Chapitre 4

Le reste de la semaine s'écoula calmement.

Ils dormaient ensemble, et quand la jeune femme gémissait ou pleurait dans son sommeil pendant ses fréquents cauchemars, il la ramenait contre lui et lui chuchotait des mots doux, d'apaisants non-sens. Elle se calmait la plupart du temps, et ils se rendormaient presque aussitôt, collés l'un à l'autre.

Un matin, Mulder décida d'aborder un sujet qu'il ne croyait pas si épineux…

- Tu as appelé le médecin que t'avais conseillé le docteur Moss ?

- Euh… Je n'ai pas eu le temps, mentit-elle.

- Quoi ? Ne me raconte pas d'histoires, tu as eu plus d'une occasion de le faire !

- Je n'y ai pas pensé, répliqua-t-elle, agacée. Ca te va, ça ?

- Non, pas du tout ! Qu'est-ce que tu attends pour le faire ?

- Mêle-toi de ce qui te regarde !

Elle regretta ses mots à l'instant même où ils franchirent ses lèvres. Mais Mulder ne comptait pas laisser tomber.

- Ca me regarde, justement ! Tu m'as dit que tu appellerais, Scully, et je croyais que c'était contre ta philosophie de mentir !

La jeune femme lui adressa un regard noir mais ne dit rien. A la place, elle se leva et se dirigea vers sa chambre pour en ressortir quelques minutes plus tard, habillée d'un jean foncé et d'un débardeur blanc.

Elle s'assit à table sans un mot pour finir son café, et son partenaire ne put s'empêcher de la détailler. Son visage n'avait presque plus aucune trace de l'agression, mis à par son arcade qui n'avait pas totalement cicatrisé. Son poignet était encore dans le plâtre mais elle avait vite appris à faire avec et se servait sans peine de sa main gauche.

Les seules choses qu'elle ne pouvait pas faire étaient écrire et tenir une arme.

Scully se leva quelques minutes plus tard et saisit le téléphone. Dans la cuisine, le jeune homme ne saisit que quelques bribes de la conversation.

- Qui est-ce que tu appelais ? demanda-t-il d'une voix neutre quand elle revint.

Il détestait être fâché avec elle, mais une sorte de fierté l'empêchait souvent de faire le premier pas.

- Un taxi.

- Pardon ? s'écria-t-il. Pour quoi faire ?

- Tu me le demandes ? répliqua-t-elle amèrement.

Mulder garda le silence un moment, un peu blessé de la tournure qu'avaient pris les choses.

- J'aurais pu t'y amener, tu sais, mon ange…

'' « Mon ange » ? Ca y est, j'ai gagné le droit de redevenir ton ange ?''

- Non merci, Mulder. Si c'est dans ma philosophie de ne pas mentir, me débrouiller seule l'est aussi.

- Ca y est, l'agent Dana Scully est de retour ? rétorqua-t-il, furieux. Froide, indépendante, insensible. Une vraie Miss FBI !…

'' Miss FBI.''

Il vit ses grands yeux bleus s'agrandir de frayeur et eut l'impression d'avoir fait une énorme bêtise. Il en oublia aussitôt sa colère.

- Quoi ? s'inquiéta-t-il. Scully, qu'est-ce qui ne va pas ? Qu'est-ce que j'ai dit ?

La jeune femme secoua la tête et recula avant d'aller s'enfermer dans la salle de bain. Elle respira profondément, tentant de calmer les battements affolés de son cœur, puis se passa de l'eau froide sur le visage. Elle releva la tête pour rencontrer son reflet dans le miroir, et sursauta.

Il y avait un autre visage dans la glace, deux yeux noirs et brillants, un sourire mauvais. Elle crut même pendant une fraction de seconde entendre sa respiration étouffée. Puis il disparut.

Scully se laissa glisser sur le sol et cacha son visage entre ses mains. Elle refoula tant bien que mal les larmes qui lui brûlaient les yeux en se concentrant sur sa respiration pendant de longues minutes, avant de se relever et de sortir.

Son partenaire l'attendait juste derrière la porte.

- Est-ce que ça va ? demanda-t-il d'une voix douce.

Elle hocha la tête et quand il voulut poser une main sur son épaule pour l'empêcher de partir, elle se défila.

- Le taxi avait dit cinq minutes, il doit déjà être l

*******

 Quand la voiture jaune se gara devant une grande bâtisse ocre, Scully sentit son courage fondre comme neige au soleil.

'' Mais qu'est-ce que je fais l ?! De toute façon, je ne vois pas ce qu'ils pourraient bien faire pour m'aider… ''

Puis sa promesse à Mulder lui revint en mémoire. Elle lui avait dit qu'elle ferait tout pour s'en sortir, elle tiendrait parole.

Scully rencontra  une thérapeute, Miss Stangerson. C'était une jeune femme douce, gentille et attentive aux autres. Elle lui raconta qu'elle avait été elle aussi victime d'une agression sexuelle et qu'elle avait mis de longues années à s'en sortir totalement. Mais d'une manière ou d'une autre, l'horreur qu'elle avait vécue lui avait donné en envie d'aider d'autres femmes dans la même situation.

Dana se sentit tout de suite en confiance avec elle et elles discutèrent longtemps ensemble…

- Vous semblez très attachée à votre partenaire, remarqua la thérapeute.

La jeune femme eut un petit sourire.

- Oui, c'est vrai. Vous savez, dans notre métier, notre vie dépend souvent de l'autre, cela finit par créer des liens très forts… et puis, vous savez Miss Stangerson…

- Emma, coupa-t-elle.

- Emma… Mulder est quelqu'un d'entier. Il est passionné, franc, désespérément têtu, et très attachant. Je n'ai pas mis très longtemps à ressentir plus que de l'amitié pour lui.

Heureuse de voir que sa 'patiente' se détendait, Emma décida de pousser la conversation un peu plus loin.

- Vous êtes ensemble ?

- Eh bien nous l'étions, avant… Je ne sais plus trop bien à présent, avoua-t-elle.

- Mais vous l'aimez, et vu ce que vous m'avez raconté, il vous aime aussi, Dana… Peu de petits amis réagissent comme il l'a fait dans ces circonstances.

- Je sais… ( Elle eut un sourire)

- Quoi ?

- Rien, le terme que vous avez employé… petit ami…

- Ce n'est pas ce que vous êtes ? interrogea Emma.

- Si, bien sûr. Je ne… je ne l'avais jamais utilisé pour lui.

Dana garda le silence un moment, puis se souvint de la discussion qu'ils avaient eue avant qu'elle parte et releva la tête.

- Qu'est-ce qui cloche ? demanda la thérapeute.

- … Je me suis conduite comme une imbécile tout à l'heure. Il m'avait demandé il y a une semaine de vous appeler, mais je ne l'avais pas fait…

- Pourquoi pas ?

- Parce que… j'avais déjà assez honte de l'avoir appelé à lui le soir où ça c'est passé… Depuis toute petite, je me suis imposée deux règles : rester maître de soi et de ses émotions en toutes circonstances, et n'avoir besoin de personne.

- C'est très difficile de se suffire à soi-même…

- C'est vrai, et je m'y arrive pas, ou plus. Quoi qu'il en soit, il s'est agacé et je suis partie m'habiller et j'ai appelé un taxi.

- Il n'a pas appréci

- Non, pas du tout. Il m'a… appelée Miss FBI… il ne savait pas…

- Je ne comprends pas, avoua Emma.

- C'est le terme qu'avait utilisé l'homme qui m'a… qui m'a violée.

La thérapeute lui adressa un grand sourire.

- Je suis fière de vous. C'est la première fois depuis les deux heures que nous avons passées ensembles que vous mettez des mots sur ce qui vous est arrivé.

- Je sais. C'est la première fois que je l'emploie tout court, pour être honnête…

- Je m'en doutais.

- Mulder n'était pas au courant, et je n'ai pas eu le courage de lui expliquer…

- Vous lui en voulez ?

- Non, pas du tout. Pour être franche, c'est à moi que j'en veux d'être aussi sensible… J'ai les nerfs à fleur de peau… Je déteste cette sensation.

Emma prit la main de Scully.

- Vous n'avez rien à vous reprocher, Dana. Le fait de demander de l'aide le soir de l'agression demande beaucoup de force, et peu d'entre nous en ont le courage. Le fait que vous rechigniez  à venir ici est tout à fait normal également …

- …

- Je pense qu'il faut que vous laissiez du temps au temps. Vous avez beaucoup avancé aujourd'hui, vous avez dit des choses qui ne viennent le plus souvent que plusieurs séances plus tard… Mais n'essayez pas de brûler les étapes.

- Merci.

- Vous n'êtes pas toute seule, Dana. Vous avez une famille et lui, vous le savez, n'est-ce pas ?

- Pour être honnête, je ne sais plus grand chose pour l'instant.

Emma serra brièvement sa main avec un sourire compatissant, puis se leva.

- Je pense que ça suffit largement pour aujourd'hui, annonça-t-elle. Tenez, voilà mon numéro personnel. Appelez-moi quand vous en aurez besoin, jour et nuit.

- D'accord.

- On se revoit dans deux jours, alors… et vous n'aurez qu'à amener ce cher Mulder, j'aimerais vraiment lui parler.

- Très bien.

Scully rentra chez elle et ferma la porte à double tour. L'appartement était silencieux, Mulder devait être sorti. Elle posa sa veste sur une chaise et se coucha sur le canapé pour réfléchir et se reposer un peu. Dix minutes plus tard, elle s'était endormie.

Elle s'était dit qu'après la longue discussion qu'elle venait d'avoir avec Emma, elle pourrait dormir tranquillement… qu'elle ne rêverait de rien…

'' Salope ! Tu vas payer pour ça !''

     ''Un mot de plus et tu meurs, compris ?''

          '' Pourquoi moi ? ''

                '' Ce n'est pas fini… ''

          '' Pourquoi moi ? ''

     '' Pour qui tu te prends ?! ''

''Tu l'espérais pourtant, n'est-ce pas ? ''

Elle se réveilla en criant, les joues inondées de larmes, et oublia qu'elle était sur le canapé. Elle se retourna brusquement et tomba par terre son réflexe fut de se protéger de ses mais, plâtre en avant.

Une douleur aiguë irradia dans tout son bras et elle se mordit la lèvre pour éviter de hurler. Elle était furieuse.

Furieuse d'être assez stupide pour se faire mal à cause d'une chose aussi bête que tomber du canapé, furieuse d'avoir envie d'éclater en sanglots, furieuse d'être dans cet état là, furieuse de n'avoir pas été capable de se défendre.

'' Inspire, expire, s'ordonna-t-elle. Calme-toi.''

Scully se releva finalement et alla se chercher un verre d'eau.

Mulder rentra peu après et s'approcha d'elle, hésitant. Elle se retourna et lui adressa un sourire timide et rassurant avant de s'approcher et de se serrer contre lui.

Il encercla sa taille et déposa un baiser sur sa joue.

- Je suis désolé pour tout à l'heure, Scully, murmura-t-il.

- Tu avais raison, et je suis plutôt contente que tu m'aies poussée à y aller.

- Vraiment ?

- Oui.

Ils ne dirent rien pendant un moment, puis le jeune homme soupira et demanda ce qu'il voulait vraiment savoir.

- Qu'est-ce j'ai dit pour te faire aussi peur ?

- …

- ( Il remonta son menton pour rencontrer son regard) Hum ? Dis-moi.

- Miss FBI.

- Miss FBI ? Pourquoi ça ?

- Euh… Sangood me l'a dit avant de partir, souffla-t-elle. Il m'a dit que ça m'apprendrait…

Mulder la serra bien plus fort et elle sentit une larme couler sur son épaule.

- Ce n'est pas grave. Tu ne pouvais pas savoir, Mulder, le rassura-t-elle.

Elle se dégagea un peu et embrassa sa joue sur le sillon brillant qu'avait laissé la goutte d'eau.

- Je t'aime, mon ange, souffla-t-il.

- Je sais.

Elle lui adressa un petit sourire et reposa la tête contre sa poitrine.

Ils se séparèrent peu après et s'assirent à table pour déjeuner.

- Tu viendras avec moi dans deux jours ? demanda Scully.

- Oui, bien sûr, assura-t-il. Tu…

- Emma m'a dit qu'elle voulait te voir, précisa-t-elle.

- Oh. Et cette Emma est gentille, ou je dois m'inquiéter ? plaisanta-t-il.

- Elle est adorable, vraiment.

- Ok , je te fais confiance.

- …

- Heu, Scully, Skinner a téléphoné aujourd'hui. C'est pour ça que je suis sorti ce matin… Sargood a été arrêté hier soir, en Oregon. Il s'était payé un vol direction l'Argentine.

- En Oregon ?! répéta-t-elle, furieuse. Et comment il a fait pour arriver jusqu'en Oregon ?! Il était à Washington il y a une semaine !

- Je ne sais pas…

- C'est pas vrai ! Les avis de recherche, ce n'est pas pour rien ! Ils ont été lancés il y a dix jours !

- Je sais, Scully. Calme-toi.

Elle se força à respirer profondément.

- D'accord. Excuse-moi, c'est juste que…

- Je sais, j'ai pensé la même chose.

- Ils veulent que j'aille l'identifier ?

- Non, pas que je sache. Sa culpabilité est prouvée.

Ils allèrent donc voir Emma ensemble deux jours plus tard. Scully entra toute seule tout d'abord et parla avec la thérapeute moins de temps que la dernière fois. Puis cette dernière insista pour avoir une entrevue avec  Mulder seule.

Le jeune homme entra dans la pièce, légèrement inquiet. Emma lui adressa un sourire et lui serra la main.

- Mulder, c'est ça ? Ravie de vous rencontrer.

- Pareillement, répondit-il, un peu étonné.

La femme s'assit en tailleur sur une chaise et lui adressa un regard chaleureux.

- Ce que j'ai à vous dire vous paraîtra sans doute évident, mais il est important pour tout le monde que vous ne l'oubliez pas.

- Bien, acquiesça-t-il.

- Je pense que vous savez, ne serait-ce que de par votre métier, à quel point ce qu'à subit Dana est grave pour elle. Elle veut être forte, mais nous savons tous les trois que ce n'est pas aussi simple. Mais passons. Vous êtes vraiment important pour elle, elle est très amoureuse et vous fait une confiance aveugle…

- Vous savez, c'est plutôt réciproque, murmura-t-il.

- Bien, sourit la jeune femme. Cela me rassure…

Elle eut un sourire et garda le silence un moment. Quand elle reprit la parole, sa voix était douce et compréhensive.

- Je sais que vous souffrez aussi, que c'est très dur pour vous. Et je tiens à vous dire que vous avez très bien réagit juste après, je vous félicite.

- … Si vous voulez que je vous dise, j'aurais préféré ne pas être amené à le faire… Je l'avais eue au téléphoner une heure et demi avant, vous vous rendez compte ?

- Oui, je pense. Mais vous y arriverez, croyez-moi. A deux, tout est plus simple.

- Merci.

Le sourire de la jeune femme se fit infiniment doux.

- Et je voulais savoir… Dana m'a dit que vous aviez fait des études de psychologie, mais est-ce que vous connaissez les symptômes après ce genre d'agressions ?

Le jeune homme hocha la tête :

- Oui, quelque uns. Crises de panique, cauchemars, excès de frayeur…

-  Troubles du comportements, ajouta-t-elle. Elle pourra avoir des réactions auxquelles vous ne vous attendez pas, qui ne lui correspondent pas.

- Je sais, oui.

- Faites preuve de patience, conseilla-t-elle. Et rassurez-la. Je pense qu'elle en aura besoin.

- Faites-moi confiance.

- C'est le cas.

Ils échangèrent un sourire.

Il sortit peu après, retrouva Scully. Une fois seul avec elle dans la voiture, il la serra très fort contre lui pendant longtemps, sans un mot.