Chapitre 5.
Il se redressa, s'appuyant sur son coude pour contempler plus aisément son amant qui venait de repousser les draps et de se lever, exposant à son regard sa nudité la plus totale.
La sueur faisait briller sa peau sous la lumière artificielle, y créant des ombres dorées qui soulignaient sa musculature, lui rappelant ces corps huilés d'athlètes aux proportions parfaites.
Et nu, sans lunettes, décoiffé, il paraissait être une autre personne, quelqu'un de différent. Juste son amant, celui qui lui donnait du plaisir le soir venu et le quittait ensuite sans jamais lui laisser la certitude qu'ils se reverraient.
Il le regarda se diriger vers la petite salle de bain, désirant à nouveau ce corps si beau qui venait pourtant d'être sien.
Il avait longtemps pensé que le fait de se donner l'un à l'autre, l'union des corps était la plus grande intimité possible. Et pourtant, cet homme restait un mystère pour lui, échangeant avec lui aussi peu de confidences qu'avec une très vague connaissance.
Il était évident que l'homme ne voulait pas s'impliquer dans leur relation. Et lui, comme le jeune homme naïf qu'il avait toujours été, il s'attachait peu à peu à ce partenaire silencieux. Il n'y avait rien d'étonnant à cela. Il n'était pas quelqu'un de léger et d'insouciant, il s'impliquait toujours dans ce qu'il faisait. Mais puisqu'il savait depuis le début, pourquoi ne pouvait-il lutter contre ça ?
Il y avait beaucoup réfléchi au cours de la dernière semaine. Il avait pensé que peut-être il se montrait trop facile. Il disait 'oui' trop vite, était toujours conciliant mais il ne se sentait pas assez intéressant pour espérer faire courir Ogata après lui. S'il refusait, l'homme irait voir ailleurs. C'était tout vu.
Il soupira, se décidant à se lever lui aussi et à ramasser ses vêtements pour se rhabiller.
Ils avaient étrenné son nouveau logement d'une manière assez torride.
Ogata avait à peine jeté un œil à l'endroit, s'intéressant visiblement plus à l'occupant des lieux et au meuble indispensable: c'est à dire le lit.
Bien sûr, son appartement n'avait rien à voir avec celui plus spacieux et luxueux du maître et il l'avait d'ailleurs amené là avec un peu d'appréhension. Pour pas grand chose en fin de compte….
Cela faisait deux jours qu'il avait aménagé dans ce petit studio proche du centre de Tokyo grâce à l'argent que lui procuraient ses leçons, permettant ainsi à ses sœurs, ravies, d'investir son ancienne chambre. Il était également soulagé de ne plus avoir à se justifier auprès de sa mère de découcher la moitié de la semaine et de ne pas avoir de petite amie à lui présenter.
Il s'était sentit enfin libre, heureux, mais il se demandait à présent s'il n'était pas lui-même en train de se mettre de nouvelles chaînes…
Un léger crissement, le bruit de pas sur la moquette, le tira de ses pensées. Un Ogata version 'joueur de go' se tenait devant lui, recoiffé et rhabillé, la mine sérieuse.
« Tu t'en vas ? » demanda Isumi, même s'il s'agissait plus d'une constatation.
« Oui. J'ai à faire. »
Comme d'habitude, il allait le laisser sans lui donner de date pour leur prochain rendez-vous, le laissant dans le doute quelques jours même s'il finissait toujours par le rappeler. Du moins, jusqu'à présent….
« Je dispute un match après-demain pour le deuxième tour des éliminatoires du tournoi Tengen. » lui signala Isumi, espérant l'y voir.
Sûrement Ogata n'avait plus à disputer ces matchs qualificatifs dans ce tournoi, il n'était pas exactement au courant de sa situation, mais vu l'adversaire qui allait être le sien, il se pouvait que de forts joueurs soient obligés d'en passer par-là.
« C'est bien. » lui répondit simplement l'homme, ajustant sa cravate devant la glace.
Isumi rougit légèrement. Ogata avait dû se méprendre sur ses intentions. Il n'avait pas dit cela pour qu'on le complimente d'être arrivé jusque là mais pour que l'homme lui dise s'il y serait également ou non.
Mais visiblement, ça ne serait pas le cas. Et vu le ton, il semblait de toute façon que ses performances dans le go ne l'intéressent que très peu.
L'homme se dirigea vers la porte.
« Je te rappellerai. » dit-il tout de même en appuyant sur la poignée.
Mais Ogata eut soudain l'air stupéfait et il recula d'un pas. Il resta figé une demi-seconde avant de lâcher un : « Bonjour. » maussade.
Isumi s'approcha de l'encadrement, se demandant qui se trouvait là et aperçut un Waya tout aussi pétrifié, le doigt suspendu à quelques centimètres de la sonnette.
L'homme s'éloigna à pas rapides tandis que Waya, toujours stupéfait, le suivait du regard, oubliant du même coup de répondre au salut de son ami.
« Qu'est-ce que qu'il fout là celui-l ? Il était chez toi ? Tu connais Ogata-sensei ? »
Isumi, embarrassé, se dépêcha de balbutier de très vagues et embrouillées explications :
« Euh… c'est au sujet de mon club, tu sais, le club Kyuseïkaï. »
Encore heureux qu'il ne lui donnait pas un baiser pour lui dire au revoir !
« Mais il n'en fait pas partie, non ? »
« Euh oui c'est vrai mais… mais… » Il rougit, incapable de trouver un mensonge convaincant. Le manque d'habitude… Il décida alors d'orienter la conversation vers autre chose pour détourner l'attention de Waya d'Ogata.
« C'est gentil d'être passé me voir, Waya ! Tu veux visiter mon nouveau studio ? »
« Oui ! C'est pour cela que je suis venu ! Je voulais voir de quoi ça avait l'air ! On dirait que c'est un peu plus grand que chez moi ! » fit remarquer le jeune homme en regardant tout autour de lui.
Isumi opérait une savante retraite qu'il espérait la plus discrète possible vers son lit. Il réussit à rabattre les draps tandis que Waya jetait un œil par la fenêtre puis recula vers la table de chevet pour tenter de ranger dans l'un des tiroirs la boîte de préservatifs et le flacon de lubrifiant restés en évidence.
« C'est cool ! T'as vue sur une sorte de parc ! C'est super de voir des arbres de sa fenêtre ! »
Il avait un coup de chaud, prémisse de la honte qui fondrait sur lui si Waya découvrait des choses embarrassantes. Ses doigts se saisirent maladroitement du flacon qui lui échappa, heurtant le sol dans un bruit qu'il aurait cru amorti par la moquette mais qui lui parut tonitruant. Waya se retourna brusquement et au comble de la confusion, il lâcha également la petite boîte de carton dont le contenu vint s'étaler sur le sol.
Il se sentit devenir écarlate mais par chance, l'angle du lit, il l'espérait, dissimulait partiellement ce coin de moquette à Waya.
Il se précipita pour ramasser, s'empressant d'envoyer le flacon rouler sous le lit d'un coup de pied.
« Tu veux que je t'aide ? » proposa Waya, serviable.
« Non ! Non ! Surtout pas ! » s'écria Isumi, les mains tremblantes, n'arrivant plus à faire rentrer dans la boîte les petits sachets colorés qui semblaient s'être soudainement démultipliés sous l'action d'une force maléfique décidée à le contrarier.
Se rendant compte qu'il avait presque crié, il se reprit : « Je veux dire, c'est gentil mais ce n'est pas la peine. »
Waya le regardait toujours curieusement.
« Je sais pas si on te l'a dit, mais t'es bizarre en ce moment, Isumi. Tu stresses certainement trop pour tes matchs. Tu devrais sortir, t'amuser un peu, ça ne te ferait pas de mal ! »
Isumi sourit.
« Merci, c'est sympa de t'inquiéter pour moi. »
Waya lui rendit son sourire puis regarda ses pieds et se baissa pour ramasser quelque chose.
« Tiens ! Y'a ça qui traîne. »
Avec effarement, Isumi reconnut le flacon à l'étiquette bleue qu'il avait dû pousser plus loin que nécessaire.
« C'est quoi ? » demanda Waya, tentant de déchiffrer l'étiquette.
« T'occupe ! T'occupe ! Rends-moi ça ! » ordonna Isumi en fondant sur lui pour le lui arracher des mains.
« Tu me fais peur, l ! Fais vérifier ta tension, Isumi et arrête le caf ! »
*****
« Là, tu t'es montré un peu trop prudent. Tu aurais joué ici, j'aurais été obligé de riposter là et j'aurais été embêté pour contrôler le coin supérieur droit. »
L'homme sourit avant de reprendre : « Mais je suis étonné que tu sois si fort pour un nouveau pro ! J'ai du soucis à me faire entre Toya, Shindo, toi, Yashiro… Ha ha ha ! Je pensais que ma tâche serait plus aisée ! »
Isumi, la tête baissée, toujours un peu contrarié par sa défaite sourit enfin. Il ne connaissait pas assez Kurata-sensei pour savoir si celui-ci était sincère dans ses compliments ou s'il voulait juste se montrer sympa et l'encourager.
Ils étaient toujours à genoux derrière le goban lorsque quelqu'un vint s'asseoir près d'eux.
« C'était un beau jeu. » dit avec calme une voix qui, pour Isumi était désormais familière.
« N'est-ce pas ? » dit Kurata, toujours souriant « Surtout ce coup, là, au milieu était très bien vu ! Cela m'a d'abord surpris puis… »
Ashiwara posa sa pierre et leva à nouveau les yeux vers son adversaire du jour.
Non. Décidément, non ! Elle était beaucoup trop maquillée ! Jolie tout de même, mais tellement superficielle ! Et cela le peinait davantage de constater que sa rivale n'était pas si formidable que cela.
Non. Elle ne méritait pas Saeki. Pas plus que lui, en tout cas ! Il avait beau la regarder sous tous les angles….
« J'abandonne ! »
« Hein ? »
Ashiwara eut d'abord un regard étonné. Il était si peu dans la partie qu'il n'avait même pas remarqué qu'elle s'achevait.
«J'ai mal jou ! » gémit la jeune femme en repoussant ses cheveux auburn derrière ses épaules avec un geste élégant.
Le jeune homme brun se força à sourire aimablement et commença à ranger les pierres.
« Tiens ? Que vient faire Ogata-sensei ici ? » demanda tout haut Sakurano en se retournant « Il n'a pas de match aujourd'hui ? Il donne des conseils à Shin-chan ? Surprenant… »
« Oui, c'est vrai… » admit Ashiwara.
«Il ferait mieux de venir te chauffer les oreilles, Ashiwara-kun ! Quel horrible jeu ! » fit remarquer un autre joueur qui avait assisté à leur fin de partie.
Ashiwara eut un rire gêné.
« J'ai gagné. C'est tout ce qui compte, non ? »
*****
« C'est bien calme ici en ce moment ! C'est agréable ! » fit remarquer l'un des clients du club de go en tirant une chaise vers lui pour prendre place derrière l'une des tables.
« Oui. Et on sait pourquoi… »
« Kitajima-san ! » gronda Mlle Ichikawa en lui jetant un regard noir.
Elle se tourna vers le fond de la salle mais Akira, assis seul à une table, n'avait pas eu l'air d'entendre.
Même s'ils passaient leur temps à se disputer d'ordinaire, lorsque Hikaru ne se montrait pas, le jeune Maître semblait toujours un peu dépité. Il préférait alors s'isoler et recréer des parties.
Entre les deux joueurs, une relation étrange et tumultueuse semblait s'être nouée. Ils n'étaient ni vraiment amis ni ennemis non plus. Des rivaux passionnés. Malgré de violentes disputes et des échanges de mots blessants parfois, ils revenaient invariablement l'un vers l'autre, comme deux aimants.
Au contact d'Hikaru, Akira n'était plus le jeune garçon trop sage et sérieux qu'elle avait toujours connu. Il devenait impulsif, plus irréfléchi, plus infantile aussi. Peut-être que de fréquenter enfin quelqu'un de son âge lui était bénéfique ! Elle ne croyait pas se souvenir qu'Akira ait jamais été ami avec un autre enfant, bien que l'on ne pouvait pas dire qu'Ashiwara, certainement son meilleur ami, soit un modèle de maturité même si ces derniers temps, ce dernier lui avait parut plus sombre et plus sérieux.
Akira se leva soudainement et ramassa ses affaires.
« Je rentre chez moi, Mlle Ichikawa. »
« Déj ? » demanda-t-elle un peu étonnée.
« Oui je suis un peu fatigué. A demain ! »
« A demain, Akira ! »
« Il doit penser qu'Hikaru ne viendra plus ce soir… » pensa-t-elle.
Mais elle devait s'avouer que le turbulent Hikaru Shindo commençait à lui manquer à elle aussi.
*****
La porte d'entrée claqua et il devina que son fils venait de rentrer. Il appuya sur le bouton de l'écran, un peu à contre-cœur. Akira n'aimerait peut-être pas qu'il reste devant son ordinateur, dans sa chambre. Le jeune homme semblait avoir besoin d'espace ces derniers temps….
Et de toute façon, Sai ne s'était pas montré.
Cela faisait déjà si longtemps…. Pourquoi Sai n'apparaissait plus ? Le fuyait-il ? Avait-il changé de pseudonyme ? Non. Si un joueur de son niveau s'était à nouveau montré sur le net, il ne serait pas passé inaperçu bien longtemps. Même sous une autre identité…
Il s'était déjà posé la question. Et de temps en temps, lorsqu'un joueur lui semblait un peu plus exceptionnel que les autres, il lui proposait une partie sous un pseudonyme. Mais il n'avait jamais retrouvé Sai.
Où était-il ? Que faisait-il ? Jouait-il toujours ? Et contre qui ?
Il ne pouvait s'empêcher de se sentir vexé qu'un joueur tel que Sai ne veuille plus l'affronter.
Et Hikaru Shindo qui ne voulait rien lui dire…
Il l'avait croisé à l'Institut de go et lui avait demandé d'organiser une nouvelle partie avec Sai mais le jeune homme lui avait répondu, sans lui fournir d'autres explications, que cela était impossible…
Et pourtant, il ne pouvait se contenter de cette réponse et renoncer. Non. Il retrouverait Sai et jouerait à nouveau contre lui. Où qu'il soit !
*****
Il jeta un dernier regard au bras musclé qui enserrait fermement l'oreiller et aux mèches de cheveux châtain qui s'étalaient sur le drap blanc. Il referma la porte derrière lui.
Il y a quelques mois il aurait été très content de sa soirée et cela l'aurait mis d'excellente humeur. Mais aujourd'hui, il se sentait presque déçu, comme frustré. Pas entièrement satisfait par sa nuit mouvementée. Et pourtant, l'homme rencontré dan un bar la veille, était plutôt mignon. Une bonne trouvaille. Plutôt doué en plus de ça.
Mais une fois leurs ébats terminés, il avait dû se contenir pour ne pas lui ordonner de se barrer sur le champ. Il avait envie d'être seul, profondément contrarié en constatant que cela n'avait rien changé. Il n'avait cessé de penser à Isumi tout le temps.
Il avait commencé à prendre peur, quelques jours auparavant, lorsqu'il avait eu envie de le prendre dans ses bras en public pour le consoler de sa défaite contre Kurata. Il avait réussi à se contrôler et immédiatement après, il avait pris la résolution de réagir.
Mais ce matin encore, il n'arrivait pas à se le sortir de la tête. Le café lui semblait pris avoir un goût amer et même leurs brèves discussions matinales lui manquaient. Plus encore que la veille au soir, il avait envie d'avoir Isumi à ses côtés, de prendre son petit déjeuner en sa compagnie, de caresser ses cheveux sombres, d'entendre sa voix douce s'adresser à lui avec timidit
Son aventure d'une nuit fit irruption dans la cuisine, mettant un terme à sa rêverie.
Avant même qu'Ogata l'ait invité à le faire, le jeune homme prit une tasse, se versa du café et s'assit à la table.
« C'était plutôt pas mal, hier, non ? » lança-t-il.
Ogata ne répondit pas mais cela ne le découragea nullement à poursuivre :
« On pourrait peut-être se revoir ? Je sors d'une rupture et je n'ai pas envie d'une histoire sérieuse, alors si ça te convient, à l'occasion… »
« Non. C'était uniquement pour la nuit dernière. »
« Je vois. J'aurais dû comprendre que tu es du genre à ne vouloir qu'une nuit. Tu as raison. Pas d'engagement…. Prendre juste le plaisir et pas les emmerdes…. » L'homme sourit plus largement, pas vexé le moins du monde.
Ogata resta pensif puis il se leva et attrapa sa veste.
« Je dois y aller. Tu auras juste à claquer la porte en sortant. »
J'aurais dû comprendre que tu es du genre à ne vouloir qu'une nuit.
Les mots tournèrent dans sa tête comme il sortait de l'immeuble et décidait de faire un petit détour pour acheter de la nourriture à ses poissons avant de se rendre à l'Institut de go.
C'était sa doctrine. Avant…. Pourquoi faire une exception avec Isumi ?
Il observa un moment les scalaires qui nageaient dans l'aquarium en devanture du magasin.
Non. Ce gamin n'était qu'une passade. Il s'amusait beaucoup avec lui, il était vraiment mignon et docile et il pouvait même parler de go avec lui à l'occasion, alors qu'avec un autre amant, cela lui aurait manqué rapidement. Voilà pourquoi c'était une erreur d'avoir essayé avec un autre joueur ! Et le risque que cela se sache était d'autant plus grand.
Mais il s'en lasserait bientôt. Il n'avait pas à s'en faire. Quand il s'en serait bien rassasié, il n'y penserait plus. Il ne fallait pas s'inquiéter et profiter simplement de leurs agréables moments ensemble.
Rassuré, il poussa la porte du magasin et s'approcha du comptoir.
« La même nourriture pour poissons que d'habitude. »
*****
Merci beaucoup Mimi (Y'aura plus d'une dizaine de chapitres, je pense -) ), Seii et Yuki-chan pour vos reviews ! Je suis très contente que ça vous plaise !
