Ogata laissa négligemment tomber sa veste sur le canapé et se dirigea vers son aquarium où une forme jaune flottant à la surface avait tout de suite attirée son attention.
« Tamiko ! Je t'avais interdit de toucher à mes poissons ! » gronda-t-il en repêchant avec un geste agacé un de ses petits chéris plus bien vaillant.
Isumi qui venait d'entrer à sa suite adressa un regard noir à sa sœur, occupée à pianoter sur l'ordinateur de l'homme. Lui aussi s'était attaché à ces petits animaux de compagnies à nageoires et n'aimait pas lorsque l'un d'eux disparaissait.
« Vous me devez 800 yens ! » signala la jeune fille à l'homme sans lever les yeux de son écran.
« Hein ? Et pour quelle raison ? »
« Mon salaire de la journée pour avoir joué les standardistes ! »
« Tu as répondu au téléphone !?! » demanda Ogata mécontent et vaguement inquiet. « Qui a appel ? »
« Tamiko ! » se fâcha Isumi « Tu n'as pas honte de réclamer de l'argent pour ça ? »
« Pourquoi tu prends toujours son parti, Shin-chan ?! » s'énerva l'adolescente « En plus c'est ses fiancées qui ont appel ! »
« Ses fiancées ? » répéta Isumi, interloqué car il ne connaissait jusqu'alors que Michiyo.
« Mes fiancées ? » insista Ogata, surpris lui aussi.
« Oui ! Y'a eu deux dames ! Et elles n'étaient même pas au courant pour Shin-chan ! Pourquoi tu restes avec lui ? »
« Tu leur as parlé de ton frère ? Qu'est-ce que tu as dit ! » cria Ogata.
Même Isumi avait pali, de peur que sa sœur ait touché à ce qu'il y avait de plus précieux pour son amant : le secret de leur liaison. Lui aussi attendait avec crainte les explications de Tamiko, redoutant qu'Ogata veuille la noyer dans son aquarium si elle avait laissé échapper une indiscrétion.
La jeune fille eut un sourire provocateur, devinant que ce qu'elle était sur le point de dire allait être important.
« La première, je ne me souviens plus de son nom mais elle a dit qu'elle était votre petite amie ! Et elle a eu l'air d'être en rogne quand je lui ai dit pour Shin-chan et vous. Elle a dit que vous auriez de ses nouvelles ! »
« Michiyo ! » devina Ogata en souriant, assez réjoui en imaginant la scène et un peu soulagé.
« La deuxième était très gentille et ça l'a plutôt amusée…. »
« Quelle deuxième ? » demanda Ogata, redevenant soucieux.
« La deuxième dame qui a appel ! »
« A qui as-tu parl ? Son nom ! » exigea l'homme, s'énervant à nouveau.
«Je ne me souviens plus ! Elle était sympa et on a pas mal discut ! Elle m'a dit un truc pour vous demain soir, une soirée ! »
« Demain soir… ? » s'interrogea Ogata, cherchant ce qu'il avait de spécial de prévu mais il ne trouva pas.
« Tamiko ! Tu n'as pas à raconter ta vie comme ça aux gens ! » la sermonna son frère « Essaie au moins de te souvenir à qui tu as parl ! »
« Je veux bien faire un effort… mais…. C'était un nom comme Tuya, Tayo… Je ne sais plus, moi ! »
« Akiko Toya ! » devina Ogata, ouvrant des yeux effarés.
« Oui c'est ça ! Toya ! » s'exclama la jeune fille.
« Tu as dit à Akiko Toya que je vivais avec ton frère ?! » l'interrogea Ogata, ne pouvant y croire.
« Ben oui. Pourquoi ? » demanda la jeune fille, faussement innocente.
« Pourquoi ? Pourquoi ? On ne plaisante plus, Tamiko ! Tu veux ma main dans la figure ?! » cria l'homme, se mettant dans une colère noire.
« Aïïïe ! »
Tamiko ne put esquisser un geste qu'une poigne solide lui saisissait le poignet, le lui tordant. Elle cria de douleur.
Isumi assistait à la scène consterné, se demandant s'il devait intervenir pour protéger sa sœur dont les jours semblaient désormais être en danger. En même temps, il comprenait qu'étant indirectement responsable de la venue de Tamiko dans la vie d'Ogata, ce dernier allait lui en tenir rigueur.
« Arrête ! » dit-il en s'interposant finalement lorsque l'adolescente se mit à pleurer.
« Sors ! Sortez tous les deux ! Je ne veux plus vous voir ! » hurla l'homme hors de lui, leur montrant la direction de la porte.
« Tu es fâché contre moi, Shin-chan ? » demanda timidement la jeune fille comme son frère restait silencieux en marchant à côté d'elle.
« Bien sûr ! Tu es allée trop loin ! Tu n'aurais pas dû faire ça ! »
« Je l'aime pas, moi, ce type ! Il est pas marrant !»
« Je ne t'ai pas demandé ton avis ! C'est ma vie ! Et moi je l'aime...»
« Tu es triste ? »
Isumi ne répondit pas et regarda le bout de ses chaussures, songeur.
Bien sûr, il y avait fort à parier qu'Ogata l'avait mis dehors sous le coup de la colère mais changerait-il d'avis par la suite ? Accepterait-il de le revoir ?
Il savait que pour l'homme, rien ne pouvait être pire que d'avoir mis Toya-sensei ou sa famille au courant. C'était quasiment un crime de lèse-majesté et il ne lui pardonnerait pas si facilement.
Juste au moment où tout commençait à bien aller… Il décida cependant de rester optimiste. Il fallait juste un peu de temps à l'homme pour digérer l'incident.
La jeune fille jeta un œil à son frère et se sentit peinée de lui voir un air si triste :
« Je suis désolée, Shin-chan… Tu devrais aller lui parler, lui dire que c'est de ma faute et pas de la tienne… »
« Hey ! Hikaru ! Hikaru ! »
Le jeune garçon aux mèches décolorées s'arrêta de marcher pour attendre que la jeune fille qui courait en criant son nom n'arrive à sa hauteur.
« Salut Akari ! »
Sa jeune voisine eut un sourire malicieux :
« Salut ! Il paraît que tu as encore fait des tiennes ! »
« Quoi ? » demanda Hikaru, surpris.
« J'ai entendu ta mère parler à la mienne. Elle était inquiète à propos de ton… euh… 'petit ami'… »
Hikaru s'arrêta de marcher pour la dévisager.
« T'es au courant ? »
Akari eut un sourire réjoui :
« Alors c'est vrai ? Ta mère t'a surpris en train d'embrasser un autre garçon ? C'est qui ? C'est qui ? Dis-moi qui c'est ! » demanda-t-elle toute excitée.
« Non. Pas question ! »
«Je m'en fiche, je finirai bien par le savoir ! C'est pas quelqu'un qu'elle connaissait en tout cas…. Hm… Moi je le connais ? »
«… »
« Ca fait comment d'embrasser un autre garçon, c'est comme pour une fille ? »
« T'as jamais embrassé un mec ? Alors essaie ! » répliqua Hikaru sèchement.
« Je crois que j'ai trouv ! » continua Akari, nullement découragé par la remarque désobligeante de son voisin. « C'est Akira ! »
« … »
« C'est bien lui ? Noooooon !? Tu as embrassé Akira Toya ? Et il s'est laissé faire ? »
« Et alors ? » demanda Hikaru de mauvaise humeur.
« C'est vrai qu'il se comportait bizarrement avec toi, je me souviens…. Alors tu vas devenir homosexuel ? »
« Qu'est-ce que tu dis ? »
Hikaru ouvrit de grands yeux et fit volte face. Akari s'arrêta de jacasser quelques secondes en voyant son expression :
« Ben oui, c'est comme ça que ça s'appelle quand deux garçons sortent ensemble ! Tu vas continuer à le voir ? »
« Bien sûr ! Mais Akira et moi, c'est différent ! » dit-il en prenant un air supérieur.
« Comment ça, différent ? »
« C'est différent, c'est tout ! » trancha le jeune garçon en accélérant le pas.
Il essaya de stopper les tremblements de rage et de peur mêlées qui continuaient à l'agiter. Il saisit une tasse qui était restée sur la table et la lança sur le carrelage où elle se brisa avec fracas. Cela le soulagea à peine.
Cette petite écervelée ne se rendait même pas compte qu'elle venait de réduire quinze ans d'efforts et de ruses à néant !
Akiko Toya avait dû déjà tout raconter à son mari…. Comment réagirait le Meijin en apprenant cela ?
« Aïe ! »
En voulant ramasser les éclats de porcelaine, il s'entailla un doigt. Il se rendit dans sa salle de bain et passa sa main blessée sous l'eau glacée.
Depuis un moment, Ogata se demandait quelle excuse trouver pour ne pas aller à la session d'étude du lendemain, ne se sentant pas d'affronter le nouveau regard que son professeur porterait sur lui.
Il avait l'impression de se trouver en plein cauchemar. Et comme cela ne suffisait pas, un mal de crâne tenace l'empêchait de faire autre chose que de ruminer.
Après avoir bandée sa main puis déambulé de longues minutes dans son salon, il se laissa tomber sur le canapé, se prenant la tête entre les mains. La sonnette de l'entrée retentit et il se releva pour aller ouvrir.
Il poussa la porte, laissant apparaître un jeune garçon brun qui s'inclina immédiatement pour lui présenter ses excuses :
« Pardon ! Pardon ! Je suis tellement désol ! »
Ogata, un peu amusé et pas mécontent de voir qu'il s'agissait d'Isumi, se détendit légèrement et sourit :
« Entre. Ce n'est pas à toi que j'en veux. »
« Je sais que ça ne suffit pas mais Tamiko est réellement désolée ! »
« Où est-elle ? » demanda Ogata, soulagé qu'Isumi ne l'ait pas amené avec lui.
« Chez moi. Elle m'a promis de rester sage. »
« Très bien. Nous avons un peu de temps pour nous, alors… Tu sais comment la faire pardonner ? » fit l'homme avec un sourire ironique, passant son bras autour de la taille du jeune homme pour l'attirer à lui.
Isumi se sentit à la fois rassuré et heureux qu'Ogata passe l'éponge si facilement même s'il se doutait qu'il ne faudrait plus parler de Tamiko devant lui. Au fond de lui, il avait tant craint de le perdre ! Il tendit ses lèvres à l'homme qui déjà s'attaquait à ses vêtements, visiblement pressé de rattraper le temps perdu ces dernières semaines.
Ogata eut l'impression que son mal de tête se dissipait quelque peu comme il déshabillait Isumi. S'il devait affronter Toya-sensei, autant en avoir bien profiter, que ça vaille son mépris !
La jeune femme tourna la clé dans la serrure avant descendre les escaliers rapidement.
Elle s'était finalement décidée à aller tirer les choses au clair après plusieurs heures d'atermoiements et d'interrogations qui lui donnaient la migraine.
Certes, à chaque fois qu'elle avait vu Seiji Ogata ces dernières semaines, il était avec ce jeune Isumi. Mais plus elle y réfléchissait, plus elle se trouvait stupide d'avoir cru un instant ce que cette petite sotte lui avait dit au téléphone. Ogata qui aimerait les hommes ? Ca lui paraissait peu crédible. Ca ressemblait trop à une grosse farce.
Le mieux était qu'elle aille en parler avec l'intéressé en personne ! Elle en profiterait pour lui faire des remarques sur sa conduite. C'était parce qu'il la négligeait depuis des semaines qu'elle avait finit par croire ces sornettes.
Elle monta dans sa voiture et prit la direction de l'appartement de son petit ami.
Toute son assurance s'envola lorsqu'un Ogata torse-nu vint lui ouvrir la porte.
Elle ne le connaissait pas si bien que cela, semblait-il, mais elle savait cependant qu'il n'était pas le genre d'homme à traîner chez lui à moitié habillé. Mais peut-être sortait-il simplement de la douche…. Elle ne put empêcher que ses craintes absurdes lui viennent à nouveau l'esprit.
« Il est là aussi ? » demanda-t-elle aussitôt, paniquée, forçant le passage.
Ogata se contenta de sourire ironiquement et la suivit avec calme lorsqu'elle prit le chemin de la chambre d'un pas décidé, sans attendre de réponse.
Au fond d'elle-même, elle savait déjà ce qu'elle allait y trouver mais elle dût se mordre les lèvres pour ne pas crier en découvrant un jeune homme complètement nu endormi dans le lit.
Une boule douloureuse se forma dans sa gorge et elle resta sans voix, refoulant ses larmes et la violence de sa colère, ne pouvant encore croire que ce soit réel.
« Tu es contente ? Tu as vu ce que tu voulais voir ? » demanda l'homme très calme sur un ton un peu moqueur.
Elle ne répondit pas, clouée sur place, ne pouvant détacher ses yeux de ce garçon qui dormait toujours paisiblement, ne se doutant même pas du drame qu'il venait de provoquer.
Pleins de sentiments contradictoires luttaient en elle : la tristesse, la colère et surtout, la jalousie.
Elle l'avait trouvé presque insignifiant les fois où elle l'avait croisé. Elle ne lui avait pas prêté tant d'attention mais maintenant qu'elle le voyait différemment, comme un rival, elle ne put s'empêcher de le détailler.
Allongé sur le ventre, le corps fin, les membres longs et déliés, la taille marquée, des fesses rondes soulignées par le reflet qu'y laissait la lampe, la peau brillante presque nacrée, une frange de cheveux sombres cachant partiellement son visage laissant seulement apparaître une joue encore un peu arrondie comme celle d'un enfant, il semblait irradier comme si toute la lumière de la pièce s'était mise à se diriger vers cette créature somnolente.
Un mélange de candeur et de quelque chose d'infiniment sensuel se dégageait de lui. Le contraste de son visage d'enfant aux traits doux et la pose presque provocante qu'il avait pris sans sûrement le vouloir dans son sommeil. Erotique et innocent à la fois…
« Petit allumeur ! » siffla-t-elle.
« Tu ne le trouves pas magnifique, toi aussi ? » demanda l'homme, moqueur.
Elle se tourna à nouveau vers son ancien amant qui regardait lui aussi le jeune homme, une flamme de désir dans le regard qui n'échappa pas à la femme, renforçant sa colère. Lui aussi dégageait quelque chose de particulièrement sexy et d'assez inhabituel.
« Tu viens de coucher avec lui ? » ne put-elle s'empêcher de lui demander, même si la réponse était déjà évidente.
« Ouais. » confirma-t-il, assez fier de lui.
Il prit une cigarette, approcha son briquet de son visage et l'alluma. Elle reporta à nouveau son attention sur le jeune garçon allongé dans le lit.
Elle sentit ses lèvres trembler. Elle avait envie de déchirer ces draps qui portaient encore les traces de leur union, de frapper ce jeune homme si beau sous la lumière artificielle.
Ogata ne lui avait jamais fait l'amour en plein après midi et il ne restait jamais à traîner au lit après… Il ne l'avait jamais regardé avec ce feu qu'il avait dans le regard quand quelques minutes auparavant, il avait posé ses yeux gris sur le jeune garçon.
Elle détestait cet Isumi ! Elle le jalousait comme peut-être elle n'avait jamais envié personne car elle devinait la passion avec laquelle cet homme, si froid avec elle, avait dû étreindre ce petit morveux.
Elle serra le poing.
« Comment a-t-il fait pour te faire changer ? »
L'homme haussa simplement les épaules, recrachant une bouffée de fumée.
« Il y en a eu d'autres avant lui et il y en aura d'autres après… » répondit-il avec un ton détaché.
Il remarqua alors qu'Isumi venait de bouger dans le lit, rougissant de se réveiller nu et observé, cherchant de la main à attraper le drap pour se couvrir, ne pouvant se redresser sans dévoiler une autre partie de son anatomie.
Michiyo n'avait apparemment pas envie de se retrouver confronter à son rival. Elle lui adressa un regard noir et sortit d'un pas rapide.
Le jeune garçon se tourna vers lui et Ogata, se doutant à sa mine triste qu'il avait dû entendre ses dernières paroles, les regretta. Il les avait prononcés davantage par provocation envers Michiyo que parce qu'il les pensait réellement.
Il vint s'asseoir sur le lit près d'Isumi et passa une main dans ses cheveux.
« Tu n'es pas content ? Tu vas m'avoir pour toi seul. »
Le jeune garçon eut un léger sourire et vint se blottir contre lui. L'homme referma ses bras autour de lui, l'embrassant dans le cou.
L'avoir contemplé dormant nu avait à nouveau éveillé son désir et il entreprit l'exploration de son corps, ses mains allant et venant sur son dos et sur son torse.
« Je ne veux pas te partager… » chuchota Isumi, passant les bras autour de son cou et rejetant la tête en arrière pour lui offrir sa gorge.
Ogata sourit, se sentant un peu ému.
Ses mots avaient peiné Isumi mais celui-ci ne lui ferait pas de scène… Il resterait gentil et doux comme il l'était toujours…
Ce petit-là valait bien le coup d'affronter les foudres de Toya Meijin !
« Je dois y aller, Maman. Merci pour le dîner. »
« Tu ne reprends pas du dessert ? »
« Je n'ai pas le temps. Toya-sensei va m'attendre ! » s'excusa le jeune homme brun en prenant sa veste et la passant.
Sa mère le regarda, un peu inquiète de le trouver si calme.
« Tu ne me dis plus rien, Hiroyuki ! Qu'est-ce qui t'arrive ? Tu as rencontré quelqu'un ? C'est ça ? Tu vas te marier et tu n'oses pas m'en parler ? »
« Maman ! Je n'ai rencontré personne, je te l'ai déjà dit ! »
« Tu devrais ! Au lieu d'aller à ces sessions d'études, tu ferais mieux de sortir, d'aller au cinéma…. Tu ne trouveras jamais à te marier si tu ne fais pas d'efforts ! »
Ashiwara baissa les yeux, résigné.
« Alors tant pis ! Je ne crois pas que je me marierai un jour de toute façon. Il faudra que tu te fasses à cette idée. »
« Hiroyuki ! »
La femme brune voulut ajouter quelque chose mais son fils était déjà sorti et avait refermé la porte derrière lui.
Elle soupira fortement. Elle ne s'était pas trompée. Pour parler ainsi, Hiroyuki était en pleine dépression en ce moment… Que pouvait-elle faire pour l'aider ?
Yashiro scruta longuement son reflet dans la glace.
Il plaça devant lui une nouvelle chemise puis réessaya celle qu'il portait précédemment, n'arrivant à se décider entre les deux.
Il se laissa finalement tomber sur le lit de sa chambre d'hôtel et regarda désabusé le miroir.
Il était stupide ! Pourquoi se souciait-il tant du look qu'il aurait le lendemain ? Face à ce pas-bien-fini-du-cerveau de Coréen, il aurait dû, au contraire, mettre les fringues les plus moches qu'il ait pour éviter que l'autre pervers ne lui saute dessus….
Mais il ne savait pourquoi, il était très impatient d'être au lendemain. Il arriva même à se convaincre que c'était pour prendre sa revanche au go…
L'homme alluma une dernière cigarette pour se donner du courage. Il se sentait comme un enfant qui aurait fait une bêtise et qui attendait avec crainte la punition de ses parents. Il sourit à cette pensée. Il essayait depuis un moment de se raisonner, tentant de se convaincre que ce que pouvait penser Toya-sensei lui importait peu mais il se mentait en se disant cela. L'opinion qu'avait le Maître de lui avait toujours énormément compté. Koyo Toya était la personne qu'il admirait le plus et même maintenant qu'il avait lui-même réussi à devenir un joueur incontournable sur la scène internationale, il continuait à se sentir face à lui, comme le jeune disciple qu'il avait été.
Sa dernière bouffée de nicotine aspirée, il écrasa son mégot sur le sol et se décida à rejoindre la salle d'étude avec toujours la même appréhension. Il avait imaginé les pires scénarios depuis la veille, jusqu'à se faire chasser du groupe d'étude le plus en vue du Japon, ses vieilles craintes et sa honte resurgissant.
Essayant de garder un visage impassible, il poussa la porte de la salle. Comme il s'y attendait, le Maître était déjà là, recréant une partie, un livre à la main.
Ce fut Ashiwara qui le salua le premier avec le sourire :
« Bonsoir Ogata-sensei ! »
Le ton ne lui sembla pas forcé et lorsque le Meijin se retourna à son tour pour le saluer le plus naturellement du monde, il eut un petit soupir. Il s'était sûrement fait peur pour rien. Son épouse ne lui avait peut-être rien dit. Ou alors… peut-être qu'elle n'avait pas compris ce que lui avait dit Tamiko ou peut-être ne l'avait-elle pas cru.
Il esquissa un petit sourire, se moquant intérieurement de lui, de ses peurs qui l'avaient empêché de dormir et vint s'asseoir à côté de son professeur.
« Akira n'est pas l ? » demanda Ogata, étonné.
« Non, les Insei et joueurs coréens sont arrivés depuis quelques jours et il a dû les accompagner. C'est vrai que nous sommes de moins en moins nombreux… Je me demande pourquoi tout le monde déserte… »
« Moi je suis toujours, là, Sensei ! » fit remarquer Ashiwara.
« C'est vrai et je te félicite ! Tu es très assidu et tu fais preuve de plus de sérieux qu'autrefois ! Je suis sûr que tu en seras récompensé et que tes résultats suivront bientôt ! »
Ashiwara, un peu gêné, eut un petit rire tandis que le Meijin se tournait vers Ogata :
« Mais pourquoi n'amènes-tu pas ce jeune homme à nos sessions d'études. Il est joueur, lui aussi… Isumi, c'est cela ?»
L'homme aux cheveux châtain clair eut l'impression de recevoir un coup sur la tête. Il resta muet sous le choc. Ainsi, Toya-sensei savait. Et il le lui faisait comprendre discrètement. Cependant, il n'y avait ni mépris, ni jugement dans ses mots et Ogata s'en sentit soulagé.
Finalement, Koyo Toya se montrait fidèle à lui-même et l'homme pensa qu'il avait été idiot de s'attendre à des sermons sur sa vie privée. Il aurait dû savoir que le Meijin réagissait toujours avec dignité et retenue.
« J'y penserai… » répondit-il.
« Where are Suyon and Irufhan ? » demanda Yashiro dans son anglais à l'accent pas vraiment british, en entrant dans la chambre et regardant tout autour de lui.
« Not here. »
Yongha, un peu agacé qu'il s'intéresse à ses coéquipiers, voulut le lui faire savoir mais il se douta que vu leur maîtrise de la langue de Shakespeare à tous les deux, mieux valait ne pas se lancer dans une trop longue conversation.
« They went out. They had a date with girls. »
«And you? »
«I have a date with you! »
Le Coréen eut un grand sourire séducteur et Yashiro commença se maudire de poser toujours les mauvaises questions. Mais le jeune homme aux cheveux roux sembla redevenir sérieux et prit place derrière le goban, s'asseyant en tailleur.
« Let's play ! »
« I'll win ! » annonça Yashiro remonté à bloc, plaçant trois pierres sur le goban.
Le Coréen lui lança un regard de défi :
« Do you want to bet ? »
« Hein? Quoi? »
« You say you will win. I'm pretty sure you won't! I'm white. No komi but if I win, you'll do everything I want.»
« Non mais ça va pas? »
Malgré sa mauvaise maîtrise du japonais, Yongha devina aisément qu'il essuyait un refus.
« So you know I'll win too… »
«Moi je crois rien avant d'avoir jouer ! Mais je ne suis pas fou, je ne parie rien ! » annonça Yashiro en plaçant sa première pierre sur le goban.
Le jeune homme aux cheveux cuivré redevint sérieux et se tut, le temps de réfléchir à son premier coup. Il ne fallut pas très longtemps à Yashiro, en revanche, pour répondre à son coup, ce qui fit sourire Yongha.
En silence, il commencèrent une bataille acharnée comme s'ils se trouvaient dans un match officiel, aucun des deux ne voulant céder.
Finalement, Yashiro finit par renoncer et s'inclina :
« J'ai perdu…. »
Le Coréen sourit et ôta les pierres du goban.
« Another game ? » proposa-t-il.
« No. C'est bon, j'ai compris ! » refusa le japonais, découragé.
« So… another kind of game ? » demanda le Coréen avec son habituel sourire ironique.
Yashiro devina en le voyant s'avancer vers lui que ce sourire était annonciateur d'un mauvais moment pour lui et il essaya de reculer, malgré sa position toujours assise. Yongha, s'appuyant sur ses avants bras, le bloqua contre le mur et tenta comme il l'avait fait chez lui de l'embrasser.
Il fut accueilli par un coup de coude au visage et recula en gémissant.
« Tar ! Je t'avais dit de ne plus essayer ! » cria Yashiro.
« Bastard ! » répliqua l'autre furieux, pinçant entre ses doigts son nez douloureux qui commençait à saigner.
« Hé…. »
Yashiro se calma en voyant un mince filet de sang dégouliner le long de la main du Coréen.
Il y était peut-être allé un peu fort ! Essayant de réparer son geste, il se rapprocha du jeune homme aux cheveux roux pour l'aider à stopper l'hémorragie.
« C'est pas comme ça qu'il faut faire…. »
« Don't touch me ! » l'avertit Yongha, le repoussant.
« Hé hé h ! Tu n'as pas toujours dit ça… »
Le Coréen ne parut pas comprendre mais il semblait en tout cas guéri de son envie de lui sauter dessus.
Yashiro, qui avait suivi des cours de secourisme à son Lycée, sortit un mouchoir de sa poche.
« Attends ! Laisse-moi faire… » dit-il plus doucement en posant sa main sur la tête du jeune homme, le forçant la baisser.
Yongha lui adressa un regard mécontent mais se laissa faire, visiblement toujours blessé dans son amour propre et certainement décidé à ne plus rien tenter de la journée.
« Akira ! Viens ici tout de suite ! »
Akira ouvrit de grands yeux à la façon d'un chat apeuré en s'entendant appeler de la sorte par son père.
Le ton ne présageait rien de bon. La dernière fois qu'il l'avait employé remontait à des années, lorsqu'il avait oublié un goban dans le jardin et qu'il s'était mis à pleuvoir. Il s'en souvenait fort bien et d'expérience, mieux valait ne pas le faire attendre !
Qu'avait-il pu faire pour contrarier son père ?
Il eut tout de suite une explication en entrant dans la pièce et en trouvant l'objet du délit qui trônait bien en vue sur la table. Il se sentit pâlir en reconnaissant la boîte bleu-clair qu'Ogata lui avait donnée. Il avait pourtant pris soin de la cacher dans ses affaires.
Sa mère se tenait en retrait derrière son père, semblant assister à la scène avec crainte. Il devina que c'était elle qui avait trouvé la chose en faisant le ménage et s'était empressée d'aller la montrer à son père.
« Oui ? »
« Qu'est-ce que c'est que ça !? »
« Euh… une boîte de préservatifs ? » proposa naïvement Akira en rougissant.
« Merci ! Je sais ce que c'est ! » s'énerva le Meijin.
Son fils le prenait-il pour quelqu'un d'arriéré qui n'était pas au courant de ces choses-l ? Etait-ce pour cela qu'il ne lui en avait pas parl ? Heureusement pour lui, la boîte était intacte. Il intervenait à temps !
« Comment t'es-tu procuré cela? Qui t'a donné ça ? » continua le Meijin.
Akira baissa les yeux, ne pouvant soutenir le terrifiant regard gris.
« …Ogata-san… » ne put-il que répondre docilement, n'ayant pas l'habitude de désobéir.
« Ogata-kun ? » répéta son père étonné « Quelle idée lui est passée par la tête ? » se demanda-t-il, pensif.
De jour en jour, il découvrait des facettes de son élève qu'il ne connaissait pas et cela commençait à l'inquiéter…
Saeki leva les yeux du goban en entendant les éclats de voix. Curieux, il se leva et heurta presque un corpulent jeune homme qui arrivait en sens inverse, semblant fuir la tempête.
« Qu'est-ce qu'il se passe ? » demanda-t-il à Kurata.
« Il semble y avoir de l'eau dans le gaz dans le clan Toya… » expliqua brièvement le gros garçon brun.
« C'est Akira Toya qui se dispute encore avec Hikaru Shindo ? »
« Non ! Tu n'y es pas du tout ! Ogata-san et Toya-sensei ont une explication assez orageuse, semble-t-il…. »
« Quoi ? » Saeki ouvrit d'abord des yeux étonnés puis sourit : « J'aimerai bien savoir ce qu'ils se disent… Ca plairait à Morishita-sensei d'être le premier au courant s'il y a un clash ! »
Comme le jeune disciple de Morishita se dirigeait vers le lieu d'où venaient les voix, Kurata l'interpella :
« Eh ! Tu vas écouter ? »
« Ben oui ! Je suis trop curieux ! »
« Attends-moi ! » se ravisa le jeune homme brun.
Suivant Saeki du pas le plus léger que sa stature lui permettait, Kurata s'avança comme son collègue derrière la porte, tendant lui aussi une oreille indiscrète.
« Quand vous rendrez-vous compte qu'Akira grandit et qu'il n'est plus un enfant ?! » disait Ogata, tenant tête à son professeur.
« Il n'a encore que 16 ans ! Et puis aux dernières nouvelles, je suis toujours son père et tu n'as pas à te mêler de son éducation ! »
« C'est lui qui est venu me trouver pour me parler de ça… Mais très bien ! Je ne lui adresserai même plus la parole si c'est ce que vous voulez… » termina Ogata, ironique, essayant de sortir de cette discussion la tête haute.
Un long silence suivit cette réplique. Il y eut un déclic, le bruit d'un briquet qu'on allumait puis quelqu'un toussota.
« Si nous rentrions ? » proposa une voix féminine.
Derrière la porte, Kurata et Saeki échangèrent un regard déçu. L'incident semblait clos…
« Un instant, j'arrive… » répondit Koyo Toya.
Essayant de détendre un peu l'atmosphère, Akiko essaya de plaisanter, s'adressant à Ogata :
« Je passe mon temps à l'attendre ! » se plaignit-elle « La vie d'épouse de joueur de go n'est pas marrante ! Et depuis qu'il est à la retraite, c'est presque encore pire ! Votre compagne n'est pas fâchée que vous ne soyez jamais là, Ogata-san ? Elle ne dit rien ? »
Ogata se leva, s'apprêtant à quitter la pièce. Akiko Toya s'évertuait visiblement à jouer les hypocrites… Toujours agacé par la conversation un peu rude qu'il venait d'avoir avec son mari, il rectifia :
« Mon compagnon, vous savez très bien…. »
Derrière la porte, Kurata haussa les sourcils mais devinant qu'Ogata allait sortir, Saeki, plus vif, eut la présence d'esprit de le tirer par la manche de sa chemise pour qu'il ne se fasse pas surprendre en flagrant délit d'espionnage. Ils firent mine de regarder les tableaux d'affichage et Ogata qui sortit effectivement, leur jeta un regard suspicieux, se demandant visiblement s'ils n'avaient pas surpris leur conversation.
« Ca alors ! » fit Kurata ouvrant de grands yeux, lorsque l'homme fut hors de vue « Il est gay ? Lui ? »
« Je ne m'en serais jamais dout ! » renchérit Saeki, tout aussi stupéfait.
« Il dit qu'il a quelqu'un mais je ne l'ai jamais vu avec personne… » continua le gros garçon, fouillant dans sa mémoire « Il est peut-être avec un autre joueur… »
« Non pas possible ! Ca se saurait ! »
« Je n'en reviens pas ! «
« Moi non plus ! Il cache bien son jeu ! Mais je crois qu'on devrait garder ça pour nous… »
Merci ! Merci pour vos reviews ! C'est super sympa et ça fait vraiment plaisir ! J