Chapitre 12
Legolas maudissait son impuissance. Il aurait tout donné pour sauver
Aragorn et, tout ce qu'il pouvait faire, c'était rester assis là,
dans l'obscurité, sous la surveillance vigilante, mais discrète,
de Merry et Pippin. Il caressait doucement le front de son amant en lui murmurant
des mots doux, tendres, en elfique. La peur ne le quittait plus une seconde.
Il ne pouvait s'empêcher de poser régulièrement ses doigts
sur la poitrine de l'Homme, juste pour sentir son cœur battre.
- Estel… Tu dois lutter… Tu dois me revenir…
Des larmes où se mêlaient la douleur et la colère coulaient
sur ses joues sans discontinuer depuis plusieurs heures. Il commençait
à ressentir de la fatigue, mais il savait qu'elle n'était aucunement
physique. Son cœur s'épuisait à lutter contre les ténèbres
qui menaçaient de l'envahir. L'Elfe eut un long soupir. Il savait très
bien ce qui arriverait si jamais Aragorn ne se réveillait pas. Il avait
toujours su que ça devrait se finir ainsi entre eux, mais il ne pensait
pas que ça arriverait si vite. Il porta la main de son amant à
sa bouche et la couvrit de baisers, et de larmes. Soudain, avant que les Hobbits
ne puissent intervenir, il chancela et s'effondra sur le sol, inconscient.
Gandalf entra dans la pièce sombre où Joran avait été
enfermé. Le jeune homme était assis sur le sol, contre le mur
du fond et le regardait d'un air sournois.
- Qu'est-ce que vous allez faire, Ô Grand Gandalf ! Ricana t'il. Je possède
des pouvoirs bien plus puissants que vous ne le croyez.
- Je le sais… Je sais aussi qui tu es réellement… Je l'ai
tout de suite compris lorsque j'ai vu cette lueur dans ton regard, tout à
l'heure.
- Alors, vous savez que vous ne me soutirerez aucune information. Le sang qui
coule dans mes veines me rend beaucoup plus fort que vous.
- Je le sais aussi, sourit le Magicien. Mais, alors, dans ce cas, que fais-tu
encore ici ? Si tu étais vraiment aussi puissant que tu le prétends,
tu serais déjà loin… Et surtout, tu aurais réussi
ce que tu voulais accomplir…
- Que voulez-vous dire, vieux fou ? J'ai tué Aragorn ! Je me suis débarrassé
du meurtrier de ma mère !
- Non. Il est toujours vivant.
- Alors, ça ne sera plus long, maintenant…
- Et ensuite ? Que feras-tu ? Qui vas-tu tuer ?
- Son fils… si j'en ai l'occasion… Dire qu'il a été
assez bête pour tomber amoureux de l'amant de son père ! Il m'a
vraiment facilité la tâche ! Vous voyez, lorsqu'il est arrivé
à Minas Tirith et que j'ai appris qui il était, j'ai voulu le
tuer, lui aussi… mais, en fin de compte, j'ai trouvé plus amusant
de tuer seulement son père et de faire croire à tout le monde
qu'il était coupable de ce meurtre.
- C'était un bon plan… Mais, il n'a pas réussi.
- Vous croyez ? Alors, que faites-vous ici à perdre votre temps avec
moi si vous savez comment sauver votre ami ? Parce que je suppose que c'est
la raison qui me vaut l'honneur de votre visite.
- C'est effectivement l'une des raisons de ma présence. Mais, il y en
a une autre. Puisque de toutes façons, ton plan a réussi, pourquoi
ne pas me dire ce qui t'a poussé à faire tout ça ? Je connais
Aragorn depuis bien des années et je sais qu'il ne pourrait jamais tuer
une femme intentionnellement. Alors, dis-moi pourquoi tu répètes
sans cesse qu'il a tué ta mère ?
- Parce qu'il l'a fait ! Pas directement, bien sûr, mais elle est morte
par sa faute.
- Je connaissais ta mère, Jana. Je l'ai rencontrée alors qu'elle
était encore une servante de Saroumane à Isengard.
Comme le jeune homme ne répondait pas, Gandalf continua :
- Je sais ce qu'il lui a fait lorsqu'il a su qu'il ne survivrait pas à
la Guerre de l'Anneau. Il s'est servi d'elle pour ses sombres desseins…
- Non ! L'interrompit Joran en se levant d'un bond et en s'approchant du Magicien,
le doigt tendu vers lui, menaçant. Il l'aimait ! Il voulait lui offrir
le plus beau cadeau possible : être la mère de sa réincarnation
! Il lui offrait la puissance, le pouvoir et la richesse !
- Mais, elle n'a eu que la mort ! Par sa faute ! Si Saroumane ne l'avait pas
envoûtée, faisant de son futur premier-né le réceptacle
de son essence vitale, elle serait toujours en vie !
- Mensonges ! Tout cela n'est que mensonges ! Je sais qu'il a fait d'elle une
personne heureuse ! Elle est morte par la faute d'Aragorn et de sa Reine !
- Soit… Admettons que tu aies raison… Que croies-tu qu'il va arriver
à ta conscience le jour où Saroumane reprendra le contrôle
de son âme ?
Joran parut troublé par la question de Gandalf.
- Que… que voulez-vous dire ?
- Tu ignores donc les véritables intentions de celui qui te donne tes
pouvoirs. Saroumane ne t'a pas offert sa puissance pour rien. Un jour, alors
que tu ne t'y attendras pas, son esprit prendra le contrôle de ton corps
et tu seras réduit à l'esclavage, prisonnier dans ta propre chair…
à moins qu'il ne décide de t'anéantir…
- C'est impossible…
- Tu ne le connais pas, Joran. Je l'ai côtoyé durant de très
longues années, plusieurs vies d'Hommes et je peux t'assurer qu'un jour,
il reviendra. Pour l'instant, il attend son heure, sagement tapis au plus profond
de toi, mais il finira par se réveiller. Et ce jour-là, toi, Joran,
tu n'existeras plus.
Le jeune homme se laissa tomber sur le sol. Il ne voulait pas croire ce que
le Magicien venait de lui dire, pourtant, il savait que c'était la vérité.
- Il n'a pas pu faire ça à ma mère ! Il n'a pas pu vouloir
la tuer alors qu'il…
- Il s'est servi d'elle, comme de beaucoup d'autres personnes. Il savait très
bien ce qui lui arriverait le jour où elle te mettrait au monde.
- Non !
Joran se mit à sangloter. Gandalf sentit qu'il était temps de
finir la conversation, mais le jeune homme, comme pris de soudains remords,
voulut s'expliquer et il dut le laisser faire.
- Ma nourrice… elle m'a toujours dit que si ma mère était
morte, c'était parce qu'elle avait accouché toute seule…
parce que toutes les sages-femmes de Minas Tirith se trouvaient au chevet de
la Reine Arwen qui mettait au monde son fils… Je l'ai cru… toutes
ces années, j'ai pensé que le Roi et la Reine étaient responsables
de sa mort…
- Tout cela faisait partie du plan de Saroumane. Il avait programmé la
date de ta naissance pour qu'elle survienne le même jour que celle de
l'héritier du trône du Gondor. Il avait tout prévu : la
mort de ta mère et ton désir de vengeance.
- Je ne veux plus faire de mal à personne, Gandalf ! Aidez-moi, je vous
en supplie !
- Je le ferai, si c'est en mon pouvoir. Mais, auparavant, tu dois me dire comment
tu as envoûté Aragorn.
- Tout d'abord, j'ai empoisonné la Reine Eowyn, la rendant suffisamment
malade pour qu'Aragorn accoure à Minas Tirith avec la Pierre Guérisseuse
dont je savais qu'elle était en sa possession, mais assez peu pour qu'elle
puisse être sauvée par cette même Pierre. Lorsqu'il a enfin
été à ma portée, il m'a été facile
de verser de l'Eau d'Ombre dans un verre qui lui était destiné.
Puis, j'ai attendu. Je ne voulais pas que vous soyez à proximité
lorsque les premiers symptômes se déclareraient. Lorsqu'il a annoncé
son intention de venir ici avec son fils et son compagnon, je les ai devancés.
Une fois arrivé, je les ai attendus, puis j'ai prononcé l'incantation
qui a donné son pouvoir au poison.
- C'était donc ça ! De l'Eau d'Ombre ! Je ne te demanderais pas
comment tu en as trouvé car le plus important pour le moment est de soigner
Aragorn. Tu as de la chance, j'ai justement de l'Eau de Lumière. Je vais
pouvoir le sauver.
Gandalf se dirigea vers la porte. Avant de sortir, il se retourna vers le jeune
homme qui avait enfoui sa tête entre ses bras croisés.
- Dès qu'il sera hors de danger, je reviens ici pour t'aider.
Et il sortit, se dirigeant rapidement vers la chambre d'Aragorn, espérant
qu'il n'était pas trop tard.
Alors qu'il posait le pied sur la dernière marche de l'escalier qui
montait des cachots, Gandalf tomba sur Pippin qui arrivait en courant en sens
opposé.
- Peregrin, que se passe t'il ? S'inquiéta l'Istari devant l'air affolé
du Hobbit.
- Legolas est tombé ! Il s'est évanoui !
- Oh non !
Gandalf se précipita vers la chambre, suivi par Pip qui courrait aussi
vite qu'il le pouvait pour ne pas se faire distancer. Lorsque le Hobbit arriva
enfin, il trouva Eomer en train d'installer Legolas sur le lit, à côté
d'Aragorn et Gandalf penché sur la table de nuit, affairé à
mélanger divers ingrédients dans un bol.
- Il faut faire vite, sinon nous les perdrons tous les deux !
- Que se passe t'il, Gandalf ? Demanda Merry en attrapant Pippin par la taille
pour l'attirer contre lui.
Il tremblait de peur et s'aperçut que son compagnon était dans
le même état.
- Aragorn est en train de mourir. Et s'il meure, Legolas le suivra.
- Je croyais que les Elfes étaient immortels, s'étonna Eomer.
- Ils le sont. Mais, ils peuvent mourir d'amour… et, c'est ce qui est
en train d'arriver à notre ami ! Voilà, c'est prêt !
Le Mage s'approcha d'Aragorn, lui souleva la tête et l'obligea à
avaler quelques gorgées d'un liquide qui semblait luire faiblement. Puis,
reposant le bol, il mit ses deux mains sur les joues de l'Homme, murmurant des
paroles mystérieuses dans un langage inconnu des autres. Enfin, au bout
de trois longues minutes, il s'écarta doucement. Au grand étonnement
des Hobbits, ils virent de la sueur couler sur le front de l'Istari qui ne leur
avait jamais semblé auparavant avoir eu autant de mal à accomplir
une tâche.
- Que va t'il se passer maintenant ?
En réponse à la question de Merry, Legolas ouvrit les yeux et
se redressa lentement, aidé par Eomer.
- Gandalf ? Que m'est-il arrivé ?
- Vous avez failli nous quitter, mon cher ami. Et Aragorn également.
Mais, heureusement, j'ai su à temps quel était le remède
à son mal.
- Il va guérir ?
- La meilleure preuve que je puisse vous en donner est votre propre état
de santé, Legolas. Il devrait reprendre connaissance dans quelques minutes.
Je suggère que nous sortions pour laisser nos deux amis en tête-à-tête.
Je pense qu'ils ont beaucoup à se dire.
Devant le regard pénétrant du Magicien, Legolas rougit et détourna
les yeux, gêné. Il savait que ce qui l'attendait serait dur, mais
il savait aussi que ce ne serait rien en comparaison des dernières heures
qu'il venait de vivre.
