Chapitre 3 : Amitiés d'un Bagage à Rogue
Le Bagage trônait devant la porte du bureau, frémissant d'impatience. Dès que le professeur Dumbledore quitta la pièce, il se faufila à l'intérieur. Là, un homme aux longs cheveux noirs s'étirait avec délectation. Le Bagage actionna ses petits pieds pour se rapprocher un peu plus, puis les replia sous son corps. Severus Rogue l'aperçut et sursauta.
- Qu'est-ce…
Le Bagage claqua plusieurs fois du couvercle pour montrer sa ferme intention de rester.
- Une malle ! grommela Rogue, de mauvaise humeur. Qui peut bien m'envoyer ça ? Un coup des Weasley, encore ?
Le professeur s'avança à pas mesurés vers le meuble ensorcelé. Vivement, il saisit le Bagage par les bords et le ceintura puissamment. Rien ne se passa.
- Rien qu'une vieille malle, fit Rogue, pour lui-même. Qu'est-ce qu'elle peut bien conte…
La réponse se fit d'elle-même sentir. Le Bagage béa du couvercle, offrant la vision d'une doublure en soie fine, prête à accueillir les effets personnels du Professeur Rogue. Celui-ci, des restes de méfiance perfide s'agrippant encore à sa conscience, consentit à laisser tomber un recueil des Poèmes d'Amours Elfiques dans la malle. Rien ne se passa. Alors, une jubilation de rangement, extrêmement rare, s'empara de lui. Méthodiquement, Severus Rogue empila ses journaux intimes, vieilles photos de classe, trophées d'alchimie médiévale, lotions capillaires de quelques collègues plaisantins, carnets de citations des pires aberrations de ses élèves, diplôme de fin d'étude de Poudlard, et même une boule de neige moldue que lui avait offert une jolie femme qu'il avait connu dans sa prime jeunesse.
Puis, esquissant même un petit sourire de satisfaction, Severus Rogue referma le couvercle de la malle et le tapota affectueusement. C'est alors que le professeur Rogue réalisa que le coffre était vivant. Il possédait plusieurs paires de pieds joufflus. Intrigué, il toucha la plante de l'un d'eux, et aussitôt tous les rangs de pieds se mirent à danser une gigue endiablée. Le Bagage aimait ça. Enfin, après des années de solitude à cavaler derrière ses maîtres successifs, peu reconnaissants de ses services, quelqu'un lui faisait des papouilles. Et il jubila de plus belle lorsque Severus Rogue s'accroupit pour lui curer les ongles et soigner sa corne encrassée.
Un plateau métallique tinta tout près de l'oreille bougonne de Mémé Ciredutemps. La sorcière, tirée de ses délires post-traumatiques, souleva une paupière, puis deux. Au-dessus d'elle, un plafond. Sous elle, un matelas. A côté d'elle, une femme d'âge mûr occupée à ranger des fioles de remèdes dans un placard. L'infirmière sentit à n'en pas douter le regard perçant de Mémé et lui fit face, un sourire désarmant aux lèvres. Mémé Ciredutemps dut donc ranger ses armes verbales pour s'enquérir avec le plus de douceur dont elle était capable :
- Bien l'bonjour, ma bonne dame, pouvez-vous me dire où je suis ?
- Oh, bien entendu. Vous êtes à l'infirmerie du collège Poudlard. Je suis Madame Pomfresh.
- Enchantée, grommela Mémé. Qu'est-ce qui…
- Vous avez été agressée par un Détraqueur, lui expliqua l'infirmière. Si ce meuble n'était pas intervenu, vous ne seriez plus de ce monde à l'heure qu'il est.
Mémé déglutit péniblement. Il fallait l'admettre, elle avait fait une erreur en prenant ce Détraqueur pour la Mort… Mais le plus dur à avaler, c'était qu'elle avait été sauvée par l'ombre de Rincevent, le Bagage. Quelle déchéance ! Sauvée par un coffre magique des griffes d'un Détraqueur ! Si seulement il s'était produit une intrigue de conte de fée, sauvée par le preux sorcier à la barbe d'argent… La voix de Madame Pomfresh lui fit l'effet d'une gifle, certes, mais agréablement brutale à son goût.
- Le Professeur Dumbledore vous fait savoir qu'il aimerait s'entretenir avec vous dès votre rétablissement, qu'il souhaite prompt, bien entendu.
La sorcière aigrie des Montagnes du Bélier avait un sourire extatique fiché aux lèvres.
- J'y vais de ce pas, susurra-t-elle.
Elle rejeta ses couvertures et se leva. La tête lui tourna et elle dut s'appuyer sur le bras de l'infirmière pour ne pas vaciller. Malgré l'insistance de cette dernière pour qu'elle restât au lit, Mémé Ciredutemps se montra intransigeante. La démarche fière, elle quitta l'infirmerie et se perdit dans le dédale des couloirs, jusqu'à ce que des sorciers dans leurs tableaux la prennent en pitié et la guident jusqu'à l'escalier qui menait au bureau de Dumbledore. Là, elle demeura perplexe un bon quart d'heure avant de jeter au hasard d'éventuels mots de passe.
- Blatte de Morpork ! Ankh Turpide ! Troll des Carrières argileuses ! Muffle d'Aurient ! Rincevent le Charlatan ! Ammonites des Mares ! s'égosilla-t-elle, sa patience et son imagination s'amenuisant à mesure de ses propositions.
Sur tous les murs, aussi loin que la voix de la sorcière égarée portait, arrivait l'écho de ricanements tenaces. Un préfet engoncé dans sa robe lissée tenta bien de lui imposer le silence, mais Mémé Ciredutemps le semonça si vertement que l'adolescent détala en pleurs. Finalement, un jeune sorcier, assis discrètement dans un coin de son cadre, se leva et attira l'attention de Mémé.
- Laissez-moi essayer, madame, dit-il, grand chevalier.
Mémé se tut à contrecoeur.
- Brise australe, murmura-t-il avec affectation.
Sitôt la formule énoncée, l'escalier en colimaçon se révéla à Mémé, et celle-ci grimpa quatre à quatre les marches de pierre, ses jupons retroussés pour ne pas trébucher. Essoufflée comme une vieille forge, la sorcière prit appui sur le mur pour se reposer. Ensuite, elle arrangea ses vêtements de manière féminine ( selon ses propres critères ), replaça quelques mèches de cheveux grisonnants et se lança. Elle pénétra dans le bureau de ce charmant sorcier du nom d'Albus Dumbledore et s'éclaircit convulsivement la gorge.
- Comment allez-vous, chère madame, l'accueillit courtoisement le professeur, souriant des yeux par-dessus ses lunettes en demi-lune.
- Bien, merci, répondit Mémé d'un ton bourru.
- Je vois que vous êtes pleinement rétablie, constata-t-il en lui faisant signe de prendre un siège.
La sorcière s'y assit lourdement et sourit d'un air vaguement gêné. Elle se tortilla gauchement sur son siège et baissa les yeux sur ses ongles incrustés de la terre de son potager.
- Madame Ciredutemps, depuis notre dernière rencontre, j'avoue que je n'ai pas été à court de surprises. D'abord, une joyeuse débandade s'ensuit à cause de l'erreur d'un de nos professeurs, puis maintenant, un passage entre ce monde-ci et le vôtre est ouvert. Comment est-ce possible, je n'en sais que trop rien. Mais cette situation est quelque peu… périlleuse. Voyez-vous, une porte entre deux mondes est une bonne chose en soi, mais il se trouve qu'elle se situe dans le dortoir de mes élèves…
Mémé l'écoutait religieusement, observait les mouvements de sa barbe et de sa moustache à chacune de ses paroles, admirait la beauté de ses dents… Quand elle comprit ce qu'il disait, elle se rembrunit. Aussi séduisant que soit cet homme, il y avait un temps pour tout.
- Ma maison n'est pas un moulin ! s'exclama-t-elle sèchement. A part mon vieux matou, je vois pas qui pourrait venir !
Dumbledore se renversa dans son fauteuil et soupira longuement.
- Un passage inter-mondes provoque… des turbulences au sein de chacun des deux. C'est comme un gouffre qui absorberait toutes les énergies environnantes, qu'elles soient bonnes ou mauvaises…
- C'est moi que vous traitez de turbulence néfaste, vieux sagouin ? chargea Mémé Ciredutemps.
- Oh non, non, je vous arrête-là, chère madame, la rassura le professeur, haussant un sourcil dubitatif. Il s'agit des forces qui habitent nos deux mondes, qu'elles soient animales, végétales ou minérales, ou encore de matières purement abstraites. Votre cuisine, honorable madame, est un aimant qui attire toutes ces forces pour les projeter dans le mien.
- Aimant ? beugla la sorcière. Sachez, môsieur, que ma cuisine est de grande renommée dans ma contrée. Et que je ne me laisserai point insulter par un vieil aigrefin de votre catégorie ! J'ai un honneur, moi, môsieur, et je ne vous permets pas de m'appeler « madame ». Pour vous, ce sera mademoiselle !
Se relevant avec tant de brusquerie que son siège se renversa avec un claquement sonore, Mémé Ciredutemps tourna les talons à un Albus Dumbledore médusé pour lui fausser compagnie. Il perçut longtemps après son départ ses fulminations. L'air, lui-même, paraissait chargé d'électricité. Fumesec, le phoenix du professeur, piailla faiblement sur son perchoir en signe de protestation. Dumbledore se déplaça avec lenteur jusqu'à lui pour lui offrir une caresse sur la tête.
- Il y a longtemps que je n'avais vu de femme de cette trempe, murmura-t-il pour lui-même, un sourire amusé aux lèvres.
Penché au-dessus d'une copie d'élève, le Professeur Rogue s'appliquait à barrer d'encre rouge tout ce que sa profession lui autorisait. Il semblait prendre un vif plaisir à cette correction, car sa langue pointait de sa bouche tant il était occupé à traquer les erreurs. Son rideau de cheveux noirs et luisants rabattu devant lui, il se délectait des erreurs de ses élèves.
Non loin de là, à l'affût de la moindre créature menaçant son nouveau maître d'un quelconque danger, le Bagage veillait. Il lui devait bien cela, car qui mieux que Severus Rogue s'était jamais aussi bien occupé de lui ? Ses ferrures rutilaient encore du produit lustrant que Rogue y avait appliqué, chassant la rouille et la poussière. Et le brossage de ses charnières ? Un régal ! Le bois du couvercle n'avait pas été laissé en reste lui non plus. Son nouvel ami lui avait consciencieusement raboté les échardes, avait ôté les débris d'os, de chair et de sang qui s'enfonçaient tenacement dans ses rainures. Ses nœuds avaient même été gratifiés d'une couche de vernis imperméabilisant !
Près de la fenêtre, le trottinement furtif d'une souris résonna dans la pièce silencieuse. Alors, le Bagage déploya ses multiples pieds comme autant d'avirons, et donna l'assaut. Un choc puissant, suivi d'un couinement, et puis plus rien, ou presque… un éclair métallique, des suppliques de rongeur, un bruit flûté de fil qu'on tranche d'un coup de faux. La Mort-aux-Rats avait refait son apparition sur Terre, élargissant sa clientèle aux souris…
Le Professeur Rogue leva la tête de sa copie avant de s'y replonger, rassuré.
Le Bagage trônait devant la porte du bureau, frémissant d'impatience. Dès que le professeur Dumbledore quitta la pièce, il se faufila à l'intérieur. Là, un homme aux longs cheveux noirs s'étirait avec délectation. Le Bagage actionna ses petits pieds pour se rapprocher un peu plus, puis les replia sous son corps. Severus Rogue l'aperçut et sursauta.
- Qu'est-ce…
Le Bagage claqua plusieurs fois du couvercle pour montrer sa ferme intention de rester.
- Une malle ! grommela Rogue, de mauvaise humeur. Qui peut bien m'envoyer ça ? Un coup des Weasley, encore ?
Le professeur s'avança à pas mesurés vers le meuble ensorcelé. Vivement, il saisit le Bagage par les bords et le ceintura puissamment. Rien ne se passa.
- Rien qu'une vieille malle, fit Rogue, pour lui-même. Qu'est-ce qu'elle peut bien conte…
La réponse se fit d'elle-même sentir. Le Bagage béa du couvercle, offrant la vision d'une doublure en soie fine, prête à accueillir les effets personnels du Professeur Rogue. Celui-ci, des restes de méfiance perfide s'agrippant encore à sa conscience, consentit à laisser tomber un recueil des Poèmes d'Amours Elfiques dans la malle. Rien ne se passa. Alors, une jubilation de rangement, extrêmement rare, s'empara de lui. Méthodiquement, Severus Rogue empila ses journaux intimes, vieilles photos de classe, trophées d'alchimie médiévale, lotions capillaires de quelques collègues plaisantins, carnets de citations des pires aberrations de ses élèves, diplôme de fin d'étude de Poudlard, et même une boule de neige moldue que lui avait offert une jolie femme qu'il avait connu dans sa prime jeunesse.
Puis, esquissant même un petit sourire de satisfaction, Severus Rogue referma le couvercle de la malle et le tapota affectueusement. C'est alors que le professeur Rogue réalisa que le coffre était vivant. Il possédait plusieurs paires de pieds joufflus. Intrigué, il toucha la plante de l'un d'eux, et aussitôt tous les rangs de pieds se mirent à danser une gigue endiablée. Le Bagage aimait ça. Enfin, après des années de solitude à cavaler derrière ses maîtres successifs, peu reconnaissants de ses services, quelqu'un lui faisait des papouilles. Et il jubila de plus belle lorsque Severus Rogue s'accroupit pour lui curer les ongles et soigner sa corne encrassée.
Un plateau métallique tinta tout près de l'oreille bougonne de Mémé Ciredutemps. La sorcière, tirée de ses délires post-traumatiques, souleva une paupière, puis deux. Au-dessus d'elle, un plafond. Sous elle, un matelas. A côté d'elle, une femme d'âge mûr occupée à ranger des fioles de remèdes dans un placard. L'infirmière sentit à n'en pas douter le regard perçant de Mémé et lui fit face, un sourire désarmant aux lèvres. Mémé Ciredutemps dut donc ranger ses armes verbales pour s'enquérir avec le plus de douceur dont elle était capable :
- Bien l'bonjour, ma bonne dame, pouvez-vous me dire où je suis ?
- Oh, bien entendu. Vous êtes à l'infirmerie du collège Poudlard. Je suis Madame Pomfresh.
- Enchantée, grommela Mémé. Qu'est-ce qui…
- Vous avez été agressée par un Détraqueur, lui expliqua l'infirmière. Si ce meuble n'était pas intervenu, vous ne seriez plus de ce monde à l'heure qu'il est.
Mémé déglutit péniblement. Il fallait l'admettre, elle avait fait une erreur en prenant ce Détraqueur pour la Mort… Mais le plus dur à avaler, c'était qu'elle avait été sauvée par l'ombre de Rincevent, le Bagage. Quelle déchéance ! Sauvée par un coffre magique des griffes d'un Détraqueur ! Si seulement il s'était produit une intrigue de conte de fée, sauvée par le preux sorcier à la barbe d'argent… La voix de Madame Pomfresh lui fit l'effet d'une gifle, certes, mais agréablement brutale à son goût.
- Le Professeur Dumbledore vous fait savoir qu'il aimerait s'entretenir avec vous dès votre rétablissement, qu'il souhaite prompt, bien entendu.
La sorcière aigrie des Montagnes du Bélier avait un sourire extatique fiché aux lèvres.
- J'y vais de ce pas, susurra-t-elle.
Elle rejeta ses couvertures et se leva. La tête lui tourna et elle dut s'appuyer sur le bras de l'infirmière pour ne pas vaciller. Malgré l'insistance de cette dernière pour qu'elle restât au lit, Mémé Ciredutemps se montra intransigeante. La démarche fière, elle quitta l'infirmerie et se perdit dans le dédale des couloirs, jusqu'à ce que des sorciers dans leurs tableaux la prennent en pitié et la guident jusqu'à l'escalier qui menait au bureau de Dumbledore. Là, elle demeura perplexe un bon quart d'heure avant de jeter au hasard d'éventuels mots de passe.
- Blatte de Morpork ! Ankh Turpide ! Troll des Carrières argileuses ! Muffle d'Aurient ! Rincevent le Charlatan ! Ammonites des Mares ! s'égosilla-t-elle, sa patience et son imagination s'amenuisant à mesure de ses propositions.
Sur tous les murs, aussi loin que la voix de la sorcière égarée portait, arrivait l'écho de ricanements tenaces. Un préfet engoncé dans sa robe lissée tenta bien de lui imposer le silence, mais Mémé Ciredutemps le semonça si vertement que l'adolescent détala en pleurs. Finalement, un jeune sorcier, assis discrètement dans un coin de son cadre, se leva et attira l'attention de Mémé.
- Laissez-moi essayer, madame, dit-il, grand chevalier.
Mémé se tut à contrecoeur.
- Brise australe, murmura-t-il avec affectation.
Sitôt la formule énoncée, l'escalier en colimaçon se révéla à Mémé, et celle-ci grimpa quatre à quatre les marches de pierre, ses jupons retroussés pour ne pas trébucher. Essoufflée comme une vieille forge, la sorcière prit appui sur le mur pour se reposer. Ensuite, elle arrangea ses vêtements de manière féminine ( selon ses propres critères ), replaça quelques mèches de cheveux grisonnants et se lança. Elle pénétra dans le bureau de ce charmant sorcier du nom d'Albus Dumbledore et s'éclaircit convulsivement la gorge.
- Comment allez-vous, chère madame, l'accueillit courtoisement le professeur, souriant des yeux par-dessus ses lunettes en demi-lune.
- Bien, merci, répondit Mémé d'un ton bourru.
- Je vois que vous êtes pleinement rétablie, constata-t-il en lui faisant signe de prendre un siège.
La sorcière s'y assit lourdement et sourit d'un air vaguement gêné. Elle se tortilla gauchement sur son siège et baissa les yeux sur ses ongles incrustés de la terre de son potager.
- Madame Ciredutemps, depuis notre dernière rencontre, j'avoue que je n'ai pas été à court de surprises. D'abord, une joyeuse débandade s'ensuit à cause de l'erreur d'un de nos professeurs, puis maintenant, un passage entre ce monde-ci et le vôtre est ouvert. Comment est-ce possible, je n'en sais que trop rien. Mais cette situation est quelque peu… périlleuse. Voyez-vous, une porte entre deux mondes est une bonne chose en soi, mais il se trouve qu'elle se situe dans le dortoir de mes élèves…
Mémé l'écoutait religieusement, observait les mouvements de sa barbe et de sa moustache à chacune de ses paroles, admirait la beauté de ses dents… Quand elle comprit ce qu'il disait, elle se rembrunit. Aussi séduisant que soit cet homme, il y avait un temps pour tout.
- Ma maison n'est pas un moulin ! s'exclama-t-elle sèchement. A part mon vieux matou, je vois pas qui pourrait venir !
Dumbledore se renversa dans son fauteuil et soupira longuement.
- Un passage inter-mondes provoque… des turbulences au sein de chacun des deux. C'est comme un gouffre qui absorberait toutes les énergies environnantes, qu'elles soient bonnes ou mauvaises…
- C'est moi que vous traitez de turbulence néfaste, vieux sagouin ? chargea Mémé Ciredutemps.
- Oh non, non, je vous arrête-là, chère madame, la rassura le professeur, haussant un sourcil dubitatif. Il s'agit des forces qui habitent nos deux mondes, qu'elles soient animales, végétales ou minérales, ou encore de matières purement abstraites. Votre cuisine, honorable madame, est un aimant qui attire toutes ces forces pour les projeter dans le mien.
- Aimant ? beugla la sorcière. Sachez, môsieur, que ma cuisine est de grande renommée dans ma contrée. Et que je ne me laisserai point insulter par un vieil aigrefin de votre catégorie ! J'ai un honneur, moi, môsieur, et je ne vous permets pas de m'appeler « madame ». Pour vous, ce sera mademoiselle !
Se relevant avec tant de brusquerie que son siège se renversa avec un claquement sonore, Mémé Ciredutemps tourna les talons à un Albus Dumbledore médusé pour lui fausser compagnie. Il perçut longtemps après son départ ses fulminations. L'air, lui-même, paraissait chargé d'électricité. Fumesec, le phoenix du professeur, piailla faiblement sur son perchoir en signe de protestation. Dumbledore se déplaça avec lenteur jusqu'à lui pour lui offrir une caresse sur la tête.
- Il y a longtemps que je n'avais vu de femme de cette trempe, murmura-t-il pour lui-même, un sourire amusé aux lèvres.
Penché au-dessus d'une copie d'élève, le Professeur Rogue s'appliquait à barrer d'encre rouge tout ce que sa profession lui autorisait. Il semblait prendre un vif plaisir à cette correction, car sa langue pointait de sa bouche tant il était occupé à traquer les erreurs. Son rideau de cheveux noirs et luisants rabattu devant lui, il se délectait des erreurs de ses élèves.
Non loin de là, à l'affût de la moindre créature menaçant son nouveau maître d'un quelconque danger, le Bagage veillait. Il lui devait bien cela, car qui mieux que Severus Rogue s'était jamais aussi bien occupé de lui ? Ses ferrures rutilaient encore du produit lustrant que Rogue y avait appliqué, chassant la rouille et la poussière. Et le brossage de ses charnières ? Un régal ! Le bois du couvercle n'avait pas été laissé en reste lui non plus. Son nouvel ami lui avait consciencieusement raboté les échardes, avait ôté les débris d'os, de chair et de sang qui s'enfonçaient tenacement dans ses rainures. Ses nœuds avaient même été gratifiés d'une couche de vernis imperméabilisant !
Près de la fenêtre, le trottinement furtif d'une souris résonna dans la pièce silencieuse. Alors, le Bagage déploya ses multiples pieds comme autant d'avirons, et donna l'assaut. Un choc puissant, suivi d'un couinement, et puis plus rien, ou presque… un éclair métallique, des suppliques de rongeur, un bruit flûté de fil qu'on tranche d'un coup de faux. La Mort-aux-Rats avait refait son apparition sur Terre, élargissant sa clientèle aux souris…
Le Professeur Rogue leva la tête de sa copie avant de s'y replonger, rassuré.
