« Votre fils Akira n'est pas l ? » constata Mr Yamamoto avec un peu d'étonnement en s'approchant de Koyo Toya.
L'homme sourit :
« Non, excusez-le, il est revenu seulement aujourd'hui d'un voyage en Corée suite à un retard de son avion. Il était épuisé et il a préféré rester chez nous à se reposer. »
« Oui, je comprends. C'est presque encore un enfant, c'est normal qu'il ait besoin de sommeil. » répondit l'industriel avec un sourire bienveillant.
L'homme se retourna soudainement et sembla apercevoir quelqu'un de sa connaissance dans la foule.
« Ah ! Excusez-moi, je vais aller saluer un vieil ami ! » annonça-t-il pour prendre congé du Maître.
Koyo Toya le regarda s'éloigner et balaya la pièce de ses yeux sombres. Il chercha du regard ses deux disciples et ne tarda pas à repérer Ogata accompagné de sa petite amie du moment : une jeune femme aux cheveux auburn. Il localisa Ashiwara un peu plus loin au milieu d'un groupe de jeunes joueurs qui avaient l'air de beaucoup s'amuser mais celui-ci ne paraissait pas partager leur bonne humeur. Contrairement à son habitude, le jeune homme brun avait l'air sombre. Le Meijin en fut un peu surpris et se demanda pourquoi son élève paraissait si absent, fixant sans arrêt la porte comme s'il attendait quelqu'un.
Il fut interrompu dans son observation par un homme chauve assez corpulent qui se dirigeait droit sur lui, un grand sourire sur le visage.
« Toya-san ! Comment allez-vous ? »
« Ichiryu-san ! Ca fait longtemps qu'on ne s'est vu ! »
Comme Ashiwara, Isumi scrutait lui aussi l'entrée. Ou plutôt, il s'efforçait de la fixer pour ne pas être tenté de regarder ailleurs… Que faisait Waya ? Ne lui avait-il pas dit la veille qu'il viendrait ?
Comme il se retrouvait seul et désœuvré, il avait du mal à respecter les 'consignes' et à ne pas jeter un œil de temps à autre sur Ogata. Surtout après la mauvaise surprise qu'il avait eue en arrivant de le trouver en compagnie de Michiyo…
Mais de toute façon, Mashiba n'était pas là et il pouvait ruminer à loisir toute la soirée en les observant, personne ne prêtait attention à lui….
Il avait essayé un peu plus tôt de discuter avec Kadowaki, son camarade de promotion mais il avait sans arrêt l'esprit tourné vers Ogata et la femme aux cheveux auburn et il s'était rendu compte qu'il ne suivait même pas ce que lui racontait son collègue.
Il avait d'abord eu le cœur lourd mais à présent, une sorte de colère le gagnait peu à peu. Il savait fort bien ce qui lui arrivait, la jalousie le dévorait et il perdait peu à peu son calme. Il lui était intolérable de penser que cette femme se trouvait en permanence à côté de lui, qu'elle pouvait prendre son bras, lui parler, le respirer… alors qu'Ogata avait honte d'être avec lui.
Il avait de plus en plus de mal à jouer la comédie et à faire semblant de ne pas le connaître. Ses regards mauvais à l'adresse de la jeune femme se faisaient moins discrets à mesure que se déroulait la soirée.
Il avait même imaginé prendre la jeune femme à part pour tout lui dire. Ca l'aurait soulagé lui mais il savait que cela ferait mal à Michiyo. Ca serait égoïste et méchant. Pourrait-il se regarder dans une glace après ça ? Et peut-être qu'Ogata ne lui pardonnerait pas…
« Shin-chan ?! »
Isumi sursauta en s'entendant interpeller aussi familièrement mais il sourit en reconnaissant Mlle Sakurano, une joueuse professionnelle qui fréquentait depuis très longtemps le même club de go que lui.
« Que fais-tu, comme ça, tout seul ? » demanda la jeune femme en venant s'adosser au mur à côté de lui. «Tu n'as pas amené ta petite amie ? » demanda-t-elle avec un sourire à la fois complice et un peu moqueur.
« N…non… je… » balbutia-t-il.
« Ne t'en fais pas, tu n'as pas à te justifier, je te charrie ! Moi aussi je suis seule ce soir… » dit-elle en soupirant et en rabattant une mèche châtain derrière son oreille. « Je trouve ces soirées vraiment ennuyeuses mais ce sont les obligations du métier ! »
Isumi sourit en guise de réponse et la jeune femme le dévisagea en silence.
Il avait bien grandi, le petit Shinichiro, depuis le temps où il était venu pour la première fois dans leur club ! Elle se rendait à présent compte que même si elle continuait à lui parler comme à une fillette, il était devenu un homme, fort séduisant au demeurant. Peut-être devrait-elle essayer d'en tirer parti ? Ces derniers temps surtout, il semblait beaucoup plus épanoui et n'en était que plus charmant. Sauf justement ce soir où il paraissait avoir retrouvé sa mine de petit chaton blessé….
Elle s'était sentie vexée en début de soirée lorsqu'elle était allée parler à Ashiwara que le jeune homme ne lui prête pas plus d'attention. Ils avaient couché ensemble, tout de même ! Et elle ne pensait pas que le gentil et toujours aimable Ashiwara soit de ces goujats qui profitaient de vos charmes et ne vous connaissaient plus ensuite…
Peut-être perdait-elle de son charme…
Un frisson d'appréhension la parcourut à cette pensée. Peut-être devrait-elle tester son potentiel séduction auprès de Shin-chan ? Mais la connaissant depuis des années, pouvait-il la voir autrement que comme une amie beaucoup plus âgée ?
Elle cherchait un sujet de conversation à lancer lorsque Isumi prit la parole.
« Excusez-moi, je vais prendre un peu l'air. J'ai l'impression d'étouffer ici. »
« Comme tu veux. A plus tard ! »
Sakurano parcourut la pièce du regard, cherchant une connaissance à qui aller parler. Elle constata que beaucoup de jeunes joueurs n'étaient pas venus. Même Akira Toya manquait à l'appel et Koji Saeki n'était pas là non plus… Alors qu'elle s'approchait du buffet dans le but de s'occuper les mains avec un verre d'apéritif, elle remarqua qu'Ogata quittait discrètement la salle.
Isumi entendit des pas précipités derrière lui mais il ne se retourna que lorsqu'une main se posa sur son épaule.
« Où vas-tu ? »
Isumi adressa un regard noir à l'homme qui l'avait rejoint dans le parking, le détaillant des pieds à la tête avec une sorte de mépris.
« Je suis lassé de ta petite comédie avec Michiyo ! Je rentre chez moi ! » dit-il sur un ton sec.
Ogata le dévisagea avec un sourire ironique.
« Oh ! oh ! Tu es jaloux ma parole ! »
Le jeune homme brun détourna le regard, mécontent, mais l'homme lui saisit le menton.
« Tu sais bien que c'est toi que je préfère ! » chuchota-t-il avant de vouloir l'embrasser.
Le jeune homme se dégagea.
« Tu n'as même pas rompu avec elle ! »
« Pour quoi faire ? » demanda Ogata toujours souriant.
« Salaud ! »
Isumi sentit la colère le submerger et voulut frapper l'homme qui semblait beaucoup s'amuser de son comportement. Ogata lui saisit le poignet au vol.
« Tu es aussi inoffensif qu'un moineau ! »
Il essaya de l'embrasser à nouveau mais le garçon se détourna.
« Très bien ! Tu n'as qu'à lui dire toi-même si tu y tiens tant que cela. Tu as mon accord ! »
Les yeux marine du garçon vinrent défier ceux de l'homme.
« Ca t'arrangerait bien, hein ?! Car tu es lâche ! »
L'homme cessa de sourire, un peu blessé par la remarque et ses yeux gris s'assombrirent. C'était vrai. Par manque de courage il ne rompait jamais avec ses conquêtes féminines, attendant qu'elles se lassent d'elle-même de n'être jamais rappelées.
Comme s'il s'attendait à recevoir une gifle pour son insolence, Isumi tourna la tête. Cela peina encore plus Ogata qui le lâcha.
Il se passa la main dans les cheveux dans un geste de nervosité et s'assit sur un des plots.
« Ok ! Qu'est-ce que je dois faire ? Dis-moi ? Tu t'imagines peut-être que si nous étions arrivés ce soir main dans la main tout le monde aurait trouvé cela formidable ? » demanda-t-il sur un ton ironique.
« Non…. » admit Isumi à contrecœur.
« Ce petit jeu ne m'amuse pas plus que toi ! Devoir supporter cette gourde… Tu ne te rends peut-être pas compte. Les gens ne comprendraient pas. »
« Akira a bien compris, lui. » objecta le jeune homme.
« Mais Akira est peut-être plus intelligent que la plupart des gens. Et de toute façon, c'est différent ! Je ne veux pas que tout le monde soit au courant de la vie que je mène ! Ca ne regarde que moi ! »
« Je m'en fiche si on doit rester discret. Mais je ne veux pas que tu t'affiches avec cette fille ! Et je veux que l'on puisse faire des choses ensemble, sortir, se promener… »
Ogata, passablement énervé, passa à nouveau la main dans ses cheveux.
Deux choix s'offraient à lui. Soit il décidait de suivre l'inconscience d'Isumi qui, dans l'euphorie de sa jeunesse, de sa première histoire d'amour ne se rendait certainement pas compte des conséquences soit il imposait une nouvelle fois sa volonté avec le risque de le perdre s'il se montrait trop intransigeant.
Des années passées à ruser… A Isumi, tout semblait facile. A vingt ans, on avait envie de crier son amour au monde entier. C'était normal à son âge… S'il ne lui donnait pas ce qu'il souhaitait, il savait qu'il finirait par le perdre.
Mais comme le temps passait, il était de plus en plus dingue de ce petit ! Celui-ci commençait d'ailleurs à le mener par le bout du nez et cela l'agaçait prodigieusement… Non, ce n'était pas ça. Isumi était toujours d'accord pour tout, suivait ses choix docilement mais pour les décisions importantes, c'était le jeune homme qui imposait sa volonté en dernier lieu.
« D'accord, c'est bon… » céda-t-il en se levant et l'entraînant dans un coin sombre, pressé de retrouver le goût sucré de ses lèvres.
Il ouvrit sa bouche sur celle du jeune homme pour mêler sa salive à la sienne et Isumi accepta son baiser.
Il savait que ce n'était pas raisonnable parce que trop risqué mais son envie prenait une fois de plus le dessus. Alors que sa langue se mêlait à celle du jeune joueur en un délicieux ballet, ses mains glissèrent sur ses fesses qu'il sentait rondes et fermes malgré le tissu.
Isumi, agrippé à son cou se laissait aller, caressant de ses doigts sa nuque. L'homme sentit un agréable frisson le parcourir, n'arrivant à mettre un terme à leur baiser.
Mais une voix aiguë venant de derrière eux le fit réagir et il se sépara rapidement de son amant avant de réarranger sa veste.
« Seiji ? Ah ! Te voil ! » fit Michiyo en apparaissant dans la lumière d'un néon. « Tiens! Isumi-kun! Tu es là aussi ? »
« Bonsoir. » la salua le jeune homme, poli.
Elle s'approcha de l'homme qui arborait un air de 'il ne s'est rien passé' et le saisit par le col de sa veste.
« Toi ! Tu n'es pas gentil de me laisser en plan comme ça sans explication ! Je ne connais personne ici ! Je m'ennuie sans toi ! »
Elle déposa un léger baiser sur ses lèvres et Isumi, grinçant des dents, adressa à l'homme un regard impératif.
Il osait embrasser devant lui cette femme alors que lui avait encore dans la bouche le goût du baiser passionné qu'il venait de lui donner ?
« On rentre ! » annonça Ogata, dissimulant son sourire. « Isumi, je te dépose aussi ? »
Voir le jeune homme se rebeller l'excitait plutôt. Il le trouvait encore plus mignon, la mine renfrognée et le regard noir.
Ils marchèrent jusqu'à la magnifique voiture de sport rouge et Michiyo prit place à côté du conducteur.
« T'as intérêt à lui parler maintenant ! » pensa Isumi, ne manquant pas d'adresser des regards de reproches à l'homme par l'intermédiaire du rétroviseur.
« Il n'y avait presque pas de femmes à cette soirée ! » fit remarquer la jeune femme, toujours très bavarde. « Il n'y a aucune joueuse de go ? »
« Presque pas…. » répondit Ogata, peu disposé à lui donner la réplique.
« Au moins je ne me fais pas de soucis lorsque tu es à tes matchs ! Ce n'est pas comme si tu allais retrouver une jolie blonde ! »
« Ha ha ha ! » fit Ogata, se moquant visiblement d'elle.
Mais Isumi, à l'arrière, semblait beaucoup moins apprécier la plaisanterie et ses regards furibonds firent cesser les ricanements de l'homme.
La voiture stoppa soudain.
« Tu es arrivée, Michiyo. »
« Ah ? On ne passe pas la nuit ensemble ? » demanda-t-elle, surprise.
« Non. »
Elle comprit au ton employé par Ogata qu'il ne servait à rien d'insister et elle ouvrit la portière.
« Alors rappelle-moi bientôt ! »
« Mais oui, mais oui ! »
L'homme redémarra en trombe sans même lui dire au revoir et Isumi se pencha vers lui pour lui parler.
« Tourne à droite ! Je veux rentrer chez moi ! »
« Pas question ! Toi, tu passes la nuit avec moi ! »
« Après ça ? Pas question ! Tu t'es défilé encore une fois ! Tu te moques d'elle comme tu te moques de moi ! »
L'homme ne répondit rien, étonné de voir Isumi autant lui tenir tête. Il aimait avoir toujours raison mais cette résistance inattendue mettait un peu de piment, surtout qu'il savait qu'il pourrait facilement retourner la situation.
« Et si je t'emmène au restaurant avant ? » proposa l'homme avec un sourire déjà victorieux.
« C'est vrai ? » demanda le jeune homme, conquis d'avance. « Tous les deux ? Mais pas un endroit où il n'y a personne, alors ! »
« Il y aura plein de monde, c'est un endroit très bien. Tu es content ? »
« Oui ! » dit le garçon, enthousiaste.
Ogata eut un léger rire et changea de direction.
« Bonne chance pour ton match, Saeki ! » lui lança Waya, le croisant dans le couloir qui menait à la salle des jeux.
« Merci ! Je vais faire de mon mieux ! »
« N'oublie pas que la colère de Morishita-sensei sera terrible si tu perds ! » lui rappela Hikaru, en lui faisant un clin d'œil.
Saeki eut un sourire crispé.
« Je n'oublie pas ! » dit-il, poussant la porte de la salle.
Ashiwara qui arrivait derrière lui et à qui il fut obligé de tenir la porte lui adressa un regard plein de douceur.
« Bonjour Saeki ! »
« Bonjour. »
« C'est un match important pour toi…. »
« Très important. Mais pour toi aussi. » répondit Saeki, un peu sèchement.
« Bonne chance. »
« Bonne chance à toi aussi. »
« H ! »
Il avait quitté la salle sans un mot, la tête basse une fois leur partie finie. L'allure parfaite du perdant….
Ashiwara s'apprêtait à disparaître dans l'ascenseur, filant comme un voleur lorsque Saeki arriva en courant et bloqua la fermeture des portes avec son pied.
Il réussit à monter dans la même cabine et les portes se refermèrent sur eux.
« T'es complètement idiot ou quoi ? » s'écria Saeki.
Le jeune homme brun qui gardait les yeux baissés releva le visage, surpris.
« Hein ? »
« Tu crois que je n'ai rien remarqu ? Tu as fait exprès de me laisser gagner ! »
Le jeune homme s'empourpra.
« Mais non, je… »
« Ne dis pas non ! C'était pas discret ! »
« Pardon… » bredouilla Ashiwara, avec un sourire contrit.
Le jeune homme aux cheveux blonds cendrés s'énerva.
« Tu vas cesser de me regarder avec ces yeux de chien battu ? Pourquoi tu n'as pas essayé de gagner pour toi ?! »
Voir Ashiwara constamment en adoration devant lui le mettait en colère. Pourquoi le jeune homme brun ne pouvait-il se faire une raison et trouver quelqu'un d'autre avec qui il pourrait être heureux ? Qu'avait-il de si spécial à la fin ?
« Saeki… Je t'aime… » répondit Ashiwara, les yeux humides.
C'était la seule explication qu'il avait trouvée. Plus que tout, il voulait le bonheur de celui qu'il aimait et il savait combien cette victoire comptait pour le jeune homme.
« Je sais ! Merde ! »
Ca lui faisait mal qu'il lui rappelle cela. Il voyait bien qu'Ashiwara était triste, que depuis plusieurs semaines il allait mal. C'était son ami et il l'aimait bien. Les yeux du jeune homme brun devinrent plus brillants et Saeki le prit par l'épaule.
« Allez ! Pleure pas ! »
Même s'il ne pouvait rien lui donner en échange, il était touché par sa gentillesse et son amour si candide, innocent. S'il pouvait le réconforter un peu…
Ashiwara leva des yeux implorants vers son ami.
Son beau visage si près… si près… Ses lèvres… Il se damnerait pour un baiser !
Saeki le dévisagea et se pencha soudain vers lui :
« Que cela ne te donne pas de faux espoir ! C'est juste pour que tu n'aies pas fait ça pour rien. Mais ne refais plus jamais ça, compris ? »
Le jeune disciple de Morishita colla ses lèvres aux siennes quelques secondes, le laissant tremblant de frustration.
L'homme partit soudain d'un grand éclat de rire qui résonna dans la salle de repos dans laquelle il se trouvait au quatrième étage de l'Institut de go. Il avait connu une minute de stupéfaction en découvrant la photo de la page 6. Mais maintenant, il exultait. Il ôta ses lunettes pour s'essuyer les yeux et les remit sur son nez pour regarder une nouvelle fois la fameuse image du magazine.
Sur une page entière s'étalait Akira, la tête posée sur les genoux d'Hikaru, sa main refermée sur celle du garçon aux mèches décolorées qui semblait le regarder dormir avec tendresse, son autre main glissée dans les cheveux noirs du jeune Toya.
C'était assez jubilatoire de penser que finalement, Akira était peut-être comme lui. La photo pouvait paraître innocente mais maintenant, il réalisait la raison des interrogations et de la bienveillance du jeune prodige du go concernant Isumi et lui.
Quel trouble cela allait causer à la famille Toya ! Il trouvait cela plutôt amusant et se sentait curieux de découvrir ce qui allait se passer. Depuis des années, son pire cauchemar était que le Meijin apprenne sa double vie. C'était presque une vengeance personnelle que cela arrive maintenant à son propre fils ! Une vengeance pour tous ses tracas passés….
« Qu'est-ce qui vous amuse tant, Ogata-kun ? » demanda une voix chevrotante derrière lui.
Kuwabara se pencha par-dessus son épaule pour voir le magazine et sourit à son tour :
« C'est cette photo ? Adorable, non ? Ils sont si jeunes tous les deux ! Ils ont l'air de deux enfants. Ca aurait fait plus jaser s'il s'était agi de toi et de moi ! Hé hé h ! »
« Je ne peux même pas imaginer que ça aurait pu se produire ! » dit Ogata sèchement en se levant.
Ashiwara entrait justement dans la pièce et il regarda les deux hommes l'air interrogateur.
« Qu'est-ce qu'il se passe ? » demanda-t-il.
En passant près de lui, Ogata lui mit la revue dans les mains.
« Go weekly fait dans le people désormais… »
Toya Meijin replia le journal d'un geste un peu agacé. L'article sur le voyage des Insei et de l'équipe de go japonaise en Corée l'avait quelque peu irrité. Enfin, pas l'article en lui-même mais surtout la photo montrant son fils épuisé en train de dormir, la tête posée sur les genoux de Shindo. Il avait l'air d'une fillette ainsi et il n'aurait pas su expliquer pourquoi mais le geste un peu protecteur du jeune adolescent aux mèches décolorées le froissait un peu.
Akira était fort ! Certes, tout le monde présentait Hikaru comme son rival et lui ne doutait pas que dans un futur proche, ils soient tous les deux au sommet de la hiérarchie du go, s'affrontant pour les plus grands titres mais pour le moment, Akira était bien supérieur à ce petit impertinent. Et il le resterait ! Cette soudaine familiarité ne lui plaisait pas du tout. Comment se permettait-il ?
Il se leva et traversa le couloir d'un pas rapide.
« Où vas-tu ? » lui demanda son épouse.
« Je vais faire un petit tour. J'ai besoin de prendre l'air ! »
« T'es complètement débile ou quoi ? » demanda Waya en tapant sur la tête d'Hikaru au moyen du journal.
« Aïe ! Ca va pas ?! Arrête ! » cria le jeune adolescent aux mèches blondes en se protégeant la tête de ses mains.
« Je vous rappelle que c'est moi qui ai payé le journal. Vous seriez aimables de ne pas trop me l'abîmer. » fit remarquer Isumi calmement, finissant de lire une autre revue.
« Il y a encore quelques jours tu disais que c'était ton rival et là, tu fais ton gentil avec lui ! Ne perds pas ta combativité contre lui ! Il va t'amadouer et t'écraser ensuite pas derrière ! Lui n'aura pas d'états d'âme ! » continua Waya, toujours furieux.
« Tu n'as rien compris, Waya ! » expliqua Hikaru « C'était particulier. On était éreintés et y'avait pas de place pour dormir ! »
« Fallait le laisser crever et dormir sur le sol, ça l'aurait mât ! »
« C'est pas gentil, ça. » signala Isumi, la tête appuyée contre sa main, ne levant même pas les yeux de son article.
Il ne lisait pourtant pas. Depuis qu'il avait vu lui aussi la photo, il réfléchissait, repassant en revue dans sa tête ses souvenirs, trouvant maintenant des explications aux choses qu'il n'avait pas comprises alors. Toutes les questions étranges d'Akira… Se faisait-il des idées ou alors se pouvait-il que le jeune Toya éprouve quelque chose de particulier pour Hikaru Shindo ? Des sentiments de la même nature que lui avait pour Ogata ?
Certes, il n'y avait pas tellement matière à interpréter de la sorte une unique photo prise justement au moment le plus embarrassant et d'ailleurs même Waya y lisait davantage un geste amical…. C'était peut-être son esprit qui lui jouait des tours ou alors peut-être espérait-il qu'il ne soit plus le seul à connaître de telles difficultés… En tout cas, il allait garder les deux adolescents à l'œil désormais !
