Le dernier jour

Le timide soleil d'octobre baignait une dernière fois les arbres majestueux de Godric's Hollow, leur offrant une ultime lueur de réconfort avant de se perdre dans la brume anglaise jusqu'au printemps suivant.

C'était une belle journée d'automne. Une de ces journées où il semble que rien de mauvais ne peut se produire, une de ces journées où l'on croise des enfants riant et chahutant dans les rues sous le regard bienveillant de leurs parents, des jeunes couples se promenant main dans la main le long des allées, des gens simplement heureux d'être encore là.

C'était un jour comme ça on avait envie d'oublier le mal, d'ignorer les journaux qui hurlaient " Un nouvel assassinat dans la banlieue de Londres ! ", de rire au nez du premier qui parlerait de peur ou de peine.

La vie peut parfois nous jouer de drôles de tours, non ?

Rémus Lupin marchait tranquillement, remontant l'avenue bordée de peupliers. Il n'était pas pressé, il laissait le soleil envahir son visage, le réchauffant. La pleine lune n'était pas très loin derrière lui, et il reprenait petit à petit sa place au sein de l'humanité, parmi les habitudes.

Il y avait longtemps qu'il n'était pas venu. Trop longtemps. Trop de doutes, surtout, de suspicion. Il n'aimait pas ce que leurs vies étaient devenues, leur fraternité se teintait de formalisme, leurs rires sonnaient moins clair qu'avant, au temps où ils se sentaient si proches les uns des autres, où l'incertitude n'avait aucune prise sur eux, où ils pouvaient tout affronter, simplement parce qu'ensemble, ils étaient plus forts. Tout cela s'évanouissait petit à petit, comment pouvait il en être autrement, dans un monde où l'on était plus sûr de rien ?

Cette situation le faisait souffrir, mais pas autant que l'absence de ses amis. Cette dernière pleine lune, il l'avait affronté seul. Comme celle d'avant.

C'est peut être pour cela qu'il avait répondu à l'invitation de James, peut être aussi parce que Lily avait tellement insisté, ou parce qu'il avait entendu le petit Harry prononcer son nom, alors que sa mère tentait de l'empêcher de la suivre dans la cheminée. Mais peu lui importait. Le fait était là ils lui manquait, ils lui manquaient tous. James était comme son frère, et il était le seul auquel on pouvait aveuglément faire confiance mais peut être James doutait il de lui, Rémus ? C'était cette idée qui l'avait empêché de reprendre la direction de Godric's Hollow, ces dernières semaines. Encore une chose qui montrait à quel point ils avaient changé : quelques années auparavant, jamais ses amis n'auraient laissé s'écouler autant de temps sans avoir de ses nouvelles.

Il était perdu dans ses pensées. Rémus avait toujours été le rêveur, un rapport quelconque avec la lune ? C'est sans doutes pour ça qu'il ne vit pas tout de suite le garçon à moins que ce ne soit lui qui ne regardait pas vraiment où il allait. La collision les surprit tous les deux. Le bouquet de roses destiné à Lily échappa des mains de Rémus et l'autre se précipita, le rattrapant avant même qu'il ne touche le sol. " Ce type pourrait en montrer à James " songea vaguement Rémus. Le garçon se redressa et lui tendit le bouquet avec un sourire. Du moins, Rémus supposa qu'il souriait, mais c'était difficile à dire, la capuche rabattue sur son visage dissimulait ses traits en grande partie, la seule chose qu'il distingua nettement fut ses yeux, verts et brillants. Etrangement, il lui sembla familier, sans qu'il ne puisse pourtant le relier à un nom, une date, ou un lieu.

" C'est drôle, risqua t'il, j'ai l'impression de vous avoir déjà vu . "

Cette fois, il souriait, c'était sûr, sans que Rémus ne comprenne pourquoi, d'ailleurs.

" Ehm… Beaucoup de gens ont cette impression, je dois avoir une tête passe partout. "

Rémus n'était pas vraiment convaincu, il haussa malgré tout les épaules.

" Probablement… Bonne journée alors. "

L'autre eut un hochement de tête et Rémus commença à s'éloigner.

" Lupin, attendez ! "

Il se figea.

" Comment connaissez vous mon nom ? "

" Peu importe, il faut que je vous dise quelque chose… C'est important… "

Etonné, il ne répondit rien.

" Je… Peu importe qui je suis, enfin, je veux dire… là, tout de suite, ça n'a pas d'importance. Mais je… Ecoutez, vous croirez probablement qu'il vous à trahi, et que vous avez tout perdu… "

Il sentit une sourde angoisse poindre dans son ventre.

" De quoi parlez vous, je n'ai rien perdu ! "

" Non, non, n'essayez pas de comprendre, juste souvenez vous, vous comprendrez le moment venu. "

" Mais me souvenir de quoi ? "

" Que tout ne sera pas perdu, même si vous aurez envie de le croire, qu'il restera quelqu'un… "

" Expliquez moi… "

" Désolé, je ne peux pas, il y a certaines lois que je dois respecter, même si je voudrais l'empêcher… Je n'ai pas le droit. "

Il s'éloigna sans plus d'explications, et ne se retourna pas quand Rémus le rappela.

Rémus se sentait très mal à l'aise, cette rencontre lui laissait une sensation désagréable au creux de l'estomac. Un peu comme lors des journées qui précèdent les nuits de pleine lune, où il sait que quelque chose de terrible va lui arriver, mais qu'il est impossible de l'empêcher.

Lorsqu'il atteignit la petite maison au volets bleus, il réalisa que Sirius était déjà là, sa moto était garée le long du muret. On était le jour d'halloween et quelqu'un, probablement Lily, avait placé devant le portail trois gigantesques citrouilles dont une était remplie de bonbons aux couleurs chatoyantes.

James fut le premier à le rejoindre, son fils dans les bras. Tous deux arboraient de grands sourires et Rémus sentit ses craintes s'envoler. Puis, Sirius et Lily sortirent à leur tour, ils riaient, probablement d'une plaisanterie stupide de Sirius, et Rémus oublia aussitôt ces semaines d'absence et de doutes.

Tout le monde se revint joyeusement vers la maison. Au moment de passer la porte, il y eut comme une force inconnue qui poussa Rémus à se retourner une dernière fois, et ce qu'il vit lui fit réaliser que d'ici peu, quelque chose serait définitivement perdu.

Le garçon aux yeux verts, celui qu'il avait rencontré un peu plus tôt, se tenait contre le portail, tout près de la citrouille aux bonbons multicolores, une main crispée sur la grille.

Il pleurait.