Chapitre 2:

Tôt ou tard, il faudra que je parle de Cassandre. Le feu qui danse dans l'âtre devant moi a ses cheveux, il a ses yeux, il a ses traits. le visage qui obsède mes rêves, c'est le sien. Oui, il faudra que je vous parle d'elle, de sa peau couleur de bois clair, de la clarté de son regard, de la chaleur de sa voix. Mais pas tout de suite, ou je vais m'effondrer. Pas tout de suite.

Je me lève et m'approche des fenêtres. Malgré les dix mètres d'eau plus ou moins pure qui les séparent de la surface, on aperçoit le soleil. Il doit faire très beau, là-haut, sur les pelouses du château où tous les élèves prennent l'air. Ais-je vraiment envie de les rejoindre? Je sais bien que dès que j'aurai posé le pied parmi eux, ils me reconnaîtront comme l'étrangère, la Serpentarde, l'ennemie. Les derniers évènements ont changé la donne. Je ne suis plus cette simple paria qu'ils ont connu tout au long de notre scolarité. Je suis maintenant la sombre, la mystérieuse, l'inquiétante Ambre sur laquelle ils ont entendu toutes les rumeurs. Je ne serai plus jamais quelqu'un d'innocent et de normal, collégienne parmi les collégiens. Je ne serai plus Ambre la Serpentarde, membre de la bande des nouveaux Maraudeurs et amie avec des Serdaigles et des Gryffondors. Je serai redoutée et détestée.

Mais qui m'a jamais aimé, à part peut-être Cassandre et les autres? Ai-je été acceptée dans ce Poudlard fermée, moi qui portais le fardeau de ma maison et dont personne ne voulait admettre l'existence, par peur de vouloir me plaindre?

Je vais cesser de tourner mes pensées ainsi. Je vais cesser de m'enfoncer dans ce gouffre si noir, si attirant

Je vais fracasser cette vitre. L'eau va entrer à gros bouillons. Elle va tout noyer et il ne restera rien de ce beau rêve qu'ont été mille ans de Serpentardisme. Serpentard n'existe plus. Je n'ai pas à porter son existence à moi toute seule. Il ne m'a jamais servi, je n'ai aucune obligation à son égard. Je le détesterais plutôt.

Mais les vitres sont magiquement renforcées, plus solides que de l'acier. Plus solides encore que ma haine n'est puissante Je me meurtris la main.

Et puis, c'en est assez de cette fichue salle commune! J'attrape un pantalon et un t-shirt, les enfile à la place de la chemise de nuit que je portais, jette celle-ci sur un canapé. Un sort suffira à me démêler les cheveux Mais en passant devant le miroir, je remarque quels vêtements je porte.

Ce t-shirt, bleu clair avec des motifs imprimés sur le devant, c'est Cassandre qui me l'a prêté.

Je fonds en larmes et le jette loin de moi. Je prends un autre haut, un haut orange comme mes cheveux, mais mes yeux sont maintenant noyés de larmes que je ne peux pas contrôler.

Anéantie, je me laisse glisser sur le sol au coin de la cheminée, et je sanglote stupidement.

Et on voudrait me faire croire que la vie continue

Quand on était plus petites, il y avait une histoire que Cassandre adorait raconter. C'était celle d'un petit garçon, enfant de la lune. Son papa était un garçon de la lune, comme lui, et sa maman une petite fille du soleil. Un jour, ils dansaient ensemble, et ils sont tombés sur la Terre. Ils sont tombés à côté d'un ruisseau bleu, qui dansait et chantait comme eux, et ils ont dansé avec lui, et il a dansé avec eux. Mais un jour, la misère est venue, et le ruisseau bleu est parti. Et les deux enfants avaient dû partir aussi, mais ils avaient abandonné leur petit garçon, parce qu'ils ne pouvaient pas faire autrement

Et pourtant, la nuit, dans ses rêves, le petit garçon retournait sur la lune. Il y revoyait ses parents, et ils les reconnaissait, parce qu'ils n'avaient jamais changé, ils n'avaient jamais grandi. C'était ça, la magie de la lune.

Et ce petit garçon de la lune, il racontait son histoire aux enfants de la Terre. Il leur racontait l'opéra de la lune, les équipes qui travaillaient à embellir la lune, le téléféérique, les vacances sur la Voie Lactée, et aussi les vacances qu'une fois les gens de la Lune avaient pris sur la Terre. Mais ils n'avaient pas été heureux Ils étaient repartis bien vite. À cause du bruit des machines. À cause du bruit des prisons. À cause du bruit des enfants qu'on enferme.

Qu'est-ce qu'il chantait, déjà?

Il y a trop de bruit

Sur ma planète

Les dauphins, les baleines voudraient pour être heureux

S'envoler dans le ciel,

Vivre avec

Les mouettes

Trouver dans la nuit un autre Grand Bleu

Il y a trop de bruit,

Sur ma planète,

Et là-haut dans le ciel les astres sont soucieux

Il y a trop de gens

Qui n'en font

Qu'à leur tête

Quand on voudra bien, ça tournera mieux

Quand on voudra bien

Oui Quand on voudra bien

Le dallage glacé est trempé de mes larmes. J'ai les cils collés. Je renifle. Je me relève.

Je sors à pas titubants et ferme la porte derrière moi. Elle prend aussitôt cette apparence de pierre froide et humide qui dissimule l'entrée. Je m'essuie les yeux une dernière fois, puis quitte les souterrains.

Comme je m'y attendais, toute l'école prend un bain de soleil. Certains même prennent un bain d'eau, dans le lac. Je reste à l'ombre de la grande porte d'entrée, hésitant une dernière fois Allons. Oz, Pol et les autres sont là-bas. Je m'avance à la lumière et marche droit vers eux.

Lizzie est la première à me voir arriver. Elle avertit les autres, et tous jettent un coup d'il urgent vers moi avant de faire mine de rien. Je serre imperceptiblement les poings. Déjà, j'arrive à leur niveau et m'accroupis dans l'herbe chaude.

- Salut, dis-je du ton le plus normal que je puisse m'efforcer de prendre.

- Salut Ambriastelle, fait Pol sans me regarder directement.

Les autres me saluent d'un signe. Janet est allongée dans l'herbe, un chapeau sur la tête, et elle lit un livre qui a l'air de la captiver. Lizzie a la tête posée sur les genoux de Pol, elle me fixe d'un air étrange, vaguement inquiet. Oz et Pol jouent aux échecs. Depuis que je suis arrivée, ils se sont arrêtés et les pièces s'impatientent.

Je rompt le charme en m'asseyant à leurs côtés. Je sais que tous les regards de l'école sont posés sur ma nuque. je ne leur donnerai pas le plaisir de faire quoi que ce soit de remarquable. Je ne suis qu'une élève comme eux.

- Alors, les ASPICs? me demande Lizzie en se tordant le cou pour me regarder, malgré sa position allongée.

- Ça va, dis-je. J'ai bien assuré dans la plupart des matières.

- Moi j'ai galéré en Étude des Moldus, dit Pol. Le sujet était carrément tordu, j'ai trouvé. Expliquer les analogies entre notre système judiciaire et celui des Moldus d'Angleterre, franchement! Ça n'était même pas au programme.

Pol, bienheureux Pol. Heureusement que tu es là pour lancer des sujets de conversation. Heureusement que tu es là pour faire comme si le froid entre nous n'existait pas.

- Moi c'est pareil, enchaîne Lizzie sur le même ton détaché. L'Arithmancie était carrément difficile. C'était du niveau de MageSup, quasiment!

La conversation se lance ainsi, autour des ASPICs et de l'année qui se termine. Autour de Poudlard qu'on quitte et qu'on ne reverra plus jamais. Mais de l'avenir, aucun d'entre nous n'en parle. Tout juste évoquons-nous les vacances qui nous attendent, ensoleillées et mortelles à souhait. Au-delà, aucun d'entre nous ne veut y songer. Nous n'avons plus d'avenir. Il a été ravi.

C'était un soir d'automne, avec tout le fatras mélancolique que ça sous-entend. Les feuilles mortes, la pluie fine et hypnotisante, la terre détrempée et le jaune pisseux de l'herbe L'automne. La saison idéale pour qui aime à pleurer le passé et l'avenir comme si ils étaient tous deux désespérés et irrémédiables.

Cassandre jouait avec les gouttes de pluie qui tombaient devant la fenêtre. Elle avait ouvert celle-ci en grand, et tous les élèves de la salle de travail hurlaient pour qu'elle la referme. Mais elle n'écoutait pas. Elle attendait patiemment qu'une grosse goutte passe à sa portée, et alors elle l'effleurait de sa baguette, et la goutte s'envolait. Elle ne tombait plus comme elles le font d'habitude, mais au lieu de cela elle montait vers le ciel, et elle virait et redescendait, avant de prendre son essor à nouveau. Bientôt, tout un ballet de gouttes d'eau fut ainsi composé, et Cassandre les observait, fière d'elle et toute rouge de bonheur.

J'observais Cassandre depuis ma table de travail. Un devoir de potion était loin d'avoir sa beauté et sa poésie. Les papillons mêmes ne l'égalaient pas.

Non, nous n'avons plus d'avenir. Les rides sur ma peau sont celles d'une vieille femme, tout comme les pensées dans ma tête sont celles d'un cadavre. La mort jamais plus ne frappera à ma porte, parce qu'elle m'a déjà emportée. Je suis morte en cette heure où j'ai tenu dans mes bras son corps glacé, quand j'ai vu dans ses yeux fixes ma propre culpabilité. Je suis morte en cette autre heure, plus lointaine, où un certain chapeau a signé mon destin. Je suis morte quand le souffle de vie a jailli de mon corps, quand un destin bizarre a choisi de faire de moi son instrument et sa victime.

Ce souffle étrange qui agite mon corps, nul, pas même moi ne peut dire d'où il vient ni pourquoi il s'obstine. Quand il s'en repartira, je ne le sais, mais j'accueillerai cette heure avec la reconnaissance de celle qui n'a plus rien à faire en ce monde.

- Ambriastelle?

La voix qui me tire de mon tourment, c'est celle d'Oz. Il me regarde droit dans les yeux, moi dont tous les autres ont évité de croiser le regard. Il cherche à percer les profondeurs de ma pensée. Trop tard, mon beau. Elle s'est enfoncée plus loin que tu ne saurais plonger pour aller la repêcher.

Mais je m'aperçois que tous les autres me regardent, à présent. Sur leurs visages se lisent la crainte et l'incompréhension. Ils ne font pas que me regarder, ils m'étudient. Ils contemplent mon visage et tout mon corps. Qu'ai-je donc? Je pose les yeux sur mes mains. Elles sont ridées comme une vieille pomme, leur peau est très pâle et tachée. Malgré moi, elles montent jusqu'à mon visage qu'elles effleurent. Ce qu'elles sentent ne ressemble à rien de connu. Tout mon corps est raide et fripé comme des habits froissés et trop étroits. J'ai mal aux articulations. Une mèche de mes cheveux tombe à portée de ma vue. Elle est grise, mais elle blanchit à mesure. J'ai de plus en plus mal, de plus en plus froid, de plus en plus vite. Les sensations se retirent de mes membres l'un après l'autre. Ma respiration se réduit, mon cur se déglingue, ma tête s'affole. Je vieillis encore.

Oz me saisis par les épaules:

- Arrête!

Je me force à repenser à l'image normale d'Ambre Black. Ma peau se retend, mes vertèbres se détassent, mes cheveux redorent. Je crispe les poings pour m'empêcher de me vieillir à nouveau.

Oz, Pol, Lizzie et Janet font cercle autour de moi. Ils m'étudient encore, cherchant le petit détail que j'aurais oublié. Oz est furieux.

- Ça ne sert à rien de perdre le contrôle de toi-même, me dit-il froidement. À quoi tu as cru jouer? Tu joues avec la mort?

- La mort je murmure. La mort, elle m'a déjà emportée.

Les mots franchissent mes lèvres, mais à peine entendus, ils sont déjà oubliés. Ces mots-là ne sont pas de nature à rester dans les têtes, tant ils sont détestables.

- Tu es avec nous, Ambre, dit Oz, et il utilise à nouveau mon surnom sans s'en rendre compte. Et jusqu'à preuve du contraire, personne n'a l'intention de te laisser mourir.

- Bien sûr, je marmonne. Vous êtes trop contents de me garder à vos côtés. Comme ça vous avez quelqu'un à qui tout reprocher.

- On ne t'a jamais rien reproché, dit Lizzie d'un ton brusque.

Je me dégage de l'étreinte d'Oz d'une poussée. Je sens tout mon corps qui bouillit, et je crois que je perds à nouveau le contrôle de mon apparence. Sans les regarder, je crache:

- Alors vous avez tort. Tout est de ma faute.

Maintenant qu'on est revenus là-dessus, ça va être dur de penser à autre chose. Mais le veux-je vraiment? Toutes mes pensées sont tournées là-dessus, de toute manière. Sur ce drame qui m'obscure et m'effraye.

Et Janet qui déclare:

- Personne n'a envie de reparler de ça, Ambre. Personne. Alors s'il te plaît, n'y reviens jamais.

Mais voilà que je m'énerve à nouveau:

- Pourquoi! Tu veux peut-être tout oublier? Tu veux faire comme si rien ne s'était produit? Comme si elle était toujours parmi nous? Tu veux te mentir à toi-même et continuer à mener ta vie minable, sans raison et sans but, juste respirer et dormir, mais aimer jamais plus, aimer c'est trop dur, aimer ça mène toujours à la mort?

- Ça c'est toi qui le dis, fait remarquer Janet. Je n'ai pas parlé comme ça.

- Tu ferais mieux de désirer la mort, dis-je dans un souffle. Elle t'emportera de toute façon.

- Tu peux parler! Toi tu l'a déjà appelée!

Je suis en colère à présent. Je sens mon sang qui bouillonne, je voudrais tout détruire d'un seul coup de poing, ce château, cette forêt, ses habitants et tous les êtres vivants de l'endroit, que plus rien ni personne ne reste qui puisse témoigner de l'histoire d'Ambre Black, la Dernière des Serpentards et l'héritère de son esprit fourchu.

À la place, je pars dans la forêt en courant comme une perdue. Que celui qui veut me retenir essaye de m'attraper. Je le mènerai à la mort avec moi.

La terre est noire, et noire est ma pensée. Je pleure en avançant, et les larmes abreuvent ma peau déssechée, et elles apaisent mon âme. Mon âme est noire comme un charbon aussi, brûlée jusqu'en son cur par les flammes mordantes du désespoir. Quelle importance à présent si en partant j'en blesse d'autres? Ils me haïssent déjà. Je voudrais n'être jamais venue à Poudlard. Je voudrais n'avoir jamais ressenti cet amour stupide pour ce vieux château déglingué. Je voudrais ne jamais être née. Ainsi je me serais évité bien des tourments, et j'en aurais évité à d'autres.

Je trébuche en poursuivant ma course tant bien que mal. Les arbres, l'écorce et la feuille ont la couleur d'une mort qui ne se fait que trop attendre. Les buissons, l'épine et le branchage déchirent et arrachent avec une cruauté impitoyable qui fouette mon esprit et attise ma haine. Déjà mon pantalon est en partie en lambeaux, comme ma peau en dessous qui rougit et s'écoule. Pour faire croire que je suis. Pour faire croire que je vis. Qu'il y a du sang en moi. Que je souffre et que j'existe. Mais mon existence m'importe peu. Ou plutôt je voudrais qu'elle prenne fin, et vite.

Un visage aimé revient me hanter sans cesse

Le galop d'un cheval croise ma route, mais je ne m'arrête pas. Pourtant, ils sont bientôt deux, puis cinq, puis dix. Ils galopent autour de moi, et je sens leur haine froide à mesure que les récits sur les centaures de la Forêt Interdite me reviennent.

Je m'affale finalement au pied d'un arbre, à bout de souffle. J'espère confusément qu'ils vont me mettre à mort, que ça sera rapide, qu'il n'y a pas de pardon pour avoir pénétré en la Forêt Interdite. Au lieu de cela, l'un d'eux s'avance et me parle de haut:

- Qu'est-ce qui amène une jeune humaine en ces terres? Parle vite!

Je me relève pour le défier de ma hauteur, si insignifiante par rapport à la sienne. Je dis:

- Donne moi ton nom, Etre-cheval, et je te donnerai le mien.

Les centaures s'agitent. Tous pointent vers moi des armes, arcs ou lances. Nul frémissement ne me saisit. Le chef s'approche encore un peu plus.

- Je te couperais volontiers la tête, Humaine, gronde-t-il de son ton le plus menaçant, si elle dépassait un tant soit plus du sol.

- Peut-être que ta hauteur à toi t'a fait perdre l'habitude de contempler le monde d'en bas? dis-je avec une étrange maîtrise de moi-même. Ton peuple a-t-il toujours été aussi hautain et méprisant envers toutes les autres races?

Les centaures crient à l'affront, et leurs cris sont comme des henissements terrifiants. Mais une folie nouvelle s'est emparée de moi, qui m'incite à braver la mort jusqu'au bout, et à attendre qu'elle accepte. C'est pourquoi je ne me débats presque pas quand ils m'attrapent à plusieurs et me traînent parmi eux, m'emportant au fond de leur forêt comme un gibier qu'on va mettre à mort. Ballottée de bras en bras, je vois défiler le sol sans parvenir à connaître la direction dans laquelle on m'emmène, et peut-être bien que je m'en moque.

Pourtant, quand ils me jettent à terre au centre d'une clairière à l'herbe d'argent, je tremble et tous mes muscles sont contractés par la peur. Je relève la tête, suffisamment pour m'apercevoir que tous les centaures ont reculé à plus de deux mètres. Ils me toisent, et cette expression étrange que je crois reconnaître sur leurs faces chevalines ressemble à de la crainte mais sans doute me trompe-je.

Celui qui semble être leur chef s'adresse à ses compagnons:

- Pourquoi reculez-vous? Est-elle donc si terrible que à dix nous ne puissions la maîtriser?

Un autre, à la robe grise mouchetée de sombre, aux cheveux blonds, fait un pas en avant:

- Nous ne sommes pas assez fous pour tuer cette Humaine, Bane! Elle est plus dangereuse qu'aucun de tous ces Sorciers prétentieux! Ne sens-tu pas comme elle pue la mort? Je vous le dis, moi, nous devons la laisser là et nous éloignez aussi loin qu'il nous est possible de son sillage démoniaque!

Une froide incompréhension, mêlée du soupçon de ce que cela signifie, m'enserre et m'étouffe. Je voudrais parler, au lieu de quoi je serre encore les poings. Mon destin m'échappe à nouveau et se joue de moi, comme il l'a toujours fait.

Un instant plus tard, tous les centaures ont fui. Je suis seule à nouveau. Perdue dans la Forêt Interdite, avec rien que ma haine et mes souvenirs pour compagnons.

Souvenirs

Je descends de la vieille, très vieille famille Black. La "Noble et très ancienne Maison de Black, toujours pur'". Quel cadeau.

Mon père est un authentique Black, un Sang-pur, cousin de Sirius Black le Rénégat et petit frère de Narcissa Malefoy. Ma mère est dix ans plus jeune que lui, a les plus beaux cheveux blonds que je connaisse et a pour nom de jeune fille Dénèbe Cyg.

On connaît une seule autre Métamorphmagus dans la famille, c'est une cousine de mon père, Nymphadora Tonks. Une Sang-mêlé. Je ne l'ai jamais rencontrée. Mes parents refusent de la fréquenter, il paraît que c'est une Auror. Moi, je m'en fiche. J'aimerais bien lui parler pour en apprendre un peu plus sur mon pouvoir.

J'ai croisé un autre Métamorphmagus, un jour. C'était pendant des grandes vacances. J'avais seize ans. L'homme en avait quatre vingt quatre. Il était Auror lui aussi (apparemment c'est une voie prédestinée pour les gens de notre condition) et avait vécu toute sa vie dans la dissimulation de soi, à cause, disait-il, des ennemis qu'il s'était fait. Chaque matin, il se levait avec une apparence différente. D'après lui, personne ne pouvait le reconnaître et ainsi ses ennemis avaient du mal à retrouver sa trace.

Mais c'était de la paranoïa la plus totale. Cet homme, Dervin Tranchacout, s'était caché toute sa vie derrière son apparence changeante, et à la fin de ses jours il avait complètement oublié son véritable visage. Avait-il les yeux gris, bleus, verts ou marrons? les cheveux clairs ou foncés? Était-il petit, voûté, filiforme, élancé? Je crois que ça n'avait plus de sens pour lui. Un matin il se réveillait obèse et barbu, le lendemain bossu et chauve Mais cet homme, ce Métamorphmagus, il souffrait, oh oui, il souffrait d'ignorer sa véritable apparence. Il n'avait plus personne à qui demander de lui rappeler ses traits de naissance, car tous les avaient oubliés, et il continuait, sans raison et sans fin, à changer sans cesse de visage dans l'espoir d'en trouver un où il se sente enfin bien.

Et moi je suis telle que lui. Incapable de me remémorer ma propre personne, tant les derniers évènements de ma vie m'ont embrouillée. Je voudrais y mettre fin, mais il semble que la Mort se dérobe et me laisse pantelante, incapable d'envisager une porte de sortie. Est-ce là son dernier petit jeu sadique, celui qui me mènera à la folie avant longtemps?

Dans ce cas, je préfère encore me battre que de la laisser me tourner en dérision. Même si cela ne sert plus à rien, je vais encore me souvenir une dernière fois. Jusqu'à ce qu'elle ou moi se lasse. On verra.

Souvenir, souvenir

Je suis en sixième année. Les cours sont extrêment durs, à cause de l'ASPIC l'an prochain, mais j'ai eu mes BUSEs avec O dans la plupart des matières, et je n'ai pas tellement de problèmes en cours. Avec la bande, nous nous sommes réunis pour notre meeting mensuel dans la petite salle cachée dont nous seuls avons connaissance (j'espère) au pied de la Tour Nord.

- Ce soir, grande mission, déclare Oz en montant sur la table pour capter l'attention. Nous avons quelque chose à récupérer.

- À savoir? s'enquiert Janet, assise dans un fauteuil, la joue appuyée dans sa main et un verre de Bièraubeurre entre ses cuisses.

- À savoir, un paquet d'Oreilles à rallonge de Weasley&Weasley que Rogue a perquisitionné dans le casier de Pol.

- Quoi! fait Lizzie. C'est interdit d'avoir des Oreilles à rallonge? Mais tout le monde en a!

- C'est sur la liste des objets proscrits, Lizzie, dit Oz avec un grand sourire. Tu n'es jamais allé la lire?

- Parce que toi tu l'as fait, bien sûr, ironise-t-elle. Tout le monde rêve d'entrer chez Rusard rien que pour consulter cette liste.

- Tu l'as dit! s'exclame Pol. Je vais me faire tuer quand Fred et Georges apprendront que je me suis fait confisquer tout mon stock! Je devais les écouler dans l'école. Ils me laissent un pourcentage, bien sûr

Il est de notoriéré publique chez les élèves que pour obtenir un produit des célèbres frères Weasley&Weasley, il faut s'adresser à leur neveu, Pol. Celui-ci croule sous les commandes, et il se remplit assez bien les poches au passage.

Nous devons donc nous introduire dans le bureau de Rogue et voler le sachet d'Oreilles à rallonge. Ça n'est pas gagné.

- Rogue va forcément savoir que c'est toi, Pol, fait remarquer Janet avec sérieux. Tu vas te faire punir.

- Pas grave, fait le Sorcier. J'ai l'habitude. Et, si on laisse pas de traces, il y a des chances qu'il ne s'apercoive de rien.

Je songe qu'il a de beaux rêves, mais je ne dis rien. Nous nous mettons en route. Les couloirs déserts ont l'habitude de nous voir passer, et les tableaux devisent sur quelle nouvelle aventure nous appelle, et si nous allons en sortir indemnes. Il y a notament un petit garçon, habillé en aventurier et muni d'un fusil en bois, qui est devenu notre allié et nous suit de tableau en tableau, en marchant au passage sur les jupes des dames. Les autres l'ont surnommé Gavroche.

Je dois préciser qu'au fil des ans, nous nous sommes dotés d'un grand nombre d'ustensiles propres à nous sauver la vie à chaque instant. Chacun garde sur lui un canif ou autre objet propre à ouvrir les portes et à découper divers matériaux. Je posséde moi-même une cape d'invisibilité, achetée à grand prix chez un marchand du Chemin de Traverse. Si Cassandre peut à tout instant se changer en chouette et aller se fondre dans les ombres du plafond, et si Lizzie peut se glisser dans n'importe quel trou du mur, il n'en va pas de même pour Oz, Pol, Janet et moi. Un renard dans l'enceinte de Poudlard paraît déjà louche, mais alors que dire d'une jument, d'un loup et d'une panthère! Voilà en quoi ma cape d'invisibilité nous était d'un grand secours.

Cette nuit-là, donc, nous nous postons dans le couloir où Rusard avait son bureau. Je fais le guet, Janet aussi. C'est toujours le même procédé: Lizzie la gerbille se glisse sous la porte, vérifie que la pièce était vide avec ses sens éxacerbés de petit rongeur, puis revient nous chercher. Nous pénétrons alors dans la pièce, et pour cela nous avons un atout indispensable.

La découverte en revient à Pol, mais il n'a pas tellement de mérite: c'est un de ses (nombreux) oncles qui lui a révélé ce tour de passe-passe que lui-même utilisait à l'époque de ses escapades nocturnes dans Poudlard.

L'astuce réside dans un bonbon, autrefois en vente chez Honeydukes, mais qu'ils ont retiré du marché depuis. Il s'agit des grands, des géniaux, des célèbres Loukoums Liquéfiants. Quand l'administration a découvert toutes les infractions que ces bonbons permettaient de faire sans utiliser un poil de magie, elle les a interdits et a convaincu la Pâtisserie Magique du Soleil d'arrêter leur production. Heureusement, en nous cotisant, nous avons réussi à acheter le stock complet de Honeydukes à temps. Et après deux années de recherches, auxquelles j'ai pris une part active avec mes petits dons en potion, nous avons réussi à les reproduire à l'identique. Nous avons même pu allonger la durée des effets.

Donc, Janet et moi sommes au guet Du coin de l'il, je vois Pol sortir le sachet de loukoums, le tendre aux autres. Cassandre murmure quelque chose que je n'entends pas et secoue la tête, puis elle se change discrètement en chouette et s'envole pour aller faire sa ronde dans les environs. Seuls restent Oz et Pol. Chacun prend dans sa bouche un petit cube moelleux au parfum de rose, et dans un "plop" caractéristique ils fondent d'un coup. Là où ils s'étaient tenus ne restent que deux flaques luisantes, qui se mettent à glisser, glisser, jusqu'à passer sous la porte. Un second "plop" retentit: de l'autre côté, ils ont dû reprendre forme humaine.

- Tu surveilles ce côté et moi celui-là? me propose Janet.

Je hoche la tête. Elle sait qu'elle ne doit pas me donner d'ordres. je n'en donne à personne, mais je n'en accepte de personne non plus. Nous nous placons donc chacune dans une portion de couloir, et nous tendons l'oreille. De temps en temps, un flapement d'aile nous rappelle la présence de Cassandre qui tourne là-haut, dans l'ombre des poutres. J'entends la respiration de Janet, j'entends des farfouillements dans le bureau de Rusard. Et puis Janet me parle:

- Il y a un truc dont je voulais te parler, Ambre.

- Merci pour le nom, dis-je dans un souffle. J'espère vraiment pour toi qu'il n'y avait personne pour t'entendre.

- Nous sommes seules, fait-elle, agacée par ma réflexion.

- Peu importe, ne m'appelle plus jamais par mon nom quand on est en mission.

Un froissement d'aile nous signale le passage de Cassandre au-dessus de nos têtes. Janet cherche à l'apercevoir dans l'obscurité, y renonce et se tourne de nouveau vers moi:

- Tu préfères que je t'appelle Crodoré? dit-elle d'un air malicieux.

Je la regarde d'un air soupçonneux, mais elle n'a pas l'air de se moquer. Alors je médite: pourquoi pas? Ce surnom en vaut bien un autre.

- Si tu veux, dis-je. Mais comment on va appeler les autres, alors?

Janet réfléchit un moment:

- Pour Pol, Lestequeue, dit-elle. Ça évoque sa queue touffue et son agilité. Pour Cassandre, Flapebec. Lizzie, on pourrait l'appeler Nezpointu

- Plutôt Pointenez, dis-je. Nezpointu ça fait penser à Rogue.

- D'accord, Pointenez. Pour Oz, je propose Tachalil, ou alors Gripelage.

J'approuve d'un hochement de tête. Janet réfléchit toujours à son propre surnom. Finalement, c'est moi qui propose:

- Vifsabot, ou Piedléger si tu préfères. Flottecrin.

Elle secoue la tête. Moi, je fais silence, parce que j'ai entendu un craquement dans le couloir, plus loin. je vais voir tout doucement, mais il n'y a personne. C'est sans doute une poutre ou un meuble qui travaille.

Quand je reviens, Janet a trouvé son surnom:

- Caracole! murmure-t-elle d'un ton excité.

Je lui communique mon assentissement de la tête, mais je garde le silence. Elle fait de même. Dans le bureau de Rusard, on entend les trois farfouilleurs qui ouvrent tous les tiroirs. Malgré tous leurs efforts, ils font beaucoup de bruit, et je me décide à lancer un sort de protection sonore.

Mais à la lueur des étincelles, j'ai eu le temps d'apercevoir quelque chose. Quelque chose d'inquiétant.

- Lumos, murmure-je.

Le bout de ma baguette s'illumine, et Janet proteste. Je lui fais signe de se taire et je m'agenouille auprès des taches que j'ai entrevues sur le sol.

C'est du sang. Et il y en a beaucoup. Une longue traînée, que nous avons piétinée sans la remarquer en venant. Du sang fraîchement répandu.

- Nom d'une chimère! s'exclame Janet. Qui a mis ça là?

- Je ne sais pas, dis-je. Mais il y en a beaucoup.

- Il faut les suivre, dit-elle. Celui qui a perdu tout ce sang a peut-être besoin d'aide.

- Attends, dis-je.

Je me transforme en panthère. Ça ne prend que quelques secondes. Une fois félin, mes sentiments sont beaucoup plus clairs, beaucoup plus simples. Je sens l'odeur du sang, très présente. C'est du sang humain. Je peux même dire dans quel direction il faut suivre la trace.

Je vais à la porte derrière laquelle sont nos trois compagnons, et je gratte avec mes griffes. Les farfouillements s'arrêtent d'un coup, et bientôt Lizzie la gerbille se glisse sous la porte:

- Redeviens humaine, lui chuchote Janet.

Lizzie obéit. Son amie lui explique la situation.

- Il faut que tu restes faire le guet, conclut-elle. Amb Crodoré et moi on part à la recherche du blessé.

- D'accord, fait Lizzie, un peu déçue de ne pas être de la partie. De toute façon, les garçons ont presque fini de fouiller la pièce. Ils ne devraient pas tarder à revenir. Ils ont retrouvé plusieurs paires d'Oreilles à rallonge, mais ils veulent vérifier qu'il n'en reste pas cachées dans des coins.

- Dès que vous avez fini, rejoignez-nous, dit Janet. Il se peut qu'on ait besoin d'aide.

Puis elle se met en route à ma suite. Je piste le blessé au flair, marchant de mon pas léger de félin en évitant les taches de sang. Nous nous déplaçons ainsi un certain temps, avant de tomber sur le blessé. Il a fait beaucoup de chemin. Il ne doit plus être en très bonne forme, avec tout le sang laissé en route.

J'aperçois sa silhouette, étendue au milieu du grand hall. Il est temps pour moi de retrouver ma forme humaine, et tant pis si on peut me reconnaître.

Janet m'a doublé et est déjà au niveau du blessé. C'est une petite fille, probablement une première année. Elle porte une chemise de nuit toute déchirée et imbibée de sang. Elle est pâle comme la mort.

- Sanabilis, lance Janet en dirigeant sa baguette sur la blessure principale. Je suis curieuse de savoir comment cette môme s'est retrouvée dans cet état.

- Pas toute seule, dis-je. Regarde, c'est une blessure au couteau. Elle en a plusieurs sur le ventre et les avant-bras. Et ses poignets sont rouges et gonflés, comme si elle avait été attachée.

Nous échangeons un regard terrifié. Qui a pu faire ça, au cur de l'école? Quel fou furieux est à l'uvre dans ce château, à l'insu de tous?

- Dis, fait Janet. Si elle est ici, c'est qu'elle a dû s'enfuir.

- Oui, dis-je tandis que la même idée s'impose à nous deux. Et si en s'enfuyant elle est passée devant l'endroit où on était

- Ça veut dire que ses poursuivants risquent d'y passer aussi, murmure-t-elle, confirmant ma pensée. On devrait peut-être

Au même moment, un vacarme d'explosions et de bagarre survient du couloir par lequel nous sommes arrivées.

- Merde! cria Janet avant de partir en courant.

Je la suis à toutes foulées. Dans quelques instants, je sais que va survenir l'affreux chat de Rusard, une bestiole plus vieille que Mathusalem qui a quelque chose de surnaturel. Il faut à tout prix qu'on soit loin de son bureau à ce moment-là.

Mais quand nous arrivons sur les lieux, il n'y a plus aucun combat. En revanche, les corps de Lizzie, Oz, Pol et Cassandre gisent à terre.

- C'est pas vrai! crie Janet. Ils sont

Je m'agenouille auprès de Cassandre. Corps raide, yeux ouverts, pas de respiration Je prends ma baguette et dis:

- Enervatum!

Aussitôt, elle reprend vie. Soulagée, je réveille les autres.

- Qu'est-ce qui s'est passé? demande Janet dès que les quatre sorciers se sont relevés.

Cassandre lève ses beaux yeux verts, pleins de colère tout à coup:

- Vous les avez vus? D'où est-ce qu'ils sortaient?

- Ils sont arrivés par la droite, dit Pol en se massant la mâchoire.

Lui aussi est en colère. Mais le plus furieux de tous, c'est Oz. Ses yeux aux iris jaunes brillent comme une flamme. Il tient à la main les deux morceaux brisés de sa baguette.

- Je vais leur faire payer ça! gronde-t-il, et on entend le loup dans son ton menaçant.

- Qui ça, ils? demande Janet. Vous les avez vus? Ils étaient plusieurs?

- C'est allé vite, répond Cassandre. Ils devaient être quatre ou cinq. Des capes noires, et pas de visage.

- Pas de visage? répète Janet, tandis que je fronce les sourcils.

- Des cagoules, explique Lizzie. On ne voyait même pas leurs yeux.

- Par où sont-ils partis? s'enquiert Oz. Vous les avez vus, les filles?

Je fais non de la tête et j'explique la découverte qu'on a fait dans le grand hall. D'un coup, cette histoire prend un tournant plus grave. Croiser des gens dans les couloirs, c'est une chose. Nous ne sommes pas les seuls à pratiquer des activités secrètes. Mais que ces personnes soient cagoulées de noir, attaquent sauvagement ceux qu'ils rencontrent et pratiquent des tortures sur de jeunes élèves, voilà qui est autrement inquiétant.

Mais Oz n'a pas l'intention de se laisser impressioner. Même la perte de sa baguette n'a pas l'air de le faire hésiter. D'une pichenette de magie, il se transforme en loup gris clair. Il est alors en mesure de flairer la piste des attaquants, et c'estce qu'il nous fait comprendre rapidement avant de s'élancer.

- Il est fou, dit Cassandre en se massant la nuque. C'est trop risqué.

- Peut-être, dit Lizzie, mais il va falloir y aller. Il part sans nous, là.

J'échange un regard inquiet avec Cassandre. Moi non plus, je n'ai pas envie d'aller me frotter à ces fous furieux. Je préfèrerais faire comme si rien ne s'était passsé, et laisser d'autre personnes se charger de régler cette histoire.

Pourtant, nous nous mettons en route. Nous suivons Oz le loup, ou plutôt Gripelage. Il marche d'un pas rapide, au petit trot, et nous avons peine à suivre. Finalement, comme la piste se précise, il se met à accélérer, et Cassandre est forcée de sa changer en chouette pour ne pas perdre sa trace et nous guider.

Quand nous rattrapons enfin Oz, il est devant une porte fermée. Je pousse la poignée et ouvre.

Autour d'un feu doré, non pas quatre, ni cinq, mais une vingtaine de personnes encagoulées sont en train de réaliser un rituel. Attachée sur un chevalet, il y a leur victime, la petite fille que nous avons soignée tout à l'heure et qu'ils ont reprise.

Nous sommes tellement choqués qu'aucun d'entre nous ne bouge, pas même Gripelage. Devant mes yeux dansent d'horribles images, évocations à la fois du Ku-Klux-Klan aux États-Unis et des Mangemorts de Celui-Dont-On-Ne-Devait-Pas-Prononcer-Le-Nom dont nos parents craignent encore le souvenir. Je sais que nous n'avons rien à faire ici, qu'il nous faut partir au plus vite. Mais je suis clouée, et mes amis à mes côtés sont cloués aussi.

Un des encagoulés pointe alors le doigt sur nous:

- Emparez-vous d'eux!

Aussitôt, vingt baguettes se pointent sur nous et vingt sortilèges sont lancés à l'unisson. J'ai roulé au sol, pour m'écarter, et les trois autres ont fait de même, ainsi que Oz le loup. Cassandre, toujours à l'état de chouette, se cache dans les poutres du plafond. Je roule encore pour essayer de me mettre hors de portée de cette bande de fous dangereux, mais à ce moment le corps inanimé de Lizzie tombe sur moi et je m'empêtre. Une lumière bleue m'enveloppe.

Quand je me suis réveillée, j'étais pieds et poings liés dans une salle obscure, je m'en souviens encore. Pourtant, alors que je marche aujourd'hui sous la voûte des arbres, le souvenir me fuit et je pense à autre chose. Cette autre chose, ce sont ces Mangemorts dont je vous ai parlé. Oui, ces Mangemorts dont le règne de terreur a vu son apogée dans les quelques années entre le retour de Vous-Savez-Qui et sa mort définitive. Je repense à cette liste de noms, en première page de la Gazette du Sorcier.

Je repense au salon gris et noir de mon père, un soir pluvieux de novembre comme un autre. J'avais entrouvert la porte pour venir chercher un livre que j'avais vu sur les étagères, et je les ai tous vu. Étendus dans de profonds fauteuils, leurs verres de sherry à la main, le feu crépitant dans l'âtre. Mon père était des leurs, de même que ma mère.

J'ai doucement refermé la porte.

- Tu es réveillée? me demande Janet.

Je gigote pour mesurer l'entrave de mes liens. Ils sont serrés.

- Je ne sais pas ce qu'ils comptent faire de nous, chuchote encore Janet. Tu crois qu'ils veulent se débarasser?

- Arrête, dis-je. On est pas perdus au milieu de nulle part. On est dans une école. Ils ne peuvent pas faire disparaître impunément six personnes du jour au lendemain.

Elle acquiece gravement. Je ne crois pas l'avoir convaincue. De toute façon, pour ça, il faudrait déjà que je me convainque moi-même. Or c'est loin d'être le cas. Il y a trop de façons de nous faire disparaître naturellement. À commencer par nous laisser mourir de faim, puis nous abandonner dans un endroit que personne ne connaît et faire croire qu'on s'est égarés et qu'on a tourné en rond jusqu'à la mort. Ce château est tellement vaste.

Que faire, maintenant? Essayer de s'enfuir? Où sont les autres, pour commencer?

Oz gît, dans son apparence de loup, les pattes entravées et la gueule prise dans une muselière. Lizzie est à côté de Janet, la tête renversée. Un filet de sang a séché sur sa tempe. Pol aussi est évanoui, ils ont attaché ses mains autour d'un barre de fer qui sort du mur. il a dû leur donner du fil à retordre.

Moi, je sais ce que j'ai à faire, même si ça paraît plus facile quand ce sont les héros de roman qui le font les doigts dans le nez. Je commence par faire passer mes mains, attachées dans le dos, à l'avant de mon corps. Pour ça, je les fais glisser en-dessous de moi. Une fois mes bras devant, il est beaucoup plus facile de tirer sur les nuds.

À l'aide de mes dents, je tire, je démêle, je dénoue le sac de corde qui m'entrave. Mais à peine ai-je (enfin) défait une boucle qu'elle se reforme d'elle-même.

- Finite Incantatem, je souffle.

Mais sans baguette, c'est autrement difficile, et les cordes sont solidement enchantées. C'est alors que Lizzie remue.

- C'est pas trop tôt, dit Janet. Lizzie! Réveille-toi, paresseuse! Il faut que tu te transformes immédiatement!

Lizzie revient lentement à elle. Elle a reçu un mauvais coup sur le crâne. Une fois qu'elle est suffisament éveillée pour comprendre qu'elle seule peut se changer, que nous n'osons pas le faire de peur de sa briser les pattes dans les liens, elle devient péniblement gerbille et entreprend de ronger nos liens. C'est au moment où elle a fini Janet et où elle s'attaque à moi que la porte s'ouvre d'un coup.

Un des sorciers encagoulés s'avance et me fait lever sans douceur. Il me sonde du regard à travers sa cagoule. Je ne cille pas. J'essaye de voir à travers le tissu, de deviner. D'après sa taille, je suis certaine qu'il s'agit d'un élève. Ça veut dire qu'il sait parfaitement qui je suis, qu'il mesure la portée de ses agissements.

- Suis-moi, ordonne-t-il.

Je ne résiste pas. Je suis trop contente de voir qu'il ne s'est pas aperçu de la disparition d'une des prisonnières.

Néanmoins, je ne suis pas rassurée en voyant qu'il me ramène à l'assemblée des fous furieux. Leur victime est toujours liée au chevalet, et cette image me remplit de terreur comme auparavant.

Ils me placent au centre du cercle, les mains toujours liées, et un horrible sentiment d'impuissance m'envahit. Et puis l'un d'eux s'avance, et d'une voix que je suis sûre de connaître, demande:

- Quel est ton nom?

Je lève le menton:

- Quel est le tien?

J'ai parlé avec juste assez de défi dans la voix. Ces types-là ne m'auront pas à leur petit jeu. J'entends mener mes actes comme je le décide, et ne pas me laisser dominer par une bande de malades masqués.

Mais mon interlocuteur s'agace vite:

- Ne te moque pas de moi, Ambriastelle Black. Tu es à une contre vingt.

- Les Rohirrims aussi étaient à un contre vingt au Gouffre de Helm, dis-je sans bien savoir pourquoi. Ça ne les a pas empêchés de gagner.

- Grâce à l'intervention d'Éomer! crie un des sorciers, avant de se ratatiner sous les regards lourds des dix-neuf autres.

- Nous sommes ici pour parler sérieusement! crie celui qui semble être le chef. Moque-toi encore de nous et tout ceci pourrait très mal finir pour toi.

On ne rigole plus, maintenant. Ces gens-là sont vraiment capables de me tuer. Bien que je ne comprenne toujours pas qui ils sont, je lance:

- Qu'est-ce que vous me voulez?

Le chef fait un nouveau pas vers moi. Qu'est-ce qu'il va me dire? Il a l'air de plus en plus menaçant, avec sa capuche en pointe sur le haut de la tête et tout son visage masqué. Il est à trois pas de moi. Il lève la main, la tourne vers le ciel et dit:

- Nous voulons que tu sois notre guide.

À ce moment, la porte s'est ouverte à la volée et Cassandre est entrée, suivie d'Albus Dumbledore, de Minerva McGonagall et d'un autre professeur. D'un sort bien lancé, le directeur a amené à lui les vingt baguettes des encagoulés (plus les quatre nôtres qui traînaient dans un coin – quatre parce que celle de Oz était cassée et que Cassandre avait gardé la sienne). Ils ont maîtrisé tout le monde et ce cauchemar s'est terminé là, me laissant avec d'horribles images dans la tête et d'horribles interrogations dans le cur, et pas de réponse.

Le lendemain, il y avait vingt élèves renvoyés de l'école. Très bizarrement, les trois derniers Serpentards mis à part moi en faisaient partie. Ça a été le premier jour de ma solitude forcée, la première fois que j'ai pu parcourir toutes les pièces de ma salle commune sans rencontrer personne.

Malgré les centaines de bruits multiples et divers qui couraient, personne n'a jamais su qui étaient ces malades.

Sauf moi.

C'était un après-midi d'avril. Je marchais dans le jardin du manoir de mes parents, cherchant un coin tranquille où m'abriter de tout contact familial. Ils avaient invité tout le monde, même ce crétin d'Aloysius (mon frère) était venu de sa fantastique école d'ingénieur-magicien pour la grande réunion familiale annuelle.

C'était compter sans ce grand oncle au énième degrès qui est arrivé en retard, sa carriole croisant par un hasard extrême la route qui était la mienne. J'ai entendu un cri, le hennissement des chevaux dont on tirait violemment sur les rênes, et un jeune homme a sauté du véhicule.

- Ambre! a-t-il crié, comme je m'éloignais. Oh, Ambre!

Mi-furieuse, mi-exaspérée, j'ai attendu qu'il me rejoigne. Je n'avais aucune idée de qui c'était, jusqu'à ce qu'il se colle en face de moi et me tende la main:

- Salut Ambriastelle! Tu te souviens de moi?

Dans un éclair, je savais qu'il avait été à Serpentard. Qu'il faisait partie des élèves renvoyés. Et à peine avait-il prononcé mon nom que j'avais reconnu, dans son intonation, le chef de la bande qui avait parlé au nom des autres.

Je frissonai.

- Ah ah, tu ne savais pas qu'on était cousins! a-t-il claironné. Je m'en doutais.

Puis, sur un ton de confidence:

- En fait, moi-même, je ne l'ai appris que la semaine dernière. Ça, pour une surprise!

C'est à ce moment que je l'ai regardé dans les yeux, et j'ai eu un mouvement de recul car j'ignorais qu'il était veyron. Il avait un il vert et l'autre marron, et cet horrible mélange m'a fait froid dans le dos. Peut-être à cause de la folie que je lisais au fond de son regard.

- Viens, a-t-il dit en me prenant par l'épaule, il faut qu'on parle tous les deux.

- C'est marrant, ai-je dit froidement, j'avais plutôt le projet d'être seule.

- Ah ah, je savais que tu étais une marrante! Tu ne vas pas rester seule alors que tout le monde s'amuse!

Dans son ton poli et enjoué, j'entendais de toutes autres paroles: "Tu ne vas pas m'échapper une deuxième fois!". Je frissonai, en partie à cause de ma tenue légère, en partie à cause de ses ongles pareils à des griffes posés dans mon dos.

Nous avons marché dans ce grand parc où j'avais grandi. Mon "cousin" s'appelait Jolin Sylverwood, un nom qui ne m'était pas étranger. Je pensai à une phrase que mon père avait un jour prononcée avec fierté: "Tous les sang-pur sont une grande famille." Je m'écartai de quelques pas.

Alors que nous passions sous un pin bicentenaire, aux larges branches taillées en forme d'ailes élancées vers le ciel (le jardinier était un génie, même s'il était asservi à mon père comme un chien à son maître), j'interrompis soudain Jolin dans son déballage de jolies formules et de plaisanteries savoureuses destinées à flatter ma sensibilité. Je me tournai d'un coup face à lui et lui demandai:

- Est-ce que tu vas finir par me dire à quoi rimait ta mascarade? Que voulais-tu dire par "Nous voulons que tu sois notre guide?".

Il y eut une fraction de seconde où il me regarda avec la bouche grande ouverte et les yeux ronds d'un poisson hors de l'eau, puis il explosa d'un rire sonore et pas tout à fait naturel.

- Mais c'est qu'elle est douée, la petite Ambre! Tu sais que je commençais sérieusement à espérer que tu ne m'avais pas reconnu? Bravo, ma belle. J'aime ça.

Il avait posé sa main sur mon bras, comme pour partager cette bonne plaisanterie. Je la retirai d'un geste sec et dis:

- Maintenant que tu as goûté ma vivacité d'esprit, tu vas répondre?

- Pas tout de suite, dit-il, je veux d'abord goûter autre chose.

Et tout en m'enserrant de ses deux bras, il m'embrassa avec sauvagerie.

Tout d'abord je fus si surprise que je ne songeai même pas à résister, et ses lèvres forcèrent mes lèvres sans que je puisse l'en empêcher. Mes deux bras étaient prisonniers, et il avançait à mesure que je reculais. Il para mon coup de genoux dans l'entrejambe, et je n'eus plus qu'une solution.

Ratatinant ma masse corporelle comme j'avais appris à le faire quand je testais la limite de mon don, je passai en quelques fractions de secondes de ma taille normale à un mètre de hauteur. Ses bras se refermèrent dans le vide et il trébucha, tandis que je m'écartai et redevenais moi-même pour profiter de l'avantage de mes grandes jambes.

- Pas mal, pas mal, balbutia-t-il en cherchant encore à comprendre comment je m'y étais prise. Y a pas à dire, tu es douée, ma belle.

- Vas te faire voir, crachais-je.

- Allez, arrête de faire ta farouche, dit-il en avançant de nouveau vers moi. Tu n'es pas si Range cette baguette!

- Alors lâche-moi, dis-je en la levant plus haut.

Jolin s'immobilisa et fit mine de regarder sur le côté, l'air de se rendre intéressant en montrant que je l'avais bien eu et qu'il rendait les armes. Je gardai ma baguette à la main.

- Tu es vachement déconcertante, comme fille! dit-il avec un sourire de séducteur qui faisait plutôt carnivore.

- Tu n'es pas mal non plus. Et maintenant, réponds à ma question.

- Ok, ok, pas de panique! Il n'y a pas d'urgence, personne n'est en danger de mort!

- Si, toi, dis-je en pointant ma baguette sur sa poitrine.

Il cessa immédiatement son petit jeu et me fixa un moment, les bras ballants, cherchant à déterminer jusqu'à quel point j'étais sérieuse. Puis il dit, d'un ton qui faisait un peu plus naturel que tout ce qu'il m'avait servi jusque là:

- Assied-toi.

Et il s'installa lui-même dans l'herbe piquetée de paquerettes. Je fis de même, à distance respectueuse de lui. Il raconta:

- Notre groupe était constitué d'adeptes d'une vieille forme de magie, que l'on appelle Onimancie.

Il attendit une remarque de ma part, mais je restais de marbre. J'étais résolue à écouter ce qu'il avait à me dire jusqu'au bout. Après quelques secondes, il reprit:

- Des sortilèges, pratiqués par un grand nombre de Sorciers, et appuyés sur une ou deux techniques rejetées par le reste de la communauté sorcière

Je pensais dans un éclair au corps de la petite fille sur son chevalet ruisselant de sang.

- et qui nous permettent de faire de grandes, de vastes choses.

- Comme quoi? demandai-je d'un ton acerbe.

- Comme retrouver une pièce dissimulée au sein du château par un puissant, très puissant sorcier. Un sorcier qui a vécu il y a si longtemps que plus personne ne se souvient de cette pièce. Comme découvrir ce qui a été caché dans cette pièce et le libérer.

- Arrête, le coupai-je. S'il te plaît, pas la vieille salade de la Chambre des Secrets. Toute personne équilibrée sait que ce ne sont que des légendes.

- C'est ce que tu crois! s'écria Jolin en se levant à moitié, comme un fou ou un possédé. Et c'est ce qui te trompe! Mais je leur montrerai, je vous montrerai à tous que vous aviez tort!

Ma main, posée dans l'herbe à côté de ma jambe, se serra de nouveau sur ma baguette. La lueur de folie dans les yeux de mon "cousin" était encore plus forte qu'auparavant.

- Ok, dis-je, en admettant que cette chambre existe, qu'ai-je à voir là-dedans?

C'est à ce moment que la lueur de démence quitta ses yeux pour envahir son visage tout entier, du sourire torve aux sourcils levés, et je frissonai en pensant que nous étions hors de portée de voix de quiconque, isolés au milieu du parc immense, et encore une fois l'image de la victime torturée de ce malade profond s'imprima sur ma rétine, plus forte que jamais. Quand il ouvrit la bouche pour répondre, je sus dans un éclair que ce qu'il allait dire ne me plairait pas, mais pas du tout.

- Pour chaque serrure, dit très lentement et très suavement mon cher cousin, une clé. Pour chaque sorcier ancestral, un héritier.

Je fronçai les sourcils d'un air que j'espérais perplexe, mais déjà, j'avais compris. J'en savais assez pour savoir ce que signifiait "son héritier". Et même si la voix de ma raison me soufflait que c'était un fou, quil racontait n'importe quoi, mon intuition, cette sale garce qui s'insinue toujours au mauvais moment pour tout chambouler, me disait que c'était vrai.

Pourquoi toujours moi?

Il doit être onze heures du soir. Tout à l'heure, le soleil agonisant a offert à la nature un magnifique abstrait dans les tons rouges et magenta. Les petits nuages se teintaient de violet, et les oiseaux du crépuscule tournaient au-dessus de la forêt en piaillant et en croassant à qui-mieux-mieux. Puis la boule flamboyante a sombré derrière les montagnes, et je suis restée seule dans l'ombre grandissante.

Les étoiles du ciel d'été flamboient. J'y reconnais les trois Belles, Véga, Altaïr, et Dénèbe qui a donné son nom à ma mère. J'y reconnais la Grande Ourse et son enfant, la Petite Ourse qui tient l'étoile polaire dans sa gueule, l'Aigle, majestueux, et la Couronne, et Cassiopée la brillante, et parmi toutes celles-là le Dragon qui serpente dans la moitié de la voûte.

Les cimes des arbres qui bordent ma clairière me cachent les étoiles les plus basses, mais je ne les aurais pas vues de toute manière car ma vue est obstruée par les larmes. Colère, frustration, détresse se mêlent et s'entrecroisent dans le théâtre de mes émotions, et derrière ce ballet incessant j'ai l'impression qu'il n'y aura jamais, jamais, jamais plus de place pour le bonheur. Alors à quoi bon?

J'ai caressé la terre, je l'ai frappée de toutes mes forces pour la faire expier. J'ai essayé d'oublier, j'ai cherché de toutes mes forces à me souvenir. J'ai crié comme une démente et j'ai tout gardé pour moi. J'ai fait le pas pour pousser la porte et je suis restée dehors.

Les révoltes de poussière

Je me lève et prend le chemin du retour en direction du château. Demain est un jour comme les autres.

Que ce soit à genoux ou à reculons, il faut bien continuer à avancer. Et tant pis si la mort se fait attendre. Elle finira bien par pointer son nez.

Demain ne sera jamais qu'une journée

– fin du chapitre 2–