Chapitre 13

Il ruminait depuis un moment, tournant en rond chez lui, ne se décidant pas sur son emploi du temps de la journée. Que faisait-il habituellement les jours où il n'avait pas de matchs prévus et pas d'obligations en tant que professionnel ? Il n'arrivait plus à s'en souvenir. Des choses futiles certainement… Ces dernières semaines, il les avait occupées avec Isumi et c'était la seule chose qu'il ait envie de faire aujourd'hui mais cela ne lui était pas possible.

Il n'avait pas bien dormi. Mal au ventre, l'estomac noué et le petit sans arrêt à l'esprit.

Il avait cru comme un imbécile que d'aimer se décidait et que s'il ne le voulait pas, cela ne lui arriverait pas.

Pourquoi était-il tombé amoureux de lui ? Ce jeune homme, presque un enfant encore, si timide, si calme, si doux, peu sûr de lui…. Ce n'était pas le caractère qu'il recherchait même chez un ami. Etaient-ils fait pour être ensemble ? C'était tellement étrange !

Il secoua la tête et s'épongea le front.

Isumi était comme une drogue. Ses baisers, l'odeur de ses cheveux…. Tout cela allait terriblement lui manquer. Il n'arrivait même pas à s'imaginer sans Isumi sinon sombre et seul.

Ses rires résonnaient encore dans sa tête et il se disait que le jeune homme allait laisser un vide immense dans sa vie.

C'était la première fois qu'il se rendait compte à quel point sa solitude était grande. Cela ne lui avait jamais pesé jusqu'à présent. Il n'avait jamais envisagé une relation durable puisque cela lui paraissait inconciliable avec sa vie privée cachée. Mais il se sentait soudain terrorisé à l'idée de rester toujours seul, seul dans le silence de son grand et froid appartement.

Il avait besoin d'une présence, d'une compagnie, de sa compagnie. Il avait envie de le retrouver le soir et de lui raconter les événements insignifiants de ses journées et de l'entendre parler.

Assis sur le rebord de son lit, il releva les yeux et aperçut son reflet dans le miroir. Un homme qu'il connaissait peu lui faisait face, les épaules courbées, le regard sombre.

Il se sentait soudain si vieux… Il laissait peut-être échapper l'occasion de sa vie. S'il laissait Isumi s'éloigner, il sentait qu'il allait le regretter.

Il lui avait fallu des années pour accepter ses préférences sexuelles hors norme. C'était normal que l'étape suivante, l'idée d'avoir une relation suivie l'effraie un peu.

Lorsque, jeune homme, il s'était rendu compte de ses attirances particulières, il avait eu connu une grande honte toujours présente aujourd'hui. Il avait depuis lors mené une double vie, une vie cachée.

Au début, il se sentait parfois comme un serial killer forcé par une force maléfique d'assouvir ses pulsions honteuses, de satisfaire sa perversion de temps à autre. Il éprouvait du plaisir mais il revenait de ses nuits de débauche avec un grand dégoût de lui-même et de ses partenaires. Il se sentait sale, pouvait rester des heures sous la douche comme pour se purifier.

Puis peu à peu, la culpabilité avait disparu avec l'habitude. Il s'était rendu compte qu'il était moins méprisable que ce qu'il pensait comme il fréquentait certains lieux gays et se rendait compte qu'il était loin d'être le seul, que cela était plus répandu que ce qu'il pensait. Surtout lorsqu'un soir, il avait croisé son facteur…

Mais cela restait malgré tout encore tabou pour lui. Personne de son entourage n'était au courant. Il conservait une certaine honte et se débrouillait toujours pour avoir une petite amie alibi.

Mais avec Isumi, il avait encore moins l'impression que cela était mal. Il n'éprouvait plus le même dégoût de lui-même. Le gamin n'avait pas l'air de se poser autant de question et d'une certaine manière, c'était contagieux. Il se sentait plus en harmonie avec son corps et son désir grâce à lui.

Il se frappa le front. Il avait été idiot de ne pas lui dire qu'il l'aimait aussi quand Isumi le lui avait demand ! Même si le jeune homme se trompait, il aurait pu le retenir quelques semaines, quelques mois… en profiter encore, connaître des semaines de bonheur.

Adorable petit Isumi qui venait se blottir dans ses bras le soir venu et qui connaissait les deux facettes de sa personnalité. Le seul à connaître les deux Ogata. Et il l'aimait quand même….

Idiot ! Idiot ! Il était vraiment stupide ! Il aurait dû lui avouer que ses sentiments étaient réciproques !

Isumi le repousserait certainement maintenant qu'il s'était senti humilié. Peut-être que le jeune homme n'éprouvait plus non plus la même chose à présent… Mais il n'était peut-être pas trop tard.

Mais même à l'idée de lui parler maintenant, il sentait comme un blocage en lui. Pourquoi cela lui était-il impossible ?

C'était la peur qui le paralysait. La peur de se livrer et d'être vulnérable.

*****

La musique assourdissante avait cessé. Le disque était fini et il ne se sentait même pas le courage de se lever pour aller remettre en marche la chaîne. Il avait monté le volume à fond, essayant de s'étourdir, de s'assommer avec ce bruit qui l'empêchait d'entendre ses propres pensées mais les trois pas qui le séparaient de sa chaîne stéréo lui paraissaient représenter un effort surhumain. Il serra plus fort contre lui son oreiller sans parvenir à s'endormir totalement. Juste cette impression d'être K.O mais même pas le sommeil qui lui permettrait de tout oublier.

Il avait déjà dormi toute la journée de la veille et de l'avant veille. Il ne répondait plus au téléphone, se doutant que c'était l'Institut de go qui l'appelait pour savoir pourquoi il avait manqué ses deux derniers matchs.

Le tintement de la sonnette de sa porte le tira de sa léthargie. Il releva la tête, essayant de ne faire aucun bruit pour ne pas que son visiteur puisse déceler une présence, tendant l'oreille pour percevoir les bruits des pas qui s'éloignaient.

Il hésita cependant. Waya était déjà passé la veille et il ne lui avait pas ouvert. Peut-être que ses amis risquaient de s'inquiéter et d'appeler les pompiers pour forcer sa porte, pensant qu'il lui était arrivé quelque chose.

C'était sûrement encore Waya. Il n'aurait qu'à lui dire qu'il était malade et qu'il voulait rester seul. Avec la tête qu'il devait avoir, le jeune garçon n'aurait sans doute pas trop de mal à le croire.

Il se laissa glisser du lit et la vision un peu trouble, avança vers la porte, remettant un peu d'ordre dans ses cheveux. Il était uniquement vêtu d'un caleçon et d'un T-Shirt. Tant pis pour ce que Waya penserait !

Il appuya sur la poignée et se frotta les yeux en se retrouvant face à une silhouette bien plus imposante que celle du jeune Waya. Un costume beige, des cheveux châtain clair…

« Ogata ? Qu'est-ce qu'il vient faire l ? » se demanda Isumi, stupéfait.

« Je peux entrer ? » demanda l'homme.

Isumi hésita. Pourquoi venait-il sans prévenir ? Ca ne lui était jamais arrivé… N'avait-il soudain plus peur de tomber par hasard sur Waya ou un autre de ses amis ?

Et puis un désordre indescriptible régnait dans sa chambre, des habits et des livres jonchant le sol. Il avait honte à l'idée de lui montrer cela.

Ogata remarqua immédiatement l'embarras d'Isumi qui tardait toujours à lui donner une réponse, ne paraissant pas décidé à le laisser rentrer chez lui. Etait-il vraiment fâch ? Ne voulait-il plus le voir ? Ou alors… Il baissa les yeux sur la tenue du garçon. Peut-être qu'il n'était pas tout seul…

Une douleur aiguë sembla transpercer sa poitrine quand cette idée lui vint à l'esprit. Imaginer que quelqu'un d'autre puisse toucher Isumi le mit dans une grande colère.

Il bouscula le jeune homme pour rentrer. Il balaya aussitôt la pièce du regard mais il n'y avait personne. La pièce était mal rangée, certes, mais vide. Il eut un imperceptible soupir de soulagement et se tourna à nouveau vers Isumi, toujours debout, les bras ballants, la tête baissée, sa frange de cheveux sombres masquant ses yeux. Il sentit son cœur fondre en le voyant ainsi et eut envie de le prendre dans ses bras.

« Habille-toi. Allons faire un tour dehors ! » ordonna-t-il.

Isumi resta sans presque aucune réaction, cherchant simplement du regard des vêtements qu'il pourrait passer. Voyant qu'il ne réagissait pas, Ogata ouvrit l'armoire, prit une chemise suspendue sur l'un des cintres. Il ôta son T-Shirt à Isumi qui se contenta de lever les bras pour l'aider et lui passa le vêtement. Il avait du mal à se retenir de le serrer contre lui mais il avait pris la résolution en venant de ne pas céder et de tenter juste de rétablir entre eux une relation raisonnable.

Isumi se décida à ne plus se laisser vêtir comme une poupée et termina lui-même de boutonner sa chemise avant d'enfiler un pantalon.

Il se demandait ce qu'Ogata lui voulait, pourquoi l'homme était venu le trouver. Plusieurs hypothèses lui venaient à l'esprit.

Peu-être l'homme craignait-il que par vengeance, il aille parler à quelqu'un de leur relation… Peut-être était-il en manque côté sexuel et s'était-il rappelé de son existence…. Dans ce cas.. il ne se sentait pas la force de résister et il avait de toute façon plus que tout envie de se retrouver dans les bras de l'homme. Il le méprisait certainement déjà, il n'avait plus rien à défendre. S'il lui sautait au cou, est-ce que l'homme le repousserait ?

Mais vu qu'il lui avait demandé de s'habiller pour sortir, ça ne devait pas être ça non plus.

Le plus probable était encore qu'Ogata se sentait responsable de son état. Seule la mauvaise conscience l'avait amené. Il venait simplement constater qu'il ne s'était pas suicidé durant la nuit et il repartirait ensuite comme si de rien n'était, rassuré.

Sans dire un mot, Ogata ouvrit la porte lorsqu'il fut habillé et ils sortirent dans le même silence. Ils se mirent à marcher côté à côte dans la rue toujours sans échanger une parole, chacun plongé dans ses propres pensées.

Au hasard d'une vitrine, Ogata aperçut leur reflet dans une vitre. Il se surprit à penser qu'ils étaient finalement bien assortis. Il avait même envie de passer son bras autour de la taille du jeune homme pour qu'ils aient l'air d'un vrai couple.

Même ça, simplement se promener ensemble, ils ne l'avaient jamais fait…

Ils marchèrent jusqu'à un petit square qui se trouvait derrière l'immeuble où habitait Isumi et s'assirent sur un banc.

Ogata se décida à briser le silence même si cela lui était dur d'aborder le sujet.

« Alors ? J'ai appris que tu ne venais même plus à tes matchs. Que comptes-tu faire ? Quels sont tes projets d'avenirs ? » demanda-t-il.

Isumi réfléchit. Ogata voulait être rassuré avant de le laisser définitivement et il se décida à lui donner ce qu'il attendait.

« Je vais arrêter. Je vais reprendre mes études. Je vais demander une bourse pour partir étudier à l'étranger. »

Cela paraîtrait sûrement assez raisonnable à l'homme.

Celui-ci rentra davantage la tête dans les épaules et ne répondit rien, baissant les yeux vers le sol.

Il chercha son briquet dans sa poche mais ne le trouva pas. Ses doigts s'étaient mis à trembler.

Isumi allait partir. Il ne le reverrait plus. Il allait le perdre à tout jamais. C'était certain, à l'étranger, loin de lui, il l'oublierait, il rencontrerait quelqu'un d'autre. Il se sentait horrifié par cette perspective. Ce n'était plus comme s'ils continuaient à se croiser, s'ignorant quelques temps avec l'espoir qu'Isumi devienne plus sage et veuille poursuivre leur aventure sans plus rien lui demander en échange.

Il y avait urgence, il devait faire, dire quelque chose !

Une boule douloureuse s'était formée dans sa gorge.

« Ne pars pas !» dit-il, gardant les yeux rivés au sable à ses pieds.

Il se mettait à supplier alors qu'il avait toujours trouvé cela pathétique de la part des autres. On ne pouvait pas mendier l'amour, forcer les autres à vous aimer…

« Je t'en prie… » murmura-t-il.

Mais maintenant, il comprenait. Il aurait tellement donné pour quelques jours de plus, pour glaner quelque chose encore !

« …. »

Isumi le regardait étonné, la bouche ouverte. Le silence s'éternisa jusqu'à ce qu'Ogata tourne la tête vers lui.

« Je t'aime Isumi. Je t'aime, petit.»

Le jeune homme ouvrit de grands yeux. Il ne s'attendait pas à ça ! Il n'osait plus l'espérer. Et non, l'homme paraissait sérieux, il ne se moquait pas de lui.

« Je t'aime moi aussi…. Je veux rester avec toi.» répondit-il la voix un peu tendue.

Il hésita un instant puis, enhardi par la déclaration que l'homme venait de lui faire, se jeta à son cou, l'enlaçant, venant nicher son visage contre son épaule.

Ogata passa son bras autour de sa taille, le serrant plus fort contre lui. Il sourit. Il ressentait la même chose qu'après un match important : l'euphorie de la victoire. Il avait gagné.

Il ne se souciait pas pour le moment d'être dans un lieu public, de pouvoir être vu et jugé, d'être aperçu par quelqu'un qu'ils connaissaient.

Il ne résista même pas lorsque Isumi colla ses lèvres aux siennes, lui donnant de fougueux  baisers.

« Chut ! Chut ! Du calme ! » dit-il en riant lorsque le jeune garçon, tout à son ardeur, le renversa à moitié sur le banc. « Rentrons chez toi ! Allons ailleurs. »

*****

Isumi, assis à cheval sur lui, ne semblait pas se lasser de couvrir son visage de baisers, caressant ses mèches châtain de la main. Il semblait soudain débordant de passion et cela était plutôt agréable.

D'habitude, il n'aimait pas trop que ses partenaires le dominent. Il avait toujours besoin de garder le contrôle de la situation. Mais cela l'amusait plutôt beaucoup de voir le petit prendre l'initiative et s'occuper de lui. Il savait qu'avec Isumi, il lui suffirait d'un geste pour renverser la situation.

Il se décida d'ailleurs à accélérer les choses et commença à déboutonner la chemise du jeune homme. Il eut un sourire de contentement lorsque ses mains écartèrent les pans de tissu pour dévoiler une peau au grain fin, lisse et légèrement dorée.

Il posa ses mains sur la taille du jeune homme et caressa ses flancs avec un plaisir non dissimulé. Il voulut continuer à le déshabiller en lui ôtant son pantalon mais le jeune garçon se redressa.

Il avait traînassé au lit la moitié de la journée, il ne s'était donc pas lavé le matin et ne se sentait pas très propre, surtout en comparaison de l'élégant et toujours soigné Ogata.

« Je vais prendre une douche, avant. »

La perspective de devoir se séparer ne serait-ce que quelques minutes de lui ne l'enchantait guère. Il le voulait tout de suite. Il le retint par la taille.

« Non, pas la peine ! Viens l ! »

Il le fit basculer contre lui et renversa la situation en roulant sur lui, ses mains explorant son torse imberbe, sa bouche prenant possession des lèvres si douces du jeune homme.

Il glissa sa langue entre les lèvres d'Isumi, cherchant la sienne, la trouvant et entamant avec elle un langoureux ballet.

Il se sentait heureux. Le corps d'Isumi contre le sien, le goût sucré de ses baisers, ses mèches sombres et douces contre sa joue…. C'était tout ce qu'il voulait. Son petit, comme avant. Il avait suffit de trois mots…

Cependant, il conservait tout de même une certaine inquiétude. Qu'exigerait Isumi la prochaine fois ? Allait-il lui demander toujours plus ?

« Ce que je t'ai dit aujourd'hui… Ca te rassure peut-être mais ça ne change rien. » l'avertit-il. « Nous devrons toujours rester cachés, faire comme si nous nous connaissions à peine devant les autres. »

Isumi hocha la tête en signe d'assentiment.

« Je m'en fiche, si tu tiens à moi, c'est tout ce qui compte. »

Ogata sourit, rassur :

« Oh oui je tiens à toi ! Je vais te le prouver ! » lui chuchota-t-il en commençant à l'embrasser dans le cou. « Et puis, j'espère que tu vas renoncer à ton idée stupide d'arrêter le go ! Pour faire quoi d'autre, d'abord ? »

Isumi se sentait comme sous l'effet d'un alcool puissant. Tout ce qui lui arrivait, le revirement aussi inattendu qu'inespéré d'Ogata, le rendait euphorique. Mais il avait aussi l'impression que comme après avoir trop bu, toutes ses émotions refoulées jusqu'à présent ressurgissaient.

Des larmes commencèrent à rouler le long de ses joues comme l'homme abordait le sujet qui le déprimait depuis des semaines.

L'homme, surpris par sa réaction, arrêta ses attentions et le dévisagea. Il le prit à nouveau dans ses bras et caressa ses cheveux avec douceur.

« Ne pleure pas ! Ne pleure pas ! »

Mais Isumi avait beau lutter, il n'arrivait pas à enrayer ses larmes. Malgré ses efforts pour se ressaisir, il s'était mis à trembler d'émotion.

« Je voyais bien que tu allais mal… Tu as vécu des moments difficiles, n'est-ce pas ? »

Il hésitait à se confier, à l'ennuyer avec ses histoires mais Ogata était soudain si gentil… Et il se sentait si vulnérable à nouveau tout à coup…

« Je voulais progresser, je voulais des victoires pour gagner ton respect, pour pouvoir parler de go avec toi, en égal, pour me montrer digne de toi… » avoua le jeune homme en reniflant.

Ogata eut un sourire. C'était encore pire que ce qu'il avait imaginé… Le petit était décidément bien épris de lui et il ne pouvait que s'en réjouir.

« Petit crétin ! » murmura-t-il avec tendresse « Tu n'as pas besoin de ça. Si tu crois que je n'ai pas remarqué ton niveau… »

« Tu me bats tout le temps… »

Ogata sourit plus largement encore :

« Dois-je te rappeler que tu es seulement un pro débutant, Shinchiro Isumi ? Tu penses pouvoir battre quelqu'un ayant 10 dan dès les premières confrontations ? Ne sois pas si impatient ! Cela te prendra des années, même si je ne t'ai jamais fait de cadeau jusqu'à présent car tu restes un joueur redoutable. »

Isumi leva vers lui un regard interrogatif et cessa de pleurer.

« Allez ! Sèche tes larmes et rassemble tes affaires. Tu peux venir habiter chez moi quelques jours. » décréta l'homme.

*****

Il avait réussi à éviter Ashiwara plusieurs jours, se sentant un peu gêné de se retrouver face à lui. Il avait toujours en mémoire l'épisode de la soirée chez Sakurano.

Il fuyait d'ordinaire comme la peste ses ex-copines alors pourquoi aurait-il fait une exception avec Ashiwara ? La situation était un peu différente. Il considérait le jeune comme un ami et il trouvait un peu dommage que cela mette une certaine distance entre eux. Même s'il ne regrettait absolument pas ce qui s'était produit. L'expérience avait été intéressante, vraiment excitante. Justement peut-être parce qu'il avait franchi une sorte d''interdit'…

Alors que les portes du métro commençaient à se refermer derrière lui, il aperçut soudain un jeune homme brun qu'il connaissait bien qui courait pour tenter de monter dans la même rame que lui.

Ashiwara parvint à se glisser entre les portes automatiques et se dirigea vers lui, un sourire sur le visage, se frayant un passage parmi la foule.

« Bonjour Saeki-kun ! »

« Bonjour. Tu vas bien ? »

« Oui et toi ? On n'a pas eu l'occasion de se croiser ces derniers jours. »

« Oui, c'est parfois comme ça… »

Ashiwara sembla tout à coup redevenir sérieux et son expression d'ordinaire insouciante se changea en une expression plus grave.

« Est-ce… à cause de ce qu'il s'est pass ? » demanda-t-il, l'air peiné.

« Nooon ! Pas du tout ! » se défendit immédiatement Saeki. Mais devant l'air peu dupe d'Ashiwara, il regretta. Le jeune homme brun s'assit sur l'un des sièges laissé vide et Saeki prit place à côté de lui.

« Tu as raison… j'avoue… »

Ashiwara leva vers lui de grands yeux pleins d'innocence.

« Tu regrettes ? »

« Non, mais cela me met un peu mal à l'aise à présent. » répondit le jeune homme aux cheveux blonds cendrés, évitant de le regarder.

« Il ne faut pas, tu sais. Moi… j'ai beaucoup aimé. Si tu veux, on pourrait même recommencer ? »

Saeki ouvrit de grands yeux, un peu surpris pas la proposition. Mais à présent, il commençait à mieux comprendre les attitudes parfois bizarres d'Ashiwara. Tout devenait clair ! Ce n'était pas par Sakurano qu'Ashiwara était attiré mais bien… par lui !

« D'accord… ok… j'ai pig ! » dit-il en souriant. « Tu avais ça en tête depuis le départ, c'est ça ? »

Ashiwara ne répondit rien mais son silence ressembla à un aveu.

« Désolé de te décevoir, je vais être franc mais ça ne m'intéresse pas. L'autre soir, c'était sympa, c'est vrai. C'était une expérience à faire mais moi, j'aime les femmes. »

« Saeki… Je t'aime depuis le premier jour où je t'ai rencontré. J'ai su immédiatement que tu serais quelqu'un de spécial pour moi… » confessa Ashiwara, le regardant avec des yeux implorants.

Saeki ferma les yeux en basculant la tête vers l'avant.

« Et merde ! » lâcha-t-il.

Il soupira profondément.

« Je suis vraiment désolé, Ashiwara. Je n'avais rien deviné, sinon… »

« Sinon ? »

« Tu es un bon pote mais j'ai pas envie de coucher avec toi. C'est pas pareil qu'avec une femme. Je ne veux vraiment pas te faire de peine mais tu vois… »

« D'accord, j'ai compris. Pas la peine de t'excuser. Je descends ici de toute façon. »

Avant que Saeki ait pu ajouter un mot, le jeune homme brun s'était levé et s'était précipité hors de la rame. Le jeune homme blond regarda les portes se refermer. Le train redémarra.

Il se prit le visage entre les mains.

Il ne savait s'il devait s'amuser du comique de la situation : c'était bien un homme qui venait de lui faire une déclaration d'amour ou simplement être triste pour Ashiwara et culpabiliser.

Si le jeune homme brun avait été une femme, il n'aurait pas hésité mais là… ce n'était pas possible même s'il avait un peu pitié de lui. Il était touché d'être l'objet de son affection.

Il aimait sa compagnie mais n'avait pas vraiment envie de relations plus intimes. Et surtout, n'ayant jamais été attiré par les hommes, il ne s'était jamais posé de question sur ses préférences sexuelles et ne se sentait pas capable d'assumer soudain une relation homosexuelle.

Comment devait-il agir à présent avec Ashiwara ? Pourraient-ils rester amis maintenant qu'il savait que le jeune homme brun était attiré par lui ?

*****

« Que tu perdes ou que tu gagnes, ça n'a pas d'importance pour moi. Essaie de faire de ton mieux et de te faire plaisir en jouant. »

Il essuya ses mains un peu moites sur son jean, se remémorant les paroles d'Ogata pour retrouver confiance. Il ne pouvait pas perdre ce match. Plus pour les mêmes raisons qu'avant… Il ne pouvait pas perdre car il n'avait pas l'intention de faire un tel cadeau à Mashiba.

Il jeta d'ailleurs un regard à son adversaire qui entrait justement dans la salle, un sourire confiant sur le visage.

« Hé hé h ! Une victoire dans la poche, aujourd'hui ! » lança-t-il à Okada qui le saluait.

Il vint s'asseoir en face d'Isumi, le toisant, un sourire ironique aux lèvres.

Isumi soutint son regard et ils se défièrent un moment en silence.

« Ogata-sensei ne sera pas là aujourd'hui pour prendre ta défense et jouer à ta place… » dit Mashiba, moqueur.

« Je n'ai pas besoin de ça pour gagner contre toi. »

Mashiba se renfrogna et eut une moue agacée :

« Tu ferais mieux de ne pas trop fanfaronner, Monsieur Dix-défaites-d'affil ! »

Une sonnerie électronique retentit, annonçant le début des matchs.

*****

Isumi quitta la salle le pas plus léger, infiniment soulagé et heureux. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour triompher de Mashiba. Et plus important encore que cette victoire, il avait eu l'impression de retrouver son go. Il savait que les parties d'hier y étaient pour beaucoup. Il n'avait pu que remarquer qu'Ogata ne jouait pas contre lui comme d'habitude. Du go pédagogique… Mais cela lui avait permis de reprendre confiance.

Il croisa Akira Toya qui semblait se rendre dans la Salle de presse. Il se sentait tellement mieux qu'il ne put s'empêcher de lui faire part de sa victoire.

« J'ai gagn ! » dit-il avec un grand sourire.

Certainement le fils du Meijin s'en moquait, étant lui-même habitué à accumuler les victoires. Peut-être qu'Akira ne savait pas combien gagner aujourd'hui était important pour lui ?

Mais le jeune prodige du go joua en tout cas le jeu et lui adressa un sourire complice.

« Oh mais tu pars demain pour la Corée avec Hikaru ! » se rappela soudain Isumi.

« Oui ! Mon match d'aujourd'hui n'a pas été reporté et j'ai encore mes bagages à préparer. Faire l'aller-retour en moins de 72 heures, ça risque d'être fatigant ! »

« Alors bon voyage ! Montrez à ces prétentieux de coréens que le go japonais est toujours l'un des meilleurs du monde ! »

Akira lui fit un clin d'œil.

« Compte sur moi ! »

*****

Merci à toutes pour vos toujours gentils commentaires ! J'ai l'impression de me répéter mais ça me fait toujours plaisir. Alana, c'est sympa de m'avoir signalé que la mise en page était foireuse, je ne m'en étais pas aperçu et j'ai pu changer^^