Chapitre 3 : Le destin de notre temps…
Dunharrow

Une fois de plus, Edoras résonne des hennissements des chevaux et du bruit des armes. Ne restera ici qu'une garnison destinée à défendre la cit

Eowyn accompagnera les hommes jusqu'à Dunharrow, selon la tradition, comme elle l'explique à Aragorn, mais, au regard du Ranger lorsqu'il voit l'épée qui se trouve dans ses fontes, elle voit qu'il ne la croit pas entièrement... ses yeux bleus si pénétrants semblent percer son âme, et elle détourne les yeux…

Elle admire la splendide carrure et prestance de son frère aîné, et entend ses paroles destinées à ranimer le courage des hommes…pourtant, elle sait que beaucoup de ceux qui partent ne reviendront pas, lourd tribut à payer pour sauver le monde des hommes.

Dunharrow étant à quelques jours de cheval d'Edoras, le camp y serait monté pour rassembler les hommes avant de partir pour Minas Tirith, où aurait lieu la bataille.

Pendant tout le voyage, Aragorn ne décrocha pas un seul mot, l'air rêveur mais décidé…que sait-il ? Que pressent-il ? Eowyn ne le sait mais, sans qu'elle puisse l'empêcher, elle sent son cœur battre plus fort à chaque fois qu'elle le regarde, à sa grande honte et à sa grande confusion…parfois, cela fait monter un peu de rouge à ses joues, mais il y a tant à faire qu'elle ne peut s'appesantir très longtemps sur ses sentiments.

Dans son marasme, elle trouve un agréable compagnon en la personne du Hobbit restant, Merry, qui lui aussi est seul, privé de son ami…le Hobbit reste gai, malgré la menace qui pèse sur le monde des Hommes, et raconte à la princesse des histoires de son pays. Pourtant, même s'il est gai, Eowyn sent qu'il souffre lui aussi d'être seul laissé derrière…il est au milieu d'une guerre qui le dépasse de beaucoup, dont il ne comprend pas tous les tenants et les aboutissants mais pourtant il veut combattre, il refuse de rester derrière…

Une fois de plus, elle aussi se retrouve seule, son frère a été envoyé chercher des cavaliers pour grossir les rangs et le roi a fort à faire…les chevaux et les hommes sont nerveux, tous sentent qu'ils touchent à la fin du monde qu'ils ont connu, que tout sombrera dans l'ombre ou survivra différemment.

Mais Eowyn ne peut se laisser aller au désespoir, en tant que personne princière il est de son devoir de garder espoir, de rester droite et digne. Mais comment faire quand la nervosité gagne tout le camp, quand son cœur tressaute à l'apparition d'Aragorn ?

Elle voudrait aller combattre, elle a d'ailleurs pris tout ce qu'il fallait dans ses affaires en partant d'Edoras, mais maintenant elle hésite. Son oncle lui a laissé la responsabilité des rohirrim en son absence, qui les guidera si elle s'en va aussi ?

Pourtant, le temps pour elle n'est pas à de semblables états d'âmes, il lui incombe de veiller au logement du roi et des seigneurs qui l'accompagnent, et ce n'est pas une mince affaire, surtout vu la confusion ambiante. L'animation ne s'arrête jamais vraiment, même la nuit où les hommes, qui ne peuvent dormir, restent à parler doucement autour des feux de camps, alors qu'elle essaie vainement de trouver le sommeil. Mais comment pourrait-elle dormir alors que son âme est si agitée ? Toute la nuit elle entend les chevaux hennir

Elle voit aussi quelque chose soucier Aragorn, autre chose que la guerre qui approche…mais qui pourrait deviner ce qui se cache derrière ce beau visage aux traits nobles ?

Mais elle n'a guère de temps pour s'appesantir là-dessus, elle doit tenir son rôle auprès du roi Theoden, qui semble d'ailleurs apprécier la présence de Merry, et aime parler avec lui, dans les courts intervalles où il ne tient pas de conseil de guerre. Eowyn y est parfois présente, mais le plus souvent veille à l'intendance et à l'organisation du camp. En effet, même si les femmes savent combattre, elles ne peuvent le faire qu'en dernier ressort, et Eowyn pense en soupirant à toutes ces reines, ses ancêtres, qui allaient à la guerre auprès de leurs époux et de leurs pères…ne la laissera-t-on pas prouver sa valeur avant que le monde des Hommes ne se perde, lutter pour son peuple et pour son roi ?

Aussi, quand Theoden lui demanda-t-il d'équiper Merry, qui venait de lui jurer allégeance, elle n'hésita pas une seule seconde. S'il emmenait Merry à la guerre, il y avait peut-être une chance pour elle…

Soigneusement, elle choisit pour le Hobbit un casque et une chemise de cuir épais qui le protègerait, puis l'aida à les enfiler et admira son œuvre. Elle était joyeuse, et le hobbit l'était tout autant qu'elle lorsqu'il se fendit et faillit l'atteindre. Eowyn, riant gaiement, l'envoya à la forge, sur le ton léger qu'elle aurait utilisé pour envoyer un enfant au bain.

Eomer, qui était assis près de là, avec Gamling, se moqua du Hobbit d'une façon qui rendit Eowyn furieuse. Comment son frère, qu'elle croyait pourtant intelligent, se permettait-il de juger quelqu'un seulement sur son apparence ? Se croyait-il supérieur parce qu'il avait eu la chance d'être né homme et avec une soixantaine de centimètres de plus que Merry ?

Savoir que son frère pensait cela peina vraiment Eowyn, et elle ne put s'empêcher de lui répliquer vertement que le courage du Hobbit n'avait rien à voir avec sa taille…c'étaient des a-prioris pareils qui allaient causer la perte du monde des Hommes. Ils devaient tous combattre ensemble pour le sauver, sans distinction de race ou de taille, ni même de sexe.

Elle jeta un regard glacial sur les deux hommes assis, et leur dit d'une voix coupante :

« S'il a le bras un peu trop court selon toi, au moins son intelligence n'est pas dedans, au contraire de vous tous ! Ni en une certaine partie de sa personne… »

Et, sur cette remarque qui, elle le savait, frapperait l'ego de ces messieurs au plus sensible, elle alla rejoindre le Hobbit, qui cette fois avait une épée bien affûtée. Il la regarda et lui dit :

« Merci de me donner l'occasion de combattre comme mes amis… »

Le ton décidé du jeune Hobbit émut Eowyn, qui lui sourit mais ne put rien répondre…

Mais le souci principal de la jeune femme était son oncle, Theoden, et Aragorn. Tous deux se côtoyaient mais une certaine électricité existait entre eux. Eowyn ignorait qui était vraiment Aragorn, mais elle le sentait de noble lignée, qui égalait celle du roi de Rohan lui-même. Sous les dehors crasseux d'Aragorn se cachait une noblesse et un courage sans pareils, dignes d'un roi…pourtant, elle ignorait à quel point elle était proche de la vérité le concernant.

Pourtant, la Porte des Morts semblait l'attirer, le hanter, elle ne savait pourquoi…elle connaissait bien sûr la légende des morts, maudits par un roi de jadis, qui gardaient la porte et s'attaquaient à ceux qui la franchissaient, et cela la perturbait, la privant presque de sommeil. Elle avait l'intuition qu'il se passerait quelque chose…

Son intuition fut confirmée quand Aragorn décida de partir, après que quelqu'un de mystérieux lui ait rendu visite…bouleversée, Eowyn, ne suivant que son cœur, se disposa à l'accompagner. L'expression à la fois désespérée et résolue d'Aragorn la frappa comme la foudre, comme sa voix, celle d'un homme fatigué mais destiné à aller jusqu'au bout. Pour la première fois, Eowyn la guerrière s'abaissa à demander quelque chose, la simple permission de l'accompagner, et dévoila de façon muette ses vrais sentiments à l'homme qui hantait ses pensées depuis des mois.

Aragorn abaissa son regard bleu fatigué sur elle, et lui dit qu'elle n'aimait en lui qu'une image, une simple idée, un idéal, et qu'il ne pouvait lui donner ce qu'elle cherchait. Son regard en disait bien plus long que ses paroles, il était épuisé, triste, comme un homme qui sait qu'il va rencontrer son destin, en bien ou en mal.

Puis, la laissant là, sous le choc, triste à mourir, il enfourcha son cheval et, suivi de ses amis, prit le chemin qu'il redoutait tant…

Il sembla alors à Eowyn que le monde s'écroulait autour d'elle, comme sur la terre vacillait et que son cœur allait se briser en mille fragments, s'arrêter de battre à jamais.

Pourquoi vivre désormais, puisque le seul homme qu'elle eût aimé l'avait dédaignée froidement ? S'il partait, le monde des hommes était perdu…

Alors sa décision fut prise, irrémédiablement…elle combattrait et mourrait, puisque sa vie ne valait plus la peine d'être vécue.

Quelques heures plus tard, alors que le soleil se lève, elle est encore debout, perdue dans ses pensées, quand son oncle la rejoint. Elle lève la tête vers lui, ses yeux ne parvenaient pas à cacher sa tristesse. Longuement, Theoden la regarde puis lui délivre ses instructions, les mêmes que celles qu'il lui avait délivrées au Gouffre de Helm. Son visage est triste, mais résolu…doucement, il prend dans ses mains le visage de sa nièce, et ses douces paroles sont comme un apaisement sur les nerfs à vif de la jeune femme. Theoden lui a servi de père, et elle l'aime comme s'il l'était vraiment. Il la supplie de vivre, de survivre à toute cette horreur pour voir des jours nouveaux, mais comment le pourrait-elle ? Elle veut combattre, on le lui refuse, la laissant derrière…D'un côté, elle comprend son oncle, quelqu'un doit rester pour diriger les rohirrim, et elle est la seule de la maison d'Eorl qui puisse assurer cela. La bonté de son oncle est telle que le sourire lui vient, même si son cœur lui fait horriblement mal…

Pourtant, sa résolution était prise, cela lui faisait mal au cœur de désobéir à son oncle mais il le fallait.

Mais Theoden, après avoir béni sa nièce et avoir embrassé son front, se détourna pour aller se préparer. Eowyn devait profiter de ce moment pour faire elle-même ses préparatifs. Son cheval, Windfola, était prêt et, d'un geste preste, elle enfila une robe de laine, une cotte de mailles au-dessus et encore une cuirasse de cuir lacée devant. Même si elle avait pris la cuirasse un peu rapidement, celle-ci était à sa taille. Attachant rapidement ses cheveux, elle rassembla quelques affaires, fixa son épée sur son dos et posa ensuite le casque qu'elle avait choisi sur sa tête. Il la cachait suffisamment pour qu'on ne la reconnaisse pas…

Puis, sortant de sa tente, elle enfourcha Windfola, qui attendait là, fixa sa lance et son bouclier à sa selle et se mêla aux autres cavaliers. Avec sa tenue, elle ne s'en différenciait pas, et, étant une excellente cavalière, trois jours de cheval ne lui faisaient pas peur.

C'est alors qu'elle vit Merry, en grand harnois, tenant son poney de montagne, qui se nommait Stybba, par la longe, en pleine discussion avec le roi, et elle parvint à en capter les dernières phrases en passant près d'eux : le roi refusait à Merry sa participation à la bataille.

Le sang d'Eowyn ne fit qu'un tour, elle attendit que le roi s'éloigne et, accélérant son trot, attrapa le Hobbit au vol. Le Hobbit se tourna vers elle, et sourit en la reconnaissant, mais elle le fit taire, et, pour l'aider à conserver son assiette, passa une main devant lui.

La longue chevauchée vers le Gondor commençait…

Les Champs du Pelennor

La chevauchée vers le Gondor se déroula sans histoire. Eowyn précisa à Merry qu'il fallait qu'il l'appelle Dernhelm, qu'elle était là incognito, mais ils n'avaient ni l'un ni l'autre très envie de parler. Ils savaient que ce qui allait se dérouler influerait sur le destin de toute la Terre du Milieu, mais n'échangeaient pas leurs pensées…

Et enfin vint l'aube du troisième jour, Minas Tirith fut en vue, fumante, et l'immense armée du Seigneur Noir devant elle.

Elle sentit son courage vaciller, ainsi que celui des autres rohirrim qui voyaient cette marée noire prête à se précipiter sur eux. Même Theoden se tut…

Un frisson de peur parcourut les rangs des rohirrim rangés en ordre de bataille. Eowyn serre Merry contre elle, pour lui insuffler courage mais aussi pour se rassurer elle-même. Le roi semble revenu de sa stupeur, il cherche à insuffler du courage à ses troupes, dans la grande tradition des rohirrim…il donne l'ordre de brandir les lances, alors que le soleil se lève, rouge comme le sang. Eowyn a le réflexe de cacher son visage à la vue du roi, alors qu'il parcourt la ligne, hurlant les mots rituels…Doucement, elle serre Merry contre elle et l'incite à rester près d'elle en cas de problème. Après tout, elle était la seule qui pourrait prendre soin de lui, vu que lui aussi avait bravé l'interdiction royale. Lui non plus ne devait pas se trouver l

Elle tente de cacher sa nervosité au Hobbit, mais elle sent la peur et la panique l'envahir…mais cela ne dure pas longtemps, et elle hurle avec les autres 'mort !' avant de charger, toute peur effacée de son esprit. Dans le déchaînement de la charge, elle se laisse gagner par l'ivresse du combat…

Après la charge quelque peu désordonnée du début, Theoden fait reformer la ligne, et fait cette fois sonner la charge dans les règles. Mais le danger ne vient pas des orcs, qu'il est facile de frapper et qui paniquent, mais des oliphants et des mûmaks, énormes bêtes qui manquent de les écraser plusieurs fois de leurs pattes. Avec son savoir-faire d'excellente cavalière, Eowyn guide son cheval au milieu de ce champ de bataille surréaliste…Windfola, affolé par tout ce bruit, reste cependant contrôlable.

D'un œil expert, Eowyn repère le point faible des bêtes, non vraiment la tête, comme elle entend Eomer le crier, mais les pattes : si elles marchent, elles doivent bien avoir des tendons, et, une fois à terre, il sera plus facile d'en venir à bout. Confiant les rênes à Merry, elle lui ordonne de se diriger vers la gauche, puis attrape au passage une épée plantée dans un orc, sort la sienne de son fourreau et tranche d'un geste preste les tendons de l'énorme mûmak, provoquant sa chute.

Autour d'eux tombent à la fois mûmaks, oliphants, rohirrim, dans le désordre le plus total. Près de là, Eomer et Theoden ont réussi à mettre un mûmak à terre, mais Eowyn, si elle évite celui-ci de peu, n'évite pas le suivant…Windfola vole en l'air comme s'il n'était qu'un fétu de taille, et elle atterrit durement sur le sol. Inquiète, elle regarde autour d'elle : où est Merry ?

Pourtant, autour d'elle, la bataille continue, Theoden hurle au ralliement. Sentant la peur le gagner soudainement, ainsi que tous ceux qui chevauchent autour de lui, il se retourne et se trouve face au Roi-Sorcier…il n'a pas le temps de réagir lorsque celui-ci le frappe, et qu'il tombe à terre, son cheval atterrissant sur lui.

Le Roi-Sorcier atterrit alors près de lui, voulant en nourrir sa bête volante. Le sang d'Eowyn ne fait qu'un tour, et elle se précipite pour s'interposer entre l'immonde bestiole qui sert de monture au Nazgûl et son roi. Malgré la peur qui commence à l'envahir en la cadavérique présence du roi des Nazgûls, elle résiste et se tient là, ferme, l'épée à la main, pour défendre son roi, son oncle. Alors que la bestiole s'avance pour se repaître de la chair du roi, elle lui tranche net le cou. L'énorme animal tombe alors au sol, et le Nazgûl, privé de sa monture, met pied à terre

La voix d'outre-tombe du roi des Nazgûls fait partir toute force dans le corps d'Eowyn, comme si, de sa seule voix, il pouvait la tuer. Il déploie lentement sa haute taille, et balance lentement l'arme qu'il tient à la main. Il tente de l'en frapper une fois, qu'elle évite, mais ne parvient pas à éviter la suivante, et son bouclier vole en éclats. De plus en plus emplie par la peur, tenant son bras qui, elle le devine, est cassé, elle voit la fantômatique forme noire se diriger vers elle…il la prend à la gorge, voulant l'étrangler, mais c'est compter sans Merry, qui, rampant sur le sol derrière le Nazgûl, enfonce son épée dans le néant, au niveau de ce qui fut le genou. Il se met à hurler et tombe sur le sol de nouveau, tenant la main qui a frappé. Le Nazgûl crie, et Eowyn se libère, profitant de sa douleur. Respirant un grand coup, elle se débarrasse de son casque, laissant ses cheveux d'or flotter en liberté, puis, assurant son épée dans sa main valide, elle s'écrie :

« Je ne suis pas un homme !! »

Et elle enfonce son épée dans l'interstice du casque…la douleur alors l'envahit, elle lâche son épée et tombe à terre, alors que le Nazgûl, frappé à mort, disparaît.

Alors Eowyn, la douleur se diffusant dans tout son corps, parvient à se traîner jusqu'au roi agonisant. Les yeux du roi se voilent alors qu'il la reconnaît, mais il est trop tard pour lui, elle le sait au fond d'elle-même mais elle refuse de le croire, elle veut le sauver…

Mais le roi sait, lui, qu'il est perdu, Snowmane (Nivacrin en VF) est tombé sur lui, et il n'en veut même pas à sa nièce qui n'aurait pas dû se trouver là mais qui lui a tout de même sauvé la vie. Après quelques paroles, il rend l'âme, laissant Eowyn seule comme elle ne l'a jamais été…La douleur qu'endure son corps n'est rien par rapport à celle qu'endure son âme à cet instant, et elle s'effondre en sanglots sur le corps du roi. Pourtant, le mal noir transmis par le Nazgûl est le plus fort, et elle finit par s'évanouir, engloutie par un abîme de douleur…

Minas Tirith, Maisons de Guérison

« Eowyn ! Eowyn ! »

Ces mots frappent son esprit, alors qu'elle vogue dans le néant depuis des jours…elle reconnaît la voix de son frère, mais il lui a semblé auparavant reconnaître la voix d'Aragorn. Un rêve, sans doute…

Péniblement, elle ouvre les yeux, et reconnaît à son chevet Eomer, qui pleure presque de la voir enfin éveillée, et Gandalf, qui lui sourit gentiment.

Tout se mélange dans sa tête : le Nazgûl, la bataille, Theoden…mais elle se rappelle que le roi est mort, et qu'Aragorn a disparu dans le chemin des Morts. Elle pense à Merry, aussi…qu'est-il devenu dans le déchaînement de cette bataille surréaliste ?

Pourtant, même si elle se sent mieux, que l'ombre qui l'oppressait est partie, il lui semble cependant qu'une partie d'elle-même est vide, disparue à jamais…

Avec le plus de ménagements que l'on put, on lui raconta ce qui était arrivé depuis qu'on l'avait trouvée, inconsciente, sur le champ de bataille, près du corps sans vie de son oncle. Eomer l'avait cru morte quand on l'avait ramenée, ainsi que Merry, mais c'était Aragorn qui, grâce à ses mains de guérisseur, l'avait arraché à l'ombre noire qui menaçait de l'engloutir.

Il avait recommandé qu'elle se repose au moins une semaine et, avec un gémissement de douleur, elle s'aperçut que son bras gauche était bel et bien cassé, comme elle l'avait deviné.

Cependant, l'heure n'était pas au repos pour les guerriers puisque Aragorn, maintenant déclaré ouvertement comme Héritier d'Isildur, avait décidé d'aller à la Porte Noire, accompagné d'Eomer, maintenant de facto roi du Rohan, ainsi que d'Imrahil de Dol Amroth. Tous trois représentaient le dernier espoir de survie des Hommes, et Eowyn le savait…Le cœur gros, elle embrassa son frère venu lui dire adieu et le laissa partir remplir sa mission, aussi désespérée qu'elle fût…de toute façon, elle non plus n'avait plus d'espoir pour elle-même, mais elle espérait qu'au moins les seigneurs des Hommes parviendraient à en arracher une miette là, vers l'est.

Allongée sur son lit, le sommeil la fuyant parfois, elle avait tout le loisir de réfléchir sur ce qu'elle avait été, sur ce qu'elle allait être. Comment avait-elle pu croire qu'elle pourrait être aimée d'un homme aussi prestigieux qu'Aragorn ? Cette idée lui perçait le cœur comme une épingle de glace, mais elle ne pleurait pas, elle ne se serait abaissée à montrer sa douleur à quiconque. Elle, fille de roi, se devait d'être toujours forte dans l'adversité, même si son cœur était broyé dans un étau. Pourtant, au plus fort de la nuit, elle laissait souvent ses larmes couler, lasse de les retenir, la douleur débordant de son cœur meurtri. Que faire à présent ? Elle voulait garder espoir, mais sentait cette ombre qui imprégnait tout couvrir cet espoir et obscurcir son cœur…que deviendrait-elle si les Hommes triomphaient ? Elle n'aurait plus sa place auprès de son frère qui prendrait inévitablement femme, car elle refusait de prendre époux…elle savait qu'Eomer n'aurait pas la cruauté de l'y obliger, et elle s'étiolerait, à jamais solitaire, jusqu'à ce que les jours de sa vie viennent à leur fin, ou qu'elle provoque cette fin. De toute façon, si Sauron triomphait, elle aurait la force de mettre fin à sa vie pour ne pas tomber entre ses mains, et resterait digne jusqu'au bout…il ne resterait personne pour se souvenir de la fière princesse rohirrim qui avait été vaillante mais avait aimé au-dessus d'elle.

Ces pensées morbides lui occupant l'esprit, Eowyn, cependant, n'en oubliait pas la bataille qui aurait lieu devant la Porte Noire, et son esprit était tourné vers l'est, lieu de tous les espoirs des Hommes. Deux jours après le départ des capitaines, elle n'en put plus de rester là, impuissante, et demanda ses vêtements malgré les dénégations des guérisseurs. Elle leur demanda aussi des nouvelles, mais personne n'en avait, aussi l'un d'eux décida de la conduire auprès de Faramir, de facto Intendant de la Cité depuis la mort tragique de son père, qu'il ignorait encore.

Le jeune Intendant se promenait, pensif, dans les jardins quand on lui amena Eowyn. Elle l'éblouit dès qu'il la vit mais il ne laissa aucune émotion passer sur son visage. Elle avait le visage résolument fermé, pensif, et cela l'émut au plus haut point…

Eowyn vit devant elle ce jeune homme aux cheveux châtains clair et aux yeux bleus, calme et posé, et eut l'impression qu'il voyait à travers elle, et il semblait comprendre ce qu'elle éprouvait vu qu'il était lui-même en convalescence. Elle avait résolu de lui parler dignement, mais, et elle ne sut pourquoi, son ton naturel se fit vite jour, alors qu'elle exprimait son regret de ne pas pouvoir regarder vers L'est ni pouvoir sortir.

Alors Faramir sourit doucement, et lui donna son accord pour qu'elle puisse sortir…il lui demanda aussi de bien vouloir avoir la bonté de se promener avec lui, pour alléger la charge qu'il portait. Il parlait calmement mais fermement, de sa voix claire, et lui exprima simplement son sentiment, avec noblesse.

Eowyn resta alors sans voix : jamais aucun homme ne lui avait dit qu'il la trouvait belle, et elle réagit un peu avec panique à cette idée. Elle remercia l'Intendant pour sa permission, lui fit une révérence et rentra dans la maison, laissant Faramir à sa rêverie. Elle avait pensé le débouter en lui rappelant qu'elle était une guerrière avant tout, mais l'homme n'était pas du tout dérangé par cela, et lui marquait beaucoup de gentillesse et de déférence, alors qu'ils marchaient tous deux dans les jardins, parlant ou silencieux. Parfois, Merry les accompagnait, lui aussi inquiet pour ceux qui désormais devaient être arrivés à la Porte Noire, mais le plus souvent ils se promenaient seuls, regardant vers l'est où s'en étaient allés les espoirs des Hommes…

Pourtant, l'esprit occupé par les événements, elle ne remarqua pas que le regard que Faramir posait sur elle se faisait de plus en plus tendre, pas plus qu'elle ne comprit le sous-entendu qu'il lui dit, une fois, lorsqu'il affirma ne pas vouloir perdre ce qu'il avait trouvé. Comment, avec son peu d'expérience de l'amour et des hommes, aurait-elle reconnu là les signes d'un profond sentiment qui était en train de s'enraciner dans le cœur du jeune Intendant ? Elle ne remarquait pas non plus que son teint rosissait plus souvent en sa présence…

Ce jour-là, il vint la chercher, et lui amena une mante bleu de nuit pour la couvrir, car le temps avait fraîchi et la bise soufflait sur Minas Tirith. Ce vêtement avait appartenu à sa mère, Finduilas d'Amroth, morte quelques années après sa naissance, et il se souvenait qu'elle avait toujours le même air triste qu'Eowyn. Aucune vêture ne lui paraissait mieux indiqué pour la si triste Dame Blanche de Rohan…

Un air sombre flottait dans l'air, alors que tous deux se tenaient sur les murs, mais au contraire ils se sentaient joyeux, ils ne savaient pourquoi. Puis le temps sembla ralentir, alors qu'ils attendaient, ils ne savaient au juste quoi…l'air s'assombrit, et Eowyn, sans vraiment s'en rendre compte, se rapprocha de Faramir, leurs mains se joignirent et s'entrelacèrent.

Puis arriva la nouvelle, portée par l'un des aigles : les Hommes avaient vaincu, Barad-Dûr était à terre…

Pourtant, loin de se réjouir de cette nouvelle tant espérée, Eowyn retomba dans sa tristesse, sous les yeux de Faramir, qui préparait activement le retour du Roi. Elle était la seule, en ces temps de liesse, à être silencieuse et triste…

Savait-elle elle-même ce qui la rendait si triste ? C'était un ensemble de facteurs : Faramir, Aragorn y jouaient un grand rôle…

Car c'était Eomer qui avait appelé sa sœur au camp de Cormallen, alors qu'elle eût aimé que ce soit Aragorn qui le fasse, qui se soucie d'elle…de plus, elle était perdue, elle ne savait plus que penser, ni ce qu'elle ressentait face à Faramir. Elle se sentait attirée vers lui, et ne parvenait pas à démêler ses sentiments…

Ce fut Faramir qui, ne supportant plus de la voir ainsi errer comme une âme en peine dans le jardin, laissa quelques instants ses multiples devoirs d'Intendant pour lui rendre visite. Elle s'aperçut qu'il l'avait percée à jour, qu'il avait compris ses doutes, et, surmontant sa timidité, il lui offrit son amour avec des mots pleins de tendresse et de passion contenue.

Alors la glace qui enveloppait son cœur fondit, enfin elle comprit qu'elle l'aimait en retour, et que cet homme de Gondor, calme, posé et courageux, était celui qui lui était destiné. Le temps des combats était fini pour elle, il était maintenant temps qu'elle devienne épouse et mère…

Doucement, Faramir la prit dans ses bras, et l'embrassa dans le vent, sur les murs de Minas Tirith…

Une nouvelle ère commençait…

FIN