Chapitre 5

Deux semaines plus tard

La jeune femme saisit le saladier et la vinaigrette, les posa sur la table d'un air absent. Perdue dans ses pensées, elle cherchait un moyen diplomatique d'annoncer à son partenaire la décision qu'elle venait de prendre.

D'ailleurs, l'intéressé ne tarda pas à se montrer, les cheveux mouillés par sa douche. Il attrapa deux assiettes, deux verres et des couverts, les posa sur la table avant de s'asseoir.

Scully fit de même, avant de mordre sa lèvre inférieure. Le jeune homme garda le silence en réprimant un sourire, reconnaissant les gestes qu'elle faisait quand elle était nerveuse.

- Mulder, j'ai réfléchi à quelque chose.

- Je t'écoute.

- Je pense que je… que je vais reprendre le boulot.

Les yeux de Mulder s'écarquillèrent de surprise.

- Pardon ? Tu plaisantes, l ?

- Non, je…

- Scully, ça ne fait même pas un mois ! s'écria-t-il.

- Je sais, mais je n'en peux plus d'être enfermée toute la journée ! Il faut que je me change les idées, et tu sais aussi bien que moi que notre métier est plutôt efficace de ce côté-l

Elle avait espéré lui arracher un sourire, mais n'obtint qu'un soupir.

- Je ne dis pas tout de suite, tout de suite, continua-t-elle doucement. Mais, disons dans une semaine… Alors ?

- On est mercredi. On va dire que tu reprends… lundi prochain. Marché conclu ?

- Ca fait une semaine et demi, mais d'accord.

- Bien.

   *******

Dix jours plus tard

Scully enroula une serviette autour d'elle et sortit de la douche. Elle essuya la buée que la vapeur de la pièce avait formée dans le miroir et contempla un instant le reflet de son visage.

Elle allait visiblement mieux. Toutes les blessures de l'agression avaient complètement cicatrisé, son plâtre avait été retiré quelques jours plus tôt et sa peau avait repris des couleurs.

Mais intérieurement, tout n'était pas aussi simple. Elle avait beau ne l'avouer et personne, et encore moins à elle-même, elle avait du mal à refaire surface, à mettre de la distance entre elle et ce qui s'était passé. Sa vie semblait avoir changé pour toujours, et elle n'arrivait pas à l'accepter.

La jeune femme soupira.

 '' Tu as finit de t'apitoyer sur ton sort ? se sermonna-t-elle. Rester là à pleurnicher ne t'aidera pas ! Tu dois retourner travailler aujourd'hui, tu te souviens ? Alors bouge-toi !''

- Prête à re-rentrer dans la cage aux fauves ? plaisanta Mulder en la voyant arriver dans la cuisine.

Sa partenaire portait un pantalon noir et un débardeur blanc sous une veste légère. Elle lui adressa un petit sourire.

- Affirmatif.

Un quart d'heure plus tard, ils marchaient côte à côte dans un des couloirs du Edgar Hover  Building.

Ils avaient croisé un agent peu avant, qui leur avait adressé un regard hautain et moqueur. Et d'une certaine façon, Scully en avait été soulagée. Skinner leur avait assuré que personne ne saurait ce qui s'était passé, mais elle gardait quelques doutes. Les fuites n'étaient pas impossibles, et ce genre de nouvelles se répandait toujours comme une traînée de poudre.

Elle retrouva avec une joie non-dissimulée leur vieux bureau au sous-sol qui sentait un peu le renfermé. Jamais cette pièce un peu trop petite et encombrée ne lui avait parut si accueillante. Elle posa son manteau et s'assit à son bureau, avant de relever la tête pour rencontrer le regard concerné de son partenaire. Elle lui adressa un sourire rassurant.

Skinner, avait qui ils avaient un rendez-vous dans le milieu de l'après midi, avait insisté pour que Scully reprenne calmement. Et bien qu'elle ait assuré qu'elle était prête, il lui avait confié 'quelques' rapports en retard.

La jeune femme grimaça en contemplant la pile de dossiers sur son bureau, mais elle était quand même contente de reprendre le boulot. Alors qu'elle était plongée dans son cinquième rapport, la voix de son partenaire la fit sursauter :

- La Terre appelle Scully ! Tu es l ?

- Pardon ?

- Nous devons aller voir Skinner, tu te souviens ?

- Oui, mais ce n'était qu'à dix heures et demi !

Mulder eut un sourire moqueur.

- Et tu crois qu'il est quelle heure ?

Elle jeta un coup d'œil à sa montre.

- Ouah ! J'aurais juré qu'il était à peine plus de neuf heures…

- Si faire des rapports te plait autant, mon ange, je crois que je vais me sacrifier et te laisser les miens !

Dana grimaça.

- Je sais, je sais, s'excusa-t-il. Pas de « mon ange » au bureau…

                                                                                   *******

En sortant du bureau de Skinner, Scully avait envie de hurler.

L'A.D. avait été gentil, compréhensif, adorable… à tel point que la jeune femme n'avait jamais autant voulu le gifler. Il avait été presque pire que Mulder, à croire qu'il avait peur qu'elle ne se brise en mille morceaux devant ses yeux. Il ne fallait pas qu'elle n'en fasse trop, elle devrait se ménager, ne pas hésiter à sortir plus tôt ou prendre encore quelques jours de cong

Et bien entendu, son partenaire l'avait approuvé. Bon, peut-être pas directement, mais il avait une sorte de sourire satisfait pendant tout le discours.

Elle n'arrivait pas à savoir à qui elle en voulait le plus.

Elle passa le reste de la journée sans un mot, même pendant le déjeuner. Mais dans la voiture, pendant le chemin du retour, il était décidé à la faire parler.

- Je peux savoir ce qui ne va pas ? demanda-t-il d'une voix douce.

- …

- Scully ? ( Il lâcha le volant et voulut lui prendre la main, mais elle se défila)  Dis-moi. Si c'était trop dur aujourd'hui, tu peux toujours…

- Mais t'as rien compris, alors ! s'écria-t-elle, furieuse.

- Euh…non, je ne crois pas, balbutia-t-il.

- Je voulais travailler, Mulder ! TRAVAILLER ! Pas mettre des rapports à jour toute la journée, et encore moins voir Skinner et toi me traiter encore comme un objet en cristal ! Je ne vais pas me casser au moindre coup de vent !

Profitant d'un feu rouge, et sans donner à son partenaire le temps de protester, elle ouvrit la portière de la voiture et sortit précipitamment.

Elle se mit à courir et ne s'arrêta que plusieurs minutes plus tard, quand elle fut absolument sûre que Mulder ne la suivait pas. La nuit était noire et froide, des étoiles piquetaient le ciel d'un noir d'encre. Elle marcha longtemps en essayant de penser à rien.

Puis la réalité la frappa alors.

Elle était seule un soir d'hiver dans les rues de DC, à au moins quinze minutes de chez elle. Mais une pensée cruellement ironique naquit alors.

'' Tu parles… Quand c'est arrivé, tu étais en bas de ton immeuble, et armée… Les flics venaient de partir…''

Elle se mit à marcher plus vite, toujours plus vite. Sa respiration s'accéléra, les battements de son cœur résonnaient dans sa tête et le sang pulsait à ses tempes. Alors qu'elle passait devant une ruelle sombre, un poids se mit à compresser sa poitrine au risque de la faire suffoquer.

Son côté médecin reconnut immédiatement les symptômes. Crise d'angoisse.

'' Respire, s'ordonna-t-elle. Respire profondément, tu es presque arrivée. Calme-toi…''

Quand elle commença à reconnaître les immeubles voisins de son appartement, elle prit le pas de course pour ne s'arrêter  que devant sa porte, le souffle court.

Elle sortit ses clefs et tenta d'ouvrir sa porte, mais ses mains tremblaient tellement qu'elle n'arrivait pas à glisser le petit bout de métal dans la serrure.

Scully donna un grand coup désespéré dans la porte, furieuse contre elle-même. Ce sentiment semblait être omniprésent en ce moment…

Finalement, après trois bonnes minutes, elle parvint à ouvrir sa porte et entra rapidement. Elle referma à double tour, posa son manteau et se dirigea vers sa chambre pour trouver de quoi se changer, remarquant à peine l'absence de Mulder. Puis elle se dirigea comme un automate vers la salle de bain et prit une douche brûlante. Elle enfila un pyjama de flanelle chaud et épais avant d'ouvrir le placard à pharmacie pour prendre une aspirine. Son regard tomba sur une boîte de somnifères. Une boîte à peine entamée.

Elle laissa ses doigts effleurer le flacon. Ce serait si simple… En avaler une bonne douzaine avec la bouteille de vodka rescapée de l'anniversaire de son frère…

Elle attrapa le flacon et le contempla longuement. Puis elle marcha jusqu'à sa chambre.

Ce ne fut qu'une fois les couvertures remontées sous son menton et le visage enfouit dans l'oreiller qu'elle s'autorisa à éclater en sanglots. Elle pleura longtemps, son oreiller trempé de larmes étouffant ses hoquets, recroquevillée sur elle-même, et finit par s'endormir d'épuisement.

Vingt minutes plus tard

Mulder ouvrit la porte de l'appartement et soupira de soulagement en trouvant le manteau et la serviette de sa partenaire abandonnés sur une chaise. Mais aucune lumière n'était allumée et pas un bruit ne parvenait à ses oreilles. Il marcha en silence jusqu'à la salle de bain encore humide et remplie de l'odeur de Scully et finit par ouvrir la porte de la chambre.

Un soupir triste s'échappa de ses lèvres alors que la pâle lumière d'un rayon de lune laissait apparaître les larmes pas tout à fait sèches sur le visage de la jeune femme endormie. Elle était couchée sur le côté, ses genoux ramenés presque contre sa poitrine.

Il s'approcha doucement et s'assit près d'elle sur le bord du lit.

Il avait tout de suite garé la voiture aussi vite qu'il avait pu quand elle était sortie de la voiture, mais les quelques minutes qu'il lui avait laissées lui avait suffi pour prendre assez d'avance. Il l'avait cherchée jusqu'à maintenant, mort d'inquiétude, et avait finit par retourner chez elle avec l'espoir qu'elle y était. Il ne s'était pas trompé.

Le jeune homme caressa tendrement et légèrement la joue de sa partenaire, essuyant ses larmes. Elle sursauta et ouvrit les yeux.

- C'est moi, Scully !

Elle hocha la tête et la reposa sur l'oreiller en silence, ses grands yeux bleus fixés sur son partenaire. Alors, après de longues minutes sans un bruit, elle lui posa la question qu'il s'attendait le moins à entendre.

- Pourquoi est-ce que tu restes avec moi ? souffla-t-elle d'une voix douce, presque tranquille.

- Pardon ? sursauta-t-il. Qu'est-ce que tu veux dire ?

- Rien d'autre que ça. Pourquoi es-tu encore l ?

La jeune femme se redressa et appuya son dos sur les oreillers. Il ne dit rien pendant un moment, puis :

- Parce que je t'aime, Scully. Plus que n'importe qui d'autre sur cette Terre.

- Ce n'est pas vrai.

- Bien sûr que si, protesta-t-il. Je croyais que tu le savais… Mais…

L'index de son amie vint sceller ses lèvres.

- Tu aimes celle que j'étais avant, Mulder, souffla-t-elle. Je ne suis plus la même. Tu aimais une femme forte et capable de te suivre, pas… ( elle eut un geste vague de la main)… ça. Je ne…

- Shh, ordonna-t-il. Tais-toi. Je ne veux pas que tu parles comme ça, surtout parce que ce ne sont que des mensonges.

Le menton de Scully se mit à trembler, elle mordit sa lèvre inférieure et baissa la tête.

- Je suis désolée, murmura-t-elle. Pardonne-moi.

Mulder crut sentir son cœur se briser en mille morceaux. Il caressa doucement sa joue, remonta son visage pour plonger son regard dans le sien.

- Je t'aime. Je t'aime plus que tout au monde. Et tu n'as rien, tu comprends, RIEN à te faire pardonner, mon ange.

Un sanglot secoua la poitrine de la jeune femme.

- Je ne suis pas ton ange, Mulder. Je le voudrais mais…

- Shh…

Il entoura sa taille de ses bras et la ramena contre sa poitrine où elle se mit à pleurer plus fort.

- Tu es mon ange. C'est toi qui me donne une raison de vivre.

Elle leva son visage et un éclair de bonheur traversa son regard bleu. Il avait été court, mais le jeune homme l'avait clairement vu. Elle reposa son visage sur sa poitrine et ils restèrent dans cette position pendant de longues minutes.

Il remarqua le flacon sur la table  de chevet, et son regard s'assombrit.

- Qu'est-ce que…

La jeune femme se mordit la lèvre inférieure. Elle ne s'était même pas rendu compte qu'elle l'avait ramen

- Ne fais jamais ça, articula-t-il d'une voix blanche.

- …

- Tu n'as pas le droit de le faire, tu m'entends ? Tu n'as pas le droit d'abandonner, et de me laisser seul, parce que…

Sa voix se brisa et Scully remarqua qu'il pleurait aussi. Elle se serra plus fort contre lui.

- Je ne le ferai pas, promit-elle. J'y ai pensé, ce soir, c'est vrai, mais je…

Il la serra un peu plus fort.

- Je t'aime, murmura-t-il à son oreille. Je t'aime, je t'aime, je t'aime…

Ils finirent par tomber tous les deux sur le matelas et se glissèrent sous les couvertures. Puis Mulder, le torse appuyé contre son dos, modela son corps sur le sien.

Il embrassa tendrement sa tempe, ses cheveux, alors que leurs pleurs se calmaient graduellement.

Quand il se réveilla le lendemain, Scully était toujours collée contre lui, ses bras accrochés à sa taille. Il ouvrit les yeux pour rencontrer ceux de son amie qui le fixaient tendrement.

- Bonjour, mon ange, souffla-t-il.

- Bonjour.

- Tu es réveillée depuis longtemps ?

- Non, mentit-elle.

- …

- Euh, Mulder… je suis désolée à propos de ce qui s'est passé hier soir. Je ne sais pas ce qui m'a pris de réagir comme ça…

- Laisse, ça ne fait rien.

- OK.

Elle lui sourit timidement et s'approcha pour frotter sa jouer contre la sienne. Sa petite barbe matinale était rêche contre sa peau, et son sourire s'élargit. Puis elle bougea son visage pour le placer tout près de celui de son ami, à quelques centimètres à peine. Ce dernier ne bougeait pas, il attendait qu'elle fasse le premier pas.

Quand ses lèvres douces et chaudes caressèrent les siennes, il crut qu'il allait se noyer dans cette sensation. Il semblait s'être écoulé une éternité depuis la dernière fois où ils s'étaient embrassés.

Il remonta ses mains sur ses joues, puis caressa doucement son cou. Mais quand ses lèvres quittèrent sa bouche pour embrasser son cou parfumé, Mulder la sentit se tendre. Il se recula immédiatement.

- Non, protesta-t-elle. Je ne…

- Ca ne fait rien, Scully.

- Si ! Je n'étais… pas prête. C'est tout.

 Ils ne dirent rien pendant un moment, les yeux dans les yeux. Puis Scully remonta son visage et rencontra ses lèvres.

Ils s'embrassèrent doucement, tendrement, timidement, comme pour la première fois. Et cette fois, c'est elle qui passa les mains dans les doux cheveux courts de son partenaire. Il répondit doucement à son baiser.

Les lèvres chaudes du jeune homme se séparèrent après un moment, et sa langue caressa la bouche de Dana qui le récompensa en ouvrant le passage. 

Leurs deux langues refirent connaissance dans une danse sage, puis se séparèrent alors que la jeune femme rompait le baiser.

Elle lui adressa un sourire franc et tendre, le premier réellement détendu depuis longtemps. Il l'embrassa longuement sur la joue.

- Merci, mon amour, souffla-t-elle.

Une lueur de bonheur s'alluma dans ses yeux verts en entendant ses mots.

- Je t'aime, répéta-t-il.

- Je sais. Je t'aime aussi, même si je ne suis pas très douée pour le montrer…

- Ne dis pas de bêtises.

Scully eut un sourire un peu timide.

- Merci.

- Euh, Scully, commença-t-il sur le ton de la plaisanterie, je sais que tu essaies de réparer mon ego, mais je pense que tu en fais trop.

Le sourire de la jeune femme s'élargit.

- Tu n'as aucune raison de me remercier, ajouta-t-il sérieusement.

- …

- …

- Très bien. J'ai le droit de te dire que je t'aime, alors ?

- Oui, à volonté, sourit-il.

- Ca marche. Je t'aime.

                                                                                     *******

Les semaines suivantes s'écoulèrent tranquillement. Scully voyait Emma régulièrement, jusqu'au jour où la thérapeute lui annonça qu'elle ne lui serait plus d'aucune aide. La jeune femme voyait encore le sourire un peu triste de celle qui était devenue son amie ce matin-là.

«

- Alors, on se revoie dans quinze jours, c'est ça ?

- Dana, je ne crois pas, non. Vous n'avez plus besoin de moi.

- Pardon ? Bien sûr que si, vous vous trompez…

- J'ai raison. Je vais être franche, j'ai beaucoup d'amitié pour vous, et c'est sans doute ce qui m'a fait poursuivre les séances jusqu'à aujourd'hui, même si ce n'était plus vraiment nécessaire. Vous avez pris le dessus sur ce qui s'est passé bien plus vite que les autres femmes que je vois, et je suis rassurée car je sais que vous n'êtes pas toute seule.

- Très bien, murmura l'agent.

- Cela ne nous empêchera pas de nous voir dans le futur, et pourquoi pas… en tant qu'amies ?

- J'en serais ravie.

Elles échangèrent un grand sourire.                                                                                                                     »

Le train-train régulier était lui aussi revenu, avec un peu moins d'assurance qu'avant. Mais Mulder était là pour elle, comme toujours. Les X-Files étaient là aussi, toujours plus… surprenants, et étonnamment réconfortants dans leur étrangeté familière.

Scully se sentait reprendre le dessus petit à petit.

Elle en avait même parlé à sa mère et à Bill, profitant d'un repas familial. Comme elle s'y attendait, elle avait eut droit à des exclamations révoltées d'un grand frère possessif et à des baisers mouillés de larmes de sa maman. Ca n'avait pas été simple, et ils continuaient à la traiter un peu différemment, malgré ses protestations. Mais elle devait laisser du temps à tout le monde, y compris à elle-même.