Ch. 6 : Zaïbacher
Dilandau m'assena un coup de poing au visage et je tombais à la renverse, mais me relevais aussitôt, la lèvre ensanglantée.
-Petit démon ! hurlais-je en repartant à la charge.
Je le plaquais violemment contre le mur. Il se dégagea sans difficulté, courut derrière moi et me mit un coup de pied dans les genoux. Je tombais une nouvelle fois, en proie à une violente douleur. Folken nous sépara, furieux.
-Si on ne peut même plus s'amuser... marmonna Dilandau, agacé.
-Toi, tu vas me le payer morveux ! lançais-je.
-Bien sûr... tu n'arrives même pas à me faire une égratignure, femme ! répliqua t-il, un sourire aux lèvres.
Si Folken n'avait pas était là, je me serais jeté sur lui. Mais le jeune homme me retint et m'entraîna vers ma chambre.
-Quand allez-vous cesser ces combats inutiles ? me demanda t-il sèchement.
-Faut bien s'amuser. Il n'y a rien à faire ici.
-Narya et Erya t'attendent pour l'entraînement.
-Nous n'avons plus besoin d'entraînement, vous devriez le savoir.
-Tu n'es pas aussi forte que tu veux bien le croire. Dilandau est plus jeune que toi et il te bat sans difficulté...
-Ah, mais ce gamin n'est pas comme les autres ! Ne faites pas comme si vous n'étiez pas au courant !
Il me regarda, surpris, cherchant à comprendre ce que je voulais dire.
-Vous ne savez pas ? m'exclamais-je.
-Je ne sais pas quoi ?
-Rien... je vais m'entraîner, vous avez raison.
Je quittais précipitamment ma chambre et rejoignais mes deux amies qui se battaient farouchement. Je compris sans difficulté qu'elles s'étaient disputées, à voir les coups qu'elles s'envoyaient.
-Pause ! hurlais-je pour me faire entendre par-dessus le bruit des épées qui s'entrechoquaient. C'est quoi le problème ?
-Elle est furieuse parce que c'est moi que le Seigneur Folken préfère ! répondit Narya sans cesser de se battre avec sa sœur.
-Arrêtez vos idioties... Il vous aime autant l'une que l'autre.
Erya fit valser l'épée de Narya et passa la lame sur sa gorge, sans vraiment appuyer.
-Ne vous battez pas pour un mec. Aucun n'en vaut la peine !
-Tu ne te battrais pas pour Jajuka ? s'exclama Erya, surprise.
-Quoi ? Mais Jajuka c'est mon meilleur ami, je suis pas avec ! Où allez- vous chercher ces bêtises ? De toute façon, je ne risque pas de le revoir.
-Mais, vous étiez si souvent ensemble... me dit Narya. On croyait que... que vous étiez amoureux...
-N'importe quoi ! Je suis tout le temps avec vous et avec Dilandau, ce n'est pas pour ça que je suis amoureuse de vous !
-Mais c'est pas pareil ! On est des filles, et Dilandau n'est qu'un affreux gamin.
-Tu sais, Jajuka, lui, je crois qu'il était amoureux de toi. A la façon dont il te regardait...
-Arrêtez de dire n'importe quoi ! Il n'y a rien d'autre que de l'amitié entre lui et moi !
-Dis donc, c'est qu'elle prend la mouche ! lança Erya en riant, reprenant l'une de mes expressions.
-Ca va... arrêtez...
Je me laissais tomber sur le sol, adossée au mur, et les regardais continuer de se battre, mais cette fois-ci sans colère. Au bout d'une heure environ, je retournais à ma chambre. J'étais fière : au bout de quatre ans à traîner dans ce château, j'avais finit par réussir à me repérer, après de longues années à me tromper de couloirs, et de portes. Cela m'avait tout de même valut de bonne rencontre, comme celle avec Folken par exemple.
J'avais aussi trouvé la chambre d'un jeune lieutenant, Xael, qui devait avoir à peine un ou deux ans de plus que moi. Grand, avec de longs cheveux châtains clairs, les yeux violets, en bref très séduisant, mais pas de la même manière que Folken qui avait comme plus gros atout le mystère qui l'entourait. En chemin, je le croisais. Il me dit qu'il sortait faire un tour dans les jardins et me proposa de l'accompagner, ce que j'acceptais. Mes balades solitaires me pesaient.
Nous nous assîmes dans l'herbe fraîche. Un vent froid soufflait, annonciateur de la pluie, mais le ciel était clair et le soleil brillait malgré tout. Je frissonnais un peu j'avais arrêté de porter la veste de mon uniforme car il faisait assez chaud dans la forteresse. Xael passa un bras autour de mes épaules et m'attira contre lui pour me réchauffer. Je me laissais faire, ça ne voulait pas dire grand chose pour moi.
-Regardez, cette fleur-là, c'est un synis, dit-il en me montrant une fleur bleu pâle au cœur blanc.
Il se pencha, la cueilli et me l'offrit.
-Si je vous connaissez moins, je croirais que vous essayez de me draguer ! m'exclamais-je, hilare.
Un ombre passant dans ses yeux, je compris ma bêtise. Il essayait vraiment de me draguer.
-Oh la boulette... soufflais-je. Désolée, Xael, c'est que... enfin, je sais pas, que croyiez-vous que...
-Ce n'est rien, répondit-il d'une voix dénuée d'émotion.
-Vous n'allez pas me faire la tête ? m'écriais-je.
-Je pensais que, comme nous nous entendions bien...
-Je m'entends bien avec tellement de monde ! Vous comprenez, il n'y a que des hommes ici, et la plupart me sauteraient dessus s'ils pouvaient. Mais, vous étiez si calme, si gentil, je pensais que je n'étais qu'une amie à vos yeux.
-Auriez-vous aimé être plus qu'une amie à mes yeux ? murmura-t-il en plongeant son regard dans le mien.
Je baissais les yeux et me sentais rougir.
-Je ne sais pas. Peut-être que... ça fait quatre ans que je suis ici. Les hommes avec qui j'ai traîné ne me considéraient que comme une amie.
-Vous n'avez pas répondu à ma question, soupira-t-il.
Je me dégageais de son étreinte et me relevais en tapotant mon pantalon pour faire tomber l'herbe accrochée au tissu. Xael ne me lâchait pas des yeux.
-On pourrait en reparler une autre fois, non ? lançais-je.
-Non. Maintenant.
-Oh et puis merde, si vous voulez.
Il me regarda, surpris.
-Vous n'avez jamais entendu une fille dire ça ?
-En fait, c'est surtout que je ne m'attendais à ce que vous acceptiez.
-Vous préférez vous bouffer des râteaux ?
De nouveau, il parut très surpris.
-Vous connaissez peut-être pas cette expression. Très courante chez moi... J'ai froid, je rentre.
-Je ne puis vous accompagner, je dois passer voir mes hommes.
-Si on sort ensemble, on devrait peut-être se tutoyer. Tu sais où est ma chambre ? Passe me voir quand tu veux !
Je partais ensuite, après un sourire. Je remontais dans ma chambre, et trouvais un large miroir. Je supposais que Folken l'avait mis là, sans trop savoir pourquoi. Je ne m'étais pas vue depuis quatre ans, depuis mon arrivée ici en fait, mis à part dans de l'eau ou dans les vitres la nuit. Le miroir me renvoya l'image d'une jeune femme de vingt ans, assez petite, maigre, avec des cheveux bruns très longs, et de grands yeux verts qui semblaient accentuer encore plus la maigreur de mon visage.
Je n'avais jamais eu les cheveux aussi longs. A mon arrivée, ils m'arrivaient seulement aux épaules. Je sortais les laver, puis, retournant dans ma chambre, je sortais un couteau du tiroir de mon bureau et me plaçais en face du miroir. Alors, je les coupais. Quand j'eux finis, ils arrivaient à mon menton. Je recoupais quelques mèches pour faire un dégradé, sans y parvenir vraiment. L'effet était loin d'être formidable, mais c'était à peu près correct. Je me sentais la tête toute légère... Et un ricanement me sortit de mes pensées. Je me retournais et voyais Dilandau.
-Tu te fais belle ? C'est raté ! lança t-il.
-Dégages morveux, je n'ai plus rien à faire de toi. Même te mettre une raclée ne m'intéresse pas... soupirais-je en m'asseyant sur le lit, regardant les mèches de cheveux sur le sol.
Ma remarque ne lui plût pas. Il entra dans la chambre et essaya de me gifler. Je retenais sa main et examinais les petites lignes.
-Il paraît qu'on peut lire l'avenir dans les lignes de la main... murmurais- je. Tu veux connaître ton avenir ?
-Lâches-moi ! répliqua t-il, énervé.
-Voyons, Dilandau...
Je parcourais du doigt les sillons et essayais de me rappeler quelque chose là-dessus. Finalement, j'inventais.
-Tu auras une vie courte mais bien remplie. Pleins de combats, voilà de quoi te rendre heureux ! Mais tu disparaîtras. Et tout le monde sera très heureux de t'oublier. En amour... et bien en amour, rien. Même pas une petite amie. Pourtant, tu n'es pas laid. Mais tu ne trouveras jamais qui que ce soit qui veuillent de toi !
-Lâches-moi ! répéta t-il.
-En famille... il n'y a rien. Bien sûr, puisque tu n'as pas de famille. Et les gens que tu connais te quitteront les uns après les autres.
Je lâchais sa main et lui souriais, satisfaite. Il semblait presque avoir peur. Et pourtant, ce n'était qu'une simple invention.
-Allez, dégages. Et dis à Miguel de venir.
-Fais-le toi-même femme !
-Mon dieu, que tu es malpoli ! Allez, dehors, du balai démon !
Je le poussais dehors et allais jusqu'au dortoir. Miguel contemplait avec ravissement une armure, qui me semblait bien lourde pour un garçon si jeune.
-Tu as vu ? s'exclama t-il en s'apercevant de ma présence. C'est une armure ! Mon armure ! -Elle est très jolie ! Très sombre, mais très jolie. C'est pas un peu lourd pour toi ?
-Il suffit que je m'habitue... Une vraie armure... ça c'est chouette.
-Si tu le dis...
-Tu m'aides à la mettre ? J'ai essayé mais euh... j'y arrive pas tout seul.
Je me retenais d'éclater de rire et commençais à essayer de trouver comment ouvrir cette boite de conserve géante tandis que le garçon enfilait des vêtements plus adéquats. Je l'aidais ensuite à la mettre. Il sembla alors plus grand, plus fort.
-Et bien ! On ne dirait plus la même personne ! m'exclamais-je, amusée.
-Je sais même pas de quoi j'ai l'air ! Je suis bien ? Tu es sûre ? Ca me fait pas une grosse tête ?
J'explosais de rire, ne pouvant pas me retenir plus longtemps. Miguel me lança un regard blessé.
-On dirait un petit homme ! lui dit-je en essuyant les larmes qui roulaient sur mes joues d'avoir tant ri. Viens, il y a un miroir dans ma chambre.
Il marcha avec difficulté à travers les couloirs, me faisait penser à un astronaute, et je m'efforçais de retenir mon fou rire pour ne pas le vexer. Arrivé dans ma chambre, il se regarda avec surprise, semblant à peine se reconnaître.
-Finalement, je vais peut-être bien t'épouser... lui soufflais-je à l'oreille avant de l'embrasser sur la joue.
Il rougit violemment, fit un pas en arrière et s'étala de tout son long. Je me remis à rire et le relevais avec une certaine difficulté, à cause de la lourde armure.
-Je te fais tant d'effet ? m'exclamais-je.
-Arrêtes de te moquer de moi...
-Miguel ! cria une voix bien connue derrière nous.
-Encore toi Dilandau... soupirais-je. Mais tu ne peux pas te passer de moi ou quoi ?
-Vas rejoindre les autres, dit-il sèchement à mon petit Miguel.
-Bien, Seigneur Dilandau, répondit Miguel en se retirant.
-Seigneur Dilandau ? Hé bah, pourquoi pas... Petit Dilandau deviendra grand, enfin, avant de mourir, lançais-je d'un air narquois.
-Tais-toi femme.
-Petit Dilandau vexé ? Petit Dilandau pas content ? Ouh non, petit Dilandau pas content du tout ! Dilandau, mon copain, c'est pour rire, non ? Petit Dilandau ! Boude pas, mon copain !
-Tu n'es vraiment qu'une garce, marmonna t-il en me regardant de haut en bas.
-Voyons, Dilandau, est-ce ainsi que l'on doit parler à une si charmante demoiselle ? demanda Xael en arrivant derrière lui. Tiens, tu as coupé tes cheveux ! Tu es très jolie comme ça, ajouta t-il en souriant.
Il se retourna vivement et leva les yeux vers mon nouveau petit ami, et je constatais avec satisfaction qu'il était beaucoup plus petit.
-Allez, dehors le morveux !
Xael s'approcha de moi et me fit un baisemain. Je faillis rire à nouveau en voyant la mine dégoûtée du gamin.
-Tu ne feras jamais ça ! N'oublis pas ce que je t'ai dit ! lançais-je avant de refermer la porte du pied.
Dilandau manqua de se la prendre dans la tête, se reculant juste à temps. J'entendis le bruit de ses pas résonnant dans le couloir.
-Pauvre enfant, soupira le jeune homme.
-C'est un véritable démon oui ! répondis-je, sur la défensive.
-Imagine un peu... si jeune et déjà formé à se battre.
-Il n'a pas l'air contre, boudais-je.
-Voyons, Sophia, ne fais pas la tête. Toute sa vie, on a dû lui répéter ça. Depuis qu'il doit être en âge de comprendre même.
J'eus presque envie de lui dire qu'avant, ce n'était qu'une petite fille innocente, mais me retint à temps.
-Tu as déjà visité une ville de Zaïbacher ? me demanda t-il soudain.
-Non, je ne suis jamais sorti d'ici, sauf pour aller à cette fête, la Nuit de Glace...
-Ah oui ? Etait-ce quand... ?
-Oui. Malheureusement. Je me serais bien passée de voir ce massacre...
-J'y étais aussi. Pas à la fête, mais avec les guerriers. Je dirigeais mes hommes. Ca ne m'a pas plût non plus. Enfin, tu aimerais visiter une ville ?
-Oui, je pense que ça me plairait. Mais je ne crois pas que le Seigneur Folken serait très heureux que je sorte.
-Tu es sous ses ordres ?
-Tout le monde est sous ses ordres, non ?
-Ce n'est qu'un général parmi tant d'autres... Il n'arrive pas à la cheville du mien. Un vrai démon dans les combats ! Si tu avais vu nos entraînements... c'était époustouflant.
-A ce point ? répondis-je, faisant semblant de m'intéresser.
-Mais je suppose que ce genre de choses ne t'intéresse pas. Ne t'inquiète pas pour Folken, de toute façon, nous avons bien le droit de sortir pour nous détendre après tout ! Et je te ferais goûter de la vraie nourriture !
-Dans ce cas, j'accepte avec joie !
-Tu n'as pas d'autres vêtements ? Les femmes ne sont pas vraiment habillées... comme ça dehors.
-Euh... le mieux que je puisse faire c'est...
Je fouillais dans mon armoire. Je n'avais pas de robes, je n'en avais jamais eu besoin, mis à part pour cette fête à laquelle j'avais dû accompagner Folken. Je finissais par trouver une jupe ressemblant fortement à un sac de pommes de terre.
-Finalement, tu es très bien comme ça ! s'exclama Xael après que je la lui ai montrée. Je glissais ma main dans la sienne et il me regarda, surpris.
-Vous ne faites pas ça chez vous ? demandais-je, penaude.
-Pas vraiment, mais ce n'est pas grave. Je me demande de quel royaume tu viens. Il a l'air plus... libre que celui-ci.
-Oh, un royaume bien, bien loin ! C'est même la démocratie chez moi !
-Démocratie ? répéta t-il.
-Tu connais pas ? je t'apprendrais ce que ça veut dire un jour...
Visiter une ville d'ici me surpris beaucoup. C'était très loin de ressembler à ma bonne vieille Terre, qui brillait comme toujours dans le ciel de Gaea, mais ça y ressemblait par certains côtés. En gros, j'aurais pu me croire dans une ville du XIIème siècle.
Xael me traînait dans toutes les rues, me montrant avec enthousiasme les étals des marchands, les maisons.
-Et tu sais qu'ici, nous sommes les plus avancés en technologie ? m'apprit- il, fier.
-Vraiment ? Vous avez l'eau courante ?
-L'eau ne court pas. Elle coule, répondit-il, semblant me prendre pour une folle.
-Ah, bah, si tu le dis, pourquoi pas... L'électricité peut-être ?
-Electricité ?
-Je t'expliquerais aussi ce mot-là, un jour.
Il continua sa visite. Je goûtais finalement un plat typique de la ville, qui ressemblait beaucoup à du Chili con Carne. De la viande, des légumes, le tout mélangé avec une sauce piquante. C'était infiniment meilleur que l'infâme chose que l'on nous servait à la forteresse. Xael me regarda, amusé, alors que je mangeais avec appétit.
-Mes hommes et moi allons souvent manger dans cette ville. Avec ce qu'il nous donne, au château... on ne peut pas même pas appeler ça de la nourriture.
-Ils doivent nous préparer à une guerre ! répondis-je en riant.
Il s'arrêta et acheta une petite bouteille, puis but au goulot avant de me la tendre. C'était un alcool très fort qui me brûla la gorge. Je faillis en recracher la moitié sur lui.
-Ca fait toujours ça la première fois, me rassura t-il.
-On dirait du mauvais Whisky ! m'exclamais-je, dégoûtée.
-Whisky ! C'est lorsque l'Empereur Dornkirk est arrivé que nous avons connu ça.
-Ah bon ? Ca c'est de l'alcool de chez moi...
-Peut-être qu'il vient de ton royaume ! Depuis qu'il est arrivé, tellement de choses ont changées... Il est la meilleure chose qui soit arrivé pour nous.
-Vraiment... Je... Et si on rentrait ?
J'étais perturbée. Mais après tout, je n'avais pas de quoi m'inquiéter. Eux aussi, avaient de l'alcool, alors pourquoi pas du Whisky ? Ca n'avait rien d'anormal. Tous les peuples avaient de l'alcool.
Folken fut furieux lorsque nous rentrâmes au château. Il regarda le lieutenant avec une expression que je ne lui connaissais pas, et il changea de couleur en voyant que je lui tenais toujours la main.
Dilandau m'assena un coup de poing au visage et je tombais à la renverse, mais me relevais aussitôt, la lèvre ensanglantée.
-Petit démon ! hurlais-je en repartant à la charge.
Je le plaquais violemment contre le mur. Il se dégagea sans difficulté, courut derrière moi et me mit un coup de pied dans les genoux. Je tombais une nouvelle fois, en proie à une violente douleur. Folken nous sépara, furieux.
-Si on ne peut même plus s'amuser... marmonna Dilandau, agacé.
-Toi, tu vas me le payer morveux ! lançais-je.
-Bien sûr... tu n'arrives même pas à me faire une égratignure, femme ! répliqua t-il, un sourire aux lèvres.
Si Folken n'avait pas était là, je me serais jeté sur lui. Mais le jeune homme me retint et m'entraîna vers ma chambre.
-Quand allez-vous cesser ces combats inutiles ? me demanda t-il sèchement.
-Faut bien s'amuser. Il n'y a rien à faire ici.
-Narya et Erya t'attendent pour l'entraînement.
-Nous n'avons plus besoin d'entraînement, vous devriez le savoir.
-Tu n'es pas aussi forte que tu veux bien le croire. Dilandau est plus jeune que toi et il te bat sans difficulté...
-Ah, mais ce gamin n'est pas comme les autres ! Ne faites pas comme si vous n'étiez pas au courant !
Il me regarda, surpris, cherchant à comprendre ce que je voulais dire.
-Vous ne savez pas ? m'exclamais-je.
-Je ne sais pas quoi ?
-Rien... je vais m'entraîner, vous avez raison.
Je quittais précipitamment ma chambre et rejoignais mes deux amies qui se battaient farouchement. Je compris sans difficulté qu'elles s'étaient disputées, à voir les coups qu'elles s'envoyaient.
-Pause ! hurlais-je pour me faire entendre par-dessus le bruit des épées qui s'entrechoquaient. C'est quoi le problème ?
-Elle est furieuse parce que c'est moi que le Seigneur Folken préfère ! répondit Narya sans cesser de se battre avec sa sœur.
-Arrêtez vos idioties... Il vous aime autant l'une que l'autre.
Erya fit valser l'épée de Narya et passa la lame sur sa gorge, sans vraiment appuyer.
-Ne vous battez pas pour un mec. Aucun n'en vaut la peine !
-Tu ne te battrais pas pour Jajuka ? s'exclama Erya, surprise.
-Quoi ? Mais Jajuka c'est mon meilleur ami, je suis pas avec ! Où allez- vous chercher ces bêtises ? De toute façon, je ne risque pas de le revoir.
-Mais, vous étiez si souvent ensemble... me dit Narya. On croyait que... que vous étiez amoureux...
-N'importe quoi ! Je suis tout le temps avec vous et avec Dilandau, ce n'est pas pour ça que je suis amoureuse de vous !
-Mais c'est pas pareil ! On est des filles, et Dilandau n'est qu'un affreux gamin.
-Tu sais, Jajuka, lui, je crois qu'il était amoureux de toi. A la façon dont il te regardait...
-Arrêtez de dire n'importe quoi ! Il n'y a rien d'autre que de l'amitié entre lui et moi !
-Dis donc, c'est qu'elle prend la mouche ! lança Erya en riant, reprenant l'une de mes expressions.
-Ca va... arrêtez...
Je me laissais tomber sur le sol, adossée au mur, et les regardais continuer de se battre, mais cette fois-ci sans colère. Au bout d'une heure environ, je retournais à ma chambre. J'étais fière : au bout de quatre ans à traîner dans ce château, j'avais finit par réussir à me repérer, après de longues années à me tromper de couloirs, et de portes. Cela m'avait tout de même valut de bonne rencontre, comme celle avec Folken par exemple.
J'avais aussi trouvé la chambre d'un jeune lieutenant, Xael, qui devait avoir à peine un ou deux ans de plus que moi. Grand, avec de longs cheveux châtains clairs, les yeux violets, en bref très séduisant, mais pas de la même manière que Folken qui avait comme plus gros atout le mystère qui l'entourait. En chemin, je le croisais. Il me dit qu'il sortait faire un tour dans les jardins et me proposa de l'accompagner, ce que j'acceptais. Mes balades solitaires me pesaient.
Nous nous assîmes dans l'herbe fraîche. Un vent froid soufflait, annonciateur de la pluie, mais le ciel était clair et le soleil brillait malgré tout. Je frissonnais un peu j'avais arrêté de porter la veste de mon uniforme car il faisait assez chaud dans la forteresse. Xael passa un bras autour de mes épaules et m'attira contre lui pour me réchauffer. Je me laissais faire, ça ne voulait pas dire grand chose pour moi.
-Regardez, cette fleur-là, c'est un synis, dit-il en me montrant une fleur bleu pâle au cœur blanc.
Il se pencha, la cueilli et me l'offrit.
-Si je vous connaissez moins, je croirais que vous essayez de me draguer ! m'exclamais-je, hilare.
Un ombre passant dans ses yeux, je compris ma bêtise. Il essayait vraiment de me draguer.
-Oh la boulette... soufflais-je. Désolée, Xael, c'est que... enfin, je sais pas, que croyiez-vous que...
-Ce n'est rien, répondit-il d'une voix dénuée d'émotion.
-Vous n'allez pas me faire la tête ? m'écriais-je.
-Je pensais que, comme nous nous entendions bien...
-Je m'entends bien avec tellement de monde ! Vous comprenez, il n'y a que des hommes ici, et la plupart me sauteraient dessus s'ils pouvaient. Mais, vous étiez si calme, si gentil, je pensais que je n'étais qu'une amie à vos yeux.
-Auriez-vous aimé être plus qu'une amie à mes yeux ? murmura-t-il en plongeant son regard dans le mien.
Je baissais les yeux et me sentais rougir.
-Je ne sais pas. Peut-être que... ça fait quatre ans que je suis ici. Les hommes avec qui j'ai traîné ne me considéraient que comme une amie.
-Vous n'avez pas répondu à ma question, soupira-t-il.
Je me dégageais de son étreinte et me relevais en tapotant mon pantalon pour faire tomber l'herbe accrochée au tissu. Xael ne me lâchait pas des yeux.
-On pourrait en reparler une autre fois, non ? lançais-je.
-Non. Maintenant.
-Oh et puis merde, si vous voulez.
Il me regarda, surpris.
-Vous n'avez jamais entendu une fille dire ça ?
-En fait, c'est surtout que je ne m'attendais à ce que vous acceptiez.
-Vous préférez vous bouffer des râteaux ?
De nouveau, il parut très surpris.
-Vous connaissez peut-être pas cette expression. Très courante chez moi... J'ai froid, je rentre.
-Je ne puis vous accompagner, je dois passer voir mes hommes.
-Si on sort ensemble, on devrait peut-être se tutoyer. Tu sais où est ma chambre ? Passe me voir quand tu veux !
Je partais ensuite, après un sourire. Je remontais dans ma chambre, et trouvais un large miroir. Je supposais que Folken l'avait mis là, sans trop savoir pourquoi. Je ne m'étais pas vue depuis quatre ans, depuis mon arrivée ici en fait, mis à part dans de l'eau ou dans les vitres la nuit. Le miroir me renvoya l'image d'une jeune femme de vingt ans, assez petite, maigre, avec des cheveux bruns très longs, et de grands yeux verts qui semblaient accentuer encore plus la maigreur de mon visage.
Je n'avais jamais eu les cheveux aussi longs. A mon arrivée, ils m'arrivaient seulement aux épaules. Je sortais les laver, puis, retournant dans ma chambre, je sortais un couteau du tiroir de mon bureau et me plaçais en face du miroir. Alors, je les coupais. Quand j'eux finis, ils arrivaient à mon menton. Je recoupais quelques mèches pour faire un dégradé, sans y parvenir vraiment. L'effet était loin d'être formidable, mais c'était à peu près correct. Je me sentais la tête toute légère... Et un ricanement me sortit de mes pensées. Je me retournais et voyais Dilandau.
-Tu te fais belle ? C'est raté ! lança t-il.
-Dégages morveux, je n'ai plus rien à faire de toi. Même te mettre une raclée ne m'intéresse pas... soupirais-je en m'asseyant sur le lit, regardant les mèches de cheveux sur le sol.
Ma remarque ne lui plût pas. Il entra dans la chambre et essaya de me gifler. Je retenais sa main et examinais les petites lignes.
-Il paraît qu'on peut lire l'avenir dans les lignes de la main... murmurais- je. Tu veux connaître ton avenir ?
-Lâches-moi ! répliqua t-il, énervé.
-Voyons, Dilandau...
Je parcourais du doigt les sillons et essayais de me rappeler quelque chose là-dessus. Finalement, j'inventais.
-Tu auras une vie courte mais bien remplie. Pleins de combats, voilà de quoi te rendre heureux ! Mais tu disparaîtras. Et tout le monde sera très heureux de t'oublier. En amour... et bien en amour, rien. Même pas une petite amie. Pourtant, tu n'es pas laid. Mais tu ne trouveras jamais qui que ce soit qui veuillent de toi !
-Lâches-moi ! répéta t-il.
-En famille... il n'y a rien. Bien sûr, puisque tu n'as pas de famille. Et les gens que tu connais te quitteront les uns après les autres.
Je lâchais sa main et lui souriais, satisfaite. Il semblait presque avoir peur. Et pourtant, ce n'était qu'une simple invention.
-Allez, dégages. Et dis à Miguel de venir.
-Fais-le toi-même femme !
-Mon dieu, que tu es malpoli ! Allez, dehors, du balai démon !
Je le poussais dehors et allais jusqu'au dortoir. Miguel contemplait avec ravissement une armure, qui me semblait bien lourde pour un garçon si jeune.
-Tu as vu ? s'exclama t-il en s'apercevant de ma présence. C'est une armure ! Mon armure ! -Elle est très jolie ! Très sombre, mais très jolie. C'est pas un peu lourd pour toi ?
-Il suffit que je m'habitue... Une vraie armure... ça c'est chouette.
-Si tu le dis...
-Tu m'aides à la mettre ? J'ai essayé mais euh... j'y arrive pas tout seul.
Je me retenais d'éclater de rire et commençais à essayer de trouver comment ouvrir cette boite de conserve géante tandis que le garçon enfilait des vêtements plus adéquats. Je l'aidais ensuite à la mettre. Il sembla alors plus grand, plus fort.
-Et bien ! On ne dirait plus la même personne ! m'exclamais-je, amusée.
-Je sais même pas de quoi j'ai l'air ! Je suis bien ? Tu es sûre ? Ca me fait pas une grosse tête ?
J'explosais de rire, ne pouvant pas me retenir plus longtemps. Miguel me lança un regard blessé.
-On dirait un petit homme ! lui dit-je en essuyant les larmes qui roulaient sur mes joues d'avoir tant ri. Viens, il y a un miroir dans ma chambre.
Il marcha avec difficulté à travers les couloirs, me faisait penser à un astronaute, et je m'efforçais de retenir mon fou rire pour ne pas le vexer. Arrivé dans ma chambre, il se regarda avec surprise, semblant à peine se reconnaître.
-Finalement, je vais peut-être bien t'épouser... lui soufflais-je à l'oreille avant de l'embrasser sur la joue.
Il rougit violemment, fit un pas en arrière et s'étala de tout son long. Je me remis à rire et le relevais avec une certaine difficulté, à cause de la lourde armure.
-Je te fais tant d'effet ? m'exclamais-je.
-Arrêtes de te moquer de moi...
-Miguel ! cria une voix bien connue derrière nous.
-Encore toi Dilandau... soupirais-je. Mais tu ne peux pas te passer de moi ou quoi ?
-Vas rejoindre les autres, dit-il sèchement à mon petit Miguel.
-Bien, Seigneur Dilandau, répondit Miguel en se retirant.
-Seigneur Dilandau ? Hé bah, pourquoi pas... Petit Dilandau deviendra grand, enfin, avant de mourir, lançais-je d'un air narquois.
-Tais-toi femme.
-Petit Dilandau vexé ? Petit Dilandau pas content ? Ouh non, petit Dilandau pas content du tout ! Dilandau, mon copain, c'est pour rire, non ? Petit Dilandau ! Boude pas, mon copain !
-Tu n'es vraiment qu'une garce, marmonna t-il en me regardant de haut en bas.
-Voyons, Dilandau, est-ce ainsi que l'on doit parler à une si charmante demoiselle ? demanda Xael en arrivant derrière lui. Tiens, tu as coupé tes cheveux ! Tu es très jolie comme ça, ajouta t-il en souriant.
Il se retourna vivement et leva les yeux vers mon nouveau petit ami, et je constatais avec satisfaction qu'il était beaucoup plus petit.
-Allez, dehors le morveux !
Xael s'approcha de moi et me fit un baisemain. Je faillis rire à nouveau en voyant la mine dégoûtée du gamin.
-Tu ne feras jamais ça ! N'oublis pas ce que je t'ai dit ! lançais-je avant de refermer la porte du pied.
Dilandau manqua de se la prendre dans la tête, se reculant juste à temps. J'entendis le bruit de ses pas résonnant dans le couloir.
-Pauvre enfant, soupira le jeune homme.
-C'est un véritable démon oui ! répondis-je, sur la défensive.
-Imagine un peu... si jeune et déjà formé à se battre.
-Il n'a pas l'air contre, boudais-je.
-Voyons, Sophia, ne fais pas la tête. Toute sa vie, on a dû lui répéter ça. Depuis qu'il doit être en âge de comprendre même.
J'eus presque envie de lui dire qu'avant, ce n'était qu'une petite fille innocente, mais me retint à temps.
-Tu as déjà visité une ville de Zaïbacher ? me demanda t-il soudain.
-Non, je ne suis jamais sorti d'ici, sauf pour aller à cette fête, la Nuit de Glace...
-Ah oui ? Etait-ce quand... ?
-Oui. Malheureusement. Je me serais bien passée de voir ce massacre...
-J'y étais aussi. Pas à la fête, mais avec les guerriers. Je dirigeais mes hommes. Ca ne m'a pas plût non plus. Enfin, tu aimerais visiter une ville ?
-Oui, je pense que ça me plairait. Mais je ne crois pas que le Seigneur Folken serait très heureux que je sorte.
-Tu es sous ses ordres ?
-Tout le monde est sous ses ordres, non ?
-Ce n'est qu'un général parmi tant d'autres... Il n'arrive pas à la cheville du mien. Un vrai démon dans les combats ! Si tu avais vu nos entraînements... c'était époustouflant.
-A ce point ? répondis-je, faisant semblant de m'intéresser.
-Mais je suppose que ce genre de choses ne t'intéresse pas. Ne t'inquiète pas pour Folken, de toute façon, nous avons bien le droit de sortir pour nous détendre après tout ! Et je te ferais goûter de la vraie nourriture !
-Dans ce cas, j'accepte avec joie !
-Tu n'as pas d'autres vêtements ? Les femmes ne sont pas vraiment habillées... comme ça dehors.
-Euh... le mieux que je puisse faire c'est...
Je fouillais dans mon armoire. Je n'avais pas de robes, je n'en avais jamais eu besoin, mis à part pour cette fête à laquelle j'avais dû accompagner Folken. Je finissais par trouver une jupe ressemblant fortement à un sac de pommes de terre.
-Finalement, tu es très bien comme ça ! s'exclama Xael après que je la lui ai montrée. Je glissais ma main dans la sienne et il me regarda, surpris.
-Vous ne faites pas ça chez vous ? demandais-je, penaude.
-Pas vraiment, mais ce n'est pas grave. Je me demande de quel royaume tu viens. Il a l'air plus... libre que celui-ci.
-Oh, un royaume bien, bien loin ! C'est même la démocratie chez moi !
-Démocratie ? répéta t-il.
-Tu connais pas ? je t'apprendrais ce que ça veut dire un jour...
Visiter une ville d'ici me surpris beaucoup. C'était très loin de ressembler à ma bonne vieille Terre, qui brillait comme toujours dans le ciel de Gaea, mais ça y ressemblait par certains côtés. En gros, j'aurais pu me croire dans une ville du XIIème siècle.
Xael me traînait dans toutes les rues, me montrant avec enthousiasme les étals des marchands, les maisons.
-Et tu sais qu'ici, nous sommes les plus avancés en technologie ? m'apprit- il, fier.
-Vraiment ? Vous avez l'eau courante ?
-L'eau ne court pas. Elle coule, répondit-il, semblant me prendre pour une folle.
-Ah, bah, si tu le dis, pourquoi pas... L'électricité peut-être ?
-Electricité ?
-Je t'expliquerais aussi ce mot-là, un jour.
Il continua sa visite. Je goûtais finalement un plat typique de la ville, qui ressemblait beaucoup à du Chili con Carne. De la viande, des légumes, le tout mélangé avec une sauce piquante. C'était infiniment meilleur que l'infâme chose que l'on nous servait à la forteresse. Xael me regarda, amusé, alors que je mangeais avec appétit.
-Mes hommes et moi allons souvent manger dans cette ville. Avec ce qu'il nous donne, au château... on ne peut pas même pas appeler ça de la nourriture.
-Ils doivent nous préparer à une guerre ! répondis-je en riant.
Il s'arrêta et acheta une petite bouteille, puis but au goulot avant de me la tendre. C'était un alcool très fort qui me brûla la gorge. Je faillis en recracher la moitié sur lui.
-Ca fait toujours ça la première fois, me rassura t-il.
-On dirait du mauvais Whisky ! m'exclamais-je, dégoûtée.
-Whisky ! C'est lorsque l'Empereur Dornkirk est arrivé que nous avons connu ça.
-Ah bon ? Ca c'est de l'alcool de chez moi...
-Peut-être qu'il vient de ton royaume ! Depuis qu'il est arrivé, tellement de choses ont changées... Il est la meilleure chose qui soit arrivé pour nous.
-Vraiment... Je... Et si on rentrait ?
J'étais perturbée. Mais après tout, je n'avais pas de quoi m'inquiéter. Eux aussi, avaient de l'alcool, alors pourquoi pas du Whisky ? Ca n'avait rien d'anormal. Tous les peuples avaient de l'alcool.
Folken fut furieux lorsque nous rentrâmes au château. Il regarda le lieutenant avec une expression que je ne lui connaissais pas, et il changea de couleur en voyant que je lui tenais toujours la main.
