le désir à son égard pouvait l'amener. Pouvait-il prendre des risques aussi inconsidérés uniquement pour ses beaux yeux ?

Il avait menacé de tuer son fils – Lucius omettait volontairement que cette menace avait été faite auparavant sur Mike Hanson ; mort ou vivant, il lui importait peu et sa disparition ne l'aurait donc guère ému – ; en lui promettant de tuer son fils s'il ne l'accompagnait pas, Lord Voldemort perdait toute notion de logique propre aux Serpentard : s'il exécutait son ultimatum, il perdait Lucius à jamais ; si Lucius acceptait pour sauver son fils – ce qu'il avait été sur le point de faire –, ça serait de mauvais gré, de peur. Il savait pertinemment que Lord Voldemort tenait à l'avoir par son pouvoir de séduction (orgueil oblige) et que rien ne serait plus jamais pareil s'il devait obtenir ses faveurs par d'autres moyens ; fallait-il qu'il soit désespéré pour en arriver à de telles extrémités. Avait-il tellement besoin de lui ?

A cet instant, deuxième coup de théâtre, son épouse avait débarqué pour dire avec une assurance sans faille que tout allait s'arranger et qu'il ne ferait pas la folie de tuer son fils. Elle avait ensuite parlé à voix basse au principal intéressé. Elle n'avait pas tremblé une seule fois, ne s'était jamais départie de son sourire triomphant… et quelque peu démoniaque. Dommage que Drago se soit précipité sur sa mère sitôt Lord Voldemort parti (c'est qu'il avait eu son lot d'émotions, le chérubin, il avait besoin des bras rassurants de sa môman), il aurait bien parlé à sa femme entre quatre yeux ; qu'est-ce qui avait bien pu lui donner cette soudaine assurance face au Seigneur des Ténèbres ? Elle avait sûrement appris quelque chose d'intéressant depuis les deux derniers jours.

Impressionné par la prestation magistrale de Narcissa, Dumbledore n'avait pas levé le petit doigt pour empêcher Lord Voldemort de s'en aller et ainsi en profiter pour le vaincre ; il s'en mordait peut-être déjà les doigts.

Il oubliait ce cher vieil Igor qui avait débarqué comme un cheveu sur la soupe au beau milieu de ce bazar – il avait vraiment un don pour arriver au mauvais endroit au mauvais moment ! – ; mais cette entrée théâtrale, si elle était fort distrayante, ne l'aidait en rien dans sa réflexion. Quel enseignement fallait-il tirer de tout ça ? Mis à part que Poudlard était un vrai moulin, bien sûr, mais qu'attendre d'autre d'une école dirigée par un grand enfant ? La question que se posait surtout Lucius à présent était : la possessivité et la notion de propriété étaient-elles aussi excessives chez Lord Voldemort ? N'y avait-il pas autre chose ? C'est cette question qu'il poserait à Narcissa dès que Drago aurait lâché celle-ci. Il avait demandé à sa femme de lui apporter des affaires (des habits et son peigne), c'était d'ailleurs la raison de sa venue à Poudlard ; Narcissa savait des choses qu'il ignorait, mais comment aurait-elle pu deviner que Lord Voldemort se trouverait dans l'école et qu'il risquerait de tuer son fils sans son intervention ? Bref, si elle n'avait pas oublié pourquoi elle s'était déplacée jusqu'ici, elle devrait passer par chez lui avant de repartir.

Un doigt choisit cet instant dans sa réflexion pour donner des petits coups successifs sur sa porte.

C'était sûrement elle.

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Lucius pointa un regard appuyé sur la porte pour qu'elle s'ouvre d'elle-même (il n'avait plus besoin d'avoir recours aux formules et à sa baguette depuis des lustres pour ces sortilèges simplistes) ; contrairement aux attentes du blond, ce fut Severus Rogue qui entra.

« Tu n'es pas en train de manger ? s'enquit Lucius, un peu désappointé que ce ne soit pas Narcissa.

— Je mange très peu, et toi ?

— Je n'ai pas d'appétit ce midi. » Lucius se redressa pour s'asseoir sur le lit. « Que me vaut ta visite ? » Severus haussa les sourcils et sa bouche se plia en une légère moue pour lui faire comprendre que l'objet de sa visite coulait de source ; Lucius le comprit. « Evidemment, la visite du Seigneur des Ténèbres à Poudlard n'y est sûrement pas pour rien.

— Quelle perspicacité ! » Severus tira une chaise et s'installa face au blond. « Peux-tu m'expliquer ce qui s'est passé ? Le Seigneur des Ténèbres est venu jusqu'à Poudlard uniquement pour te chercher, c'est un fait qui mérite qu'on y prête attention. »

Lucius ne répondit pas, il observait son ami ; le maître des potions attendit.

« Tu es toujours Mangemort, Severus ?

— Oui, et toi ?

— Je ne l'ai jamais été. »

Severus émit un bref rire moqueur. Que Lucius fasse croire ça aux tribunaux autant qu'il le voulait, mais pensait-il sérieusement réussir à le berner lui ?

« Je ne plaisante pas, c'est la pure vérité. Je n'ai jamais été Mangemort… Du moins, pas vraiment. » Il était inutile de cacher la vérité à Severus ; par contre, il pouvait "l'aménager". « Je n'ai jamais été qu'un jouet entre ses mains.

— Comme nous tous, remarqua Severus dans un haussement d'épaules.

— Tu ne comprends pas : un jouet sexuel », ajouta alors Lucius d'un ton morne. Severus se figea et tendit l'oreille. « Quand il m'a fait cette proposition, je ne me suis pas senti en droit de refuser car je craignais les conséquences de mon refus ; j'ai donc accepté. Je n'ai jamais été vraiment Mangemort, il me réservait pour ses petits jeux.

— Il a abusé de toi ? souffla Severus, semblant soudainement à fleur de peau.

— On ne peut pas vraiment dire ça. Je n'ai jamais rien fait qui aurait pu lui laisser croire que je n'étais pas consentant. »

Lucius ne préférait pas maquiller totalement la vérité. Il n'avait pas envie de faire passer celui qui avait été son amant attitré pendant de longues années pour un minable violeur.

« Bref, cela a été un soulagement sans borne quand il a disparu. Puis, il est revenu. J'ai tenté de l'ignorer, mais il est venu me voir, alors j'ai préféré fuir. Tu as pu constater aujourd'hui qu'il n'a guère apprécié. »

Lucius se fit la réflexion que Severus discernait certainement le vrai du faux dans ses propos ; son ami avait toujours eu un don pour lire entre les lignes. Il le regarda attentivement ; à sa grande stupéfaction, Rogue semblait le croire, ce à la manière d'un jeune enfant ne doutant pas une seconde de la véracité des paroles des "grands".

« Alors, je n'étais pas le seul, dit-il, les yeux perdus dans le vague.

— Pardon ? s'exclama Lucius, soufflé par ce que venait de dire Severus. Que… que… qu'entends-tu par là ?

— Moi aussi, il m'a fait ce genre de propositions, et moi aussi, je ne me suis pas senti en droit de refuser, pour les mêmes raisons. Lucius, je peux te le dire maintenant – après tout, nous sommes exactement dans la même situation tous les deux –, je ne suis pas vraiment Mangemort moi non plus : cela fait des années, quasiment depuis le début, que j'espionne pour le compte de Dumbledore. »

Lucius fut moins soufflé d'apprendre que Severus menait un double jeu depuis des années – il s'était toujours posé des questions à ce sujet sans vraiment pouvoir y répondre – que par ce qu'il avait sous-entendu quelques phrases plus tôt.

« Un jour, j'étais en train de fouiller dans les appartements du Seigneur Ténébreux, poursuivait Severus, heureux de pouvoir enfin parler de cette triste mésaventure. Je croyais qu'il était parti pour un long moment. Il est hélas revenu beaucoup plus tôt que prévu : je me suis fait prendre la main dans le sac. Si tu savais la peur que j'ai eue, j'ai cru que les minutes m'étaient comptées, que ma vie allait s'achever dans un grand éclair vert sur le parquet de sa chambre. Mais au lieu de me tuer – ou au minimum de me torturer pour me faire avouer ce que je faisais – il s'est avancé vers moi pour me caresser la joue. J'étais paralysé. Je ne comprenais pas où il voulait en venir. Puis, il a commencé à ôter mes vêtements tout doucement. C'est là que j'ai compris que ma présence dans sa chambre prêtait à confusion.

— C'était quand ? » demanda brusquement Lucius. Il paraissait en colère soudainement.

« Pardon ?

— C'était quand ? Quand est-ce que cela s'est passé ? »

Severus se trouvait un peu décontenancé ; est-ce que la date avait une quelconque importance ? Il réfléchit tout de même à sa réponse.

« Hé bien, c'était un an ou deux avant qu'il n'aille tuer les Potter.

— Sois plus précis.

— Je ne peux pas ! » Il s'attarda dans ses souvenirs. « Il me semble… oui, c'est ça : au moment où c'est arrivé, tu étais parti en vacances avec ta femme et ton fils fraîchement né.

— J'étais absent ?

— Oui. »

Trompé, il avait été trompé par Voldemort, cet homme l'avait trompé pendant son absence. C'était… vexant. En fait, cela allait au-delà, c'était au tour de Lucius de se sentir trahi.

« Que s'est-il passé ensuite ? demanda-t-il d'un ton éteint.

— Tu t'en doutes bien ! Il m'a… enfin tu vois ! »

Severus n'avait manifestement pas envie de s'étendre sur ce sujet précis.

« C'était comment ?

— Douloureux. Mais cela m'a sauvé la mise, alors, ne faisons pas la fine bouche. »

Lucius comprit en le regardant qu'il n'avait pas ressenti que de la douleur mais qu'il aurait préféré mourir que de l'avouer.

« Donc, tu as couché une fois avec lui, résuma Lucius se raccrochant à cette idée.

— Trois fois », rectifia Severus. Lucius crispa ses poings sur les doigts en entendant ce chiffre. « Maintenant que j'y réfléchis. Aux trois fois, tu étais absent.

— Comment peux-tu en être sûr ?

— Je surveillais beaucoup les allées et venues des autres Mangemorts. Tu étais très souvent présent. C'était toi qui me gênais le plus car tu étais plus souvent là que le Seigneur Ténébreux lui-même. » Severus fronça les sourcils, ce que Lucius lui avait dit donnait une nouvelle perspective à sa présence quasi-continuelle, il était à la disposition du Seigneur des Ténèbres. « Les trois fois où le Seigneur des Ténèbres m'a fait… ce que tu sais, tu n'étais pas là, je pourrais en jurer.

— En résumé, il a comblé mon absence avec le premier venu », jugea Lucius, un brin d'amertume dans la voix. Il s'aperçut de l'état dans lequel ces révélations le mettaient et tenta de se secouer mentalement, de se rappeler qui était vraiment Voldemort : un type désormais parfaitement repoussant et qui avait toujours démontré une possessivité malsaine envers lui. Il n'allait quand même pas pleurer parce qu'un type pareil l'avait fait cocu ! Pourtant, quelle était cette douleur à l'estomac qu'il ressentait maintenant qu'il savait qu'il l'avait trompé ? Sa fierté était atteinte ? Sans doute.

« Aux trois reprises, tu étais consentant ? Je veux dire… tu lui as fait croire que tu l'étais ?

— Bien obligé, je n'allais pas lui avouer la véritable raison pour laquelle j'étais dans sa chambre, si c'était perturbant, ça m'a tout de même bien arrangé qu'il pense ça et je n'allais certainement pas le détromper. Et après l'avoir fait une fois, il aurait trouvé suspect que je refuse aux suivantes… ou pire : vexant car cela aurait pu signifier que j'avais été déçu lors de la première. »

Lucius hocha la tête : son Lord n'était pas un violeur – en tout cas, pas volontairement –, ça, il y tenait. Il n'empêchait : cet infidèle allait entendre parler du pays !