Malgré la pénombre, il assistait sans difficulté à leur ballet silencieux. Leurs ombres démesurées lui permettaient de les deviner, maintenant qu'il connaissait quasiment chacun de leurs noms scientifiques. Ce spectacle monotone l'apaisait, l'hypnotisant presque mais il n'arrivait malgré tout pas à trouver le sommeil.
Comme ces poissons, il commençait certainement à faire partie du décorum, Seiji Ogata ne semblant pas lui prêter plus d'attention que ça. S'il ne venait plus, l'homme ne s'en rendrait peut-être même pas compte…
Non, il était injuste de penser ça. Jamais l'homme ne lui avait manqué de respect. Ils se voyaient essentiellement pour combler leur désir charnel mais un moment de tendresse succédait toujours à leurs étreintes. Même si Ogata restait toujours froid et distant en paroles…
S'il avait été une fille, si Ogata avait aimé les filles, il ne lui aurait certainement pas adressé un regard. Il était juste là, dans son lit, car il avait accepté des avances faites peut-être par le plus heureux des hasards….
Mais lui, ne pouvait se satisfaire de cela. Il n'arrivait pas à faire la part entre ses sentiments et une aventure purement sexuelle.
Que pouvait-il faire pour 'exister' à ses yeux ?
Peut-être que s'il progressait encore au go pour devenir l'un des noms qui hantaient les conversations des joueurs de go, tels Hikaru Shindo ou Akira Toya, il deviendrait un peu plus intéressant pour Ogata…
« Tu n'arrives pas à dormir ? Tu es préoccup ? »
Il sursauta, surpris que son amant soit éveillé. Lui non plus n'arrivait pas à dormir ? Etait-il stressé par l'approche des matchs pour la finale Honinbo qui allait débuter dans quelques jours ?
Il sourit :
« Non, ce n'est rien. »
Des bras musclés l'enlacèrent et il se serra davantage contre la large poitrine pour profiter de la tiédeur apaisante de ce corps.
Si au moins Ogata éprouvait ne serait-ce qu'un peu d'affection pour lui, c'était déjà une grande victoire !
*****
Saeki fut un peu surpris en voyant Ashiwara venir de lui-même à sa rencontre à la sortie de leurs matchs. Depuis plusieurs jours, il avait eu l'impression que le jeune homme brun le fuyait mais peut-être s'était-il fait des idées…. Ashiwara était peut-être simplement préoccupé par autre chose.
« Saeki-kun ! Tu as quelque chose de prévu ce soir ? »
« Non, pas spécialement…. »
« Ma mère m'a apporté plein de poisson frais à manger rapidement et nous pourrions disputer quelques parties de go, qu'est-ce que tu en dis ? »
« Pourquoi pas ! Mais ce n'est pas le jour où as lieu ton groupe d'étude ? »
« Généralement oui mais le Maître est en Chine, Ogata-sensei se concentre pour son match important de demain et Akira-kun va à ses cours de coréen… La session a été annulée… »
« D'accord, alors. Vers quelle heure je passe ? »
*****
Il lui avait dit qu'il serait occupé. Il pensait qu'il aurait besoin de se concentrer avant ce match capital mais en fin de compte, il avait envie de le voir.
Mais peut-être qu'Isumi avait prévu autre chose depuis, comme voir ses amis par exemple ?
Il hésitait depuis un moment à lui téléphoner. De peur d'essuyer un refus, certainement. Il détestait que tout ne marche pas comme il le souhaitait.
Il tourna en rond un moment, se disant que plus il attendait, plus l'heure tournait et moins ses chances de voir Isumi ce soir là étaient importantes.
N'y tenant plus, il se saisit du téléphone et composa le numéro qu'il connaissait désormais par cœur.
« C'est moi… » dit-il comme si c'était une évidence, comme si Isumi saurait nécessairement qui était au bout du fil. Mais le jeune homme sembla le reconnaître.
« Je peux passer te voir ? … Maintenant ? »
« Oui. » entendit-il à son grand soulagement.
*****
« Hummm ! Ca sent bon ! Tu as l'air plutôt doué en cuisine ! » remarqua Saeki en tournant tout autour du jeune homme brun affairé près du gaz.
« Hé hé h ! Merci ! J'aime bien ça, ça me détend ! »
« Je ne t'imaginais pas en cordon bleu, Ashiwara ! »
Le jeune home brun se retourna pour lui faire un clin d'œil.
« Mais j'ai plein de talents cachés ! »
« Ha ha ha ! J'en suis sûr ! S'il te plait, s'il te plait laisse-moi goûter ! » implora Saeki en l'attrapant par la taille et en ouvrant la bouche pour quémander une cuillérée de cette sauce odorante.
Ashiwara sentit une grande chaleur se propager en lui en sentant le bras de son ami autour de sa taille. Il pâlit.
Il ne fallait pas qu'il pense à cela ! Ses yeux gris si près… Ses lèvres légèrement roses….
« Non ! » cria-t-il en secouant la tête, le repoussant violemment.
Surpris, Saeki vacilla et se raccrocha au mur pour ne pas tomber. Ashiwara, étonné par sa propre violence se précipita pour l'aider.
« Saeki-kun ! Ca va ? Pardon ! Je suis désol ! Je suis vraiment désol ! Pardon ! »
« C'est pas grave ! »
Saeki un peu sonné par le choc reprit lentement ses esprits. Qu'est-ce qui arrivait au doux et toujours aimable Ashiwara ? Ca ne lui ressemblait pas ! Ce qui venait de se produire, puis sa façon de le fuir durant des semaines…
Est-ce que ça avait un rapport avec ce qu'il lui avait confié à propos de Sakurano ? Ou bien n'aimait-il tout simplement pas que l'on veuille goûter sa sauce avant qu'elle soit prête ?
En tout cas ce type était vraiment bizarre ces temps-ci…. Il ferait mieux de se méfier. Si le gentil Ashiwara se transformait en dangereux psychopathe la pleine lune venue….
*****
Il sentit que les mains remontaient maintenant lentement le long de sa colonne vertébrale, le caressant par moments, le massant franchement à d'autres, là où ses muscles étaient encore noués. Il eut un petit grognement de satisfaction lorsqu'elles revinrent se poser sur sa nuque, pour jouer avec ses cheveux un peu trop longs à son goût en ce moment.
Il essayait de ne plus penser à rien et surtout pas à cet horripilant vieillard qu'il devrait affronter le lendemain et il y réussissait presque, allongé sur le dos, les mains d'un Isumi penché sur lui délassant son dos. Savoir que de si mignonnes mains se posaient sur vous était plutôt agréable et il s'y prenait bien en plus !
« Tu es si tendu ! » remarqua le jeune homme avec douceur.
Il se sentait heureux. Ogata semblait étrangement disponible pour lui alors qu'il aurait peut-être aimé se concentrer.
« Mon match de demain… »
Isumi eut un léger rire.
« Je comprends très bien ! Kuwabara-sensei est terrifiant ! »
Ogata se tourna, s'appuyant sur le coude.
« Tu as déjà joué contre lui ? »
« Oui. Lors des shin shodan séries, il était mon adversaire. Je ne sais pas si c'est son style d'humour mais… chacune de ses remarques me mettait mal à l'aise… »
« Ha ha ha ! Il le fait exprès pour déstabiliser l'adversaire ! Le vieux renard ! Et il adore justement ce genre de match pour terrifier les petits jeunes ! Et qu'est-ce que tu as fait contre lui ? » demanda Ogata avec sourire réjoui.
« J'ai gagné. Mais je ne me suis senti confiant à aucun moment du jeu. Par moment, sa façon de me regarder… j'avais peur de faire une erreur ! »
« C'est bien de ne pas t'être laissé impressionner tant que ça. Hormis Toya-sensei je ne connais pas beaucoup de pros qui arrivent à garder leur sérénité face à lui. J'ai mis des années avant de pouvoir lui faire face avec un bon état d'esprit et même aujourd'hui, je ne suis pas sûr d'y arriver. »
Isumi fut à la fois étonné et heureux de cette confidence. Il n'aurait pas imaginé Ogata impressionnable. Même face à Kuwbara-sensei. Et que celui-ci lui en fasse l'aveu…. C'était la première fois qu'il se livrait autant ! Cette soirée n'était décidément pas comme les autres. Il l'avait appelé à la dernière minute et il s'était senti flatté qu'Ogata veuille passer sa soirée en sa compagnie à la veille d'un grand match.
Il se sentait grisé et mis en confiance par cette soudaine complicité. Encouragé à continuer par ce succès, il raconta en riant :
« Je me sentais mal au possible avant le match ! J'ai presque eu envie de partir en courant. Surtout lorsqu'il m'a invité à jouer au golf et m'a attrapé par le bras en tâtant mes biceps pour vérifier si je faisais du sport… »
Ogata s'était rallongé et l'observait dans la glace. Il était si beau quand il riait ! Pourquoi Isumi avait toujours l'air mélancolique habituellement ? Il se retourna brusquement à la dernière anecdote du jeune homme.
« Il a fait ça ? » demanda-t-il surpris, même si finalement, cela ressemblait assez à Kuwabara.
« Oui ! Je ne savais pas comment réagir !»
L'homme saisit le jeune garçon par l'épaule et le renversa sur lui pour l'embrasser.
« Il a eu raison ! Tu es tellement mignon…»
Quelque chose avait décidément changé ce soir ! Il lui faisait des compliments pour la première fois, ils riaient ensemble, tout était plus spontané…. Il sentait une complicité naître entre eux et s'en réjouissait.
« Mais demain…. Je ne lui ferais pas le cadeau de prêter attention à ses grimaces de vieux singe ! J'imagine qu'il aurait préféré se retrouver face à Kurata ou Akira Toya… »
Ogata avait cessé de l'embrasser et paraissait soudain plus sérieux. Mais s'ils parvenaient à discuter, même de go, cela lui convenait aussi.
« Il a déjà affronté Akira Toya ? » demanda-t-il.
« Non. C'est pour ça qu'il pense certainement que cela aurait été plus facile pour lui… »
« Mais vous pensez qu'Akira Toya aurait pu gagner, n'est-ce pas ? »
Comme ils s'étaient mis à parler de go, le vouvoiement lui était revenu tout naturellement. Il se mordit les lèvres mais Ogata ne releva pas.
« On ne peut jamais savoir tant qu'un match n'a pas été disputé… Mais malgré son jeune âge, Akira a une telle volonté de gagner que je ne pense pas que ce genre de singeries aurait pu le déstabiliser tant que cela.»
« Oui… » fit Isumi pensif « Il a l'air tellement froid, on dirait qu'il n'y a que le go qui compte pour lui… »
Il rougit subitement, se rendant compte qu'il avait parlé tout haut et que comme Ogata était l'un des professeurs d'Akira Toya, il n'apprécierait peut-être pas qu'il se permette de juger ainsi son élève.
« Peut-être… Il est beaucoup trop sérieux pour son âge. Enfin…. J'imagine que plus il grandit, moins cela devient inquiétant ! Ha ha ha ! »
Ogata cessa de rire et resta pensif plusieurs minutes.
« Par contre, il est toujours très seul Je ne comprends pas qu'il n'ait pas plus d'amis. C'est un gentil garçon et je pense que même lui est en train de s'en rendre compte et d'en souffrir. »
Isumi se sentit touché par ces propos. Il n'avait jamais pensé qu'Akira Toya puisse se soucier de l'opinion que les autres avaient de lui. Maintenant, s'il était toujours seul… cela lui faisait de la peine pour le jeune garçon. Personnellement, il n'avait objectivement pas grand chose en lui reprocher. Il regretta de n'avoir jamais freiné Waya dans ses longues tirades contre le fils du Meijin.
« Vous… Tu as l'air de beaucoup l'aimer… »
« J'étais l'élève de Koyo Toya avant même qu'il ne naisse. C'est presque… un petit frère… si on considère que Toya-sensei est mon père spirituel… » dit Ogata dans un sourire.
Ogata était étonnement loquace pour une fois. Mais peut-être n'avait-il pas souvent l'occasion de se confier en dehors du 'clan' Toya… Il poursuivit sans qu'Isumi ait eu à lui poser une question.
« Mais le Meijin est parfois dur avec son fils. Je sais qu'il est très fier d'Akira mais il se montre toujours plus réservé en sa présence. Il ne se rend sûrement pas compte qu'Akira a toujours peur de le décevoir, qu'il a besoin de sa reconnaissance… »
Isumi s'était allongé près de lui pour l'écouter patiemment et Ogata le regarda avec tendresse.
La présence du jeune homme le calmait. C'était finalement plaisant d'avoir toujours quelqu'un près de soi… Il était toujours tellement nerveux avant un match contre Kuwabara !
C'était peut-être la meilleure idée qu'il ait jamais eue. Se détendre de cette façon avant un match important. Et comme il commençait à mieux connaître Isumi, il n'avait pas l'adrénaline de la première rencontre.
« Il est tard… » fit remarquer le jeune homme en jetant un coup d'œil à son radio réveil.
En plus, une vraie maman qui se souciait de sa forme du lendemain… !
« Eteins la lumière. »
Il garda la position qu'ils avaient adoptée et il sentit les bras d'Isumi se refermer sur lui. Il pouvait entendre les battements du cœur du jeune homme, l'oreille collée contre sa poitrine. Les doigts fins du jeune homme caressèrent doucement ses cheveux. Il avait l'impression de flotter et son corps devenait lourd. Il se sentait bien, entouré par la tiédeur de ce corps, protégé, tellement calme à présent qu'il allait peut-être même pouvoir s'endormir… Sûrement même…. Certainement….
« Je t'… » murmura-t-il à moitié ensommeillé. Il s'éveilla totalement en entendant ses propres mots et ouvrit des yeux effarés. Il se mordit les lèvres.
Qu'avait-il failli dire !?! Non ! Non, ce n'était qu'une stupidité car il se sentait bien. Cela ne comptait pas, ça ne devait pas compter car il rêvait à moiti !
« Oui ? » demanda Isumi, sûrement à demi-assoupi lui aussi.
Ogata resta pétrifié un moment.
« Non… Je… rien. »
Le jeune homme serra plus fort la forme chaude contre lui. Pour une fois, c'était Ogata qui dormait dans ses bras et non l'inverse. C'était certainement la meilleure soirée qu'il ait jamais passée avec l'homme. Il espérait que cela allait durer, qu'ils allaient toujours être aussi proches désormais.
*****
« J'abandonne… »
Il ôta ses lunettes et savoura les quelques minutes de silence qui suivirent cette annonce, que personne, pas même Kuwabara-sensei, n'osait rompre.
Il s'épongea le front, un frisson délicieux le parcourant. L'euphorie de la victoire, cette sensation grisante lorsque tous les muscles de son corps se relâchaient enfin.
« Belle partie, Ogata-sensei ! C'est toujours un avantage psychologique de remporter le premier match. »
« Merci. »
« Félicitations, Ogata-san ! »
« Beau jeu ! »
« Félicitations ! »
Les compliments se succédaient et il n'y prêtait que peu d'attention. Des heures de match… il se sentait épuisé, il avait besoin de se changer les idées, de se retrouver seul un moment aussi.
Comme il se rechaussait, Ichiryu vint à sa hauteur.
« Ogata-kun ! J'ai assisté à la partie. Tu as changé, je trouve. Ta façon d'aborder le match, quelle différence avec votre précédente rencontre ! J'ai le pressentiment que tu vas finir l'année avec un titre d'Honinbo ! »
« J'espère que votre intuition est aussi légendaire que celle de mon adversaire, Ichiryu-san ! »
« Ha ha ha ! Qui sait ? J'ai déjà prévenu tout le monde à l'étage pour ce soir ! Allons fêter ta victoire ! J'espère que tu n'es pas trop fatigu ? »
« Non, ça ira. »
« A toute à l'heure ! »
Ogata monta dans un taxi, se dépêchant de regagner son hôtel. Il avait écourté les habituels bavardages d'après matchs qui pouvaient se montrer épuisants lorsque la partie durait deux jours.
Arrivé dans sa chambre, il se dévêtit pour passer sous le jet tiède de la douche, fermant les yeux pour savourer cet instant de détente.
Isumi.
Il pensait encore à lui. Comme la nuit dernière il avait rêvé à la douceur de ses mèches sombres, au goût exquis de sa peau.
Cela faisait quelques temps qu'il n'utilisait plus de préservatifs avec lui. Il faisait d'ordinaire énormément attention à sa santé, ne faisant confiance à personne mais avec Isumi… Cette relation semblait depuis le début placée sous le signe de la déraison. Il avait trop envie de le sentir sans caoutchouc même s'il ne lui avait jamais demandé s'il voyait quelqu'un d'autre.
Non. Il ne devait y avoir personne d'autre.
Enfin… Peut-être que ça l'arrangeait de croire cela….
En tout cas, sa soirée de l'avant veille lui avait été bénéfique. Il n'avait pas trop cogité, avait abordé le match de façon plus sereine.
Peut-être devrait-il inviter Isumi à se joindre à eux ce soir pour le remercier ? Il avait très envie de le voir dès à présent. Tokyo n'était pas très loin…
Il aurait pu dire aux autres que le jeune homme était son élève…
Mais si jamais des rumeurs avaient déjà circulé sur lui… si quelqu'un se doutait de son penchant pour la gente masculine…. Non, c'était trop risqué.
Il verrait Isumi le lendemain. Il n'était quand même pas du genre à ne pouvoir patienter jusque l !
*****
Isumi appuya sur le bouton indiquant le deuxième étage. Il constata avec un peu d'amusement qu'il était une fois de plus seul dans l'ascenseur. Il ne se rappelait pas avoir déjà croisé quelqu'un, un voisin, dans ce bâtiment moderne. A croire que les locataires travaillaient nuit et jour où qu'ils ne sortaient jamais… ! Peu importe. Il imaginait aisément que cela devait arranger Ogata d'habiter dans un lieu pareil où personne ne se souciait de vous et de qui vous pouviez ramener le soir venu…
Il fouilla dans sa poche pour y chercher le trousseau de clé que l'homme lui avait confié un peu plus tôt. Donner les clés de son appartement… cela pouvait être la marque d'une certaine confiance… Mais ne se faisait-il pas des illusions ? Après tout, Ogata couchait avec lui selon son humeur alors que lui se montrait toujours disponible, et en plus il venait nourrir les poissons quand Ogata était occupé… Bien pratique en fin de compte…. Et lui ? Que recevait-il en échange ?
Il soupira. En s'attardant un peu dans l'appartement, il avait peut-être une chance de le croiser s'il ne revenait pas trop tard…
Comme il introduisait la clé dans la serrure, il entendit des pas derrière lui. Il se retourna, un peu surpris et se retrouva face à une jeune femme qui semblait encore plus ébahie que lui-même.
« Vous… vous habitez ici ? » balbutia-t-elle.
« Pas vraiment. » répondit-il, se demandant qui elle était.
Une voisine ? Quelqu'un qui connaissait Ogata ?
« Comment ça pas vraiment ? Vous habitez ici oui ou non !? »
« C'est non. Mais… » Il se dépêcha d'enchaîner, de peur qu'elle le prenne pour un voleur. « Je connais la personne qui habite ici. »
« Ah…. Vous êtes un ami de Seiji ? Vous avez l'air bien jeune, pourtant… »
Isumi leva un sourcil, intrigué. Si elle l'appelait 'Seiji', ce n'était pas une simple voisine. Elle devait bien le connaître.
« Je suis joueur professionnel de go, comme lui. »
« Et qu'est-ce que vous venez faire chez lui ? » demanda-t-elle, l'air suspicieux.
« Nourrir les poissons ! »
Tout en parlant, Isumi avait poussé la porte. Comme si elle était familière des lieux, la jeune femme lui embraya le pas et se laissa tomber sur le canapé.
« Noon !?! » fit-elle, l'air amusé. « Il vous laisse approcher de ses sales bestioles ? »
Isumi sourit à cette remarque. Si elle en parlait de cette façon, pas étonnant qu'elle ne bénéficie pas du même privilège ! Mais il ne savait toujours pas qui elle était. Comme il restait planté au milieu du salon et qu'elle allumait une cigarette comme si elle envisageait de rester, il se décida à le lui demander, même si cela paraîtrait peut-être culotté.
« Et vous ? Vous êtes…. ? »
«Sa petite amie. » répondit-elle spontanément.
Isumi ouvrit des yeux stupéfaits et eut un hoquet de surprise.
Il n'avait jamais envisagé qu'Ogata ait une petite amie ! Un mélange de honte et de jalousie l'envahit. Il ne put s'empêcher de la détailler des pieds à la tête comme pour jauger une rivale. Elle était mince, élégante, plutôt jolie avec ses cheveux auburn mi-longs qui tombaient sur ses épaules en une vague souple. Le genre de femme très bien assortie à Ogata…
Il baissa la tête, se sentant comme la maîtresse, la fille de passage que l'épouse légitime trouve dans un placard mais la jeune femme continuait de parler, ne se souciant pas de son trouble.
« S'il me l'avait demandé, je serais venue le faire ! Mais cela fait un bail que je ne l'ai pas vu… Il est trop occupé par son job en ce moment où il voit quelqu'un d'autre ? Dans ce cas, il aurait pu m'avertir ! » dit-elle en lâchant une bouffée de fumée.
Le jeune homme brun ne put s'empêcher d'esquisser un petit sourire. Un point pour lui !
« Ah quelle vie ! Il est si compliqu ! » continua la jeune femme, enroulant nerveusement une mèche de ses cheveux autour de son doigt. « Enfin… Désolée de vous ennuyer avec mes états d'âmes ! »
« Non, ce n'est pas grave. »
« Je ne vous connais même pas et je me retrouve là, à vous raconter tout ça… » Elle écrasa son mégot dans le cendrier et sortit une nouvelle cigarette de son paquet, elle paraissait nerveuse « Mais parce que vous m'écoutez si gentiment… Je suis très bavarde ! Je me confie si rapidement aux gens que parfois… »
« Michiyo ! Arrête d'ennuyer Isumi avec tes histoires ! » gronda une voix masculine.
Le jeune homme et la femme se retournèrent d'un même geste vers la porte contre laquelle était adossé un homme aux cheveux châtain clair vêtu d'un costume clair, un sourire ironique sur les lèvres.
« Il n'est même pas gêné par la situation ! » pensa Isumi en lui adressant un regard noir « On dirait même que ça l'amuse de voir son amant et sa copine dans la même pièce ! »
La jeune femme se leva et se dirigea vers lui.
« Seiji ! Tu aurais pu me passer un coup de fil ! Depuis un mois… »
« Pas eu le temps ! » grommela-t-il en approchant son briquet de l'extrémité de la cigarette qu'il avait entre les lèvres.
« Mais maintenant, tu m'as l'air disponible ! Si nous allions au restaurant… ? »
« Ce soir ? Je suis fatigué. Si tu n'as rien d'autre d'intéressant à me demander, laisse-nous, j'ai à parler à Isumi. »
Alors que la jeune femme se faisait raccompagner à la porte pas forcément très aimablement, Isumi songeait qu'il n'avait finalement pas à se plaindre. Vu comme la jeune femme était traitée, il aurait dû s'estimer combl !
Une fois la porte refermée et sans même lui dire bonjour, Ogata l'entoura de ses bras et commença à l'embrasser dans le cou, le faisant frissonner de plaisir malgré son malaise encore présent.
« Qu'est-ce que tu lui as répondu ? »
« Comment ? »
« Quand elle t'a demandé qui tu étais ? Elle a dû te le demander, la connaissant…»
« Et j'étais censé répondre quoi ? » demanda Isumi, un peu énervé.
Ogata se mit à rire :
« La vérité. Au moins j'en aurais été débarrass ! »
Tout en l'embrassant, Ogata l'avait entraîné vers le canapé. L'homme se pencha sur lui et continua en murmurant :
« Petit Isumi, laisse tomber les filles ! Elles n'apportent que des ennuis ! Crois-moi !»
« J'imagine que cette pauvre fille lui sert de couverture… » songea-t-il. « Et moi ? Qui suis-je pour lui ? »
Il le trouvait soudain cynique, dégoûtant. La façon dont il méprisait ses sentiments… Il avait presque pitié de cette Michiyo. Un jour, peut-être se ferait-il jeter de la même façon…
Mais pour le moment, il devinait qu'Ogata devait être en manque et semblait très pressé de passer aux choses sérieuses… C'était peut-être le meilleur moment pour négocier quelque chose… tant qu'il lui restait un soupçon de lucidité, avant que les insidieuses caresses ne lui fassent perdre le fil de ses pensées…
Avec sa victoire, il se sentait d'excellente humeur. Il n'était pas mécontent non plus de retrouver son petit Isumi en rentrant chez lui.
Il le déshabillait avec toujours le même plaisir, découvrant son corps longiligne aux proportions harmonieuses et à la peau douce et fraîche.
« Ce n'est pas possible d'être si mignon et de ne sembler en avoir aucunement conscience ! » pensa-t-il en embrassant à pleine bouche son épaule. Mais le jeune garçon, s'il se laissait faire, paressait un peu fâché. Peut-être n'avait-il pas apprécié le tête-à-tête avec l'encombrante Michiyo…
Il avait envie de vivre une véritable histoire. Pas une liaison épisodique comme celle entre Ogata et sa 'petite amie' dont Michiyo semblait devoir se satisfaire. Comment pouvait-il garder sa dignité, sa confiance en lui s'il ne servait qu'à satisfaire les pulsions sexuelles d'un homme qui l'ignorait par ailleurs ?
Surtout qu'il avait envie de passer plus de temps avec Seiji Ogata. Non. Pas plus de temps mais partager autre chose. Des sorties, des discussions….
Il avait envie de choses qu'Ogata trouveraient certainement mièvres, des mots doux, des petits cadeaux, un peu de folie, davantage de tendresse… Une vraie relation amoureuse.
« Qu'est-ce qu'il y a ? » demanda soudain son amant en se relevant, voyant certainement qu'il ne participait pas à leurs préliminaires.
« Je ne veux pas n'être qu'un créneau horaire dans ton emploi du temps. » annonça Isumi, soudain plein d'audace.
« Très bien. Que veux-tu ? »
Ogata ouvrait les négociations ? Isumi, agréablement surpris, se mit à réfléchir à ce qu'il lui était possible de proposer sans se voir opposer un refus direct et catégorique. Il imaginait mal l'élégant Ogata l'accompagner au karaoké ou au bowling…. En revanche….
« Je voudrais… si nous… jouions au go ? »
C'était tout ce qu'il avait trouv
Ogata se mit à rire :
« Ha ha ha ! Ca tombe bien, je sais y jouer. C'est d'accord ! Tout de suite ?»
« Oui. »
« Je vais chercher le goban. »
Il posa le plateau de bois à même le sol et s'assit en tailleur derrière. Il se sentait soulagé. Il avait craint ce que le jeune homme pouvait lui demander. Mais c'était vrai que s'il couchait avec lui, il pouvait lui donner quelques conseils. Cela lui paraissait équitable. Ca aurait même été idiot de sa part de coucher avec l'un des meilleurs joueurs de go du japon et de ne même pas lui demander une partie…
Mais aussi mignon que soit Isumi, il n'allait pas le laisser gagner si facilement. Le jeune homme avait déjà pris bien trop de place dans sa vie !
« Commence ! Tu as noir, pas de komi. »
Isumi leva les yeux vers son adversaire qui avait remis ses lunettes. Il fut saisi, ne le reconnaissant quasiment pas. Enfin si… Il essuya ses mains qu'il avait moites sur son jean et avala sa salive difficilement. Il devinait que ce match allait être sérieux. Et il se retrouvait face à Ogata-10 dan.
Merci Mimi ! Tes reviews sont adorables et me font toujours très plaisir ! Ca m'encourage à continuer à écrire plus vite !
