Chapitre 6 : La sagesse retrouvée

Severus Rogue, assis en tailleur devant la Pensine qu'il avait réclamée d'urgence au professeur Dumbledore, méditait, ses problèmes flottant dans la cuve argentée. Il avait attaché ses longs cheveux noirs en une queue de cheval au sommet de son crâne, lui donnant un air plus jeune et plus sympathique. Un sourire extasié aux lèvres, la mine sereine, l'homme laissait vagabonder ses bons souvenirs dans sa mémoire. Il se revoyait, à courir dans les collines de sa région natale, petit bout de chou pourchassant les moutons pour faire des rodéos sauvages. Ou encore, à ses onze ans, découvrant avec des yeux émerveillés une mystérieuse lettre scellée… Et le jour de l'obtention de son diplôme de fin d'études, rayonnant comme un corbeau dans sa robe noire…

Lorsqu'un coup frappé à sa porte lui arracha sa douce quiétude, Severus Rogue se redressa avec la souplesse d'un serpent, ôta le chouchou de ses cheveux, les ébouriffa rapidement, repêcha ses mauvais souvenirs dans la Pensine et se les remit en tête. Puis, s'éclaircissant la voix, il dit d'un ton maussade :

- Qu'est-ce que c'est ?

Aucune réponse. Le Bagage, qui jusque là roupillait sous le bureau de Rogue, se redressa, tous les sens en alerte. Il évalua stratégiquement la distance qui séparait la porte de son maître, et attendit, ses multiples pattes fermement posées sur le sol. On frappa à nouveau.

- Quoi ? s'égosilla Rogue.

Toujours pas de réponse. Prenant sa mauvaise humeur à deux mains, le professeur de Potions de Poudlard se rendit à pas chassés à côté de la porte. Lorsqu'un troisième coup fut frappé, Severus Rogue ouvrit la porte à toute volée. Ce qu'il vit le déboussola. En lieu et forme de son visiteur se trouvait une créature ratatinée, fripée et verdâtre, avec des cheveux revêches criant la pénurie comme sur le crâne d'un piaf. Ses larges yeux légèrement chassieux peinaient à maintenir ses paupières ouvertes. La créature était vêtue d'une robe beige à capuchon.

- C'est pour quoi ? s'enquit Rogue, méfiant.

- Maîtriser la sagesse tu dois, pour la sérénité retrouver, énonça doctement la créature.

- De quoi j'me mêle ! s'emporta le professeur, détestant qu'on scrute les méandres de son esprit.

- Dans le vaste cosmos je dérivais, quand ta détresse j'ai captée, poursuivit la créature zen. Maître Yoda je me nomme.

Le professeur hésita entre deux conduites à tenir. Soit réexpédier l'intrus dans sa quatrième dimension réelle, soit l'inviter à prendre le thé autour d'une tranche de cake de Noël. Il choisit la première option. Mal lui en prit.

- Vieil homme, dit-il en saisissant le bras noueux de la créature, je n'ai pas de temps à perdre avec ces baliv…

La sentence tomba si vite que Rogue eut à peine le temps de voir défiler sa vie devant lui. Il eut seulement conscience d'être secoué, lancé, piétiné, projeté contre le mur, le sol et le plafond, puis d'être immobilisé par les bras étonnamment puissants de Maître Yoda.

- La force de ton adversaire jamais sous-estimer tu ne dois, lui enseigna Yoda, redevenu inoffensif.

Le maître zen relâcha son emprise, et Rogue put difficilement se redresser, autant que le lui permettaient ses membres hurlants. Le professeur de Poudlard chercha le Bagage, le regard chargé de reproches. Mais il ne le réprimanda pas en le découvrant gisant sur le couvercle, les quatre fers en l'air. Un grincement plaintif s'échappait de ses charnières. Cette année, se dit le professeur Rogue, est décidément pleine de rebondissements…

- Maître Yoda, fit-il humblement, enseigne-moi ta sagesse.

Yoda s'inclina respectueusement, un sourire paisible sur ses lèvres ridées.

Ron ronflait légèrement, la bouche entrouverte, emmêlé dans ses draps. Dans un lit voisin, Harry s'agitait dans son sommeil, échafaudant dans son cerveau en ébullition des plans pour débarrasser le monde de la vermine maléfique. Par terre, Frodon le Hobbit et Will Parry dormaient sur un matelas nu. Peu importait le confort, vivre à la dure, ils connaissaient depuis que le destin avait décidé de s'acharner sur eux. La fenêtre ouverte un peu plus tôt par le poignard subtil de Will renvoyait toujours sur la cuisine cataclysmique de Mémé Ciredutemps.

Soudain, un homme bedonnant, au visage innocent, enjamba la fenêtre, et marcha droit sur le bras de Ron, qui hurla en se réveillant, les yeux fous de terreur. Toute la chambrée se réveilla, y compris les autres résidents qui détalèrent sans attendre la suite. Harry, entouré de ses deux nouveaux amis, resta dans son lit, placide. Ron beuglait convulsivement, se débattait pour libérer son bras. L'intrus eut la jugeotte de se déplacer. Aussitôt, Ron courut se réfugier dans la salle commune des Gryffondor, où ses camarades de chambrée s'étaient déjà rassemblés.

L'intrus, vêtu d'une chemise colorée à grosses fleurs et du short du touriste type, souriait béatement. Autour de son cou était passé un gros appareil noir. Il le leva à hauteur de ses yeux et cadra la chambre baignée de clair de lune. A l'intérieur de la boîte, un minuscule démon sortit sa palette, ses pinceaux et beaucoup de peinture noire. La créature se mit à peindre la pièce avec rapidité.

Peu après, un concert de jurons retentit de l'autre côté de la fenêtre, et le mage Rincevent, empêtré dans sa robe rouge et or, rejoignit le touriste du Disque-Monde.

- Deuxfleurs, votre manie de tout visiter vous perdra ! maugréa le mage à la barbe blanche.

- Mais le monde offre tant de facettes ! se réjouit le touriste, que rien ne réussissait à départir de sa béatitude. Profitons-en !

- M'est avis qu'il vaudrait mieux décamper, grommela Rincevent en jetant des regards scrutateurs autour de lui. Faites à votre guise, Deuxfleurs, mais moi, je préfère ne pas me faire repérer.

Et, sur ces mots, le vieux mage de l'Université de l'Invisible fila à travers le dédale de Poudlard, ombre furtive, laissant le touriste à son extase. Un mage, se dit-il vaniteusement, avait mieux à faire qu'un vulgaire visiteur de mondes.

Ce matin-là, l'air foisonnait de rumeurs, certaines extravagantes, d'autres véridiques et tout aussi extravagantes. On racontait que Poudlard servirait désormais de point de rencontre aux énergies pensantes de l'Univers, que Rogue avait été enlevé par un extraterrestre et que Ron s'était fait agresser par un dangereux maniaque armé d'un cube noir. Dans un couloir peu emprunté, un élève de Poudlard, Colin Crivey, tenait une conversation animée avec le touriste insolite Deuxfleurs.

- Et vous dites que c'est ce démon là-dedans qui peint vos photos ? s'émerveilla Colin, les yeux écarquillés.

- Absolument ! acquiesça vigoureusement Deuxfleurs, heureux de trouver quelqu'un qui le comprît.

- Comme c'est fascinant ! Quelle technique fabuleuse !

- Oh, peut-être pas aussi étonnante que vos propres clichés, l'arrêta le touriste, bon camarade. Je crois que je ne me lasserai jamais de voir ces gens bouger dedans !

- Je peux vous en donner, si vous voulez, proposa Colin, j'en ai des milliers, de pratiquement tous les sorciers de Poudlard et des environs !

- Vous êtes sûr ? fit Deuxfleurs, ravi. C'est vraiment très gentil, prenez cette peinture de la ville d'Ankh-Morpork, c'est époustouflant.

Le touriste tendit la peinture en question au jeune garçon, qui poussa des exclamations d'émerveillement.

Rincevent se risqua à jeter un coup d'œil par la porte entrouverte. Ce qu'il vit lui donna la chair de poule. Cet homme qu'il avait vu la première fois qu'il avait atterri à Poudlard, cet allumé de Severus Rogue, était en lévitation au-dessus de son bureau, face à une créature sédimentaire verdâtre et paisible, elle aussi suspendue dans le vide. Rincevent ne fit pas de bruit et balaya la pièce du regard. Il trouva vite ce qu'il était venu chercher. Terré sous une pile de parchemins, le Bagage tremblait de toutes ses pattes. Lorsque celui-ci aperçut son ancien propriétaire, il se précipita sur lui, faisant voler les feuilles en tout sens. Rogue ouvrit les paupières un bref instant avant de se replonger dans sa méditation métaphysique.

- La paix tu as retrouvé, car ton maître pour toi est venu, commenta le professeur de Potions.

- Sagement tu as parlé, approuva Maître Yoda.

Le Bagage, apeuré par le changement radical qui s'était produit en Rogue depuis la venue de l'étrange maître zen, se jeta presque dans les bras de Rincevent. Lorsque celui-ci lui fulmina « Ah, te voilà enfin, vieux meuble bancale, tu voulais partir avec mes effets personnels, hein ? », le Bagage en pleura presque de reconnaissance. Un peu de rigueur dans un monde de brutes, c'était ça la clef du bonheur pour un Bagage. On ne l'y reprendrait pas.