Note de l'auteur: La fic se déroule entre 2004 et 2011. Harry Potter n'y apparaîtra pas, ou alors avec une importance secondaire. Il n'y aura pas de voyage dans le passé ou je ne sais quoi. J'ai simplement voulu exploiter le monde de HP d'une manière originale, en particulier certaines choses découvertes dans le tome 5. Par conséquent SPOILERS!
Chapitre 1:
Regardez la Terre. Elle est là, devant vos yeux, belle et ronde comme une orange, bleue comme le ciel. Tout autour d'elle n'est que froid et noir, mais elle resplendit, réfléchissante de lumière offerte par le soleil. La lune, ronde, argentée, si grosse par rapport à notre planète et pourtant si petite pour nos yeux d'humains rattachés au sol, incapables de s'envoler.
Elle est couverte d'eau, notre Terre, mais ça et là, si vous regardez bien, vous verrez des continents. Des ilôts de terre, garnis de montagnes et de plaines, et que les humains ont colonisés et asservis. Cherchez bien: là, le plus petit des continents, celui qu'on a dit le plus âgé, mais ce n'était qu'illusion, car la vie n'est pas apparue ici mais en Afrique. L'Europe, donc: rappochez vous. Encore. Vous voyez, là, tout à gauche? Un couple d'îles, qui brave les vents et les marées venues d'Atlantique? Descendez encore. Dirigez-vous vers la plus grande des deux. En bas, il y a une grande concentration de population, mais en haut il n'y a pas grand monde. Allez plutôt là-bas. Rapprochez-vous
Bien. Vous le voyez, là, ce château? Oui, il a l'air en ruines à vos yeux de Moldu. Non! Vous n'avez pas de rendez-vous urgent avec votre banquier, ni avec votre vieille tante Hortense! Non, réellement! Allez, approchez, oubliez ce rendez-vous, il n'existe pas! Courage, vous y êtes presque
Voilà. Vous avez passé la barrière repousse-Moldu et vous êtes entré. Bravo. Vous êtes presque arrivé, il ne vous reste plus qu'à parcourir le parc; évitez la forêt, vous y feriez de mauvaises rencontres Vous voyez ce château? Oui, il est beau, pas vrai? Plus du tout en ruines, vu d'ici, hein? Longez-le. Derrière lui, au pied de la haute falaise, il y a un lac. N'hésitez pas: plongez. Ça ne vous fera rien, allez! Plongez au fond du lac, mais restez à proximité de la falaise, surtout. Excellent. Nagez un peu voilà, vous les voyez, là? Les grandes fenêtres qui donnent sur la partie la plus basse de Poudlard? Vous faites fuir un banc de poissons argentés, des algues lumineuses vous chatouillent le ventre collez votre visage à la fenêtre.
Vous voyez une grande salle sombre, éclairée seulement par des feux à l'étrange couleur verte. Les fauteuils ont l'air confortable, m Les hautes colonnes qui soutiennent le plafond sont sculptées des serpents qui s'enroulent du bas vers le haut. De lourdes tapisseries décorent les murs, et elles présentent un écusson à l'image d'un serpent. Et là, dans ce fauteuil au coin de la cheminée, la jeune fille aux cheveux roux qui lit un livre en se chauffant les pieds, c'est moi.
Je suis la dernière des Serpentards.
Mes parents ont eu la mauvaise idée de m'appeler Ambriastelle. Un nom qui a dût être à la mode il y a deux cent ans. Personnellement, je préfère Ambre. C'est comme ça que les gens m'appellent, enfin, ceux qui m'appellent. En général on préfère m'éviter. Je dois faire fuir.
C'est peut-être le fait que je sois la dernière représentante d'une maison qui s'est fait une renommée sur de longs siècles d'existence. Une renommée d'élitisme et de jugement sur le sang. Je suis une Sang-Pur, oui, je descends d'une longue famille de Sorciers. Je n'en suis pas particulièrement fière, plus maintenant. Disons que je m'en fiche.
Je ferme mon livre dans un claquement qui résonne sur les murs froids et vides de ma Salle Commune. Oui, j'ai pris l'habitude de dire MA Salle Commune, tout comme MON dortoir, MA maison après tout, elle m'appartient en quelque sorte. J'aurai été la denière à porter son flambeau, et quand je quitterai Poudlard dans quelques jours, elle fermera ses portes à tout jamais. La quatrième table de la Grande Salle, où j'ai mangé seule pendant tout une année, sera débarassée. Le sablier géant qui décomptait mes points disparaîtra. On ôtera le serpent de l'écusson de l'école et tout le monde l'oubliera. D'un certain côté, cette charge me pèse comme si j'en étais responsable. Je me dis que j'aurais dû faire exprès de rater mes examens, de redoubler ma septième année, rien que pour que le nom de Serpentard dure encore un an, une ultime année.
Comment en sommes-nous arrivés là?
Je me lève de mon fauteuil, qui grince un peu. Le mobilier de ma Salle Commune a vécu. Il n'est plus entretenu depuis depuis qu'il n'y a plus que moi. Un élève, ça ne compte pas. Ils n'ont pas envie de s'embêter pour moi.
Non pas que je me plaigne. Oh, peut-être que j'aurais vécu une meilleure scolarité si j'avais eu des camarades, mais peut-être aussi que j'aurais été moins à ma place. Là, au moins, c'est moi qui la crée, ma place. Pas de problème d'encombrement. La maison de Serpentard, c'est moi. Les traits des Serpentards, ce sont les miens. Logique.
Mes traits, justement. Je m'approche de la grande glace qui orne l'entrée de ma Salle. Je me contemple dedans. Mes traits sont fins, mon nez peut-être un peu trop présent à mon goût, mais je ne l'ai pas modifié depuis plusieurs mois. Mes cheveux sont couleur d'ambre, ni très blonds ni très roux, j'ai adopté cette couleur il y a plusieurs années déjà, quand j'ai commencé à me faire appeler Ambre, en fait. Et mes yeux, ça, j'en suis le plus fière. Ils sont dorés, tout dorés comme mes cheveux, peut-être un brin plus sombres. J'adore cette teinte, elle me fait un regard transperçant. Les gens me regardent bizarrement au début, mais ceux qui me connaissent se sont habitués. Je n'ai pris cette couleur définitive que depuis deux ou trois ans. Avant j'en changeais tout le temps, presque chaque jour. Je n'en étais jamais satisfaite, je changeais d'avis d'un jour sur l'autre. Je suppose que j'ai mûri.
Oui, je suis une Métamorphmagus. De naissance. Mes parents ne l'étaient pas, pas plus que mes grands-parents. Je ne sais pas d'où vient ce don, mais j'en étais très fière étant petite. Maintenant, un peu moins. J'ai appris que ça dérangeait les gens quand j'étalais mon don en public. Ils me trouvaient instable, et certains étaient jaloux. Alors je me suis fixée. Même mon nez, je n'y touche plus. C'est bien comme ça. Je préfère ne pas prendre une apparence parfaite.
Sur ma robe noire d'écolière, l'écusson brodé d'un serpent. Il ne me va pas très bien au teint, je n'ai jamais aimé le vert. Mais je dois être fière de ma maison. je suis la dernière à pouvoir l'être, fière. Je n'ai pas le droit de la renier, ou ce sera sa deuxième mort.
Comment en sommes-nous arrivés là?
Laissez-moi vous raconter une histoire.
La foule était dense sur le quai 9 3/4 en ce matin froid de septembre. Mes parents se frayaient un chemin à coup d'épaules, et moi je suivais, accrochée aux jupes de ma mère. J'avais les cheveux noirs mi-longs et les yeux bruns, c'était ma période "ténébreuse". J'avais dix ans. Presque onze.
Le wagon où je suis montée, je l'ai trouvé sale et mal entretenu. Oui, j'étais une vraie Serpentarde dans l'âme, à l'époque. Jamais satisfaite.
J'ai rencontré un groupe de nouvelles, comme moi, qui allaient en troupeau. Certaines avaient l'air plutôt sympas, alors je les ai suivies. Nous sommes entrées dans un compartiment au hasard et on s'est serrées pour toutes rentrer. On devait être huit, et chaque banquette du Poudlard Express est prévue pour trois, mais c'est mince à cet âge-là. Ça rentrait.
- Tu t'appelles comment? m'a demandé une toute petite fille aux cheveux châtains et très longs.
- Ambriastelle, j'ai dit. Elles m'ont toutes regardé avec des expressions ahuries.
- Ça te dérange pas si on t'appelle Ambre? a fait la petite gamine. J'ai dit non. Et voilà, c'était la première fois. Depuis, ce surnom m'est resté.
Elle s'appelait Cassandre Sevestre, et cette rencontre n'a été que la première d'une longue histoire d'amitié entre nous. Les autres filles n'ont eu qu'une importance moindre dans ma vie, mais elles ont quand même été mes camarades pendant sept années, et je crois que je peux citer leurs noms: Lizzie Byrne avait des cheveux tout blonds, des tâches de rousseur et un sourire ravissant; Janet Wilkins portait ses cheveux bruns au carré et elle a toujours été aimable avec moi malgré la maison où elle a été envoyée; Natalie Flanagan était une grande gueule aux yeux rieurs; quand aux trois autres, qui portaient les noms de Sara Cox, Elenn Hughes et Mary Gainsborough, elles n'ont pas eu autant d'importance pour moi et tout ce qu'elles m'ont laissé comme souvenir est celui de leurs apparences, qui n'a pas tant d'intérêt.
Je me rappelle nos discussions dans ce train: c'étaient celles d'un groupe de filles de onze ans, tellement importantes à l'époque, et finalement tellement futiles. Je lisais beaucoup à cet âge-là, mais mes nouvelles amies n'étaient pas très portées sur les livres, et j'étais peu concernée par leurs conversations. Mais trois sur les sept étaient des enfants de Moldus (oui, j'ai perdu cette mauvaise manie de dire "Sang-de-Bourbe", je vous en parlerai plus tard) et c'était leur premier contact avec le monde magique; alors j'ai pu profiter des longues heures de trajet pour leur raconter ce que je savais, ce que j'attendais, ce qui me faisait peur pas de cette manière, bien sûr, parce que je n'aurais jamais avoué que je connaissais la peur mais quand je leur parlais de la Répartition, des profs horribles ou encore des punitions bizarres infligées par le concierge, c'était une manière d'exorciser mon appréhension. Je ne sais pas si elles l'ont perçu comme tel. Il est vrai qu'elles étaient très occupées à essayer d'imaginer ce qui les attendait, et ça n'était pas facile, pas du tout. Même moi, à qui on avait parlé de Poudlard depuis toujours, je ne pouvais pas imaginer ce qu'est réellement ce château.
Nous sommes arrivés à la tombée de la nuit, et il avait commencé à bruiner, mais on a quand même essuyé la traversée du lac sur les barques, avec le gigantesque garde-chasse du nom de Hagrid, qui tenait la lanterne bien haut pour nous éclairer. Nous sommes entrés dans la grotte au pied de la falaise, nous avons débarqué des navires, et je me souviens que quand j'ai posé le pied à terre, je me suis dit: "Enfin à Poudlard". Ma vie commençait là.
Elle s'est terminée vingt minutes plus tard.
Je ne sais pas si je dois remonter dans le château ou quoi. J'hésite à aller retrouver Lizzie et Janet sur la prairie, là-haut, au chaud soleil de juin. Oh, bien sûr, je pourrais, et elles m'accueilleraient comme elles l'ont toujours fait. Il y a aussi les garçons de Serdaigle, Pol et Oswald, ils doivent être dehors eux aussi, et puis il y a une bande de Gryffondors sympas Mais je ne sais pas, je n'ai pas envie d'être avec eux, pas plus que je ne peux rester seule. Mon dilemne, ça. Le même qui m'a suivie toute cette année, ma dernière année à Poudlard.
Je crois que je vais rester ici. Il fait froid dans ma Salle, mais les feux chauffent fort. À l'intention de qui, on se le demande. J'ai pu faire tout le bordel que je voulais ici, il n'y a personne pour venir râler, et les Elfes de Maison rangent tout pendant la nuit.
Je vais rester ici et reprendre ma lecture. Ou, non, je vais penser. Je vais me souvenir de mes sept anneés de serpentardises.
La Cérémonie de la Répartition. Mon grand frère Aloysius m'en avait parlé, comme d'une terrible épreuve au cours de laquelle le Choixpeau vous posait plein de questions. Je dois dire que j'y ai cru jusqu'au bout, même quand j'ai vu que les gens qui passaient avant moi posaient à peine le chapeau bizarre sur leurs têtes que, déjà, il avait fait son choix.
Et j'y suis allée, à mon tour. C'est là que je suis morte, c'est toujours ce que je dis. Où ailleurs qu'à cet endroit-là? Si je suis morte ce soir-là, c'est parce qu'une saleté de Choixpeau a décidé de mon destin à ma place. Il n'y avait aucune raison pour qu'il agisse comme il l'a fait. Non, il m'a infligé cette malédiction par pure partialité, et c'est ce qui me fait le haïr.
Pourquoi moi plutôt qu'un autre? Elenn aussi avait l'étoffe d'une bonne Serpentarde, et je suis sûre que Oswald s'y serait senti à l'aise. Mais c'est tombé sur moi, pour une raison connue du Choixpeau seul. Sur moi et personne d'autre.
Est-ce en raison de mon nom? La famille Black a une très, très longue tradition de Sorciers noirs, mais ça ne suffisait pas à faire de moi une Serpentarde. En fait, je crois que je les avais, les traits de caractère. J'aurais pu être à Serdaigle aussi, peut-être même à Gryffondor; du moins, si Elenn y a été envoyée c'est que j'aurais pu l'être. Mais j'étais bien une Serpentarde, je ne nie pas ça: ce que je nie, c'est qu'il n'y en ait eu aucun autre. La fournée de première années était pleine de bon élèves pour ma maison. Le Choixpeau les a refoulés.
- Tu es pleine d'ambition, m'a-t-il susurré à l'oreille. Tu es travailleuse, c'est une qualité indéniable, et tu as du talent. Mais tu es solitaire, magouilleuse et tu n'hésites pas à marcher sur les autres pour te hisser à la première place. Je ne vois pas trop comment te mettre ailleurs qu'à Serpentard!
D'accord. Ce tableau n'était pas faux, à l'époque en tout cas. Je n'ai pas protesté, ça me convenait parfaitement: mes parents et mon frère étaient passés par là. Je suis allée sagement m'assoir à la table qui partait dans des délires de joie, sans que je sache pourquoi. C'est quand j'ai vu le Choixpeau arriver aux noms en M, puis en P, puis en W, puis en Z que j'ai compris.
Il n'avait pas l'intention d'en envoyer un seul. Pas un seul autre que moi. Pourquoi est-ce tombé sur moi, je l'ignore. Mais j'étais la seule Serpentarde de première année, alors que les autres maisons étaient bourrées à craquer.
- Tu t'appeles Ambrelle Black, c'est ça? m'a demandé un grand type brun assis à côté de moi.
- Ambriastelle, ais-je rectifié. Tu peux m'appeler Ambre, plutôt. Et toi?
- Ephrem Macnair. Félicitations, dis-donc. Je peux te serrer la main?
Je n'ai pas compris ce qui lui prenait, pas plus que tous ces élèves qui me saluaient, me félicitaient, me parlaient fièrement Ce n'est qu'en observant l'ensemble de la salle que j'ai remarqué quelque chose.
Les tables de Gryffondor, Poufsouffle et Serdaigle étaient extrêmement remplies. Les élèves étaient obligés de se serrer pour laisser de la place aux nouveaux. Au contraire, notre table était aux deux tiers vide.
- Qu'est-ce que ça veut dire? ais-je demandé à Ephrem.
- Ça, ma petite, a-t-il dit d'un air supérieur, c'est la raison pour laquelle tu viens de devenir une star.
- Quoi?
- La maison de Serpentard s'éteint, petite. Tu vois, moi, je suis en sixième année. On est sept dans ma classe. Les cinquième année sont huit, les quatrième huit aussi. Les troisième année, eux, sont quatre et les deuxième trois. On a tous cru qu'il n'y aurait plus personne cette fois-ci, mais il y a eu toi.
Je crois que l'ampleur de la révélation ne m'est pas apparue tout de suite, tant ça semblait aberrant. Du temps de mon frère, on n'avait jamais évoqué une quelconque extinction des Serpentards. Pour mes parents, cette maison restait la plus côtée, tellement plus sérieuse, qui triait ses membres sur le volet et voilà que ça devenait la maison des parias, tellement élitiste qu'elle ne laissait plus rentrer personne.
- Mais j'ai fait. Pourquoi il y en a de moins en moins? Les gens n'ont plus le caractère pour?
- Oh, non, est intervenu un autre type, un grand blond orgueilleux. Ne va pas croire ça. La moitié des Serdaigles devraient être chez nous, tu vois, et pareil pour plein de Gryffondors.
- Les traits qui font un bon Serpentard n'ont pas disparu, affirma Ephrem. C'est le Choixpeau qui a décidé de faire disparaître les Serpentards.
Pourquoi moi? Je me suis si souvent posé cette question que j'ai le sentiment qu'elle m'accompagne en permanence. Pourquoi Ambriastelle Black devait-elle être la dernière Serpentarde? Et je n'ai jamais, jamais eu de réponse. C'était de la pure injustice. On aurait au moins pu me laisser un compagnon, ou alors ne répartir personne dans cette maison. Mais laisser une seule élève assumer seule le nom de sa maison c'était profondément injuste. J'en veux tellement au Choixpeau qu'il m'arrive encore d'en rêver, certaines nuits.
Et j'en rêve encore, en ce moment, tandis que j'observe les flammes qui dansent dans l'âtre. Ce vert omniprésent m'insupporte. Je voudrais tout changer, casser tous ces murs, laisser rentrer l'eau du lac qui cogne à mes fenêtre, noyer définitivement l'horrible place de ma solitude incessante. Je voudrais arracher ces tentures à mains nues! Les déchirer et les donner à manger aux poissons. J'éteindrais ces feux verts comme la mort et j'en allumerais des oranges à ma place, orange, c'est ma couleur ça, ni rouge ni jaune ni bleu, aucune des trois maisons, mais résolument pas verte non plus, car le vert m'insupporte, il m'étouffe, il m'étouffe Tant de jours, tant d'années partagées avec les Gryffondors de mon âge m'ont bien changée. Voilà l'ultime malédiction du Choixpeau: la dernière Serpentarde ne l'est même plus à part entière, tant elle a fréquentée les autres maisons à défaut de la sienne. Oui, j'avais tous mes cours en commun avec Serdaigle, Poufsouffle et Gryffondor, mes amis étaient dans ces maisons et les Serpentards plus âgés que moi m'agaçaient. Et à présent, je me demande bien ce qui va m'arriver à l'avenir, car mon passé trop lourd m'empêche de regarder au-delà. J'ignore si je retrouverai des gens de mon espèce, qui sauront me remettre dans le droit chemin. J'ignore si je serai capable de les supporter. La dernière Serpentarde vivra-t-elle toute sa vie auprès d'ex-Gryffondors? Quelle ironie
Bien sûr, cette question que vous vous posez en me lisant, je me la suis posée aussi: pourquoi le Choixpeau magique faisait-il ça? Qu'est-ce que la maison du vieux Salazar avait bien pu lui faire pour qu'il lui en veuille à ce point?
Il a fallu attendre ma troisième année pour que j'en apprenne plus à ce sujet. C'était un soir de novembre, l'orage tonnait, et je sortais d'un cours de Potions au cours duquel Rogue m'avait accordé trente points coup sur coup, et retiré trente-cinq à différents Gryffondors. La conversation avec Lizzie et Janet était un peu froide, mais je crois qu'elles ne m'en tenaient pas rancune; du moins je l'espère, je n'ai jamais cherché à m'attirer les faveurs de Rogue, c'est lui qui me les a données tout seul. Je suppose qu'il me considérait comme le dernier rempart de serpentardise face aux assauts des trois autres maisons.
Donc, nous regagnions le Grand Hall. Je me souviens que Lizzie m'a demandé:
- Tu fais un crochet par la tour avec nous? Il faut que je récupère un livre à rendre à la bibliothèque, ou Pince va me fusiller.
J'ai hoché la tête. J'étais déjà entrée dans leur Salle Commune, et si certains Gryffondors me regardaient de travers je n'en avais cure.
Mais au détour d'un couloir, je suis tombée sur le Préfet-en-chef, un certain Avotcher:
- Black, c'est toi? il a fait.
- Ouais, ai-je répondu.
- Tu dois me suivre dans le bureau du directeur.
J'aurai voulu échanger un regard inquiet avec mes amies, mais j'avais ma fierté à préserver. Au lieu de ça, j'ai demandé:
- Elles peuvent venir?
Avotcher a secoué la tête:
- Juste toi, Black. Suis-moi.
Les deux Gryffondors ont haussé les épaules d'un air désolé et m'ont laissée. Le Préfet est parti d'un bon pas, et je lui ai couru après. Nous sommes arrivés devant une grande gargouille représentant une bestiole indéfinissable.
- Loukoum Liquéfiant, a dit Avotcher.
La gargouille a pivoté pour nous laisser passer. De l'autre côté, un escalier en pierre tournait lentement sur lui-même. Mon guide est monté, et l'escalier nous a emmené à l'étage.
- Professeur Dumbledore? a-t-il dit en frappant à la porte.
Pas de réponse. Il a réessayé. Finalement, il a poussé le lourd battant de bois.
- Bon, a-t-il fait en s'effaçant pour me laisser entrer. Tu l'attends ici, et surtout tu ne touches à rien. Je t'assure que dans le cas contraire, ça va barder pour ta maison.
- Ça va, je suis pas stupide, j'ai grogné.
Avotcher était un Serdaigle, aussi hautain que peuvent l'être les pires d'entre eux. Il m'a laissé après un dernier regard je-sais-bien-que-tu-vas-faire-plein-de-conneries-dès-que-j'aurai-le-dos-tourné', mais je l'ai ignoré froidement.
La porte s'est refermée, et je me suis avancée, intriguée. Je n'avais encore jamais vu ce bureau, et j'ai trouvé qu'il y régnait une atmosphère étrange, avec ces tableaux endormis et tous ces appareils inconnus sur des étagères. J'ignorais totalement ce que Dumbledore pouvait bien me vouloir: avait-ce un rapport avec mon statut de dernière des Serpentards? Oui, car depuis trois ans que j'étais à Poudlard, le Choixpeau n'avait plus réparti personne dans ma maison. Les premières et les deuxièmes années n'existaient pas à Serpentard. Les sixième et les septième de l'époque où j'étais arrivée étaient partis, et notre nombre se réduisait d'année en année.
Et c'est alors que je l'ai vu, endormi sur son étagère. Lui. Mon principal ennemi, qui dormait tranquillement en attendant la prochaine Répartition. Le Choixpeau Magique.
Et je l'ai enfilé. Ça n'a pas été plus compliqué que ça. J'ai marché jusqu'à lui, je l'ai attrapé en me hissant sur la pointe des pieds et je l'ai posé sur ma tête.
Bonjour'
- Pourquoi tu fais ça? j'ai demandé, bouillante d'une rage inextinctible.
Ça?'
- Ne te fous pas de moi, j'ai menacé en l'attrapant par la pointe et en serrant. Tu sais très bien de quoi je parle.
Oh! Tu es la petite Ambriastelle, hmm? Ambriastelle Black! Oui oui oui'
- Alors?
Tu te pose des questions sur ta maison? N'ai-je pas été assez clair? Tu es magouilleuse et supérieure. Ta place est là où je t'ai mise.'
- Je m'en fous! j'ai crié. C'est pas ça ma question, ok?
Quand j'y repense, je me demande toujours ce qui m'a mis dans cet état. C'est comme si le jugement froid et sans pitié du Choixpeau me dérangeait. Comme si, déjà, je doutais de ma place à Serpentard.
Quelle est ta question?'
- Tu le sais! Tu le sais!
Évidemment. Je voulais l'entendre de ta bouche. Et pas la peine de crier, j'entends très bien ce qu'il y a dans ta tête.'
- Alors réponds-moi.
J'avais pris mon ton le plus menaçant. Ça ne l'a pas effrayé d'un poil.
Tu veux savoir pourquoi je n'envoie plus personne dans ta maison.'
- Oui.
Hmm.'
- Alors?
La réponse n'est pas si simple.'
- Raison de plus pour t'y mettre tout de suite. Arrête de me faire patienter et réponds.
Très bien. Tu l'auras voulu. De toute façon, je m'étonne que tu ne l'ai pas encore deviné toi-même. Tu es plutôt lente, pour une Serpentarde.'
J'ai encaissé l'insulte sans broncher. J'attendais ma réponse, frémissante.
Tu veux savoir pourquoi il n'y a plus de Serpentards? La raison est simple, même si la réponse est compliquée à donner. La voici'
D'accord, ce n'est pas très sympa de ma part de vous faire baver. Je sais que vous attendez avec impatience cette réponse que, moi, j'ai mis trois ans à obtenir. D'autre part, y repenser me fait mal. Ça m'angoisse. Et encore plus à présent, après une année de solitude quasi-totale.
Je tiens à mettre les choses au clair. Après mon entrée à Poudlard, le bruit s'est répandu que la jeune Black était la dernière des Serpentards, et que la maison allait s'éteindre. De nombreux Sorciers se sont réjouits, tandis que ceux qui connaissaient la véritable essence de la maison de Salazar s'inquiétaient de cet état des faits. Toujours est-il que le Choixpeau a confirmé ses intentions l'année suivante, en ne répartissant personne chez nous. À partir de là, Poudlard a gagné une renommée qu'il n'avait pas voulu. On disait qu'à Poudlard, on pratiquait l'élistisme. On disait que Serpentard avait été fermée car c'était la maison des Mangemorts, on disait que Dumbledore craignait l'ascension d'un nouveau Seigneur Noir, un nouveau descendant de Salazar qui aurait les même pouvoirs que son prédécesseur. Les unes après les autres, les grandes familles de Sang-purs ont tourné le dos à notre école et ont envoyé leurs enfants à Durmstrang, ou à Gazzaladra en Italie. Poudlard devenait de plus en plus le lieu de fréquentation des Sang-de-Bourbe et des racailles telles que les Weasley et autres.
Les années ont passé, notre nombre s'est réduit à mesure que les élèves passaient leur ASPIC et s'en allaient. Et je me suis retrouvée seule, pour ma dernière année à Poudlard, seule de ma maison.
Pourtant, à l'époque de ce que je vous raconte, je ne l'étais pas encore. Je n'avais que treize ans, et nous étions encore vingt-quatre Serpentards. Mais je savais déjà comment ça allait finir. Et j'étais déjà amère. Voilà pourquoi j'ai écouté avec beaucoup d'attention et de dégoût ce que ce foutu Choixpeau avait à me dire
Tu veux savoir pourquoi il n'y a plus de Serpentards? La raison est simple, même si la réponse est compliquée à donner. La voici: votre maison est pourrie jusqu'à la moelle. Il y a soixante ans, un Sorcier est entré à Poudlard, a découvert la Chambre des Secrets dissimulée par Salazar Serpentard et a lâché un monstre sur les élèves. Plus tard, ce même Sorcier s'est plongé dans la magie noire, à tel point qu'il est devenu le Sorcier le plus puissant de tous. Avec ses nombreux adeptes, ils ont semé la terreur et les morts se sont comptés par centaines durant plus de vingt ans, jusqu'à ce qu'enfin le jeune Potter y mette fin. Crois-tu que cela serait arrivé si la maison du vieux Salazar avait existé? Crois-tu que tous ces Serpentards seraient devenus des Mangemorts si ils avaient été à Poufsouffle ou à Serdaigle? Et crois-tu que c'est l'une des trois maisons qui donnera naissance au prochain Seigneur des Ténèbres? Le crois-tu? Je vais te le dire, moi: la seule façon d'éradiquer les mages noirs, c'est de faire disparaître le lieu où ils apprennent
leurs petits tours.'
J'ai rejeté le Choixpeau, écurée et effrayée par tant de mauvaise foi. Je le tenais par la pointe, le plus loin possible de ma tête, mais ça ne m'a pas évité d'entendre la suite:
Je ne suis qu'un chapeau, je n'ai pas beaucoup d'influence, mais il y a une chose que je contrôle, et dans laquelle je suis seul maître. Tant que la Répartition sera de mon ressort, il n'y aura plus un seul élève à Serpentard.'
- Tu te trompes, ai-je craché. Ce n'est pas comme ça qu'il faut s'y prendre. Ça ne peut rien changer. Tu es fou!
Si j'avais eu tous mes esprits, j'aurai profité du peu de temps qu'il me restait pour lui poser la question la plus importante: pourquoi MOI? Mais j'étais perturbée et choquée par les aberrations que je venais d'entendre, alors je n'ai pas pu lui demander. Et un instant plus tard, le directeur est entré.
Albus Dumbledore était quelqu'un de vraiment mystérieux. D'aucuns affirmaient qu'il avait péri dans le combat contre Vous-Savez-Qui, et pourtant il était toujours là, assurant la direction de l'école sans heurts et sans fatigue, malgré son grand âge.
Il me surprit le Choixpeau à la main, et je me dépêchais de le reposer. Mais il ne fit aucune remarque et m'invita à m'assoir. Ce qu'il m'a dit ce jour-là, moi-même je ne m'en souviens plus. Mon esprit s'y refuse. Les révélations du Choixpeau l'ont accaparé, totalement, définitivement.
Les jours heureux s'en vont
Tels des papillons
Soufflés par la tempête.
Cassandre.
Je pense à elle, son visage refuse de quitter mon esprit. Cassandre.
Elle a été une amie, une vraie. J'aime à le croire, du moins. Je ne suis pas assez stupide pour m'imaginer qu'elle préférait fréquenter la paria de l'école à ceux de sa maison. Mais souvent, je repense à notre relation, à nos jeux, à notre complicité. Et je me dis: si. Elle préférait être avec moi qu'avec ces crétins de sa classe.
Cassandre. Je revois ses cheveux châtains qu'elle tressait en petites nattes, ses yeux verts qui me captivaient Elle était plus petite que moi, alors parfois, pour jouer, je rétrécissais ma taille pour avoir l'air d'une naine. Avec toute autre personne, je me serais sentie humiliée, mais avec Cassandre ça nous faisais rire.
Je me souviens d'un jour
Nous étions en quatrième année. L'année de tous les délires, sans doute celle où je me suis sentie le mieux dans ma peau.
C'était le mois de janvier. Un week-end. Il neigeait à n'en plus voir à cinq pas, des tonnes et des tonnes de neige qui tourbillonaient. Le vent sifflait à nos oreilles. Cassandre revenait d'un entraînement de Quidditch, et j'étais allée la regarder, peut-être par masochisme. je n'aime pas le Quidditch. Je n'y peux rien, mais voir ces gens qui risquent leur peau, à trente mètres du sol, ça me met mal à l'aise.
Nous étions donc là, elle et moi, dans la neige folle qui dissimulait tout. Elle avait son balai à la main, et s'était tellement enroulée dans son écharpe bleu et bronze qu'on ne voyait plus que ses yeux. Moi, je portais un bonnet de laine orange, faisant fi des règles communes aux quatre maisons (à savoir: ne porter que des vêtements aux couleurs de sa maison) et je laissais mes cheveux flotter au vent. Nous marchions pour revenir du terrain de Quidditch, mais je ne sais comment nous nous sommes trompées de directions. Tout à coup, Cassandre fit un pas et s'écroula sur les fesses avec une soudaineté qui nous fit éclater de rire. J'avançai, et c'est moi qui me retrouvai à mon tour étalée par terre.
- On s'est complètement trompées! s'exclama Cassandre. On est au lac gelé!
En effet, on était carrément pas au bon endroit. Mais c'était une bonne occasion de faire des glissades, et on en a profité, et plus que ça! Une heure après, l'infirmière nous découvrait à sa porte, trempées jusqu'aux os et les extrémités gelées. On est restées à l'infirmerie une semaine, et je me souviens que le capitaine de l'équipe de Cassandre était furieux contre elle. Mais quelles rigolades on s'est payé! Toute la journée allongées dans deux lits voisins, avec l'infirmerie pour nous toutes seules, jouant aux cartes avec nos doigts engourdis ou nous racontant des histoires
Cassandre avait un don pour les histoires. Plus tard, elle voulait devenir écrivain. Je lui ai demandé, une fois, ce qu'elle écrirait. Elle me répondit qu'elle se lancerait avec plaisir dans le récit de la scolarité d'un petit Sorcier à Poudlard.
- Tu rigoles! j'ai fait. Ça n'intéressera personne!
Je crois que je l'ai blessée, mais elle n'en a rien laissé paraître. De la graine de Serpentarde, ma Cassandre. Elle a fait la bravache et a affirmé qu'un jour elle serait mondialement connue et que ses livres se vendraient comme des petits pains.
Oh, Cassandre que je donnerais cher à présent pour pouvoir lire un jour les aventures de ton petit Sorcier
Des histoires, elle en racontait n'importe quand. Dès que le silence s'installait et que l'ennui montait, elle fermait les yeux un instant et les rouvrait avec dedans une foultitude de chevaliers, de mages noirs, de dragons, de Moldus maléfiques, de planètes vierges à conquérir, de combats à l'épée, de duels de magie, d'amazones chevauchant des Abraxans, de créatures secrètes tapies dans l'ombre d'une forêt d'épines, de nuages dorés à l'horizon et de plein d'autres choses encore
Souvent, je n'étais pas la seule à écouter. Si moi j'ai acquis la renommée de la Dernière Serpentarde, Cassandre, elle, au fil des ans, a acquis celle de Conteuse. Elle commençait une histoire pour moi et pour Janet, et la terminait pour une dizaine de Gryffondors et de Poufsouffles en admiration. Elle était comme ça, Cassandre. Elle captivait.
J'en ai parlé à Janet, un jour. Je m'en souviens, c'était un soir de septembre et nous discutions au coin d'un feu nourri:
- Tu en penses quoi, de Cassandre? m'a demandé Janet.
Je ne m'étonnai pas de la question. C'était le genre de question à la Janet: directe, sans détour et sans forcément beaucoup de tact non plus.
- C'est mon amie, j'ai dit.
- Ah, parce que moi pas, a-t-elle demandé très sérieusement.
- Tu es bête, j'ai fait pour couper court à des explications embarassantes.
Le fait est que, oui, Cassandre m'était plus chère que Janet. Je n'avais pas envie de chercher des raisons à ça, et encore moins de les exposer.
- Et toi, tu en penses quoi? ai-je demandé pour réorienter le sujet.
Évidemment, elle n'attendait qu'une chose depuis le début, c'était que je lui pose cette question. Je le savais, elle savait que je le savais, c'était comme ça entre nous. C'était Janet.
- J'en pense que c'est quelqu'un de formidable, a-t-elle dit en vidant un verre de Bièraubeurre d'une gorgée. C'est une conteuse-née. Elle te fait voir en vrai ce qu'elle raconte, comme si c'était un film qu'elle te passait dans la tête. C'est beau. Je trouve ça beau, quand tous les gens l'écoutent sans rien dire, et qu'ils ont tous le même paysage dans les yeux, chacun à sa façon. C'est la magie-Cassandre, ça.
- Oui, ai-je opiné.
Il n'y avait pas grand chose à rajouter. Notre discution s'est orientée sur autre chose, peut-être sur quelqu'un d'autre, mais ces phrases sont restées gravées en moi.
Peut-être serait-il temps que je vous présente mieux la bande d'amis que je fréquente. Nous allons bientôt nous quitter, puisque le Poudlard Express va nous ramener chacun de son côté et que l'année prochaine ne nous verra plus dans mon cher Poudlard. Mais il reste quelques heures, quelques malheureuses heures où je veux profiter à fond de mon école adorée. Je veux me souvenir de tous ces moments de joie, tous les ordonner dans ma tête et les exposer là, frétillants dans leur habit de lumière, à la vue impartiale de mon cerveau. Peut-être alors saurai-je extirper de cet amas de nuds le fil qui s'est emmêlé aux autre et a tout fait chavirer, et peut-être saurai-je tirer dessus pour le défaire et me libérer enfin de ce poids qui m'accable. Je ne sais. Je me dois d'essayer.
Mes amis, donc. Oui, je crois pouvoir les appeler comme ça. Mes amis. Ce mot roule dans ma bouche, il sonne. Je l'ai trouvé creux parfois, mais aujourd'hui je le crois plus vide de sens. Je crois que j'en ai réellement eu. Je crois qu'ils ne m'oublieront pas. Je crois que je me souviendrai d'eux.
Cassandre, je vous en ai parlé et je vous en reparlerai. Cheveux châtains, si longs en comparaison de sa petite taille, qu'elle nouait en nattes à l'africaine, plein de petites nattes qui dansaient et captaient la lumière Yeux verts, bordés de doré dans la lumière du couchant Ses grands yeux émerveillés qui devenaient si sérieux quand il s'agissait de nous faire partir en voyage par la pensée, de nous évader par le récit.
Lizzie, si blonde que les autres filles en tiraient parfois de la jalousie, le visage noyé de tâches de rousseur qui nous faisaient dire d'elle qu'elle avait été exposée à une pluie de mini-météorites. Ses yeux d'un marron roux ressortaient fortement sur sa figure pâle. Elle était à Gryffondor, se rongeait les ongles et avait un don pour coiffer ses cheveux d'une manière qui aurait semblé totalement inimaginable à toute autre fille qu'elle. Je l'aimais bien, Lizzie, et même si elle ne montrait pas beaucoup son affection pour moi je pense que c'était réciproque. En septième année, alors qu'il n'y avait plus que moi à Serpentard, elle m'a accompagné plus souvent, m'a ouvert totalement les portes de sa salle commune en me confiant le mot de passe tous les mois et est venue me voir fréquemment dans le souterrain des Serpentards. Elle avait la voix grave pour une fille, parlait avec toute sortes de jurons fantaisistes qu'elle inventait elle-même, et en cinq ans elle est sortie avec la moitié des garçons de l'école. Je l'aimais bien.
Janet: la deuxième Gryffondor du lot. Les yeux marrons, les cheveux bruns coupés au carré et très raides, les cils noirs et fournis Toujours fourrée avec Lizzie, et toujours là pour m'aider ou, accessoirement, pour me demander de l'aide. Janet c'est pas facile de définir une personne quand on a été très proche d'elle si longtemps. Pour résumer, je crois que je peux affirmer mieux connaître Janet qu'elle ne se connaît elle-même. C'est pour ça que je me sens si proche d'elle, sans doute
Natalie: on a été très proches les deux premières années de ma scolarité. Après, elle s'est fait une place dans sa bande de Poufsouffles et ça l'a éloignée de moi. Je le regrette, parce qu'elle avait toujours le mot pour rire. Mais dans le même temps j'ai gagné Janet et Lizzie, ainsi vont les choses. Natalie avait les yeux noirs comme une aile de corbeau et les yeux bleus, curieux mélange, et c'était la plus grande gueule que j'ai jamais connue. Mais agréable, comme tous les Poufsouffles. Elle me manque parfois.
Et la bande ne serait pas complète si je n'évoquais pas Pol et Oz, deux garçons de Serdaigle. C'est Cassandre qui les a ramenés dans le groupe, à un âge où les filles fréquentent plutôt les filles et réciproquement. Pol, avec sa tignasse rousse, était le comique de la bande, toujours prêt à apporter la légèreté qui nous manquait parfois. De beaux yeux marrons, je l'ai remarqué souvent. Et, depuis peu, des rouflaquettes qui ne lui vont pas si mal.
Quant à Oz déjà, son vrai nom est Oswald, mais on le surnomme Oz. Ça fait penser à la Terre d'Oz, l'Australie, et au Merveilleux Magicien d'Oz. Il a des yeux gris. Des cheveux blonds, blond foncé. Des sens très aiguisés. C'est le garçon le plus adorable que je connaisse. Ah, et c'est un loup-garou.
C'est ça qui nous a conduit à l'idée
Connaissez-vous Harry Potter?
Bon, d'accord. Question débile. Je reprends: évidemment, vous connaissez Harry Potter. À un an, il a tué le plus terrible Mage Noir de tous les temps, Celui-Dont-On-Ne-Prononçait-Pas-Le-Nom. Puis celui-ci a rescussité, et Harry Potter l'a retué, au terme d'un combat magistral qui a opposé les deux plus grands titans de la magie. Ce combat a eu lieu il y a maintenant douze ans, mais il est déjà entré dans la légende.
Bon. Il se trouve que Potter avait un père. James du même nom. Un grand Sorcier, paraît-il, du moins d'après les rumeurs. Et il se trouve que ce James Potter avait un ami durant sa scolarité. Un loup-garou.
Quand Oz est entré à Poudlard, le vieux Dumbledore l'a accepté en disant qu'il y avait eu des précédents et qu'on appliquerait la même formule que pour Rémus Lupin: tous les soirs de pleine lune, enfermement dans le passage secret dont l'entrée se trouve sous un arbre du parc, et qui mène à la Cabane Hurlante de Pré-au-Lard. Mais le directeur avait commis l'erreur (à moins que ça n'ait été calculé?) de citer Lupin.
De là, rien de plus simple: quelques petites recherches sur ce prédécesseur, motivées uniquement par la curiosité au début, ont amené Oz à découvrir cette fameuse bande dont faisaient partie James Potter et Rémus Lupin: les Maraudeurs.
Il faut préciser que l'oncle de Pol n'est autre que le meilleur ami du célèbre Harry Potter. De là nous viennent la plupart de nos informations sur les étranges Maraudeurs. Et immédiatement, un grand intérêt pour eux s'est créé.
Au début, c'est resté entre Cassandre, Pol et Oz. Eux seuls étaient au courant de la condition de loup-garou d'Oz. Puis le cercle s'est élargi, accueillant Lizzie, Janet et moi.
Un projet s'est formé.
Ça demande de l'énergie de se transformer en animal. Beaucoup d'énergie. On commence par apprendre à trouver en soi la partie la plus bestiale. Puis, à petits coups de magie, on la flatte, on la travaille, on l'exalte. Une fois ce processus acquis, la transformation du corps n'est plus qu'une question d'énergie.
Je pensais que ça serait plus facile pour moi, étant donné que je maîtrisais déjà la Métamorphmagie. Nom d'un griffon! Je me trompais lourdement. Des six Sorciers, j'ai été la plus lente à acquérir la transformation. Ça m'a énormément vexé, d'ailleurs.
On s'y est pris très tôt. Trop tôt, certainement. À douze ans, on ne possède pas assez de pouvoirs pour réussir une métamorphose de cette envergure. Pas avant plusieurs années.
Mais l'été de mes quinze ans, c'était chose faite.
J'étais une Animagus.
Mes cheveux sont couleur d'ambre, et mes yeux dorés. Je suis la dernière des Serpentards, mais ça n'est pas pour ça que je me change en serpent.
Les nuits de pleine lune, il y a six bêtes qui gambadent dans le parc de Poudlard. La première est un loup, un loup un peu miteux aux crocs flamboyants et au pelage gris clair.
La seconde est une chouette hulotte aux yeux verts qui percent l'obscurité.
La troisième est grande et large, jument galopante au pelage d'un brun luisant.
La quatrième, ondulant au ras du sol, est un renard à la queue touffue et toute rousse, malin et rusé.
La cinquième est minuscule, dotée d'une longue queue au bout en plumeau. Nez pointu aux longues moustaches, yeux ronds et noirs, petites pattes griffues: c'est une gerbille au poil blond-beige.
La dernière, enfin, court plus vite que le vent et saute dans le faite des arbres, se fond dans la nuit. Ses yeux sont deux torches aux pupilles rondes, son pelage a la couleur de l'electrum constellé de taches noires en croissant de lune. Elle grimpe aux troncs, marche sur les branches et bondit sur ses adversaires ou, accessoirement, sur le loup-garou quand il devient agressif. C'est moi. Je suis une panthère.
Quand on s'est aperçus que Pol se changeait en renard, il s'est fait moquer: lui, le Serdaigle modèle, se changer en l'animal rusé par excellence!
Mais la question n'est pas là, nous le savons tous. Nos maisons ne peuvent pas nous fondre dans un moule absolu, pas plus que nos doubles bestiaux ne peuvent nous définir parfaitement. Tout cela n'est qu'artifice. Avec de la magie par-dessus.
Janet nous a dit que le cheval lui convenait. C'est un animal simple. Il ne se pose pas de questions: galoper, crinière au vent, la ravit comme rien d'autre. Je ne l'ai jamais vue aussi heureuse que quand elle rentre d'une virée nocturne.
La chouette, c'est bien sûr Cassandre. Qui d'autre? Elle adore voler, tout comme elle aime le mystère et l'obscure de la nuit. Elle est notre éclaireuse à tous, elle qui vole tout là-haut.
Vous le croirez si vous voulez, mais Oz s'est entraîné en même temps que nous. Il est Animagus, lui aussi. Animagus loup. Vingt-neuf soirs par mois, il est un loup gris clair, avec une tâche noire sur l'il droit. Mais le soir de la pleine lune, il devient un loup gris foncé avec une tâche claire sur l'il gauche. Il doit y avoir une morale derrière tout ça.
Et quant à Lizzie qui eût cru, avec son assurance et sa fierté, qu'elle deviendrait un petit rongeur craintif? Dans la gerbille, on retrouve la couleur des cheveux au niveau du pelage; et, en cherchant bien, il paraît qu'elle a le museau tacheté. Mais à part ces détails, nul n'aurait imaginé qu'elle se transformerait en ce petit machin sauteur. La vie est pleine de surprises, comme dirait l'autre. Je sais plus qui. Ça ne doit pas être important.
Que dire d'autre?
Il fait froid dans ma salle commune personnelle. Les feux verts ne réchauffent rien, pas plus que le soleil de l'extérieur dont je suis trop éloignée. Quelques uns de ses rayons tombent à travers le lac et viennent frapper à ma fenêtre, mais ils ont dissipé leur chaleur dans le froid glacé du grand lac.
Les poissons sont devenus mes amis, avec les années. J'aime les voir s'approcher, curieux, de ma fenêtre et contempler cet étrange monde souterrain tout coloré de vert.
Le vert? Encore le vert! Le vert m'étouffe! Je ne le supporte plus! Ce feu, là, je veux le voir briller normalement! Et ces tentures assez de serpents rampants dans ma tête! À bas le vert! À bas!
Que m'arrive-t-il? Je deviens folle! Je me suis levée et j'ai commencé à arracher les tapisseries Calme-toi, Ambre! Calme-toi! Plus qu'une nuit dans cette école de malheur! Plus qu'une nuit avant de prendre le train et de retourner chez toi!
Chez moi je ne veux pas rentrer. Je ne veux pas revoir ma famille. Je ne veux pas quitter Poudlard. J'aime ce vieux château.
Je me laisse tomber au pied d'un fauteuil et je ramène mes genoux tout contre moi. Je sanglote. Les larmes obscurcissent ma vue, mais c'est tant mieux parce que je n'ai plus rien à voir dans cette salle de malheur.
Un petit poisson argenté cogne à ma vitre, curieux. Ses grands yeux ronds comme des billes cherchent à percer l'obscurité. Il agite deux ou trois fois les nageoires, avant d'être emporté par le courant.
Moi aussi.
– fin du chapitre 1 –
