Bonjour à tous et toutes !

Je suis heureux de pouvoir vous présenter ma participation au concours "Les jours de pluie" organisé par Cailean Charmeleon sur sa page Facebook, avec un jury composé de lui-même, Lyra Verin et Damelith. Le thème était donc "les jours de pluie" et la contrainte était de présenter un OS mettant en scène une lettre à se relire les jours de pluie pour se remonter le moral. Puisqu'il n'y a malheureusement pas eu d'autre participation que la mienne, j'ai eu la première place par défaut mais bon... Ça n'a rien de très glorieux.

En espérant cependant que vous apprécierez ce one-shot !


Gloria Laudanum

Été 1976. Carbone-Les-Mines, Midlands de l'Ouest.

L'Impasse du Tisseur fait partie de ces endroits du monde où la lumière semble ne jamais être autre chose qu'un filet grisâtre, cendreux, qui accroche le regard mais étrangle la gorge.

C'est d'autant plus vrai les jours de pluie.

Ces jours-là, ceux où le ciel pleure tout son saoul, Severus peine à respirer, même assis sur le rebord de la fenêtre de sa chambre. Alors il regarde le vide, en-dessous de lui, si proche. Il serait si facile de se laisser tomber. Sans doute que ça ne le tuerait pas – après tout sa chambre n'est qu'au premier étage de cette petite maison en brique typique des régions ouvrières où il vit depuis sa naissance.

Mais ça lui ferait un peu de distraction.

Sauter dans le vide, yeux fermés, pour juste attendre que ses os éclatent dans l'impact de son corps décharné avec le trottoir défoncé.

Un autre jour peut-être.

Severus déplie sa silhouette émaciée, éteint distraitement la clope qui jusque-là travaillait bien bravement à encrasser ses poumons, et pose un pied sur le parquet avec méfiance, terriblement conscient que son salaud de paternel lui a probablement, de sa botte de chantier, brisé la cheville l'avant-veille. Un peu de magie suffit à faire fonctionner encore l'articulation, mais il n'a pas le luxe de forcer dessus. Une dose de Poussos aurait été plus approprié qu'un sort marmonné discrètement avec la vieille baguette de sa mère, mais comme pour la plupart des évènements de sa vie, Severus n'a eu d'autre choix de se débrouiller en serrant les dents.

Dehors, l'orage gronde. Dans le salon, situé juste en dessous de sa chambre, Tobias tempête. Eileen est sortie, malgré le mauvais temps, pour échapper à l'atmosphère lourde du foyer et remplir chichement les placards en ce début d'été. Le numéro neuf de l'Impasse du Tisseur n'est rien d'autre qu'un trou à rat poisseux et aliénant, où flottent dans l'air sanglots réprimés, effluves alcoolisés et rage sourde.

« Putain. »

C'est presque un grognement qui sort de la bouche de Severus lorsqu'un grand fracas se fait entendre depuis le rez-de-chaussée – Tobias a probablement trouvé dans quel recoin Eileen cache les assiettes.

Severus a un mépris profond pour les deux êtres qui l'ont mis au monde. Il hait les accès de colère de son père autant que son amour immodéré pour la boisson. Il maudit l'apathie de sa mère, incapable de fuir son époux autrement que par les médicaments qu'elle se procure çà et là.

Aussi s'est-il arrangé, l'été précédent, pour fuir pratiquement le domicile parental, ne rentrant qu'une nuit sur deux ou trois, préférant n'importe quel banc public ou coin de canapé à la confrontation au terrible désespoir qui enlise ses parents dans la destruction. Il ne veut voir ni son père et sa colère absolue envers la terre entière, ni sa mère et sa profonde dépression qui l'a presque arrachée au monde des vivants.

Severus sent son ventre se tordre douloureusement, alors qu'il se laisse tomber sur son lit, dont les vieux ressorts s'enfoncent toujours désagréablement dans son dos. Il essaye bien de se convaincre que c'est la faim qui le tourmente. Mais peine perdue.

Car l'été dernier, Severus a erré de connaissance en connaissance. Les quelques moldus de son âge avec qui il a traîné de temps à autre. La vieille voisine dont il sait qu'elle a perdu un fils, à peine majeure, des décennies plus tôt. Et Lily.

Encore et toujours Lily.

Une nausée le prend à la gorge, et ses doigts se crispent sur les draps. Rien que de penser à elle crispe douloureusement son cœur.

« Sale Sang-de-bourbe ! »

Si seulement Severus n'avait jamais prononcé ces mots. Foutu orgueil mal placé. Foutus Maraudeurs qui l'humilient et harcèlent encore et encore, jusqu'à l'envoyer dans la gueule d'un loup-garou et lui offrir une pléthore de nouveaux cauchemars.

Foutue Lily aussi – pour ne jamais lui avoir laissé une seconde chance. Il essaye bien de se convaincre que la perte de cette amitié est pour le mieux. Lui qui verse dans la magie noire et les idées pro Sang-Purs, lui qui a choisi de suivre Rosier et Mulciber dans tous leurs mauvais coups, lui qui s'évertue à tuer jusqu'à la dernière parcelle de son héritage moldu honni – lui qui malgré tout échoue à verrouiller les battements de son traître de cœur qui ne semble pulser que pour la jolie rouquine aux yeux d'émeraude.

Dans la petite chambre aux murs décrépis, Severus étouffe. Les larmes s'écrasent au creux de son cou et il cède. Tout son corps est tellement douloureux, son cœur tellement palpitant dans sa poitrine et ses yeux tellement brûlants de gouttes amères qu'il recommence encore.

Il cède à l'envie, cède à la petite bouteille qu'il cache soigneusement dans une bourse de cuir, bien tapie entre le matelas et le cadre de son lit.

Parce qu'il a mal, tout le temps mal, Severus se laisse engloutir.

Roulant sur le flanc, il étire le bras et glisse une main aux ongles brisés dans la cachette qui protège sa précieuse fiole. Une fois attrapé, le sac de cuir est bien vite ouvert, et quand Severus fait rouler entre ses doigts la bouteille de verre pour en apprécier la hauteur du liquide, un air euphorique efface un peu de la dureté qui peint habituellement ses traits disgracieux.

La fiole renferme une ivresse merveilleuse. L'assurance de nuits sans cauchemars et une accalmie divine de la douleur qui ne cesse jamais de pulser dans ses os.

Du laudanum.

Et quand Severus avale une large gorgée de vin d'opium, il voudrait ne jamais s'arrêter, laisser le liquide alcoolisé et légèrement sucré couler dans sa gorge encore et encore – quitte à se perdre lui-même dans la douceur onirique provoquée par le pavot somnifère.

Car il oublie alors cette douleur qui l'étrangle, il oublie combien Lily lui manque, tout comme il oublie tous ceux qui rient de lui à Poudlard. Il oublie Eileen et son regard vide, Tobias qui ne parle qu'avec les poings et lui reproche jusqu'à son existence même.

Et Severus oublie aussi l'amertume qui le saisira pourtant de nouveau dans quelques heures – celle de ne pas valoir mieux que ses parents. Il les abhorre à en vomir mais sa carcasse pitoyable est la matérialisation physique du pire de ses deux géniteurs.

Severus se demande parfois quand a-t-il achevé de perdre tout contrôle sur sa vie.

Mais enfin, une fois l'opium distillé dans sa chair, une fois ses sens enveloppés tout entier dans la rêverie liquide, ça n'a plus d'importance.

Plus tard oui, plus tard il se souviendra, saura oh combien il n'est rien, rien d'autre que le misérable Servilus, si misérable qu'il n'a que l'opium pour fuir sa triste vie.

En attendant, Severus se laisse aller à la somnolence quelques instants, tranquillisé par la drogue qui coule dans ses veines. Et puis, comme après chaque prise de laudanum, il replonge la main dans la bourse de cuir, et en sort un morceau de parchemin plié avec le plus grand soin. Du bout des doigts, avec révérence, il le déplie alors, et se repait du message qui y est écrit à l'encre noire.

Oh, il en connaît chaque mot par cœur, mais c'est un appétit sans fond qui le prend à la lecture du texte en pleins et en déliés. Severus lit, se gave, jusqu'à ce que les mots deviennent flous, jusqu'à ce que les lettres se mettent à danser devant ses yeux.

Mon Sev',

J'espère que tu recevras ce message avant que je rentre de Sidmouth, je t'écris le dix-sept juillet. Puisque le but est de te faire patienter jusqu'à mon retour, ce serait dommage que j'arrive avant le hibou postier. Mais tu n'imagines pas le mal que j'ai eu à en trouver un sans attirer l'attention de mes cousins ! Enfin, j'espère que les choses vont aussi bien que possible de ton côté, n'hésite surtout pas à venir dormir à la maison dès que je suis rentrée. Et tu n'as pas intérêt à faire ta tête de mule, si tu as besoin de potions de soins tu me le diras hein ?

Je t'aurais bien raconté les excursions que j'ai fait avec mes parents mais je garde plutôt ça pour la fin des vacances, je suis sûre que tu seras ravi d'entendre les déboires de Pétunia avec une mouette voleuse de sandwich… Et puis ça te changera un peu les idées, j'imagine bien que ton été ne doit pas être aussi agréable que le mien.

Pour répondre à la lettre que m'a envoyée, non je n'ai pas encore lu la traduction du dernier article de Libatius Borage qui est paru dans le Mensuel de Potions, mais au vu de ce que tu m'en as écrit, j'ai déjà une bonne idée de ce qu'il vaut. Tu pourrais te trouver un job dans la critique de travaux scientifiques tu sais ?

Enfin bon, on en discutera certainement plus tard dans l'été. Pour l'instant je dois finir cette lettre, le hibou postier commence à s'impatienter. Décidément je les aime pas, avec leurs sales yeux jaunes ! Je terminerais donc en te rappelant, crétin obstiné et dépréciatif que tu es, combien tu comptes pour moi. Rentre-toi une bonne fois pour toute dans le crâne, mon cher, que tu n'as rien d'un, je cite, « serpent visqueux et sociopathe inapte à la vie en société ». Tu te la joues Potter ou quoi ? Si je mentirais en disant que tu es un parfait gentleman, tu restes mon meilleur ami, et un garçon brillant, inventif, avec un sacré sens de l'humour (quoiqu'un peu sombre parfois je te l'accorde), et Merlin m'en soit témoin, les heures passées en ta compagnie sont toujours merveilleusement enrichissantes !

Je n'échangerai ces moments avec toi pour rien au monde.

Prend soin de toi,

Lily

Quand il relit ce mot en ayant les idées claires, Severus se sent proprement pitoyable d'être si avide de l'attention de son ancienne amie qu'une simple lettre envoyée depuis une station balnéaire quelconque l'été précédent lui fasse tant de bien.

C'est aussi cela qui le pousse à consommer ce vin d'opium quasiment jusqu'à en perdre la raison. L'oubli que Lily ne veut plus entendre parler de lui. Quand les rêves embrument son cerveau, il peut lire ce mot et savourer l'affection qui y transparaît sans se dégoûter de la déchéance émotionnelle qui est la sienne.

Et quand, des heures plus tard, l'orage gronde au-dessus de la maison et que Tobias se défoule sur lui avec une hilarité sadique, Severus se raccroche désespérément au goût du laudanum qui persiste sous sa langue.

Dans son enfance, pour une lèvre fendue, sa mère lui offrait un baiser. Pour des coups de ceinture, un verre d'alcool fort.

Elle n'a jamais rien su, ou rien voulu savoir, des mains qui venaient souiller sa chair tendre d'enfant.

Eileen désormais réduite à un pantin sinistre par la main de Tobias, Severus se console seul.

De Lily il ne reste qu'une pauvre lettre relue en boucle. De la femme qui l'a porté, Severus n'a plus rien – sa nouvelle mère se nomme Laudanum.

Un peu d'opium et d'encre noire. Voilà tout ce avec quoi il apaise son cœur en piteux état.

Tant que pouvoir et reconnaissance ne seront siens, Severus n'est rien d'autre qu'un fragile adolescent malmené par la rudesse de l'existence. Une frêle carcasse cahotée sans relâche par de violents orages.

Tant que pouvoir et reconnaissance ne seront siens, Severus se bricole une survie en petits morceaux, faite d'une amitié perdue douce-amère et d'une fiole emplie d'illusions liquides.

Fin


Et voilà ! N'hésitez pas à me faire savoir si vous avez apprécié ce texte - et ma vision d'un Severus adolescent. Ce texte est assez personnel, puisque j'ai moi-même été addict à un médicament à l'adolescence... J'ai donc tenté de retranscrire un peu cette expérience ici !

Merci de m'avoir lu !