Chapitre 2 : Quiproquos

Sans plus d'explications, la sorcière enjamba tant bien que mal la fenêtre dans l'espace, empêtrée dans ses couches de jupons. Lorsqu'elle réussit son exploit, des exclamations parvinrent de l'autre côté. Will et Lyra passèrent à la suite de la sorcière, au cas où cette étrange bonne femme aurait besoin d'aide. Alors se produisit une chose surprenante. Will et Lyra se retrouvèrent nez à nez avec un duo de jeunes gens de leur âge. L'un, roux avec un visage constellé de taches de son, ouvrait de grands yeux en bégayant son étonnement, tandis que l'autre, un garçon à la tignasse brune hirsute et aux lunettes rondes, était figé en une position d'attente. Le garçon brun avait une cicatrice en zigzag sur son front.

- Vous êtes venus pour m'aider ? s'écria-t-il en se laissant tomber à genoux. Vous allez débarrasser le monde de Voldemort, grâce à ce couteau ? Je le vois, vous aussi vous avez à porter un lourd fardeau, le destin repose sur vos épaules, et toi ( il pointa un index tremblant sur Will ) tu possèdes l'arme absolue ! Tu dois m'aider à combattre le Mal !

Will recula, apeuré par tant de passions.

- Désolé, notre quête est loin d'être terminée, répondit Will, désireux de quitter ce monde.

- Mais tu dois m'aider ! supplia le garçon. Tous les ans les forces maléfiques s'acharnent sur mon sort pour me détruire ! Je suis haï par nombre de sorciers corrompus ! Des professeurs ont déjà essayé de me tuer ! Je… ( A court d'idées, et sachant que c'était minable, il avança l'argument décisif : ) Je suis Harry Potter !

Lyra lui jeta un regard méprisant, et Pantalaimon, rassuré, se montra sous l'apparence d'une hyène hilare. Will secoua négativement la tête, sincèrement navré par cet être tourmenté.

- Désolé, dit Will avec froideur, mais notre quête n'est pas terminée.

Sur ces paroles, Will ouvrit une nouvelle fenêtre au hasard, et la franchit. N'importe quel monde suffirait. Comme si leur tâche n'était pas assez compliquée comme ça ! Lyra et lui ne devaient pas non plus jouer les saint-bernards ! Après que la fillette et son daemon l'eurent rejoint, il referma la fenêtre pour ne plus avoir à entendre les gémissements de ce Harry Potter. Dans le dortoir des garçons de sixième année de la maison Gryffondor, la sorcière Mémé Ciredutemps rougissait comme une écolière. Elle qui pensait passer inaperçue…

Mais alors que Harry, encouragé par son ami Ron, cessait de renifler et de sangloter, un autre événement survint. De la cuisine de Mémé ( la fenêtre était toujours là, en plein dans le lit de Ron ) un vacarme à ébranler la Mort du Disque-Monde se fit entendre. A toute allure, un coffre aux ferrures rouillées surgit dans le dortoir des garçons, propulsé par une multitude de pieds. Harry eut tout juste le temps de se redresser et de faire un bond de côté. Dépité, il s'enfuit dans la salle commune avec Ron.

Mémé toisa le coffre d'un air sévère.

- Et ton grigou de maître, où est-il ? demanda-t-elle d'une voix soupçonneuse.

Le coffre tapa des pieds et fit claquer son couvercle.

- Ne me dis pas que tu l'as perdu ! s'étrangla-t-elle.

Le Bagage fit grincer ses charnières, en proie à une douleur indicible. La sorcière s'adoucit quelque peu.

- C'est à cause de notre récente virée dans ce monde-là ? interrogea Mémé, compréhensive.

Elle tapota le couvercle du Bagage, compatissante. Celui-ci vint se frotter à ses mollets en grattant ses bas de laine avec ses nombreux doigts de pieds. Mémé Ciredutemps le repoussa d'un coup de pied bien assené dans la serrure. Le Bagage reflua, tremblant de peur.

- Pas de ces familiarités avec moi, quand même ! cracha-t-elle, sa hargne arrivant en renfort. Non mais, voyou ! Seul mon chat Gredin est autorisé à faire ça ! Tu ferais mieux de te tenir à carreau si tu ne veux pas finir en bois de cheminée !

Face à ce ton menaçant, le Bagage n'osa même pas répliquer d'un coup de couvercle. Cette bonne femme, avec son air décidé, en imposait, aussi ne se sentait-il pas le courage de la poursuivre, et encore moins de la gober.

- Ouste ! l'invectiva Mémé avec force gestes belliqueux. Je ne veux pas te croiser tant que je serai ici, compris ? Tu as plutôt intérêt à bien te rentrer ça dans tes nœuds, tes ferrures ou ce que tu veux, c'est clair ?

Le Bagage, s'il avait été doué de parole, aurait pleurniché un « oui » timoré, mais il se contenta de s'incliner et de descendre les marches du dortoir de toute la vitesse de ses petites pattes. Satisfaite, Mémé se rengorgea. Elle empoigna son courage de ses deux mains flasques et sortit résolument à la recherche de ce fripon de sorcier qui avait réussi à l'impressionner, elle, Esmé Ciredutemps. Dans les escaliers, elle croisa deux garçons qui la regardèrent d'un drôle d'air. La sorcière du Bélier se fraya ensuite un chemin dans la foule massée dans la salle commune à coup de coudes, de jurons et de talons. Elle ouvrit la porte qui débouchait dans le couloir avec une telle violence que la Grosse Dame, empaquetée dans sa robe rose comme un gros bonbon trop coloré, poussa des cris d'indignation avant de déserter son cadre.

Les couloirs de Poudlard s'ouvraient devant Mémé, sentant la vieille pierre et les angoisses d'adolescents, que la vieille femme méprisait par-dessus tout. Elle avait oublié qu'elle aussi, dans un lointain passé occulté par sa mémoire à trous, avait été jeune. Un écho rebondit laborieusement sur les antiques sculptures des murs, fit vibrer les cadres suspendus aux murs et heurta les oreilles de Mémé de plein fouet. C'était un cri, puissant, chargé de terreur et de désespoir. Intriguée par ce chahut, elle se laissa guider par les couinements apeurés des élèves et clopina tranquillement jusqu'au grand hall d'entrée.

Là, elle se campa devant la silhouette encapuchonnée qui poussait des gémissements lugubres, debout parmi une foule de jeunes gens terrifiés. On ne distinguait pas ses traits.

- Vous ? fit-elle, les bras croisés en signe de mécontentement. Vous n'allez tout de même pas me suivre partout ?

La créature cessa toute production sonore, stupéfaite.

- Ben quoi, on fait le timide maintenant ? lança la sorcière du ton de la conversation.

Les élèves, médusés, s'étaient eux aussi arrêtés de fuir et de hurler. La créature fit claquer sa robe noire de ses longs bras osseux, pour impressionner la sorcière. Mais celle-ci ne réagit pas comme prévu.

- Je savais bien que sous vos airs de grand ténébreux vous aviez le sens de l'humour ! lâcha-t-elle avec un petit rire malicieux.

La créature laissa échapper un grognement sinistre.

- Ecoutez, c'est pas la peine de jouer vot' menaçant avec moi, ça marche pas. C'est l'heure, c'est ça ?

Mémé Ciredutemps, de ses yeux inquisiteurs, parcourut la silhouette du regard.

- Ah, j'ai trouvé ! s'écria-t-elle joyeusement. Vous vouliez m'emmener avec vous, trancher mon fil de vie, mais vous avez oublié votre faux, c'est ça ! Hein, c'est bien ça ?

Face au mutisme obstiné de la créature sombre, elle poursuivit sur sa lancée.

- Mais j'ai pas peur de la Mort, moi. C'est vrai, combien de fois j'ai fait d'Emprunts de canards sauvages et que j'ai failli être abattue par une flèche en vol ? Ça ne me fait rien, ces choses-là, alors pas la peine de faire ça, même si c'est l'étiquette ou je ne sais quoi !

La créature frémissait maintenant de fureur. Elle découvrit légèrement sa capuche et se pencha lentement vers Mémé. Celle-ci eut un petit mouvement de recul.

- Oh, fit-elle, surprise, j'me rappelais plus d'un visage aussi… Hé, qu'est-ce que vous fichez ! J'veux pas vous embrasser, moi !

La créature lâcha un soupir d'agacement et saisit le poignet de la sorcière, qui ressentit immédiatement un grand froid au cœur. Le visage hideux de la créature se rapprocha de la bouche de Mémé. La vieille femme, malgré sa volonté de fer, sentit toutes ses forces la quitter, tandis que le froid s'emparait de son corps pour l'engourdir. A moitié inconsciente, Mémé Ciredutemps se sentit brusquement tomber à la renverse. Un bruit de galop furieux venait de retentir et le Détraqueur, car c'en était un, avait lâché sa proie pour faire face à cette masse de bois et de ferraille qui le chargeait. Le choc fut horrible, en plus des craquements sinistres qui résonnèrent dans tout le hall, des morceaux d'étoffe noire volèrent dans tous les sens, accompagnés par les suppliques du monstre. Le Bagage, lui, ne voulut rien entendre. Après le piétinement et la lacération réglementaires, il ouvrit son couvercle dans un grincement funeste, et se jeta sur sa victime, impitoyable. Le Détraqueur disparut dans l'abîme sans fond du coffre, vers des dimensions d'où personne n'était jamais revenu pour raconter son séjour.

Mémé Ciredutemps eut tout juste conscience qu'on la soulevait dans des bras puissants avant de s'évanouir, vidée de son énergie vitale.