Le jeune homme repoussa la porte de l'Institut d'un geste brusque qui reflétait son agacement. D'un pas rapide, il commença à s'éloigner de l'imposant bâtiment, le regard toujours sombre et le visage tellement fermé qu'Ashiwara, qui l'avait croisé dans un des couloirs, n'avait osé l'aborder de peur de sa faire rembarrer peu aimablement.
Même s'il avait réussi à rester concentré sur son match, les ricanements sur son passage ne lui avaient pas échappé et l'avaient considérablement énervé. La faute à cette fameuse photo parue dans Go Weekly… !
Maudit journaliste qui semblait avoir imprimé sur papier ce qu'il gardait caché tout au fond de lui !
Il avait contemplé l'image des heures durant, sondant la lueur de tendresse dans le regard d'Hikaru, se demandant ce qu'elle pouvait signifier, espérant que cette main qui tenait autrefois si mal les pierres revienne se promener dans ses cheveux, regrettant l'esquisse de sourire révélateur sur son propre visage.
Si, d'ordinaire, il arrivait plutôt bien à ignorer les remarques désobligeantes des autres, elles le mettaient aujourd'hui hors de lui. Les autres fois, ce n'était que des jalousies mais à présent, certains semblaient avoir compris le lien invisible si fort et si étrange qui le liait à son rival.
Il serra le poing. Il ne laisserait personne faire intrusion dans leur relation. Qu'avaient-ils tous à se retourner sur eux ? A se poser des questions ?
Il inspira profondément pour se calmer. Pour le moment, il allait prendre un peu de distance. Leurs chemins respectifs les ramèneraient inévitablement l'un vers l'autre comme cela avait toujours été le cas, lorsque les autres ne se soucieraient plus d'eux.
Il sourit, ayant réussi à se rassurer lui-même, comptant mentalement les heures d'éloignement jusqu'à leur prochain match qui, selon lui, serait le dernier test des mauvaises langues. Jusque là, il se concentrerait sur son go et ignorerait Hikaru.
Hikaru continua de courir jusqu'au coin de la rue et s'y arrêta haletant pour regarder de chaque côté de l'intersection. Trop tard ! Akira avait déjà disparu.
De dépit, il donna un coup de pied dans une cannette de soda qui traînait par terre. Une fois de plus - et ça commençait à devenir une habitude - il n'était arrivé à le rattraper. Le jeune homme aux cheveux noirs s'était montré plus malin en sortant par une des portes de derrière, réussissant ainsi à l'éviter.
Hikaru grinça des dents à l'idée qu'il l'avait fait exprès. Akira était mécontent parce que certains affirmaient qu'ils étaient finalement amis ? Il ne voulait absolument pas admettre qu'Hikaru était quelqu'un de spécial pour lui, son rival, son unique rival et non pas un joueur de go comme tous les autres que le jeune Toya ne redoutait même pas particulièrement.
« Il est terrible ! » ragea Hikaru, parlant à voix haute « Je le déteste ! Finalement je le déteste ! Je déteste qu'il me méprise comme ça ! Je déteste son arrogance ! Je déteste sa stupide fiert !»
Au moment où il pensait être arrivé à devenir ce qu'il avait toujours voulu être depuis leur première rencontre, Akira semblait lui échapper à nouveau !
Il souhaitait tellement le connaître mieux, rester avec lui, jouer contre lui ! Akira… Son dieu du go, son idéal, celui qui avec Sai avait bouleversé sa vie banale de collégien… Tout ce qu'il faisait depuis cinq ans était en fonction d'Akira, en pensant à lui.
Il voulait faire face à ses yeux verts si intenses et toucher ses mains qui plaçaient toujours les pierres à la meilleure place. Mais une fois de plus, il semblait que le jeune fils du Meijin ait décidé de le faire courir, réduisant son espoir de le rattraper un jour pour lui faire face en égal, en rival ayant obtenu sa considération.
Hikaru eut un gros soupir et se laissa glisser le long d'une haie pour se retrouver assis sur un petit muret, découragé.
C'était le jour où parfois, il se rendait au salon de go du père d'Akira mais il y avait gros à parier que ce soir, Akira ne s'y trouvera pas. Il préféra errer quelques temps dans les rues, prenant un chemin détourné pour se rendre à la gare, qui devait aussi être la destination d'Akira certainement.
Traînant des pieds, il tourna à droite, longeant des magasins, regardant la plupart du temps le goudron au sol, levant parfois les yeux sur les objets exposés en vitrine. Mais soudain, alors qu'il continuait sa promenade, il aperçut au détour d'une rue une silhouette longiligne vêtue d'un pull bleu marine et aux cheveux coupés juste au-dessus des épaules. Une coupe peu ordinaire qui ne lui était pas inconnue… Son cœur se mit à battre plus vite.
« Akiraaa ! »cria-t-il en se remettant à courir dans sa direction.
Le jeune homme ne parut pas l'entendre et disparut de nouveau. Hikaru accéléra sa course.
« Akira ! Attends ! »
Cette fois-ci, le jeune garçon s'immobilisa et se retourna vers lui, surpris. Le jeune homme aux mèches décolorées manqua de lui rentrer dedans en arrivant en courant. Il peina à reprendre sa respiration.
« Hikaru ? Qu'est-ce que tu me veux ? »
« Te parler ! » répondit Hikaru, haletant toujours.
« Oui ? » demanda Akira, calmement, semblant regarder ailleurs, comme s'il ne lui prêtait pas tellement d'attention.
Hikaru serra les dents, sentant une certaine colère le gagner.
« Tu ne me regardes plus à cause de ce que les autres pourraient dire ? Tu ne veux pas admettre devant d'autres que tu prêtes attention à ce que je peux faire parce que tu me vois comme un rival ? »
Akira ouvrit de grands yeux, un peu surpris par la détermination qu'Hikaru manifestait et il le fixa enfin, plongeant ses troublants yeux verts dans ceux du jeune garçon. Mais au lieu de répondre à sa question, il l'interrogea à son tour.
« Tu me poursuis juste pour me combattre ? »
« Hein ? Que… » bégaya Hikaru, un peu déstabilisé par cette question.
Akira Toya était décidément étrange, parlant souvent par ellipse ! Il n'arriverait jamais à le comprendre !
« Pour quoi d'autre ? » demanda-t-il innocemment.
« Rien. » fit Akira, levant les yeux pour regarder les nuages d'un air distrait mais sérieux.
Le jeune garçon brun se demanda brièvement s'il devait lui rappeler l'épisode de l'anniversaire d'Isumi, la main dans ses cheveux à l'aéroport. Mais comme Hikaru semblait n'avoir même pas compris son sous-entendu, il se disait qu'il avait peut-être interprété les choses y voyant des sens qui n'avaient pas lieu d'être… Certainement le jeune garçon se moquerait de lui s'il devinait à quoi il avait pensé…. Il l'imaginait déjà lui riant au visage et peut-être même qu'il irait raconter cela à Waya et aux autres… C'était prématuré et trop imprudent de lui parler maintenant…. s'il y aurait un jour un moment appropri
Hikaru en profita pour réfléchir à ces paroles comme son jeune vis à vis ne semblait pas vouloir partir tout de suite.
Est-ce qu'Akira attendait une réponse particulière ? Il semblait presque déçu à présent… Les yeux verts avaient cessé de le dévisager pour contempler le ciel d'un air résigné.
Son cœur reprit une cadence folle tandis qu'une idée assez saugrenue lui traversait l'esprit.
Peut-être que ce qu'attendait Akira, c'était un geste de sa part. Mais quel geste ? Quels mots ?
Il ferma les yeux quelques secondes, tremblant par anticipation de son audace mais se décidant à suivre son instinct.
« Akira ? »
Le jeune homme aux cheveux sombres sembla tiré de sa rêverie et se tourna vers lui.
Pourquoi y'avait-il cette flamme inhabituelle dans les yeux d'Hikaru ? Il eut soudain la certitude que quelque chose d'important allait se produire.
Hikaru se rapprochait et Akira, figé, le regardait faire. Dans son esprit se mélangeaient la réalité et ses fantasmes. Il se perdit dans la contemplation des grands yeux du jeune garçon aux cheveux bicolores qui devenaient moins lointains.
Son cerveau semblait ne plus fonctionner qu'au ralenti et la raison, sûrement banale et évidente qu'avait Hikaru d'agir aussi étrangement lui échappait, troublé qu'il était par la proximité de son visage. Si proche du sien… à tel point qu'il aurait presque pu sentir… qu'il sentait même ses lèvres sur les siennes. Le jeune garçon eut un tressaillement au contact bien réel de ces lèvres étrangères, chaudes et légèrement humides contre les siennes. Ca, ce n'était pas issu de son imagination ! Hikaru l'embrassait bel et bien ! Il eut l'impression que son cœur allait s'arrêter sous le choc.
Il ferma les yeux pour savourer cet instant si agréable en se coupant totalement de la réalité. Tout son corps frémissait et il sentit ses jambes mollir alors même que le bref et doux contact cessait.
Hikaru se sentit trembler et une grande chaleur monta jusque dans son visage. Il recula d'un pas, craignant de recevoir une gifle en retour. Il ouvrit les yeux avec appréhension, constatant que les yeux verts le fixaient déjà avec étonnement. Puis l'expression changea sur le visage d'Akira qui devint souriant. Mais ce n'était pas une expression moqueuse.
Ce fut au tour d'Hikaru d'être surpris lorsque le jeune garçon aux cheveux bruns tendit le cou pour effleurer également ses lèvres des siennes et lui rendre ainsi brièvement son baiser.
Ils se regardèrent en souriant, se comprenant enfin, se sentant l'un et l'autre un peu euphorique leur appréhension passée.
Hikaru sentit sa tension interne se relâcher, comblé de voir Akira lui sourire enfin comme lors de leur première rencontre. Il aimait plus que tout cet Akira-là, celui qui aurait pu devenir immédiatement son ami.
Sans avoir besoin d'échanger un mot, ils vinrent se blottir l'un contre l'autre, s'entourant de leurs bras, se pressant contre l'autre. Ils restèrent ainsi sans bouger quelques minutes, sentant la chaleur du corps de l'autre se transmettre, se propager à leur propre corps.
Hikaru sourit, passant la main dans les cheveux noirs du garçon, se disant que si Akira lui accordait ce genre de chose, il était comme il le souhaitait, définitivement quelqu'un de spécial aux yeux si beaux du jeune homme.
L'homme précédait le garçon aux cheveux bruns, portant les deux sacs de course. Il s'effaça cependant pour le laisser lui ouvrir la porte de l'immeuble. Il poursuivit la discussion qu'ils avaient entamée en sortant du magasin, de plus en plus tracassé par les réponses que lui donnait le jeune homme.
« Mais tu ne t'aies jamais senti troublé par un homme ? » demanda Ogata, un peu étonné qu'Isumi ait eu soudain une révélation en acceptant ses avances.
C'était surprenant qu'il ne se soit jamais posé des questions sur ses préférences avant…. C'était peut-être même inquiétant…
« Non, je ne crois pas. Je n'y avais pas songé. » avoua le jeune homme, un peu embarrassé.
« Et si tu devais te trouver quelqu'un maintenant, tu irais vers qui ? Homme ou femme ? »
« Je ne sais pas vraiment…. Mais la question ne se pose pas ! » répondit Isumi, décidé à changer de sujet.
« Hm… » fit l'homme, songeur.
Si Isumi n'avait pas essayé avec une femme, il ne pouvait pas dire s'il préférait l'un ou l'autre. Et peut-être qu'un jour, il serait tenté de faire l'expérience et peut-être même qu'il aimerait davantage… Et s'il ne ressentait pas d'attirance particulière pour la gente masculine, c'était à craindre. Peut-être était-il seulement amoureux de lui parce que c'était la première expérience qu'il ait connue….
Il monta les escaliers en réfléchissant à cela, restant silencieux. Isumi montait derrière lui, se taisant lui aussi, se demandant certainement pourquoi il lui posait soudain toutes ces questions. L'homme ne l'avait jamais interrogé sur sa vie, sur ses amis ou quoi que ce soit de son passé avant… Est-ce que c'était bon signe ? Le signe qu'il s'intéressait soudain à lui ?
L'homme s'immobilisa brusquement et Isumi, perdu dans ses pensées manqua de peu de lui rentrer dedans.
« Attention ! Chut ! »
Ogata ne bougea plus, regardant la forme sombre mais humaine recroquevillée sur le pallier. Etait-ce quelqu'un qui venait voir Isumi ? Ou un rôdeur ? Quelqu'un de leur connaissance qui allait les surprendre ensemble ?
La forme bougea et il crut soudain que son cauchemar prenait forme. Un visage fin, des traits féminins… Une ex-petite amie ?
Un grand sourire illumina le visage de la visiteuse et elle se jeta dans les bras d'Isumi dès qu'elle le vit.
« Shin-chan ! »
Ogata se renfrogna en la voyant se blottir contre son amant et il la fixa d'un air mauvais. Isumi, surpris, recula et la reconnut immédiatement.
« Tamiko ! »
L'homme la détailla plus largement comme elle se trouvait enfin en pleine lumière.
Plutôt jolie, des cheveux coupés assez court, un visage fin…. Son visage lui disait vaguement quelque chose mais… il aurait juré ne pas l'avoir rencontré. Ce qui était en tout cas rassurant, c'est qu'elle semblait beaucoup trop jeune pour être la petite amie d'Isumi… Et puis… ces cheveux sombres et ces yeux noirs, cette mine de petit chat… les mêmes que son petit Isumi ! La ressemblance était trop frappante pour qu'elle ne soit qu'accidentelle ! La génétique devait y être pour quelque chose…
« Qu'est-ce que tu fais l ? » demanda le jeune homme, visiblement surpris.
« Je me suis disputée avec Maman ! Et je suis venue te voir ! » La jeune fille jeta un regard intrigué à Ogata. « Qui c'est ce mec ? »
« Tamiko ! » la gronda Isumi, lui donnant une tape derrière la tête « Ce n'est pas une façon de parler ! »
« Pardon ! » s'excusa-t-elle, faisant une courbette « Je suis Tamiko Isumi. » se présenta-t-elle.
« C'est ta sœur ? »
« Oui, c'est ma plus jeune sœur. » expliqua le jeune homme, se demandant de quelle façon il devait présenter Ogata mais l'homme le fit de lui-même.
« Je suis un collègue. Je vais vous laisser en famille. » dit-il en posant les sacs sur le pallier.
Isumi le retint par le bras, lui adressant un regard suppliant :
« Reste ! Tamiko ne sera pas là longtemps… Il est déjà tard. »
« Non ! » cria la jeune fille « Je ne veux pas rentrer ! Je veux rester chez toi, Shin-chan ! S'il te plait !»
Elle dévisagea son frère avec de grands yeux de chien battu et Isumi sentit qu'il allait céder. Il se retourna vers Ogata avec un regard qui signifiait 'désolé'.
« Maman dit que tu as une petite amie. Elle ne vit pas avec toi ? » demanda la jeune fille, continuant de se goinfrer « Tu me montres une photo ? »
« Euh… » fit Isumi, gêné, se demandant ce qu'il devait répondre « Je n'ai pas de photo. De toute façon, je n'ai même pas de petite amie ! »
Tamiko eut un regard malicieux et se balança de plus belle sur sa chaise, ce qui avait tendance à horripiler Ogata.
« Tu la caches ? Tant pis ! J'aurais bien aimé savoir !»
« Pourquoi tu t'es disputée avec Maman ? »
La jeune fille ne répondit pas, éludant une fois de plus la question qui semblait la déranger.
« Tu as des matchs demain, Shin-chan ? Sinon on pourrait se promener tous les deux… »
Ogata qui restait silencieux, jeta un œil à sa montre. Elle ne comptait tout de même pas s'incruster plusieurs jours ?
Etant plutôt égoïste de nature, il n'avait déjà pas apprécié qu'on vienne lui gâcher sa soirée en tête-à-tête avec Isumi.
Cela aurait été trop beau que le petit soit orphelin ! C'était inévitable que sa famille vienne s'en mêler un jour ou l'autre….
Mais la jeune sœur de son amant s'adressa soudain à lui, le tirant de son mutisme.
« Vous êtes professionnel depuis longtemps, Ogata-san ? »
« Assez oui… » répondit-il, laconiquement, pas décidé à lui donner des détails sur sa vie.
« Shin-chan aurait pu l'être depuis longtemps aussi s'il n'avait pas foiré l'examen tant de fois ! » raconta-t-elle.
« Tamiko ! » Le jeune homme s'empourpra immédiatement, honteux que sa sœur face part des difficultés qu'il avait connues à Ogata qui ne devait sûrement pas être au courant. Ses échecs n'étaient pas bien glorieux… et il n'était pas nécessaire que sa propre sœur évoque sa médiocrité devant l'homme qu'il aimait. Mais la jeune fille, bavarde, poursuivit :
« D'ailleurs personne ne pensait que tu réussirais l'année dernière, Shin-chan ! Papa t'avait même trouvé une place de vendeur chez le fleuriste au coin de la rue. »
Isumi sembla se décomposer à cette évocation tandis qu'Ogata, replaçant sur son nez ses lunettes qu'il venait d'essuyer, riait de bon cœur.
« Ha ha ha ! Ca t'aurait bien all ! »
Yashiro tendit finalement la main vers le combiné téléphonique sur lequel il lorgnait depuis un moment, hésitant encore.
Il aurait voulu éviter par dessus-tout de se retrouver à nouveau confronté à ce Coréen de malheur. Mais s'il réussissait à trouver une excuse bidon pour ne pas se rendre à Tokyo, se serait une sorte de victoire pour Yongha.
Il n'allait pas lui faire le plaisir de se laisser intimid ! Il se rendrait à Tokyo comme convenu et le regarderait droit dans les yeux, sans ciller !
« Kiyoharu ? Tu te sers du téléphone ? » lui cria sa mère, du jardin.
« Oui ! J'ai un coup de fil à passer ! » lui répondit-il en se saisissant du combiné.
Le visage déterminé, il composa le numéro de la gare pour réserver ses billets de train.
Hikaru faisait les cent pas, se sentant de plus en plus nerveux comme le temps passait. Il regarda une nouvelle fois sa montre.
Il n'avait aucune raison de s'inquiéter, il était en avance de dix minutes sur l'heure de rendez-vous qu'ils s'étaient fixés. Mais malgré tout, il ne pouvait s'empêcher de craindre qu'Akira ait changé d'avis, soit revenu à la raison, ait regretté durant la nuit ce qu'il s'était passé la veille et ne vienne pas, le laissant là, à l'attendre, au jardin des plantes.
Mais comme il venait de compter le cinquième bambin qui passait à vélo devant lui, un adolescent aux cheveux brun poussa la porte grillagée et Hikaru, sentant un grand poids s'ôter de son cœur, courut à sa rencontre.
« Akira ! Tu es venu !»
Le jeune garçon aux cheveux sombres lui rendit son sourire et Hikaru lui prit la main pour l'entraîner vers les massifs fleuris.
Pour une fois, il ne savait pas trop quoi dire et il préféra se taire plutôt que de briser la magie du moment en racontant des banalités du style : « Il fait beau, hein ? »
Ils avaient l'après-midi devant eux, enfin seuls tous les deux.
Akira, admiratif, compta cinq rebonds à la pierre d'Hikaru. Le jeune homme aux mèches décolorées, assez fier de lui, ricana en se grattant la tête.
« Tu n'y arrives pas car tu ne tiens pas ta pierre correctement. » expliqua Shindo, se rapprochant de son rival.
« Ah bon ? Comment je dois la tenir ? »
« C'est pas une pierre de go ! Attends, je vais te montrer comment il faut faire ! »
L'adolescent aux mèches blondes se plaça derrière lui et lui saisit le poignet, guidant son mouvement.
« Tu dois faire comme ça… voilà…. Et maintenant… comme ça. Essaie ! »
Le bras d'Hikaru accompagna son geste et la pierre vint pour la première fois ricocher sur la surface brillante de la petite étendue d'eau. Akira compta à voix haute les rebonds et eut un léger rire lorsqu'il arriva à quatre.
« Super ! » rit Hikaru à son tour « Tu vois ? »
Il passa son bras autour de la taille d'Akira toujours contre lui et écartant ses mèches sombres, déposa un léger baiser dans son cou.
Akira sourit.
« On continue ?»
« Je crois qu'on a presque tout vu… »
Une vieille femme occupée à donner du pain aux oiseaux, regardait depuis un moment les deux adolescents avec un sourire bienveillant. Elle leur adressa un sourire lorsqu'ils prirent place sur un banc à côté du sien.
« Vous êtes patient avec la jolie demoiselle ! » dit-elle en s'adressant à Hikaru.
Akira, comprenant qu'elle parlait de lui, devint immédiatement aussi rouge qu'une tomate.
« C'est pas une fille, c'est un mec ! » la corrigea Hikaru, un peu mécontent lui aussi.
La grand-mère fouilla fébrilement dans son sac pour en extraire ses lunettes afin de détailler Akira. Et comme elle semblait se décomposer, la mâchoire tombant, les yeux exorbités, en se rendant compte que le jeune couple d'amoureux était composé de deux garçons, il eut soudain peur qu'elle fasse un arrêt cardiaque mais Hikaru, éclatant de rire en voyant son expression le tira par le bras et se mettant à courir, l'entraîna avec lui.
« C'était une belle journée, non ? » demanda Hikaru en se laissant tomber sur son lit.
Akira, un peu intimidé, regardait tout autour de lui cette chambre jusqu'alors inconnue de lui et si différente de la sienne. Des étagères pleines de mangas, une télévision, des consoles de jeux et même un réfrigérateur…. La sienne qui ne comportait qu'un futon et un bureau paraissait presque vide en comparaison. S'il n'avait pas possédé un ordinateur, on n'aurait pas pensé qu'ils vivaient dans le même siècle.
« Assieds-toi ! » proposa Hikaru, s'allongeant. « Je suis crev ! »
Akira s'assit sur le rebord du lit et demanda :
« Tu n'as pas de goban dans ta chambre ? »
« Si, regarde ! L ! Sous le bureau ! »
Le jeune homme aux cheveux bruns, curieux de tout ce qui avait trait au go, se leva et se penchant, tira le vieux goban à lui.
« Il paraît très ancien… » constata-t-il.
« Ouais, c'est mon Grand-père qui avait ça dans son grenier…. »
Akira fixa l'objet avec attention puis sembla quelque peu interloqué.
« On dirait… » murmura-t-il en fixant l'un des coins.
« Quoi ? » s'écria Hikaru, se redressant.
Ce goban, c'était celui où l'esprit de Sai était resté enfermé, des siècles durant… Se pouvait-il qu'Akira puisse apercevoir lui aussi les traces, presque invisibles à présent, de sang ?
« Non… rien… » répondit le garçon brun, se relevant et venant se rasseoir sur le lit près d'Hikaru.
Celui-ci soupira, ne pouvant déterminer s'il se sentait soulagé ou bien déçu qu'Akira ne partage pas son secret. Penser à Sai le rendait toujours triste et il sentit l'insidieuse douleur de son absence lui serrer le cœur. Mais il avait Akira près de lui…. Et sans qu'il le sache, le jeune Toya était un autre lien avec Sai… Tant qu'il pourrait jouer contre Akira, tant que ce dernier et les autres continueraient à poursuivre le fantôme du mystérieux joueur d'Internet, Sai vivrait toujours…
« Ca ne va pas ? » demanda Akira, le dévisageant.
Hikaru sursauta légèrement, tiré de ses pensées.
« Non, ce n'est rien… » répondit-il avant de sourire, se rendant compte qu'il venait de donner à Akira la même réponse que ce dernier lui avait fait quelques minutes auparavant. Ils n'étaient apparemment pas encore prêts à tout se dire…
Le jeune homme aux mèches décolorées le saisit par la taille, le déséquilibrant, le faisant tomber sur le lit à côté de lui. Il se tourna sur le côté et s'appuya sur son avant-bras pour le contempler, caressant du regard son visage si fin, aux traits si délicats qu'avec son étrange coiffure, il n'était pas étonnant que la vieille femme l'ait pris pour une fille…
Il tendit la main pour effleurer légèrement sa joue et Akira ne baissa pas les yeux, son intense regard vert toujours rivé sur lui.
« Akira… » murmura tendrement l'adolescent aux cheveux bicolores.
« Tes parents ne sont pas l ? » questionna l'adolescent brun, toujours très sérieux.
« Non. Je ne sais pas quand ils vont rentrer… Peu importe…. »
Akira sourit en guise de réponse. Il était si près d'Hikaru, étendu auprès de lui, dans son lit… La scène ressemblait un peu à celle qu'il avait entrevu chez Ogata et à laquelle il ne cessait de penser depuis lors. Il se redressa légèrement et s'approchant encore plus d'Hikaru, vint poser sa tête sur sa poitrine. L'adolescent aux mèches blondes referma ses bras sur lui, le pressant contre son torse.
Akira ferma les yeux, savourant cet instant tant attendu, tant espéré. Il pouvait sentir le corps d'Hikaru contre le sien, respirer son parfum, entendre son souffle… Tout connaître de lui comme il le souhaitait, être plus près encore…
Le T-shirt de l'adolescent et sa propre chemise faisaient un rempart entre eux et Hikaru sembla s'en agacer aussi. Avec lenteur afin de ne pas brusquer son ami, il déboutonna sa chemise et l'ouvrit partiellement, dévoilant un corps fin et imberbe. Ils posa ses mains sur sa taille et remonta le long de ses flancs, les caressant.
Akira sentait son cœur résonner dans tout son être et le sang battre dans ses tempes, l'assourdissant.
Il voulait lui aussi toucher Hikaru de la même façon et il releva son T-Shirt, effleurant au passage sa peau dorée mise à nu. Il posa sa main sur le cœur de l'adolescent pour savoir si celui-ci se trouvait dans le même état d'excitation que lui. Il perçut des battements rapides sous ses doigts et sentit que peu à peu, leurs deux organes semblaient se synchroniser, prenant un rythme semblable.
Hikaru sembla avoir la même idée que lui car il plaça sa main sur son cœur avant de se pencher sur lui pour l'embrasser, posant à peine ses lèvres sur les siennes.
Son sang se mit à bouillonner dans ses veines tandis que la pièce prenait quelques degrés et même le corps d'Hikaru qui pesait sur le sien, lui paraissait brûlant.
Ses mains s'aventurèrent dans le dos du garçon, en explorant les reliefs, se familiarisant avec cet autre corps d'homme.
Le baiser du jeune homme aux mèches blondes se fit plus appuyé et il le pressa lui-même plus fortement contre lui, son corps semblant appeler le sien.
Les mains du garçon qui passaient sur ses hanches le firent frémir et la chaleur se concentra dans son bas-ventre dans une étrange sensation à la fois torturante et agréable.
Hikaru dénuda totalement une de ses épaules et en embrassa l'arrondi.
Son esprit devenait plus confus comme le garçon explorait son corps, passant les doigts sur son ventre, caressant ses reins. Il avait envie qu'il descende plus bas mais il n'osa lui demander.
Il ferma les yeux, rejetant la tête en arrière, ne percevant plus que la respiration du garçon et les battements de son propre cœur.
« Hika… QUE… ?!? »
Le cri puis la sensation de froid lorsque Hikaru se détacha de lui pour se redresser lui firent ouvrir les yeux.
« Maman ! »
Akira battit plusieurs fois des paupières, constatant la présence dans l'encadrement de la porte d'une femme aux cheveux châtains noués en un chignon qui les regardait avec un air éberlué.
La mère d'Hikaru, apparemment… Il se redressa à toute vitesse dans le lit et son excellente éducation reprit le dessus malgré sa tenue et l'embarras de la situation et il salua poliment la nouvelle arrivante, inclinant légèrement la tête :
« Bonjour, Madame ! »
La femme resta figée de stupéfaction et ne répondit pas à son salut. Elle semblait se demander comment réagir, pas totalement certaine d'avoir saisi la situation.
Après quelques secondes, son visage redevint grave.
« Qui est-ce ? » demanda-t-elle à son fils, désignant Akira.
Celui-ci eut un haussement d'épaule, un peu mécontent que sa mère les ait surpris ainsi. Il allait avoir droit à une leçon de morale, ce soir, lorsque son père rentrerait, il en était certain ! Mais le plus embêtant était qu'Akira soit impliqué. Un garçon si bien élevé et si sérieux, sa mère l'aurait certainement adoré en d'autres circonstances. Mais désormais…
« Un ami… » répondit Hikaru, pas désireux de fournir plus d'explications.
« Je suis Akira Toya. » se présenta spontanément le garçon.
Hikaru fut soulagé en constatant que l'évocation de ce nom ne provoquait aucune réaction chez sa mère.
« Je crois que je devrais appeler tes parents pour les mettre au courant de la situation ! »
« Non ! » s'écria Hikaru tandis qu'Akira roulait des yeux affolés. « Maman ! Tu ne vas pas faire ça ! » s'opposa le jeune garçon.
« Je ne sais pas ce que ton père en dira, Hikaru, mais il ne sera pas content ! Quel est ton numéro de téléphone ?» demanda-t-elle en se tournant vers un Akira livide.
Le jeune homme, obéissant, s'apprêtait à répondre malgré l'appréhension qu'il avait de la réaction de ses parents et notamment de son père mais Hikaru l'interrompit :
« Il n'a pas de parents ! Il est orphelin ! »
« Ah bon ? » demanda la mère, surprise « Mais il y a bien quelqu'un qui s'occupe de lui ? Il est encore jeune ! »
« Oui mais son tuteur est très strict, très méchant ! Il le battra si tu l'appelles ! »
« Ah… » La femme sembla se radoucir et regarda Akira avec compassion, pensant que le comportement étrange du jeune homme trouvait certainement dans cette vie difficile toute son explication.
« Tu ne peux pas faire ça ! » continua Hikaru, insistant.
« Bon… Je ne dirai rien, alors, mais Hikaru, tu auras tout de même une petite conversation avec ton père ! Rhabillez-vous et raccompagne-le à l'arrêt de bus ou à la gare ! »
Hikaru la regarda sortir et sourit à son rival :
« Hé hé h ! » ricana le jeune garçon aux mèches décolorées, fier de lui.
« Tu fais un très bon menteur ! » lui fit remarquer Akira avec un air suspicieux.
Hikaru soupira :
« T'es jamais content ! Tu devrais plutôt me remercier ! »
Une fois de plus, ce fut Tamiko qui se précipita pour lui ouvrir quand il pressa sur la sonnette de la porte d'entrer.
« Ah. » fit-elle un peu déçue en lui ouvrant tout de même et le laissant entrer. « Encore vous… »
« T'occupe ! Ce n'est pas toi que je viens voir mais ton frère. » dit-il en se laissant tomber sur une chaise comme s'il était chez lui. « Où est-il ? »
« Dans la salle de bain. Qu'est-ce que vous venez faire, Ogata-san ? » demanda-t-elle.
« Jouer au go. Mais toi, ça ne t'intéresse pas, hein ? Qu'est-ce que tu vas faire ce soir ? »
« Ben rien ! »
« Tu ne vas pas rester là, non ? » insista-t-il, la fixant de ses intimidants yeux gris.
« Ben si, j'ai rien prévu de spécial ! » dit-elle, souriant à pleines dents, pas mécontente de le contrarier par sa présence.
L'homme tira son portefeuille de la poche de sa veste et lui tendit deux billets.
« Ca te fera du bien de prendre l'air. Et si tu allais au bowling avec tes amis ? Je te le paie.»
La jeune fille eut une moue indécise :
« L'entrée est trop chère pour mes amis. Il fait toujours super chaud là dedans et comme on ne peut pas emmener de bouteille… »
Ogata lui donna deux nouveaux billets mais ses yeux gris se firent plus dur.
« Dépêche-toi de filer ! Je ne veux plus voir ton visage de petite profiteuse de la soirée ! »
La jeune fille eut un grand sourire, attrapa sa veste et rangea l'argent dans la poche intérieure avant de sortir.
