Chapitre 3

Un silence douloureux s'installa dans la voiture, chacun perdu dans ses pensées.

Mulder avait l'impression d'avoir un poids sur la poitrine, qui lui comprimait les poumons. Il s'en voulait furieusement de n'avoir pas été là ce soir. Mais plus il réfléchissait, plus il se rendait compte qu'il n'avait eu aucun moyen d'être au courant, aucune raison qui aurait pu l'entraîner à agir différemment.

D'une certaine façon, il était destin à ne pas être là.

Il serra le volant si fort que ses phalanges blanchirent, puis jeta un coup d'œil à la jeune femme près de lui.

Son regard bleu d'habitude si vif était inexpressif, vide, absent. Elle regardait la route défiler à sa fenêtre sans la voir.

Le jeune homme pria pour qu'elle trouve la force de s'en sortir. Il avait vu plusieurs victimes d'agressions sexuelles, savait à quel point cela changeait leur vision de la vie, comment cela pouvait les détruire.

Le docteur Moss avait donné à Scully un numéro d'aide et d'écoute pour les victimes de viols et lui avait conseillé un thérapeute qu'il connaissait. La jeune femme avait acquiescé d'un air indifférent, comme imperméable à ce qui se passait autour.

*******

Mulder aida sa partenaire à enlever sa veste, attentif à son poignet plâtré.

- Tu devrais aller te reposer, Scully, conseilla-t-il.

- Non. Je veux me laver d'abord.

- Très bien.

Il lui fit couler un bain et elle resta seule dans la salle de bain pendant une demi-heure.

Elle lava et relava chaque centimètre de son corps de sa main valide, partout où l'empreinte de ses doigts était encore trop vivante. Ses yeux se remplirent de larmes qui coulèrent doucement sur ses joues, se mêlant à l'eau qui ruisselait de ses cheveux. Dana pleura silencieusement, la tête cachée dans sa main, jusqu'à ce que l'eau de son bain soit froide.

Une fois habillée, elle jeta un coup d'œil dans le miroir et grimaça à son reflet autant que le lui permettaient ses blessures au visage. Ses yeux étaient rouges et bouffis, dont le gauche noir, un énorme bleu colorait le haut de sa joue et le reste de sa peau était d'une pâleur maladive.

'' Tu es belle, bravo ! Pour quelqu'un qui est sensé savoir se défendre… ''

Mulder se coucha sur le canapé de sa partenaire et soupira. Elle s'était couchée quelques minutes plus tôt et il avait fait semblant de ne pas remarquer ses yeux rougis.

Il connaissait le désir de Scully de toujours être forte, de ne pas montrer ses sentiments et encore moins sa peur. Mais dans ces conditions…

Il voulait plus que tout au monde l'aider. Mais elle devait l'y autoriser.

Un violent orage éclata quelques heures plus tard. Seule dans sa chambre, la jeune femme se leva de son lit et s'assit à sa fenêtre.

Le tonnerre était assourdissant, des éclairs rapprochés illuminaient le ciel d'un bleu sombre. La pluie faisait sur le gravier un bruit étrangement apaisant, comme un couvercle protecteur.

Elle avait refusé de s'endormir, trop consciente de ce qui se passerait si jamais elle fermait les yeux. Alors elle se laissa émerveiller par la force de la nature, comme quand elle était petite fille et qu'elle passait des nuits entières à sa fenêtre ouverte, savourant le vent et la pluie sur son visage. Sans penser à rien.

*******

Au petit matin, Mulder se réveilla, agréablement surpris par la nuit qui venait de s'écouler. Sa partenaire semblait avoir dormi paisiblement, sans cauchemars. Il se leva et tourna silencieusement la poignée de sa chambre.

- Scully ? Qu'est-ce que tu fais ? demanda-t-il, surpris.

Elle était assise en tailleur sur le lit défait, sa main valide serrant un oreiller contre sa poitrine. Des cernes violets fonçaient son visage, et pour être franc, elle avait une mine presque pire que la veille au soir. Et ce n'était pas peu dire…

- Pas grand-chose, répondit-elle d'une voix douce. J'attendais que tu te réveilles.

Il s'assit près d'elle sur les couvertures, et avança une main hésitante vers elle, s'attendant à ce qu'elle recule. Mais elle parut ne pas la voir et ne broncha pas quand il caressa doucement son dos.

- Tu as dormi ?

Question rhétorique.

- Pas vraiment, avoua-t-elle. Je n'ai pas essay

- Je sais pourquoi tu l'as fait, mon ange, mais tu dois te reposer, protesta-t-il.

- Je sais bien, mais pas cette nuit. C'était… trop tôt.

Il hocha la tête et l'entraîna à la cuisine pour prendre leur petit-déjeuner. Mais comme il s'y attendait, elle n'avait aucun appétit et il dut lutter pour qu'elle avale un yaourt.

- Tu… tu as prévenu Skinner ? demanda-t-elle.

- Non, pas encore. Je comptais le faire dans la matinée, pourquoi ?

- Pour savoir.

- …

- …

- Tu ne veux pas appeler au numéro que t'a donné le médecin, hier ? proposa Mulder.

Elle haussa légèrement les épaules.

- Je pense que ce serait une bonne idée, insista-t-il.

- Très bien.

Mais elle avait menti. Elle n'appellerait personne. Elle était déjà assez honteuse de n'avoir pas été capable de se défendre et de n'avoir pas réussi à le cacher à son partenaire. Que devait-il penser d'elle maintenant ?

La jeune femme se cloîtra dans son appartement toute la journée. Et pendant les deux minutes où Mulder l'avait quittée pour sortir les poubelles, elle avait presque fait une crise de panique.

Une fois rentré et en voyant la terreur dans ses yeux bleus, il l'avait prise dans ses bras et elle s'était agrippée à lui comme si sa vie en dépendait. C'était d'ailleurs ce qu'elle ressentait…

Elle se surprit à penser qu'il aurait peut-être mieux valut qu'elle soit tuée. D'après tout, une partie d'elle était morte et elle n'avait pas vraiment de quoi être fière de ce qui restait.

Que restait-il de toute façon ? Une femme incapable de se contrôler, sursautant au moindre bruit.

Et elle n'avait pas encore osé dormir…

*******

Scully se coucha entre les draps froids et ferma les yeux, épuisée.

Son partenaire passa la tête par l'entrebâillement de la porte et eut un regard tendre pour elle. Puis il alla se changer et se coucha à son tour. 

- Je vous en prie ! Arrêtez !…

Réveillé en sursaut, Mulder bondit hors du canapé et se précipita dans la chambre. La jeune femme se débattait en criant, sa main valide agrippée au drap. Il s'assit près d'elle et lui maintint fermement les épaules.

- Scully, réveille-toi ! Ce n'est qu'un rêve !

- … Non, lâchez-moi !

- Tu es en train de rêver, Scully ! Réveille-toi !

Elle finit par ouvrir les yeux et il lut clairement la peur… non, la terreur sur son visage. Son expression changea brusquement, comme si elle le reconnaissait, et elle se jeta contre sa poitrine.

- Tu vois pourquoi je ne voulais pas dormir ? sanglota-t-elle. Je savais que ça se passerait comme ça… Je le savais…

- Shh… Calme-toi… Je suis l

Il la serra contre lui jusqu'à ce que sa respiration redevienne totalement normale. Puis il desserra son étreinte et essuya tendrement de son pouce les larmes qui coulaient sur ses joues.

- Ne me laisse pas toute seule, Mulder, supplia-t-elle d'une petite voix.

- Je reste là, mon ange. Ne t'inquiète pas.

Il se coucha sur le lit sans la lâcher et elle enfouit son visage dans son épaule.

- Il m'a pris mon arme, souffla-t-elle au bout d'un moment.

- Quoi ?

- Sangood. Il m'a poussée contre le mur et m'a pris mon arme. Il avait un couteau, un couteau de chasse… il voulait que je me taise… Et puis il a mis la main sous ma… J'ai essayé de me défendre, je te promets que j'ai essayé de me défendre… hoqueta-t-elle.

- Je le sais, Scully…

- J'ai presque réussi à m'enfuir mais il m'a rattrapée par la cheville… Je suis tombée… Je crois que c'est là où je me suis cassé le poignet… je ne sais plus trop bien…

Etrangement, pour la première fois où elle essayait réellement de se souvenir, les évènements lui paraissaient  vagues, étrangement flous. Elle ne rappelait plus exactement de ce qui s'était passé.

Mulder la serra un peu plus fort. Depuis le départ de l'hôpital, il n'attendait que ça. Qu'elle lui parle, qu'elle lui laisse une chance de l'aider.

Mais maintenant que Scully avait commencé à lui raconter, il voulait presque qu'elle se taise. Il se rendit compte de l'égoïsme de cette pensée et s'en voulut plus encore, mais il ne pouvait pas s'en empêcher. Imaginer la femme qu'il aimait être traitée de cette façon formait dans son esprit une image qu'il ne voulait pas voir, qu'il ne pouvait pas supporter.

C'est alors qu'il se rendit compte qu'elle s'était réellement tue.

- Ne t'inquiète pas, je suis là… murmura-t-il.

- Je sais, Mulder, répondit-elle doucement. ( Elle releva la tête et le fixa un moment)

- Quoi ? s'inquiéta-t-il.

- Tu ne te sens pas coupable, n'est-ce pas ?

- …

- Mulder ?

Elle soupira et caressa doucement sa joue.

- Tu n'as rien à te reprocher, tu ne pouvais pas savoir.

- Je sais, mais…

- Mulder, tu n'es pas responsable de tout ce qui arrive de mauvais dans ma vie. Tu ne peux pas porter tous les malheurs du monde sur tes épaules.

- Ce ne sont pas tous les malheurs du monde, répliqua-t-il d'une voix douce. C'est juste que… tu es la seule personne qui compte réellement pour moi, Scully. Je ne peux pas imaginer vivre sans toi, et l'idée de te perdre à nouveau m'a juste…

- Tu ne perdras pas, promit-elle. Jamais.

Ils gardèrent le silence un moment, les yeux dans les yeux. Puis Mulder eut un sourire crispé.

- C'est incroyable ! Même dans cette situation c'est toi qui me console !

Elle lui sourit faiblement et secoua la tête.

- Non, je… C'est vrai que c'est dur, Mulder. Je ne me sens pas bien du tout, si… sale et fragile et faible… mais je ferai ce qu'il faut pour m'en sortir. Ou du moins j'essayerai. C'est promis.

- Je sais que tu le feras, mon ange, sourit-il.  Et je t'aiderai, quel que soit le temps que ça prendra.

Scully lui rendit son sourire et ferma les yeux.

Juste avant qu'elle ne s'endorme à nouveau, elle sentit la main douce de son partenaire caresser sa joue.

- Tu es loin d'être faible, Scully. Au contraire. Tu es la personne la plus forte que j'ai jamais connue.