The best Ennemies in the World

by Sataï Nad

Disclaimer : The characters are not mine. They belong to Thomas Harris. I just borrowed them. No infringement of copyright is intended.

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" Joyous Love seemed to me… "

Chapter 9 : The truce

Clarice Starling se réveilla complètement désorientée, avec une migraine terrible, le corps perclus de courbatures. Elle se mit à gémir en se rappelant les événements de la veille et eut le réflexe puéril de se réfugier sous les couvertures. Elle sentit quelqu'un s'asseoir sur le lit à côté d'elle.

" Clarice ? Sortez de là-dessous. Ça ne sert à rien de vous cacher. "

" Docteur Lecter ? "

La jeune femme rabattit les couvertures et le regarda. Elle eut un bref moment de panique en le voyant si proche. Puis comme il lui souriait doucement et ne faisait pas un geste, elle inspira profondément et se força à se calmer. Elle jeta un coup d'œil rapide dans la pièce, cherchant machinalement une issue, mais son regard revint inévitablement se poser sur celui de Lecter.

" Combien de temps… j'ai dormi ? "

" Près de quinze heures… Vous en aviez besoin après tout ce que vous avez enduré ces derniers jours. "

Elle se frotta les yeux et se massa le front.

" J'ai mal à la tête. "

" Pas étonnant… Buvez. "

Il lui tendit un verre de lait. Assoiffée, elle le but d'une traite et fit une grimace.

" Drôle de goût… C'était quoi ? "

" Une recette de ma grand-mère. "

" Elle était aussi cannibale ? "

Il éclata de rire et la tension entre eux tomba d'un coup. Surprise par l'accueil de sa tentative d'humour, elle se joignit timidement à lui. Ils s'observèrent pendant quelques instants, chacun gravant ce moment de grâce dans sa mémoire.

" C'est la première fois que je vous entends rire, Clarice. C'est un son très agréable. "

Elle rejeta la tête en arrière et ferma les yeux.

" Je n'ai pas eu vraiment l'occasion de plaisanter ces derniers temps. Mais je ne veux pas en parler. Pas maintenant, ok ? "

" D'accord. "

Elle regarda le pyjama en soie bordeaux qu'elle portait. Au moins trois fois trop grand pour elle. Un des siens... Il m'a encore déshabillé.

" Ça devient une habitude, " murmura t'elle.

" Non ma chère, un plaisir. "

Il l'observa avec un regard tellement intense qu'elle se mit à rougir et dût détourner les yeux. Hannibal Lecter enregistra la transformation de son visage et le léger rougissement qui était apparu sur ses joues pâles. Encore une nouvelle image charmante qui resterait gravée dans sa mémoire. Plus sérieusement, il reprit doucement :

" Clarice, votre corps est couvert d'hématomes. Que vous est-il arrivé ? On vous a frappé ? "

" Je ne sais pas, je n'ai pas vu mon agresseur… C'était certainement l'un des hommes qui a assassiné Richard McKay… et que vous avez tué hier soir. "

" Pas hier soir… Il y a quatre jours, à la villa. "

Elle le regarda, interdite. L'ombre que tu as vue près de la piscine ? Il hocha la tête, sortit un petit tube et le lui tendit.

" C'est de l'arnica en doses homéopathiques. Prenez-en régulièrement avec un verre d'eau. "

Elle prit le tube en le remerciant. Conscient de la gêne de la jeune femme, il se leva et indiqua la salle de bain.

" Avez-vous faim ? Je vais commander quelque chose pendant que vous vous préparez. Prenez votre temps. "

Clarice le regarda quitter la chambre avec surprise. C'était la première fois qu'elle le voyait aussi prévenant. Combien de facettes possède cet homme ?

Elle prit une douche bien chaude pour détendre les muscles endoloris et le rejoignit dans le salon peu de temps après. Un brunch l'attendait et elle s'aperçut qu'elle avait très faim. Son mal de tête avait presque disparu. Le Docteur Lecter lisait le journal. Elle parcourut la une : on y parlait des quatre hommes retrouvés morts dans le théâtre.

" Que disent-ils ? "

Elle s'empara d'un toast et commença à le beurrer. Le Docteur plia le journal et le posa sur la table. Il lui proposa du thé et s'en servit.

" La police pense qu'il s'agit d'un règlement de comptes entre organisations criminelles. Les enquêteurs n'ont pas trouvé d'indices et personne ne nous a vus sortir du théâtre. On ne remontera pas jusqu'à nous. Et vos 'amis' ignorent où vous vous cachez. "

" Où sommes-nous, d'ailleurs ? "

" Au Biltmore Palace Hotel. "

" J'aurai dû m'en douter… Comment êtes-vous entré avec moi la nuit dernière ? "

" J'ai dit au concierge que vous aviez bu plus que de raison. Un anniversaire de mariage arrosé . "

" Ah… Je suppose donc que je suis madame… ? "

" Claire Forrester... Je suis Alan, votre époux, neurologue de son état. "

" Vous avez tout prévu… "

" Je me suis dit que vous risquiez d'avoir des ennuis et que vous ne sauriez pas où aller. "

" Merci. "

" Il n'y a pas de quoi. "

Elle but une gorgée de thé et se perdit dans la contemplation de son breuvage, soudain frappée par la familiarité nouvelle de leur relation. C'était venu si naturellement. Elle avait spontanément baissé les armes, fatiguée de lutter. De toute manière, il savait à présent combien elle était fragile et jusqu'où il pouvait aller pour la briser. Mais au lieu de s'acharner sur elle, il s'était ajusté naturellement à son humeur, acceptant sa vulnérabilité. Restait à savoir quelles étaient ses intentions envers elle. Il aimait sa franchise, aussi fut-elle directe.

" Que comptez-vous faire de moi ? "

Hannibal Lecter l'observait depuis un moment, parfaitement conscient de ce qui lui passait par la tête.

" Cela dépend de vous, Clarice. "

" De moi ? "

" Oui. Vous avez des projets ? "

Il lui laissait l'initiative. Autant en profiter. Si elle faisait d'Hannibal Lecter son allié, alors tout n'était pas perdu.

" Il faut que je retourne là-bas, Docteur. "

Il lui jeta un regard interrogatif.

" A la résidence de Palmer. J'ai laissé le CDROM dans ma chambre. "

" Un CDROM ? Que contient-il ? "

" Une liste de noms. "

" Vous vous jeteriez dans la gueule du loup. C'est trop dangereux. "

" Il me faut ce disque. C'est la seule preuve dont je dispose pour faire tomber Palmer et son organisation. Ça représente des années de travail, des infiltrations, des disparitions… "

" Votre réhabilitation, n'est-ce pas ? "

Elle hésita.

" Je crois que ça n'a plus d'importance… Tout ce que vous avez dit sur le FBI et sur moi… c'est vrai. "

" Ah ? Pourquoi continuer, alors ? "

" Je ne peux pas tout laisser tomber comme ça, des gens comptent sur moi… et j'aime finir ce que j'ai commencé. "

Il la dévisagea en silence un long moment.

" Je vais aller chercher ce disque. Vous, vous resterez ici. "

" Il n'est pas question que je reste… "

" Clarice… "

" Permettez-moi de vous accompagner. Je resterai dans la voiture, à vous attendre. Je ferai le guet… "

Il soupira et secoua la tête en riant doucement. Il n'y croyait pas un instant, mais il ne pouvait pas non plus la séquestrer dans la chambre d'hôtel.

" D'accord. Où l'avez-vous caché, ce disque ? "

" Il est scotché sous le plateau du bureau. "

" Original. "

" Palmer pense que je l'ai déjà en ma possession. Il n'ira pas le chercher à cet endroit. "

" Vous avez un plan des lieux ? "

" Mieux : j'ai un plan avec le système de sécurité, les caméras et les détecteurs. Les codes ont dû changer depuis mon départ, mais je possède un gadget qui devrait vous permettre d'éviter ce désagrément. "

" Nous attendrons cette nuit. Combien y a t'il de gardiens ? "

" Quatre à l'extérieur avec des chiens. Trois à l'intérieur de la maison. Ils font des rondes à des heures irrégulières. Les domestiques logent à l'extérieur. "

" Quoi d'autre ? "

" Il existe des détecteurs infrarouges dans le parc. Je vous montrerai où ils se trouvent et comment les déconnecter… Il faut que j'aille chercher le 4x4. Tout ce dont nous avons besoin pour notre expédition nocturne est dans le coffre. "

Lecter se frotta les yeux. Clarice se rendit compte qu'il avait dû veiller toute la nuit précédente.

" Allez chercher votre véhicule, mais soyez prudente. N'attirez pas l'attention. "

" Vous ne m'accompagnez pas ? "

" Vous n'avez pas besoin de moi. "

" Non. Mais je suis surprise. Vous me faites confiance ? Je pourrai partir et ne pas revenir… "

" La police et le F.B.I. vous recherchent. Il ne serait pas sage de votre part d'aller les voir en l'état des choses et de me dénoncer. Quant à partir, vous êtes libre d'agir comme bon vous semble. Mais vous n'avez nulle part où aller, nulle autre personne vers qui vous tourner. "

Clarice baissa les yeux, reconnaissant implicitement la vérité de ces paroles.

" Très bien. Puisque tout est clair, je vais en profiter pour dormir. "

Il se leva et se dirigea vers la chambre. A mi-chemin, il s'arrêta et sans se retourner, lui dit :

" Posez-moi la question qui vous brûle les lèvres, Clarice. "

" Docteur Lecter, pourquoi faites-vous tout ça ? "

" Hannibal… "

" Pardon ? "

Il lui fit face.

" Nous nous connaissons maintenant suffisamment vous et moi pour que vous m'appeliez désormais par mon prénom… C'est d'ailleurs ainsi que vous vous adressez à moi quand vous vous livrez à vos introspections solitaires, n'est-ce pas ?... "

Elle ne répondit pas. Il croisa les bras sur sa poitrine.

" J'attends, Clarice. "

Leurs regards se fondirent l'un dans l'autre et Clarice eut l'impression de se retrouver sept années en arrière dans la petite cellule de l'hôpital de Baltimore. Elle entendit à nouveau la voix métallique du Docteur Lecter lui disant Donnant, donnant, Clarice. 'Quid… Pro… Quo…' Elle secoua la tête, chassant cette pensée.

" Très bien… Pourquoi faites-vous cela, Hannibal ? "

" Parce que mon esprit chevaleresque me pousse à voler au secours d'une certaine demoiselle en détresse… Mais, pour être honnête, je voudrais me faire pardonner pour mon attitude d'hier soir. L'objectif n'était pas de vous blesser, mais de vous faire réfléchir et réagir… J'ai confondu les priorités. J'en suis profondément désolé. "

Starling le regarda bouche bée. Cela lui ressemblait si peu de reconnaître ses erreurs… et de s'excuser ! Il lui adressa un bref sourire et ferma la porte de la chambre derrière lui, la laissant seule à ses réflexions.

Elle était totalement déroutée par cet homme. Par deux fois, il l'avait surprise. Au fonds, que savait-elle de lui ? Rien. Dans toutes leurs précédentes confrontations, le Docteur Lecter avait monnayé des renseignements sur sa personne contre des informations sur Buffalo Bill. Il ne s'était jamais impliqué au point de trahir des pensées intimes. Elle ne se souvenait d'ailleurs pas de l'avoir entendu parler à la première personne. Jusqu'à cette fameuse nuit à la maison du lac, il n'avait jamais dévoilé ses sentiments et n'avait jamais exprimé de quelconques regrets ou des remords.

Elle prenait maintenant conscience qu'ils s'étaient déchirés la nuit précédente. Son obstination – ou plutôt son entêtement - à lui faire barrage avait fait sortir le docteur de sa réserve habituelle. Qu'avait-il dit un jour à Barney à son sujet ? C'est un culbutant de haut vol, l'Agent Starling. Il faut espérer que ses parents ne l'étaient pas. Elle mesurait combien il avait raison. Elle avait pris des risques et elle avait tenté de les assumer, mais finalement, elle était tombée en disgrâce. Il aurait pu rester un observateur qui aurait contemplé sa chute avec amusement. Non, il était intervenu pour la sauver contre les autres et contre elle-même. Il ne supportait visiblement pas l'idée qu'elle puisse gâcher son potentiel. Starling s'interrogea sur ce qu'il voyait de si précieux en elle.

Pourquoi restait-elle avec lui ? Elle regarda la vérité en face et reconnut qu'elle était attirée par sa personnalité riche et complexe et par les mystères qui l'entouraient. Et surtout, elle avait la sensation qu'avec lui, elle vivait. Il avait parlé de vide dans sa vie. Tu as besoin de lui. Hannibal Lecter comble ce vide. Cette pensée était effrayante et en même temps, cette admission lui laissait la sensation d'être en paix avec elle-même pour la première fois depuis très longtemps.

Mais lui, a t'il besoin de toi ? Elle n'en avait aucune idée.

Elle fit mentalement une liste de ce qu'ils auraient besoin, puis sortit, avec la ferme intention de prendre à présent son destin en main. Personne ne déciderait plus à sa place.

*******

Clarice Starling et Hannibal Lecter attendaient en silence dans le 4x4, stationné en face de la résidence d'Andrew Palmer. Il était minuit passé et le croissant de lune brillait faiblement dans la nuit. Le passage des voitures se faisait à présent plus rare dans ce quartier résidentiel, mais ils devaient surveiller les patrouilles de police.

Dès le retour de Starling, ils avaient passé le reste de l'après-midi à préparer minutieusement leur expédition. Clarice avait été ébahie de découvrir à quel point Hannibal Lecter était un fin tacticien. Il ne laissait aucun détail au hasard, posait les bonnes questions et imaginait différents scénarii. Il doit être un redoutable joueur d'échec. Avant de partir, ils avaient revêtu tous les deux une combinaison noire et s'étaient équipés pour rester en liaison permanente.

Hannibal Lecter s'agita aux côtés de Starling.

" C'est le moment. "

Elle sentit une étrange angoisse l'étreindre, une sorte de pressentiment. Elle lui tendit son .38.

" Prenez mon arme. "

" Je déteste les armes à feu. "

Elle n'insista pas.

" Si je ne suis pas revenu dans une demi-heure ou si vous entendez que ça tourne mal, vous filez d'ici. "

" Mais… "

La voix de Lecter se fit tranchante.

" Il n'y a pas de 'mais'… Vous n'interviendrez pas, promis ? "

" Promis. "

" Bien. "

Il y eut un silence. Le Docteur Lecter ajusta ses gants et ouvrit la portière.

" Hannibal ? "

" Oui, Clarice ? "

" Faites attention à vous. "

Il lui sourit, et pendant l'espace d'une seconde, elle retrouva dans son visage l'innocence de l'enfant qu'il avait été. Elle le regarda ensuite se glisser silencieusement près du mur et l'escalader avec une agilité dont elle ne l'aurait pas cru capable. Il sauta de l'autre côté et disparut.

La longue attente commença pour elle.

*******

Le Docteur Lecter n'eut aucun mal à atteindre la maison. La zone du parc qu'il avait traversée ne comportait pas de détecteurs parce que c'était celle empruntée par les gardiens. Il s'était soigneusement mis à l'abri lorsqu'il avait croisé un des veilleurs, accompagné de son chien et avait évité de se mettre dans le vent. A présent, il longeait le mur en prenant garde aux mouvements des caméras au dessus de sa tête. Il parvint enfin devant la porte et sortit le décodeur que lui avait remis Clarice Starling.

Après avoir sorti les fils de l'interphone, il brancha le décodeur et lança le programme de recherche. En l'espace de quelques secondes, l'appareil trouva la bonne combinaison et la porte s'ouvrit. Il pénétra dans la maison et referma la porte.

Il avait mémorisé le plan et s'orienta dans le noir. Il se trouvait dans la seconde cuisine. A tâtons, il se dirigea vers la porte qui devait donner sur un couloir. Il l'atteignit et l'ouvrit silencieusement. La lumière d'une veilleuse l'accueillit. Il entrebâilla la porte légèrement : au bout du couloir, un homme était assis et lisait le journal.

Il sortit son Harpy et tira la porte vers lui. Elle se mit à grincer. Il suspendit son geste et attendit. En jetant un œil dans le couloir, il vit que le gardien l'avait entendu. Ce dernier se levait et regardait dans sa direction sans le voir.

" Joey, c'est toi ? "

Aucune réponse. L'homme se dirigea lentement vers la cuisine.

" Arrêtes tes conneries, y'en a marre à la fin ! "

Le Docteur Lecter se plaqua contre le mur, sentant instinctivement l'homme s'approcher de lui. Comme toujours dans les instants précédant l'acte de tuer, des mesures de musique s'élevèrent doucement dans sa tête. Au fil du temps, il avait élevé le meurtre au rang d'un art qui exigeait, tout comme la musique, rigueur, maîtrise et perfection. Il se laissa griser par la mélodie et une sensation de bien-être s'empara alors de lui. Il devint le rythme et l'harmonie, le chef d'orchestre et l'exécutant.

Ce fut rapide et précis. L'homme s'effondra sans un gémissement, la gorge tranchée. Hannibal Lecter sortit de son état de grâce et reprit contact avec la réalité. Il contempla le corps à ses pieds en appréciant chaque seconde. Il aimait tuer pour la beauté du geste et en retirait un immense plaisir. C'était ça, sa folie, et personne ne la comprendrait jamais.

Il ne s'attarda cependant pas plus qu'il ne fallait. Il enjamba le cadavre et s'aventura aussi silencieusement qu'un chat dans le couloir. A l'intérieur de la maison, il n'y avait pas de caméras. En revanche, il y avait des détecteurs, invisibles à l'œil nu. Il chaussa une paire de lunettes pour la vision nocturne et avança vers le vaste escalier dans le patio.

Toutes les deux marches, un rayon rouge traversait l'escalier sur toute sa largeur. Avec d'infinies précautions, il parvint sur le palier et s'immobilisa, tous ses sens en alerte. Il sentit un picotement dans sa nuque : quelqu'un l'observait et l'attendait pour le surprendre. Il résista à l'envie de se tourner vers l'homme et de le regarder. Il balaya cependant l'espace : il n'y avait pas de détecteurs dans cette partie de l'étage. Il enleva les lunettes et serra le Harpy dans sa main. Il avança ensuite vers l'endroit où se trouvait l'homme, prêt à bondir.

Comme prévu, l'homme lui sauta à la gorge et l'entraîna au sol. Hannibal roula sur lui-même et se rétablit de manière réflexe. Les deux adversaires se relevèrent en même temps et s'observèrent. La lame dans la main du Docteur brilla furtivement. L'homme l'évita de justesse et riposta en lui donnant un coup de pied pour le désarmer. Le Harpy échappa de la main du Docteur et rebondit sur le parquet avec un bruit métallique. L'homme en profita pour le frapper plusieurs fois au visage, mais contrairement à ce qu'il pensait, Hannibal Lecter ne recula pas. Il se jeta sur son adversaire et le renversa. Ils roulèrent tous les deux au sol, enlacés. La lutte pour dominer l'autre fut âpre, mais Lecter réussit à bloquer l'homme sous lui et commença méthodiquement à l'étrangler. L'homme se sentit pris au piège et essaya de se débattre, mais le Docteur Lecter tint bon. Il lâcha enfin le gardien après quelques instants d'immobilité.

Dans la lutte, il avait perdu son oreillette. Il la rajusta pour entendre la voix inquiète de Starling.

" Docteur… Docteur, vous m'entendez ? "

" Clarice ? "

" Qu'est-ce qui s'est passé ? J'ai entendu des bruits de lutte… "

" Tout va bien… Je suis dans le couloir du premier étage dans l'aile droite. Je me dirige vers votre chambre. "

" Une voiture vient de rentrer il y a deux minutes. Vous allez avoir de la visite. "

" Compris. Je ne traîne pas. "

Lecter progressa et repéra la chambre de Clarice. Il s'introduisit dans la pièce et se coucha sous le bureau. Il récupéra le CDROM et se releva. Son regard se promena sur les affaires abandonnées par Clarice. Il avisa soudain un bijou sur la table de chevet et eut un sourire en reconnaissant sa chevalière. Ainsi, Clarice l'avait récupérée. Elle avait monté la bague en pendentif sur sa chaîne en or. Il la prit et elle rejoignit le CD dans sa poche. Pas question d'abandonner un tel symbole. Il sortit de la pièce.

En arrivant sur le palier, il entendit les voix des hommes qui venaient de découvrir le cadavre dans la cuisine. L'alerte fut immédiatement donnée. Les lumières s'allumèrent dans la maison et le Docteur Lecter dut se mettre à l'abri dans la première pièce à sa droite. Il laissa la porte entrouverte

Un homme en costume blanc aboya des ordres. Palmer… Les hommes de main se dispersèrent. L'un d'entre eux se mit à gravir l'escalier. Lecter ne pouvait prendre le risque que le garde prévienne ses camarades quand il aurait découvert le cadavre à l'étage. Il regarda autour de lui et avisa un sac de golf. Il s'empara d'un club et se posta à la porte. Le Docteur attendit le passage de l'homme en combinaison noire et le frappa violemment par derrière. Le gardien s'effondra. Hannibal s'apprêta à le frapper à nouveau, mais suspendit son geste en voyant l'état du club. Il secoua la tête. Décidément, le matériel moderne... Il haussa les épaules, lâcha le club et se saisit de la casquette de l'homme. Il pouvait à présent passer pour l'un d'entre eux. Il cacha le corps et s'assura que la voie était libre, puis il descendit au rez-de-chaussée.

Il sortit sans problème de la maison, mais c'est maintenant qu'il était le plus vulnérable. Il se mit à trottiner pour rejoindre le couvert des arbres dans le parc. Tout à coup, un projecteur fut braqué sur lui et l'aveugla. Il eut le réflexe de se jeter au sol alors que des coups de feu éclataient. Les balles sifflèrent autour de lui et il se mit à ramper pour trouver un abri. Il réussit à se protéger derrière un rocher. Il prit conscience du vacarme assourdissant autour de lui : les tirs, les hommes qui s'interpellaient et les chiens qui aboyaient.

Sa situation était des plus précaires. Il ne pouvait s'enfuir sans prendre le risque d'être dans la ligne de mire des tireurs. Il entendit alors les aboiements des chiens qui se rapprochaient. Il leva la tête pour voir deux énormes dobermans se précipiter sur lui. Ils furent sur lui en l'espace de quelques secondes. Le docteur fut renversé et tenta de se protéger des terribles mâchoires. Les deux chiens lui mordirent les bras et les jambes. Avec son Harpy, il réussit à égorger le premier chien. Le second chien tentait de lui attraper la gorge et s'acharnait sur son épaule droite. Hannibal sentit les crocs pénétrer et déchirer sa chair. Dans un sursaut d'énergie, il captura la gueule du chien et commença à lui tordre le cou, mais il n'avait plus de force dans le bras droit et sa main gauche était impuissante. Il continua à maintenir la pression en comptant chaque seconde supplémentaire gagnée. Ce n'était plus qu'affaire de volonté contre force sauvage. La douleur dans son épaule était insoutenable. Le chien s'agita et jappa de plus belle, mais le docteur ne lâcha rien. Il commença cependant à voir des points noirs devant ses yeux, signe d'un évanouissement prochain. Il s'accrocha. Et finalement, la colonne du chien céda brusquement dans un craquement sinistre d'os. Le chien eut quelques convulsions et s'immobilisa. Hannibal Lecter resta étendu sur le dos et prit de profondes inspirations pour récupérer.

Il prit alors conscience des échanges de coups de feu. Il se tourna péniblement sur le ventre et regarda devant lui. Les hommes en noir ne tiraient plus dans sa direction. Il saisit sa chance, se releva, et courut en titubant vers les arbres.

" Clarice… "

" Docteur ?… Où êtes-vous ? "

" Sur votre droite… J'arrive. "

Son épaule le lançait douloureusement et il sentait que sa combinaison était poisseuse. Il repéra la position de Clarice à ses tirs. Elle venait à sa rencontre. Dans la pénombre, elle l'aperçut et braqua son arme sur lui. Il s'immobilisa.

" Clarice... "

Une expression de soulagement passa sur le visage de la jeune femme et elle baissa son arme.

" Il faut qu'on fille d'ici en vitesse ! "

" Tout à fait d'accord… Par là… "

Ils se mirent à courir à l'aveuglette. Parfois, Clarice tirait sur les détecteurs qu'elle apercevait. Les branches des arbres fouettaient leurs visages. Derrière eux, les coups de feu avaient cessé. Ils continuèrent à courir pendant quelques minutes lorsqu'ils aperçurent le mur d'enceinte. Il était beaucoup plus haut à cet endroit. Ils le longèrent sur une cinquantaine de mètres et trouvèrent leur salut en la présence d'un arbre dont les branches surplombaient le haut du mur. Hannibal Lecter aida Starling à grimper, et à son tour, Clarice l'aida. Ils passèrent le mur et se retrouvèrent dans la propriété qui appartenait au voisin de Palmer. Ils reprirent leur course jusqu'à apercevoir un abri de jardin. Ils s'engouffrèrent à l'intérieur et s'effondrèrent sur le sol, à la recherche d'un second souffle.

Seules leurs respirations difficiles trahissaient leur présence. Alors qu'elle rechargeait son arme, Clarice prit conscience du sang sur ses mains.

" Docteur… Vous êtes blessé ? "

" Rien de grave… Vous, ça va ? "

" Ça va. "

Elle franchit la distance qui les séparait et lui fit face, à genoux.

" Quand j'ai vu les lumières s'allumer et les gardiens s'agiter, j'ai su que vous aviez des ennuis. "

" Incorrigible Clarice… Je plaisante. Je suis heureux que vous n'ayez pas tenu votre promesse et que vous soyez intervenue. "

Elle eut un sourire et leurs regards fusionnèrent. Lentement, Hannibal Lecter leva la main vers le visage de Clarice et écarta une mèche rebelle. La jeune femme n'eut aucun mouvement de recul. Il effleura la pommette de sa compagne, là où la poudre du revolver de James Gumb avait laissé une trace. A ce contact, Clarice ressentit une chaleur subite et son cœur se mit à battre plus fort. Elle se noya dans le bleu des yeux du Docteur et y lut le même trouble. L'adrénaline enivrait leurs sens et amplifiait leurs perceptions.

Clarice se surprit à retenir son souffle alors qu'Hannibal Lecter se penchait vers elle. Il l'embrassa doucement, caressant les lèvres de la jeune femme de manière sensuelle. Rien à voir avec le premier baiser à la maison du lac. Celui-ci consuma littéralement son âme. Clarice gémit. Les lèvres du Docteur étaient incroyablement douces et allumait en elle un véritable incendie. Elle se colla contre son corps et lui caressa la nuque, réclamant ardemment d'autres baisers. Leur étreinte devint irrésistible.

Avec regret, ils s'écartèrent finalement l'un de l'autre et s'observèrent, dévorés par le même désir, la même faim. Clarice se pencha à nouveau vers lui, mais Hannibal lui prit les mains. Un seul regard dans ses yeux et elle comprit qu'il avait repris le contrôle de lui-même.

" Pas maintenant, Clarice. "

" Pourquoi ? "

" Cela vous détruirait. Votre code moral et votre sens de la justice auraient tôt fait de vous mettre en pièces. Il vous reste encore des batailles à livrer pour comprendre et choisir en toute impunité. "

La jeune femme baissa la tête et réfléchit. Tout n'était que chaos dans son esprit. Comment faire un choix, comment voir la vérité dans ces conditions ?

" J'ai besoin d'y voir clair... Mais je ne peux pas le faire seule. J'ai besoin de votre discernement… Voulez-vous m'aider, Docteur ? "

Hannibal Lecter inclina la tête sur le côté. Evidemment, je suis son seul point d'amarrage dans la tempête qui fait rage autour d'elle. Il fit taire le sentiment de triomphe qui avait envahi tout son être. La partie était loin d'être jouée.

" Avez-vous conscience de ce que vous me demandez, Clarice ? "

" Oui, j'en mesure toute la portée… Je sais ce que vous voulez en échange... "

En prononçant ces paroles, elle alluma dans les yeux d'Hannibal Lecter une indéniable lueur de plaisir.

" … Et vous savez que je ne peux rien vous promettre, Docteur. "

" Je prends le risque. "

Elle se mit à rire.

" C'est insensé ! Comment faites-vous ça ? Comment pouvez-vous savoir ce que je vais décider alors que je n'y ai même pas encore réfléchi ? "

" Clarice… Je vous connais. J'ai confiance en vous. "

" Vous devriez vous méfier. Je vous ai déjà trahi. "

" On ne trahit jamais que ses amis, Agent Starling… Dites-moi, Clarice, comment me considérez-vous au juste ? Ami ? Ennemi ? "

Elle se leva et marcha jusqu'à la fenêtre, d'où elle surveilla les alentours.

" Honnêtement, je ne sais pas. Je n'ai jamais réussi à mettre un nom sur la nature de notre relation… "

" Ah… "notre relation"… "

" Et vous, comment qualifieriez-vous nos rapports ? "

Il se releva à son tour et s'approcha d'elle. A la faveur du rayon de lune, Clarice aperçut l'épaule droite et la manche ensanglantée du Docteur. Elle tendit la main vers lui.

" Il faut que vous fassiez soigner votre épaule. "

" Plus tard, Clarice. "

Elle n'insista pas. Il resta silencieux un moment. Elle l'observa, intriguée par son calme et sa sérénité.

" Clarice, vous connaissez cette expression : 'les meilleurs ennemis du monde' ?… Dans les faits, tout nous oppose, et pourtant, nous sommes irrémédiablement attirés l'un par l'autre… Vous, malgré ou à cause de votre code moral qui vous oblige à m'arrêter … Moi, malgré ou à cause du danger que je coure en vous fréquentant… Mais pour l'instant, aucun de nous n'est prêt à aliéner sa liberté pour le bénéfice de l'autre… "

" Des ennemis intimes, c'est ça ?… Nous sommes des ennemis intimes. "

" Avec tous les paradoxes que cela comporte. "

" Perspective réjouissante… "

Le Docteur Lecter eut un rire et passa une vieille veste qui était pendue dans un coin.

" Mais ô combien frustrante, n'est-ce pas ?…

Elle ne répondit pas, soudain consciente du sourire carnassier qui venaient d'apparaître sur le visage du Docteur Lecter. Elle frissonna malgré elle, consciente qu'elle pourrait parfaitement être inscrite au prochain menu du Docteur.

" Allons Clarice, nous ferions bien de rentrer. "

Ils sortirent de la cabane et marchèrent en silence. Ils passèrent le mur de la propriété aussi discrètement que possible. Les sirènes de police hantaient le quartier. Ils ne pouvaient pas rejoindre le 4x4 garé à proximité. Ils rejoignirent un axe principal et hélèrent un taxi.

*******

Sur le chemin du retour, ils n'avaient pas échangé un mot. Clarice Starling se sentit de plus en plus mal à l'aise alors qu'ils se tenaient ensemble dans l'ascenseur de l'hôtel. Elle jeta un regard vers son compagnon mais le visage d'Hannibal Lecter ne reflétait aucune émotion. Il semblait lointain, presque rêveur. Cette indifférence n'était cependant qu'apparente : rien n'échappait au docteur.

Quand l'ascenseur fut arrivé, il s'effaça pour la laisser sortir. Elle sentit son regard peser sur elle et marcha jusqu'à la suite. Au lieu d'ouvrir lui-même, il lui tendit la carte magnétique. A contrecœur, Clarice la prit et ouvrit. Elle hésita. Il attendit.

Elle pénétra finalement dans la suite et il referma la porte. Qu'allait-il advenir d'elle, maintenant ? Hannibal Lecter avança vers elle, un sourire aux lèvres. Elle recula simultanément et se prépara au pire lorsqu'il sortit la main de sa poche. Mais il ne lui tendit que le CD ROM.

" Votre mission est achevée, Agent Starling. Toutes mes félicitations. Maintenant, vous pouvez retourner chez vos maîtres. "

Il la congédiait à trois heures du matin ! Elle le regarda, à la fois interloquée par son comportement et humiliée par ses paroles.

" Pourquoi êtes-vous toujours aussi blessant ? "

" La trêve est terminée. Je suis un tueur en liberté et vous êtes un agent du FBI en fonction… Je remets les choses à leurs places. C'est ce que vous vouliez, non ? Faire appel à mon discernement. "

" Ce n'est pas ainsi que je l'entendais ! "

" Oh si… Appuyez-vous sur des bases solides, Clarice, car tout part de ces deux postulats. Construisez votre réflexion et envisagez toutes les hypothèses. Posez les bonnes questions et prenez du recul. Puis, choisissez : le FBI ou moi ? "

Elle prit le CD en sentant monter en elle une colère sourde et ne le remercia pas. Au moment où elle passait près de lui, il lui attrapa fermement le bras. Elle tenta de se dégager, mais la poigne d'acier ne lâcha pas prise. Les yeux brillants de rage, elle le regarda se pencher vers elle. Elle retint son souffle alors qu'il lui murmura à l'oreille :

" Gardez cette autre certitude en tête : vous n'aurez jamais les deux… "

Il la libéra. Elle prit son sac et quitta la pièce sans un mot.

*******

Clarice prit un taxi puis marcha sans but précis. Elle finit par se retrouver sur le front de mer. Elle n'avait nulle part où aller et dormir était bien la dernière chose à laquelle elle pensait. Elle venait de vivre vingt quatre heures avec l'homme le plus attirant et le plus terrifiant qu'elle ait jamais rencontré. Avec lui, c'étaient assurément les montagnes russes, côté émotions ! Des sensations pas franchement agréables, et - elle devait l'admettre - pas franchement désagréables non plus.

Elle s'allongea sur la plage déserte et observa le ciel étoilé. Elle ferma les yeux et se projeta mentalement le film de ces quelques heures passées en compagnie du Docteur Lecter. Il y avait les points d'orgue : les frayeurs, la colère brutale, la passion qui les avait submergés telle une vague brûlante… Des moments tellement intenses. Tellement douloureux. Et les moments de calme, presque de complicité... 'Les meilleurs ennemis du monde'. Oui, il avait raison. Elle soupira. Il lui fallait à présent prendre du recul par rapport à lui et à elle-même, quitter cet endroit et retourner à Washington.

Starling décida qu'elle prendrait le premier avion et se rendrait directement chez Pearsall. Elle ramenait des informations précieuses. Elle verrait bien alors si ses 'maîtres' tenaient leurs promesses.

*******

Hannibal Lecter regarda son sang disparaître par le siphon de la baignoire. Il avait repoussé la souffrance physique dans un coin de son cerveau et se concentrait à présent sur une sensation précise. Clarice Starling avait réveillé une faim insatiable en lui.

Tel un scientifique, il posa l'équation. Je peux lire en elle comme dans un livre ouvert, boire à son esprit comme s'il s'agissait d'un fin millésime, la manipuler et la pousser dans ses derniers retranchements... Mais quoi que je fasse, elle reste imprévisible… C'est pourquoi je l'aime... C'est pourquoi je dois la laisser choisir.

Il eut un rire dérisoire et une autre voix s'éleva. C'est pourquoi tu veux la contrôler et la tuer. Parce que tu ne sais pas si elle te choisira… Pourquoi te choisirait-elle d'ailleurs ? Elle sait ce que tu es réellement.

La voix du chaos enfla, grossie par toutes les émotions qu'il tenait bridées dans les oubliettes de son palais mémoriel. La culpabilité, la rage et l'odeur du sang déferlèrent sur lui comme un raz-de-marée. Et ce fut mille fois plus douloureux que sa blessure à l'épaule.

Dans le maelström, il eut soudain une vision. C'était l'image de Clarice, les yeux braqués sur lui alors qu'elle s'effondrait, blessée, se raccrochant à lui comme à une bouée ; puis l'image de Clarice, bouleversée et mortifiée par sa mutilation. Il entendit le son cristallin de son rire, puis le hurlement de ses agneaux. Puis sa voix s'éleva, insistante : Que voyez-vous, Docteur Lecter ? Que voyez-vous ?

Il regarda dans les yeux de Clarice et y but comme à une source rafraîchissante. Il lut dans son âme le regret infini de l'avoir trahi, de ne pas pouvoir revenir en arrière, de l'avoir peut-être perdu à tout jamais… Non, Clarice, je suis là ! je serai toujours là !

Il reprit lentement ses sens et constata les dégâts. Le rideau de douche était arraché, la glace était brisée, le savon et les produits de toilette gisaient épars sur le sol au milieu des morceaux de verre. Et partout sur les murs, du sang.

Il constata que sa blessure à l'épaule s'était rouverte. Il prit une douche froide cette fois, pansa sa plaie après l'avoir désinfectée et nettoya minutieusement la salle de bain. Enfin, il effaça ses empreintes sur les poignées des portes.

Il rassembla ensuite ses affaires, laissa une somme d'argent liquide plus que suffisante et quitta la suite. Le coupé Jaguar XKR noir l'attendait dans le parking souterrain. En sortant, il prit la direction du sud pour rejoindre son voilier ancré dans le Sunrise Harbor.

… To be continued…