Note à moi-même

'Il était de ceux qu'on remarquait, mais qui ne savait pas qu'on les remarquait, ou plutôt qui ne connaissait pas la vraie raison qui faisait qu'on les remarquait. Il était grand, mais pas trop, juste assez pour voir au-dessus des têtes lorsqu'on est englouti dans une foule. Son pas était long et lent, mais décidé. Il n'était pas particulièrement joli, mais pas moche non plus. À bien y penser, il était beau. Ce qui le rendait beau, c'était ce qu'il dégageait, un je-ne-sais-quoi qui en fit fléchir plus d'une. Mais, il était marginal. Pas de ces marginaux qui vous font peur, non, il était tout simplement original, et ça lui donnait une petite touche de fantaisie. Cette fantaisie se mélangeait étrangement à sa voix assez basse et son rire franc. Son rire… on l'entendait d'entre tous, bien qu'il ne soit pas de ces rires qui se propagent seulement en les entendant. C'était un rire particulier qui laissait entendre ce qu'il y avait de plus exceptionnel. Un rire à la fois sérieux et enjoué; un rire qui venait du cœur. Et puis il y avait cette fille. Une fille tout comme les autres. Elle était tombée amoureuse de lui, mais il n'en savait rien. Elle-même ne le savait pas jusqu'au moment où une amie le lui avait fait remarquer. Maintenant, elle ne pouvait plus déroger son regard de sur ce garçon. Et quand il la regardait, elle en oubliait tout ce qu'il y avait autour, une amoureuse comme les autres quoi… Mais son regard était tellement profond, il s'introduisait dans votre âme et vous faisait frémir. Une vague de frissons vous envahissait en vous parcourant le corps entier. Ce regard, elle s'y serait noyée. Des yeux perçants, pourtant d'un vert très doux, avec un scintillement légèrement triste. Triste sûrement de constater que le monde n'est pas aussi bien qu'il voudrait qu'il le soit. Une tristesse naïve, une tristesse d'espoir et d'incompréhension. Ou peut-être une tristesse d'une blessure que personne ne connaît sauf lui. Car en même temps il était mystérieux, personne ne savait tout de lui. Mais il en avait tellement long à raconter. Il parlait à tout le monde et tout le monde lui parlait. Mais la chance que cette fille avait, c'était d'être une amie proche de ce gars pour qui elle avait le béguin. Cette fille, c'est moi.'

- Mlle Dauphinais.

Elle restait là, sans bouger, absorbée dans ses pensées. La plume toujours à la main et la tête baissée vers le parchemin qui reposait sur le pupitre en face d'elle, elle fixait le « moi ». C'était elle la chanceuse avec qui il partageait la plupart de son temps, c'était elle qui avait le plaisir de le connaître et de pouvoir lui parler des heures de temps, et ça la fit sourire.

- Mlle Dauphinais, svp.

- Hum?

Elle cligna des yeux deux ou trois fois et décrocha finalement son regard de sur ce qu'elle venait d'écrire, le posant plutôt sur la personne qui lui parlait. Elle sembla hésiter un instant, contemplant le visage de cette personne, puis ses yeux s'écarquillèrent. Elle lâcha sa plume, étonnée, et comme sortant de sa rêverie, elle s'empressa de dire :

- Euh, oui Professeur?

- J'attends votre réponse Mlle.

Une réponse? D'accord, mais une réponse à quoi? Elle fouilla de ses yeux la salle de classe en quête d'une âme charitable qui voudrait bien l'aider. Pas de veine, tout le monde semblait soudainement en proie à une totale ignorance, soit on la regardait d'un air ahuri, soit on trouvait soudainement les murs très très intéressants ou bien on se moquait bien de sa situation. Elle leva les yeux au ciel et réalisa soudain qu'il était là, juste à côté. Elle se tourna vers sa gauche et le regarda, lui. Ils se fixèrent pendant un moment, mais il ne répondit pas à son appel à l'aide, un sourire malicieux se dessinant sur son visage. S'apercevant qu'il ne lui serait d'aucune utilité pour se sortir de cet embarra, elle commença déjà à planifier sa vengeance. 'Je lui revaudrai ça, il peut compter là-dessus petit vaurien!'

- Mlle Dauphinais, j'attends toujours.

- Oui, désolée Professeur Chivera, je… pourriez-vous répéter la question svp?

Des ricanements étouffés jaillirent d'un groupe de filles à l'arrière de la classe, mais s'arrêtèrent bien vite quand la professeur les dévisagea d'un œil sévère. Elle poussa un léger soupir, paraissant agacée de leur réaction et dit :

- Ma question était en quelle année est né Urquhart Rackharrow, l'inventeur du maléfice de Videntrailles?

- Je dirais en 1612.

- Exact, j'accorde donc seulement 2 points à Poufsouffle pour la réponse un peu trop tardive. Merci Mlle. Et tâchez la prochaine fois de garder votre esprit avec nous dans la classe, vous savez bien que vos BUSES sont très importantes pour votre futur et donc que la matière que je vous enseigne est primordiale. Il serait regrettable que vous ayez perdu une partie de cette matière en cours d'année. Continuons maintenant à partir de cette date, 1612, année également de la révolte des Gobelins.

Professeur Chivera retourna à l'avant de la salle, traînant sa longue cape pourpre derrière elle. Après avoir contourné son bureau, elle commença à faire apparaître les notes de cours sur le grand tableau noir d'un coup de baguette.

- Maya, chuchota-t-il.

La jeune fille se retourna, le dévisageant. Elle allait lui rendre la pareille, elle était bien décidée sur ce fait. Pour ne pas l'oublier, elle reprit sa plume et, après avoir viré son sac sans dessus dessous, trouva enfin un bout de parchemin tout froissé sur lequel elle écrivit 'note à moi-même : lui faire payer son indifférence'.

- Maya, souffla-t-il à nouveau.

Encore une fois, elle se retourna affichant une mine faussement agacée.

- Qu'est-ce que tu as écrit tout à l'heure? lui demanda-t-il en pointant l'autre parchemin.

- Rien qui soit de tes affaires, lui répondit-elle précipitamment, essayant tant bien que mal de dissimuler ce qu'il tentait de lire.

Tandis qu'il se penchait pour mieux voir ce que Maya avait écrit, celle-ci prit sa baguette qu'elle pointa sur le parchemin en disant à mi-voix 'réducto'. Le papier rapetissa jusqu'à n'être plus qu'un petit carré d'où on ne pouvait plus distinguer aucun mot. Elle soupira de satisfaction; il ne pourrait pas le lire. Elle prit le minuscule parchemin qui était tantôt grand, dépeignant ce qu'elle ressentait depuis longtemps, et le mit dans sa bouche. Elle l'avala d'un coup et adressa à son voisin de gauche un petit sourire narquois qui démontrait qu'il ne pourrait pas savoir ce qu'elle y avait inscrit. Il prit un bout de parchemin à son tour et y gratta sa plume. En se penchant un peu, elle pu lire 'note à moi-même : lui faire payer son arrogance'.