Chapitre 13
Lorsque Aragorn ouvrit les yeux, il mit quelques secondes à comprendre
où il se trouvait. Il se souvenait être parti dans la forêt
avec Brego. Puis, il était descendu de cheval, l'avait renvoyé
à Edoras et s'était enfoncé dans la forêt. Et c'était
tout jusqu'à ce qu'il ouvre les yeux quelques secondes plus tôt.
La chambre était plongée dans l'obscurité, mais il sentait
la présence de Legolas qui était assis dans un fauteuil, tout
près du lit.
- Tu es enfin réveillé, constata l'Elfe avec un grand sourire.
L'Homme ne répondit pas. L'image de Thurinhìl et Legolas s'embrassant
était apparue dans son esprit.
- Vas-t'en !
- Estel… je…
- Vas-t'en ! Tu m'as trahi ! Je ne veux plus jamais te voir !
- Je t'en supplie… il faut que tu m'écoutes…
- Non !
L'Elfe faillit céder, mais son amour et toute la souffrance qu'il venait
d'endurer s'imposèrent à son esprit. Il s'entêta :
- Tu vas m'écouter !
Surpris que son amant lui tienne tête, Aragorn se tut suffisamment longtemps
pour que celui-ci puisse dire :
- Ce que tu as vu était une erreur. Ton fils est tombé amoureux
de moi et il m'a embrassé, c'est vrai. Mais, je l'ai repoussé
et je lui ai fait clairement comprendre qu'il n'y aurait rien de plus entre
nous que de l'amitié. Je n'aime que toi, Aragorn. Je t'aimerai jusqu'à
ma mort, je te l'ai déjà dit à maintes reprises ! Maintenant,
si tu ne veux plus de moi, dis-le moi franchement et je partirais. J'irai rejoindre
les Terres Immortelles, retrouver mon père.
Comme son amant ne répondait pas, l'Elfe se détourna. Curieusement,
ses yeux étaient secs. Il n'avait plus de larmes à verser, même
si son cœur, lui, pleurait.
- Puisque c'est ainsi…
Alors qu'il allait ouvrir la porte de la chambre pour sortir, la voix d'Aragorn
le rappela :
- Non, reste… Je t'en prie… Ne me laisse pas…
Legolas revint auprès du lit, saisissant la main que son amant tendait
vers lui et y déposa un doux baiser.
- Je suis désolé… J'ai eu tellement mal… J'ai cru
que tu m'avais trahi…
- Ne t'excuse pas, mon amour…
L'Elfe se pencha sur son amant et l'embrassa tendrement.
- J'ai eu si peur de te perdre… souffla t'il en se redressant.
- Que m'est-il arrivé ?
- Je ne connais pas toute l'histoire. J'avais si peur de te voir mourir que
je ne me suis pas préoccupé du reste. Je pense que Gandalf nous
expliquera tout plus tard. Pour le moment, tu devrais te reposer.
- Il faut d'abord que je parle à Thurinhìl. Je ne veux pas qu'il
se sente coupable de ce qui m'est arrivé.
- Tu veux que j'aille le chercher ?
- Oui, s'il te plait.
- D'accord.
Legolas déposa un nouveau baiser sur les lèvres de son compagnon
avant de sortir de la chambre. Une fois dehors, il tomba sur Gandalf qui attendait
derrière la porte.
- Comment va t'il ?
- Bien. Il aimerait voir son fils.
Le regard de l'Istari s'assombrit.
- Qu'y a t'il ?
- Thurinhìl a quitté Edoras. Nous avons eu des mots et il est
parti.
- Savez-vous où il est allé ?
- Il a dit à Eomer qu'il retournait à sa vie de Rôdeur.
C'est ma faute… j'aurais dû l'en empêcher… Il était
en colère contre moi… j'aurais dû prévoir qu'il partirait.
- Ne vous en faites pas, Gandalf. Je suis certain que tout ira bien pour lui.
Et, je suis sûr qu'Aragorn ne lui en voudra pas. Venez avec moi, Estel
aimerait savoir ce qui lui est arrivé… et moi aussi.
Ils rentrèrent dans la chambre. Devant l'air sombre du Magicien, Aragorn
comprit.
- Il est parti, n'est-ce pas ?
- Oui. Mais, c'est à cause de moi, et non de vous.
- Peut-être est-ce mieux ainsi. Loin de nous, il pourra apaiser les tourments
de son cœur. Et je suis sûr que je le reverrai un jour. Je le sens
au plus profond de moi.
Gandalf sourit. Puis, à la demande d'Aragorn, il raconta l'histoire de
Joran. L'ancien Roi n'en croyait pas ses oreilles.
- La réincarnation de Saroumane ? C'est tellement incroyable… Et,
il a fait tout ça pour venger sa mère ? Pauvre enfant… Où
est-il à présent ?
- Il était enfermé dans un cachot, sous bonne garde. Je voulais
l'aider, trouver le moyen de le sauver du pouvoir néfaste de Saroumane,
mais je n'en ai pas eu le temps.
- Que s'est-il passé ?
- Il avait gardé une fiole de poison sur lui. Il s'est donné la
mort. Je n'ai rien pu faire pour le sauver ; il était déjà
trop tard quand je l'ai trouvé. Il a réussi échapper à
son destin…
Aragorn soupira. Il se sentait extrêmement las.
- Je vais vous laisser, mes amis, soupira le Magicien. Vous avez besoin de vous
reposer, tous les deux. Je reviendrai vous voir avant la nuit.
Alors qu'il s'apprêtait à sortir, Aragorn le rappela :
- Gandalf ?
- Oui ?
- Merci.
L'Istari eut un triste sourire et sortit. Il avait toujours su que l'histoire
se finirait ainsi, mais il ne pouvait s'empêcher de croire qu'il aurait
pu sauver Joran, lui rendre sa vie et son âme.
Thurinhìl se retourna une dernière fois. Le soir commençait
à tomber sur Edoras, nimbant la ville d'un halo de lumière orangée.
- Adieu… Je ne sais ce que l'avenir nous réserve, si l'on se reverra
un jour, mais je ne peux rester… Père, je suis heureux que vous
soyez sain et sauf, je ne pouvais partir sans savoir si vous alliez survivre…
Mais, je ne peux rester auprès de vous… Je me sens tellement coupable…
J'espère que vous m'accorderez votre pardon, un jour… Legolas…
Je vous aime tant… mais, votre cœur lui appartient et je n'ai pas
le droit de m'immiscer entre vous… de toutes façons, je n'aurais
jamais pu vous séparer tant votre amour est pur et fort… je souffre…
oui, mais loin de vous, j'arriverai peut-être à vous oublier…
peut-être rencontrerai-je une personne aussi merveilleuse que vous qui
me rendra heureux… Gandalf… je me sens tellement mal… je n'aurais
jamais du prononcer ces mots terribles, mais je l'ai fait… à présent,
je ne pourrais plus vous regarder en face sans me sentir l'homme le plus honteux
du monde… je suis tellement désolé de vous avoir fait souffrir,
vous aussi… Je n'apporte que le malheur et la souffrance autour de moi,
mieux vaut que je parte… Adieu, donc…
Il se détourna, essuyant d'un geste rageur les larmes qui coulaient sur
ses joues, puis fit dirigea son cheval vers le nord, à travers les immenses
plaines du Riddermark.
Aragorn ouvrit les yeux brusquement. Il lui avait semblé sentir la présence
de son fils, mais il réalisa que ce n'était qu'un songe. Legolas,
blotti dans ses bras, lui lança un regard interrogateur.
- Je l'ai vu en rêve. Il me demandait de lui pardonner.
- Tu l'as fait ?
- Oui, souffla l'Homme en enfouissant son visage dans la chevelure blonde de
son amant. Je lui pardonne toutes ses erreurs… il est mon fils et je l'aimerai
toujours.
- J'en suis heureux, murmura l'Elfe avec un sourire. Mon amour ?
- Oui ?
- J'aimerais que tu me fasses une promesse…
- Laquelle ?
- Ne me quitte jamais plus… même si ce n'est que pour quelques heures…
- Je te le jure… Melan tye, Legolas… Je t'aime…
- Melan tye, Estel…pour l'éternité…
